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L'émancipation familiale face aux institutions: des pères séparés dans l'impasse

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par Catherine Azémar
Conservatoire des arts et métiers Paris - Master de recherche: sciences du travail et de la société 2009
  

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7.3. Face à la réalité : espoir et restauration d'une place de parent par le dialogue

L'inscription dans l'avenir

L'espoir que leurs enfants ne les oublieront pas et sauront plus tard qu'ils se sont battus pour tenir leur place de père, leur permet de ne pas sombrer pour certains. Dans la douleur d'être séparés de leurs enfants, ils expriment des projets d'avenir pour eux et cultivent l'espoir que leurs enfants ne les oublient pas, ce qu'ils témoignent parfois par des sentiments passionnels, de survie :

« Je me suis mis à genoux devant la poussette, pour dire à mon fils je suis ton papa, je t'aime et je pense à toi tous les jours, je lui ai répété ça, je t'aime, je pense à toi tous les jours et je ne t'abandonnerai pas. » (Vincent)

« Ce qui me manque le plus, C'est l'amour que j'ai pour lui, que je ne peux pas lui donner ; Avoir un moment de câlin, lui parler, lui dire que je suis son papa, que je l'aime, que j'ai envie de faire des choses avec lui, que c'est mon fils, et que je serai prêt à mourir pour lui. C'est ça qui me manque. » (Julien)

« Même si on est soutenu, il y a beaucoup de papas qui s'écroulent, enfin, à leur manière. Par exemple, les points rencontre, ils abandonnent, parce que c'est trop dur. Le premier conseil que je donne aux gens qui sont vraiment très mal, c'est l'instinct de survie, vous devez bien boire, bien manger, bien dormir, même si c'est très dur à entendre, c'est la base de tout. Si vous faites attention à bien manger, vous hydrater, vous êtes sur vos pattes et le cerveau, il suit. Si vous êtes en plus fatigué, déshydraté, avec des manques, et des carences, vous explosez ; si en plus vous êtes appelé par les flics pour une garde à vue, vous êtes foutus. » (Etienne)

En pères impliqués absents, désireux de s'inscrire comme parent malgré tout, ils vont s'accrocher au fait que tout ce qu'ils tentent de mettre en place, profitera d'une certaine façon à leurs enfants plus tard :

« Et bien moi, l'attente, j'espère que mes enfants vont pouvoir se construire en ayant une image de leur papa et de leur maman qui ont pu les aider au maximum, et se construire correctement. En espérant qu'ils ne tiennent pas trop compte de nos déraillements, de nos faiblesses, ça c'est un gros souci pour moi, moralement parce que je me dis que dans quelques années on pourra me faire le reproche de ne pas avoir trop assez assisté à la façon dont la maman a déraillée, ça c'est quelque chose qui me hante un peu ; Et puis j'espère que mes enfants me diront un jour et bien on est content, on a réussi, vous nous avez aidé, là on vous pardonne parce que vous avez déconné. Parce que mes enfants ce n'est pas ma propriété, c'est ma chair, c'est la chair de mon ex compagne, mais ce ne sont pas des objets et ça il faut bien le comprendre, beaucoup de gens ne l'ont pas compris, pour qui les enfants sont des objets, un moyen de pression sur l'autre, un moyen de détruire l'autre. » (Patrick)

Face à l'engrenage judiciaire qui épuise leur espoir d'obtenir un aménagement de vie leur permettant d'exercer leur rôle de père, ils peuvent prendre acte de la situation et pour certains comme pour Martin, organiser entièrement leur vie autour de l'aménagement du droit de visite. Ce qui devient leur raison de vivre, devant leur vie professionnelle ou même personnelle, pour laquelle ils sont prêts à investir un deuxième logement quand l'éloignement géographique l'impose :

« Je me suis dit, je m'en sors plus. - Vous ne vous en sortez plus dans les procédures ?

