WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La formation des enseignants et les enjeux de l'enseignement de l'histoire de 1880 à  1905 et leurs héritages.

( Télécharger le fichier original )
par Sophie VAN-WAESBERGE
URCA - Master 2 MEEF HG 2015
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

b- La préparation à la formation des futurs citoyens à travers l'enseignement de l'histoire .

Outre le cadre dans lequel évoluent les élèves, les institutrices et instituteurs ont recours à l'enseignement de l'histoire pour préparer leurs élèves à devenir de futurs citoyens patriotes. Le 15 juillet 1891, lors de son discours d'inauguration d'une école à Nouvion-en-Thiérarchie, Ernest LAVISSE, historien français de la seconde moitié du XIXème siècle, énonce clairement le rôle des maîtres d'école primaire :

« Il leur dira qu'à l'enseignement historique incombe le devoir glorieux de faire aimer et de faire comprendre la patrie ».

L'enseignement de l'histoire au sein des écoles primaires est récent. Cela s'explique par le fait que l'histoire soit mal perçue jusqu'au début du XIXème siècle. Les représentants des régimes politiques passés redoutent l'enseignement de l'histoire aux enfants issus des classes populaires. En effet, ils considèrent que l'ouverture d'esprit suscitée par l'histoire pourrait entraîner des soulèvements de la part du peuple et donc constituer un danger potentiel. Les révolutionnaires ont accordé une place importante à l'éducation du peuple. Et pourtant, eux aussi ont renoncé à l'introduction de l'histoire dans leurs projets de programmes scolaires. Nous pouvons remarquer que cette discipline n'est pas mentionnée dans le projet sur l'organisation générale de l'instruction publique proposé par le marquis de CONDORCET à l'Assemblée en 1792. Il a fallu attendre 1833 pour que François GUIZOT, alors Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux Arts, intègre l'histoire dans les programmes des écoles primaires. Toutefois, cette introduction de l'histoire ne concerne que les écoles primaires supérieures, écoles réservées à l'élite sociale. Ce n'est qu'en 1867 que Victor DURUY introduit l'histoire à l'école élémentaire en justifiant son choix par le fait que l'enseignement de l'histoire permette de distinguer le bien du mal à travers des exemples historiques. Il permet également de montrer la grandeur de la France et de mettre en valeur les progrès qu'elle a réalisé. Jules FERRY intègre l'enseignement de l'histoire dans les programmes d'école primaire du 27 juillet 1882 pour les enfants âgés de six à treize ans. Lorsque l'histoire apparaît dans les programmes scolaires, il est nécessaire d'établir les enjeux et finalités de l'enseignement de cette récente discipline. Pour Jules FERRY, le but de l'enseignement de l'histoire à l'école primaire est « d'inscrire le futur citoyen dans la démocratie, dans la patrie et dans une identité nationale ». Cette mission revient donc aux instituteurs et institutrices d'école primaire.

17

Afin de connaître les attendus du Ministère de l'Instruction Nationale et des Beaux-Arts, les maîtresses et maîtres doivent se référer à la partie « éducation intellectuelle » du programme scolaire du 27 juillet 1882. Concernant la démarche à suivre, il est précisé que :

« L'idéal de l'école primaire n'est pas d'enseigner beaucoup, mais de bien enseigner. L'enfant qui en sort sait peu, mais sait bien ; l'instruction qu'il a reçue est restreinte, mais elle n'est pas superficielle »6.

Cela signifie que l'accent est mis sur l'éducation et non l'accumulation des connaissances. Celles-ci sont donc volontairement réduites. Maîtresses et maîtres doivent donc sélectionner les exemples historiques les plus pertinents pour former leurs élèves à la citoyenneté. Ils ne doivent pas abuser des dates. Ils doivent sélectionner les dates faisant référence à des événements qui montrent la grandeur de la France. Les dates finement choisies ont pour vocation d'être des bornes chronologiques qui permettent aux élèves de se repérer dans le temps. Ernest LAVISSE a lui-même souligné la difficulté de la chronologie pour des enfants :

« Ils n'ont aucune idée ni de l'âge, ni des transformations de l'humanité. Si l'on n'y prend pas garde, ils mettront tous les faits sur le même plan »7.

L'utilisation de la chronologie par l'enseignant permet donc de hiérarchiser les idées. Toutefois, une utilisation trop importante de dates dans un cours d'histoire pourrait porter préjudice dans le sens où elle désintéresserait les élèves. Ce désintérêt entraînerait une incapacité à l'appropriation de l'histoire et de l'amour pour la partie.

En terme de démarche à suivre, l'enseignant doit partir de ce que savent déjà les élèves, c'est-à-dire partir d'éléments concrets. Il doit guider les élèves du monde connu vers un monde inconnu et les aider à mieux l'appréhender. Le programme de 1882 mentionne cet attendu :

6 Programmes du 27 juillet 1882 : http://jl.bregeon.perso.sfr.fr/Programmes_primaire1882.pdf

7 KAHN, Pierre, L'école républicaine et la question des savoirs. Enquête au coeur du Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson, Paris, CNRS Éditions, 2015.