Oui, là j'ai plongé, j'étais assigné. Alors aussi, il faut que je vous dise, entre temps, j'avais acheté un appartement pour voir ma fille, j'ai acheté un appartement à Epinal. Je me suis installé là bas, le même appartement que j'ai ici, tout en double, de A à Z. En face de la gare, je peux la recevoir, le week end qui vient j'y vais trois jours, j'ai loué une voiture... J'ai quand même compris même si c'est douloureux, qu'un jour tout ça on ne le fait pas pour soi, mais que c'est pour ses enfants, et un jour, et bien elle partira, ce sera autre chose. (Martin)

« En tout cas, ils vont quand même vivre leur vie d'adolescent, ils vont grandir, donc moi, j'ai fais mon deuil du reste en quelque sorte ; tout ce que je pourrais obtenir, ce sera du positif. » (Léon)

Leur situation les conduit en effet à se satisfaire de la moindre évolution qui leur permettra d'améliorer leur niveau de relation avec leurs enfants. Ils vont ainsi, avec l'aide des associations, concentrer toute leur énergie autour de stratégies pour obtenir du temps avec leurs enfants, ce qui nécessite de leur part un travail visant à favoriser le dialogue.

La restauration d'une place parentale

Dans ces associations qui offrent des espaces de paroles aux pères, ils tentent de retrouver une place, une dignité de parent. Pour certains, comme pour Martin, ce peut être l'épreuve de la séparation qui les conduit à se remettre en question :

« Alors je m'accroche, je suis présent dans la vie de ma fille, l'école, je fais tout, je suis un super papa, on est dans la surenchère. Je suis élu parent d'élève, je fais tout ce qu'il faut, mais pourquoi je fais tout ça, je pense que quelque part je me suis révélé. Il y a eu la naissance de ma fille, et la séparation, ça été une deuxième naissance, et je me suis dit, tu es effacé des tablettes, c'est fini, j'ai vu les autres et je me suis dit si tu ne te manifestes pas, là maintenant, c'est fini, tu seras rayé. » (Martin)

De façon générale, une fois passée la surprise, révoltés par ce qui leur arrive ils sont étonnés des réponses apportées par l'association, qui relèvent de conseils de l'ordre de la négociation avec la mère, même et surtout en cas de conflit. C'est alors l'écoute et le réconfort d'autres personnes ayant vécues les mêmes expériences, étant passées par les mêmes étapes, qui vont les faire accepter une certaine orientation dans leur position. De celle de conflits de pouvoirs, à celle d'une stratégie par la négociation, en se centrant sur la réalité de leurs désirs pour leurs enfants. Ils vont ainsi sur les conseils des plus avertis, devoir adopter des choix pragmatiques, en préparant leur dossier pour les audiences. Mais aussi tenter des négociations à l'amiable avec la mère de leurs enfants, donc apaiser le conflit, en renouant, voire en instaurant le dialogue, afin de conserver le lien avec l'enfant :

« En venant ici, cela m'a permis d'arrêter la procédure, il m'a dit d'être diplomate. Et puis j'ai vu des gens pour qui c'était pire. Donc cela m'a fait considérer la chose autrement. Qu'il ne fallait pas que je bosse pour les avocats..Cela m'a beaucoup aidé pour prendre cette décision là, elle a même été surprise la mère de mon fils. Mais pourquoi tu n'as pas pris un avocat, on ne t'a pas prévenu, m'a-t-elle dit. J'ai dit non, je vais à l'association, et là ça l'a rassurée. Et à mes enfants, je leur ai dit. Et puis, je lui ai dit, écoute, si tu es correcte il n'y a pas de soucis, et cela a apaisé. » (Jacques)

Quand la procédure judiciaire est en cours, les conseils stratégiques sont alors donnés dans ce sens, où il s'agit de calmer le jeu, en facilitant le travail du juge et en se positionnant autour de l'intérêt de l'enfant, sans incriminer l'autre parent. Aussi, les pères sont amenés à travailler sur leur dossier ainsi que la préparation aux audiences, dans le but stratégique d'obtenir les meilleurs résultats, selon une bonne connaissance du dispositif judiciaire.

« Ce qu'il faut comprendre c'est que les juges ont très peu de temps pour chaque dossier, donc quand un juge va voir un dossier conflictuel, il ne va pas lire tous les arguments, toutes les attestations. Donc un juge va préférer un dossier où on va lui faciliter les choses, où les arguments ne seront pas contre le parent mais en faveur de l'enfant, pour expliquer comment va être organisé la vie de l'enfant, c'est surtout ça qui l'intéresse le juge, donc ce qu'il faut, c'est que les gens aient dans l'idée de remettre un dossier positif. »

Par ailleurs, au-delà de l'intérêt stratégique de la démarche, l'énergie concentrée sur cette action leur permet par un travail de remise en question de leur vécu, une restauration identitaire autour de leur place parentale :

« C'est deux ans et demi de traversée du désert depuis la grossesse, ça m'a énormément atteint émotionnellement, et forcément ça coupe avec le réseau d'amis. Je suis en train de reconstruire, à partir d'ici, et je recontacte aussi mes anciens amis. Actuellement je suis aux Assedic, ça va aussi avec ma dépression, j'étais dans l'incapacité de travailler et de monter un dossier. Quand j'ai reçu les conclusions adversaires avec un pavé, il a fallu que moi, je monte un dossier, c'est une énergie, même si ce n'est pas huit heurs par jour, c'est extrêmement éprouvant, on fait une lettre on y passe deux heures, on y pense tout le temps, même en dormant. » (Vincent)

Il s'agit, comme l'explique les adhérents, de se remettre en cause, se reconstruire, et une fois le deuil de la relation faite, de travailler part rapport aux enfants. « C'est vrai qu'on a ici un rôle social parce que quand on reçoit ici des gens en très grande souffrance, souvent certains sont au bord du suicide, ne savent plus quoi faire, donc forcément les mots qu'on va dire, ils auront une résonnance. Donc, permettre aux gens d'échanger, pour accompagner ce travail de restauration. »

Hormis les résultats escomptés, ce travail en lui même permet non seulement aux pères de se poser, mais aussi de se déplacer du conflit conjugal, et se recentrer autour de l'enfant dans une action réflexive sur leur parcours. Les adhérents permanents ou animateurs les poussent alors dans leur retranchement, ce qui leur permet de se repositionner à leur place de parent responsable :

« En même temps ça me fait grandir, pourquoi ça me touche autant, ça m'atteint autant, ça m'a fait vraiment avancer, ces derniers sept mois depuis que je suis allé en justice, j'ai enfin pris la décision, j'arrête d'être à la merci de cette femme, pour dire non, je ne t'abandonne pas à mon fils. » (Vincent)

En venant dans ces associations, Il est question alors pour ces pères de se redresser, tel que l'exprime Julien :

« Donc c'est moi qui fais à chaque fois le dos rond et c'est pour ça que je viens voir cette association là. Quelles choses on peut mettre en place pour avoir un terrain d'entente, pour F, mes droits de visite et de contribution parentale, c'est normal, c'est mon enfant. » (Julien)

Ainsi, se dévoilant maltraités psychologiquement, les pères rencontrés dans ces associations se présentent dans une posture d'apprentissage, d'aide à la négociation, pour trouver une place de père. Leur lutte porte sur le manque de soutien de la part des institutions, de reconnaissance, dans leur statut de parent. Et la question d'égalité des sexes, pour ces pères, les renvoie surtout à la recherche d'un meilleur équilibre possible :

« Entre les hommes et les femmes, c'est de compromis dont il s'agit, pas d'égalité » (Paul)

Ce qui nécessite un apaisement du conflit, sans perdre de vue l'adulte en devenir que représente l'enfant, au coeur des tensions figées autour du choix de la résidence :

« Même les deux parents ne peuvent pas apporter tout, s'il n'y a qu'un homme dans la vie des enfants, il y aura forcément un manque mais ce manque il va exister aussi même avec un homme et une femme tout aussi équilibrés qu'ils puissent être. Donc l'histoire de savoir si c'est mieux qu'il soit avec le père, qu'il soit avec la mère, c'est un faux problème. Enfin je crois qu'on n'écoute pas assez les enfants. » (Léon)

Ainsi la demande de ces pères se situerait autour de la recherche d'un équilibre plutôt qu'une égalité stricte, ce qui nécessite par ailleurs un apaisement du conflit conjugal. Cependant, c'est bien l'existence de conflit qui est à l'origine de leur démarche d'une revendication égalitaire. Mettant alors en avant que le conflit profite aux mères sur la question de résidence des enfants, ils se trouvent face à une impasse, et se positionnent donc autour d'un travail de restauration de leur place parentale.