18

« L'instituteur met les enfants en présence de réalités concrètes, puis peu à peu il les exerce à en dégager l'idée abstraite, à comparer, à généraliser, à raisonner sans le recours d'exemples matériels ».

Ainsi, les institutrices et instituteurs doivent réutiliser les connaissances historiques des élèves et leur donner un sens. Cette méthode permet de valoriser le savoir historique des élèves. Il leur est également recommandé de faire des passerelles entre le présent et le passé pour faciliter la compréhension d'événements historiques, ou pour comprendre quelles seraient les conséquences d'un événement en cours. Selon LAVISSE, les liens passé présent ont pour objectif de transporter les élèves dans le temps. Ils ont également pour vocation d'éveiller la curiosité historique des élèves et donner du sens au cours.

Les maîtresses et maîtres doivent également faire appel à leurs propres émotions et à celles de leurs élèves pour les sensibiliser à l'histoire de leur pays. Ils doivent laisser apparaître leurs émotions comme le mentionne Brigitte DANCEL dans son ouvrage :

« Le maître laisse voir son émotion, s'apitoyant sur les malheurs de la France et se réjouissant de ses succès et de ses grandeurs »8.

Il doit donc travailler sur les sentiments de joie et de tristesse avec ses élèves. En laissant transparaître ses émotions, l'objectif de l'enseignant est de sensibiliser les élèves. Le travail sur la sensibilité permet de transmettre son intérêt pour l'histoire de son pays. L'institutrice et l'instituteur apparaissent alors comme des guides, voire comme des témoins du passé auxquels les élèves peuvent s'identifier.

Le processus d'identification est quotidiennement utilisé par les maîtresses et maîtres dans les cours d'histoire. Pour faire de leurs élèves des futurs citoyens patriotes, les enseignants de la IIIème République estiment que les enfants doivent connaître les personnages qui ont fait la grandeur de la France. Pour ce faire, ils choisissent pour leurs études des personnages emblématiques. Ils les décrivent précisément en insistant sur leur caractère, leurs qualités et leurs vertus. En les décrivant de manière précise, l'objectif est de permettre aux élèves de s'identifier à eux, par un trait de caractère commun par exemple. De la même manière, dans la mesure du possible, les maîtresses et maîtres choisissent des personnages locaux pour renforcer cette appropriation. En insistant sur les grandeurs d'un personnage, ils invitent leurs élèves à la rêverie et à l'imagination. Les élèves

8 Brigitte DANCEL, Enseigner l'histoire à l'école de la IIIème République.

19

deviennent donc admiratifs de ces personnages. Ils prennent également rapidement conscience d'être leurs « descendants » et de leur devoir de s'inscrire dans cette lignée. Cette méthode permet en outre de créer un sentiment de communion de la nation autour de son passé glorieux. Le Maréchal de Turenne, par exemple, est étudié en cours élémentaire. Né à Sedan, ce personnage constitue une figure locale pour les habitants du Nord-Est de la France. Lors de son étude, l'accent est mis sur ses compétences militaires et sur ses victoires.

Pour former les élèves à la citoyenneté grâce à la transmission de l'amour pour la patrie, les maîtresses et maîtres s'aident des programmes scolaires. Pour notre période étudiée, les programmes d'histoire en vigueur sont ceux du 27 juillet 1882 établis sous le mandat de Jules FERRY comme Ministre de l'Instruction Publique et des beaux Arts, et ceux du 3 janvier 1894 sous le mandat d'Eugène SPULLER. Les nouveaux programmes établis en 1894 n'enregistrent pas de changements notoires si ce n'est l'étude de la guerre de Cent Ans déplacée au cours élémentaire au lieu d'être réalisée au cours moyen. Ce changement libère du temps en cours moyen et permet à l'enseignant d'étudier plus en profondeur l'époque contemporaine. Le découpage des programmes d'histoire suit le découpage tripartite en des niveaux : élémentaire pour les enfants âgés de six à neuf ans, moyen pour les enfants âgés de neuf à onze ans, et supérieur pour les enfants de plus de onze ans. Pour chaque niveau, une heure d'enseignement d'histoire, géographie et de civique confondues est prévu chaque semaine. La répartition hebdomadaire s'organise de la manière suivante : deux heures d'histoire, deux heures de géographie et une heure d'instruction civique.

En observant le contenu de ces programmes, nous remarquons que l'accent est mis sur l'Histoire de France. En cours élémentaire, maîtresses et maîtres doivent enseigner l'histoire de France jusqu'au commencement de la guerre de Cent Ans. Comme le public est relativement jeune, ils travaillent essentiellement à partir de récits ou d'iconographies. En cours moyen, les institutrices et instituteurs doivent dispenser un cours élémentaire d'Histoire de France en insistant sur les faits essentiels depuis la guerre de Cent Ans. Ainsi, si en cours élémentaire le travail se concentre sur les personnages, en cours moyen, il se concentre davantage sur les événements. L'objectif est de faire comprendre quel rôle ont joué les personnages précédemment étudiés dans l'événement abordé en cours. Enfin, en cours supérieur, les maîtresses et maîtres doivent sensiblement élargir leur espace d'étude historique. En effet, dans le cycle doivent être traités « l'Antiquité, l'Égypte, les Juifs, la Grèce et Rome ». Toutefois, ces thèmes doivent être brièvement abordés et doivent être en lien avec l'histoire de France. Le programme du cours supérieur se concentre une nouvelle fois sur l'histoire nationale contemporaine. Les institutrices et institutrices doivent réutiliser les

20

connaissances établies en cours élémentaire et cours moyen. L'objectif est ici de sensibiliser les élèves aux causes et conséquences des événements phares de l'Histoire de France. À l'issue de sa scolarité, chaque élève doit donc être à même de comprendre le monde qui l'entoure, le fonctionnement de la démocratie, et sa place en tant que futur citoyen au sein de la République.

Pour mettre en application les programmes scolaires et former au mieux ses élèves à la citoyenneté, l'institutrice et l'instituteur ont recours à différents outils. Ils peuvent utiliser le manuel d'histoire acheté par leur école dans le cadre d'une leçon dite « écrite ». Il faut entendre par « leçon écrite » une leçon qui utilise le manuel. Elle se distingue de la leçon orale qui se fait exclusivement grâce aux connaissances des élèves et de l'enseignant. Celle-ci prend la force d'un cours dialogué qualifié d' «entretien » par Ernest LAVISSE. L'enseignant doit faire en sorte que les élèves apprécient leurs manuels scolaires pour qu'ils aient ensuite envie de s'intéresser aux livres de manière générale. Il s'appuie également sur les tableaux d'histoire de France, et sur les cartes placardées sur les murs de la salle de classe. Il peut s'agir de supports achetés par l'école ou bien de documents créés par le personnel enseignant lui-même. Généralement les institutrices et instituteurs notent sur le tableau noir le thème de la leçon du jour ainsi que le sommaire du chapitre. Très peu d'éléments sont notés au tableau, toujours dans le soucis de réalisation d'un cours clair et concis. Le tableau noir est réservé à l'enseignant. Aucun élève ne vient y noter des éléments lors des leçons d'histoire. Le début de la séance commence par un contrôle oral de la leçon passée. Cette vérification des apprentissages se fait sous la forme de questions posées à un ou des élèves.

En terme de pédagogie, la IIIème République tente de rompre avec les traditions lassalliennes qui consistaient notamment à demander aux élèves les plus avancés d'aider ceux qui avaient le plus de difficultés. Toutefois, nous pouvons remarquer que dans la pratique cette technique est encore répandue à la fin du XIXème siècle. Cette pédagogie offre la possibilité aux élèves d'apprendre la solidarité au sein de la classe de manière à ce qu'ils l'appliquent ensuite dans leur vie personnelle. La réactivation des connaissances peut également prendre la forme de récitation de la trace écrite du cours d'histoire passé. L'objectif de ces répétitions est de permettre aux élèves de s'approprier les valeurs évoquées lors des cours d'histoire. Ensuite, débute la leçon du jour. L'institutrice et l'instituteur énoncent le thème du jour ainsi que le sommaire. Ils partent des connaissances historiques des élèves afin qu'ils se sentent davantage impliqués et qu'ils s'approprient le cours. La leçon se termine généralement par la prise en note de la trace écrite du cours d'histoire. Elle est relativement brève puisqu'elle se limite à trois à six lignes pour une heure de cours. Une nouvelle fois, l'objectif pour l'enseignant n'est pas que les élèves accumulent des savoirs, mais que les élèves

ressentent et s'approprient l'histoire de leur pays. Parfois, l'enseignant organise une « promenade scolaire », c'est-à-dire une sortie scolaire dans un lieu historique emblématique local. Enfin, dans l'objectif de faire travailler la mémoire des élèves et de leur permettre de s'approprier davantage les thèmes étudiés en cours, l'enseignant propose un devoir d'histoire à raison d'un par semaine. Ceux-ci peuvent prendre différentes formes telles que : retracer la leçon orale en entier ou en partie, raconter un fait historique, établir une biographie, juger le gouvernement d'un ancien ministre ou ancien souverain tel que Louis XIV...

Ainsi, tout au long de sa scolarité en école primaire sous la IIIème République, un élève suit des cours d'histoire. Dispensés par les institutrices et instituteurs, ces cours ont pour vocation de former des futurs citoyens patriotes comme le souligne le discours tenu par Ernest LAVISSE à Nouvion-en-Thiérarchie en 1891 :

«S'il ne devient pas un citoyen pénétré de ses devoirs et un soldat qui aime son drapeau, l'instituteur aura perdu son temps »9.

21

9 HERY, Évelyne, Un siècle de leçons d'histoire. L'histoire enseignée au lycée, 1870, 1970, Rennes, PUR, 2015.

22

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il ne faut pas de tout pour faire un monde. Il faut du bonheur et rien d'autre"   Paul Eluard