En conclusion

Les premières données qui apparaissent dans cette enquête, laissent à penser que les pères accueillis dans les associations militant pour l'égalité parentale ne présentent pas de profil type : Ils peuvent être de différentes tranches d'âge, de catégories socio professionnelles multiples, d'origines géographiques diverses ; ce sont même parfois des mères. Ces éléments viendraient invalider l'idée que ces pères pourraient constituer un groupe spécifique, homogène, impliqué solidairement dans une lutte de pouvoir avec les mères. Il apparait cependant que tous rencontrent des séparations de couple très conflictuelles. Ce sont en majorité les mères à l'initiative du divorce, ou d'une procédure en cas de séparation. Ils ne comprennent pas alors ce qui leur arrive et découvrent que leur place de père n'est plus reconnue, une fois séparés de la mère de leurs enfants. Témoignant souvent d'un lien d'attachement précoce à leurs enfants, ils s'estiment alors d'autant plus exclu comme parent après leur séparation conjugale. Et quand ils reconnaissent s'être peu investis en tant que parent, ils se sentent néanmoins injustement rejetés, d'où leur démarche volontaire pour retrouver cette place.

La demande des pères dans les associations est celle de voir plus souvent leurs enfants, la résidence alternée étant présentée comme un idéal à atteindre, quand il s'agit pour eux surtout de pouvoir maintenir un lien avec leurs enfants qu'ils voient peu ou plus du tout. Ils attendent d'être reconnus et traités comme un parent à égalité avec la mère, sans avoir pour autant une représentation d'un rôle prédéterminé pour chacun des deux. La démarche de ces pères n'est pas celle d'une recherche d'égalité au sens d'identité, d'être comme une mère, interchangeable. Prenant acte du mouvement féministe ayant permis aux femmes de s'émanciper de leur rôle de mère et d'épouse, ils sont en demande à pouvoir exercer leur fonction parentale par une présence auprès de leurs enfants, cherchant à s'émanciper d'un rôle unique de père pourvoyeur de ressources.

Mais face aux difficultés perçues et présentées comme insurmontables, ils se disent engagés dans un combat inégal quand il s'agit de pouvoir concrètement exercer à égalité l'autorité parentale, visant à obtenir un libre accès à leurs enfants. Ils s'estiment dans ce contexte victimes d'une injustice exercée à leur égard par l'institution, relayée par les mères, et évoquent en cela un sentiment de trahison. Ainsi ces pères ne se sentiraient plus soutenus par l'institution qui naguère les désignait comme garants de l'unité de la famille et se trouvent dans la situation à devoir prouver qu'ils sont de bons pères, pour exercer leur rôle parental.

Ainsi, Irène Théry, identifie t elle, comme cela a été souligné en première partie, le problème autour du manque de cadre institutionnel de référence pour accompagner l'émancipation. Les couples se trouvant désorientés, les situations de conflits conduisent, selon l'auteur, à une recherche de repères vers un schéma traditionnel de différenciation sexuelle des rôles, soutenu, dans les cas de séparation conjugale, par l'institution juridique.

Après avoir exploré la place du père dans l'évolution de la famille inscrite autour d'un courant de démocratisation, il apparait que les pères en séparation conjugale, quand ils revendiquent leur place, font part d'inégalités parentales les situant comme secondaires. Ainsi, au regard de la désignation paternelle dans l'histoire de la famille, le père déchu a été replacé au centre de la famille dans sa conception matrimoniale. Le passage ensuite du père institutionnel aux pères relationnels, qui marque l'émancipation de la cellule familiale, s'accompagne de tensions, à travers une coexistence de tradition et modernité. Ces tensions apparaissent, en faisant obstacle à la mise en place de l'égalité, à travers les témoignages de pères séparés en revendication d'une place. Aussi, les freins à la mise en place de l'égalité des sexes dans la famille, décrits par les sociologues, semblent être illustrés par le discours des pères dans les associations, autour de la permanence d'une intériorisation de la division sexuelle des rôles parentaux soutenue par les institutions. D'où l'inadéquation entre une institution inégalitaire et le courant d'émancipation familiale, qui laisse les pères séparés dans le désarroi, alors que les mères sont surchargées.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery