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La formation des enseignants et les enjeux de l'enseignement de l'histoire de 1880 à  1905 et leurs héritages.

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par Sophie VAN-WAESBERGE
URCA - Master 2 MEEF HG 2015
  

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c- La suppression progressive des cours religieux au profit des cours de morale : Un moyen pour former des citoyens patriotes sous la III ème République .

L'un des enjeux du développement de la formation des maîtres et maîtresses assuré par le gouvernement républicain est de soustraire le personnel enseignant de l'influence de l'Église. Pour ce faire, différentes lois et circulaires sont adoptées entre 1880 et 1905 afin de transférer le monopole de l'enseignement de l'Église aux mains de l'État. La suppression progressive des cours d'enseignement religieux dans les Écoles Normales et dans les écoles primaires s'opère au profit de la laïcisation du personnel enseignant et du développement de l'enseignement de la morale.

Ce processus de laïcisation des institutions républicaines débute par la loi du 27 février 188010 proposée par Jules FERRY, alors Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts. Cette proposition de loi approuvée par le Sénat et la Chambre des Députés prévoit la laïcisation du Conseil Supérieur de l'Instruction Publique. Ce Conseil compte parmi ses membres, six maîtres primaires élus au scrutin de liste pour une durée de quatre ans. Il a notamment pour vocation d'établir les programmes scolaires, les modalités d'examens, ou d'entrée dans les Écoles Normales, de décider l'ouverture de nouvelles Écoles Normales primaires, de choisir les listes d'ouvrages devant être présents dans les bibliothèques pédagogiques des Écoles Normales. Ainsi, cet exemple montre que le processus de laïcisation du personnel dépendant du Ministère de l'Instruction Publique débute par la laïcisation de ses dirigeants.

Deux ans après l'adoption de cette loi, le Sénat et la Chambre des députés adoptent la loi sur l'instauration de l'école républicaine laïque et obligatoire proposée par Jules FERRY. Cette loi s'insère dans le cadre des grandes mesures scolaires suggérées par le Ministre de l'Instruction Publique et des Beaux-Arts dans l'optique d'entièrement refonder l'école primaire. La loi du 16 juin 188111 a établi la gratuité de l'enseignement primaire destiné aux élèves âgés de six à treize ans. L'instauration de la gratuité permet ensuite de rendre obligatoire l'enseignement primaire. L'obligation de suivre cet enseignement est couplée d'une obligation de laïcisation des écoles

10 Loi du 27 février 1880: http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/fev1880.pdf

11 Loi du 16 juin 1881 : http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/juin1881.pdf

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primaires mentionnée dans la loi du 28 mars 188212 proposée par Jules FERRY et adoptée par le Sénat et la Chambre des Députés. La laïcité et l'enseignement de l'instruction morale et civique sont au coeur de cette loi comme en témoigne l'article premier qui aborde le contenu de l'enseignement primaire en mentionnant en premier « l'instruction morale et civique ». L'instruction morale et religieuse instaurée par FALLOUX13 disparaît donc des programmes de l'école primaire au profit de l'instruction morale et civique comme le mentionne l'article 3. L'article 2, quant à lui, indique que :

« Les écoles primaires publiques vaqueront un jour par semaine, en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants, l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires ».

Cet article marque donc la rupture entre les congrégations religieuses dans lesquelles la mission principale des maîtres et maîtresses était de transmettre une idéologie religieuse, et les écoles primaires républicaines dans lesquelles les maîtres et maîtresses ont pour principal objectif d'instruire leurs élèves aux valeurs morales et civiques. L'enseignement de l'instruction religieuse revient donc non plus aux enseignants mais aux parents des élèves.

L'application de cette réforme est rapide. Dès la promulgation de la loi, des programmes précis d'instruction morale et civique sont établis et des manuels sont rédigés de manière à ce que l'enseignement de cette discipline nouvelle soit effectif dès la rentrée de septembre 1882. Pour répondre à cette demande et afin de faciliter la tâche des maîtresses et maîtres, soixante-cinq manuels d'instruction morale et civique sont édités au cours de l'année 1882. Les programmes concernant cet enseignement sont promulgués le 27 juillet 188214. Pour la première fois, l'élaboration des programmes scolaires revient entièrement à la charge de l'État et le contenu concerne l'ensemble des Français âgés de six à treize ans. L'objectif de ces nouveaux programmes est de construire une unité nationale autour de valeurs républicaines. Cet enjeu permet de comprendre l'importance accordée à l'instruction morale et civique assurée par les maîtres et maîtresses de l'école primaire. L'article 1 mentionne que l'enseignement primaire se divise en trois cours : l'élémentaire pour les enfants âgés de six à neuf ans, le moyen pour les enfants âgés de neuf à onze ans et le supérieur pour les élèves de onze à treize ans. Les disciplines sont quant à elles

12 Loi du 28 mars 1882 : http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/mars1882.pdf

13 Loi FALLOUX du 15 mars 1850 : Instauration de l'instruction morale et civique.

14 Programmes du 27 juillet 1882 : http://jl.bregeon.perso.sfr.fr/Programmes_primaire1882.pdf

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réparties en trois champs : l'éducation physique, l'éducation intellectuelle et l'éducation morale. Chacun de ces champs d'enseignement est dispensé à chaque niveau, élémentaire, moyen et supérieur. Cela signifie donc que dès leur entrée à l'école primaire élémentaire, les Français âgés de six ans suivent des cours d'instruction morale et civique. La répartition des disciplines dans cette organisation tripartite témoigne de l'importance accordée à l'instruction civique et morale. Cette discipline fait l'objet d'une partie entière du programme tandis que la partie intitulée « éducation intellectuelle » regroupe différentes disciplines que sont : la lecture, l'écriture, la langue française, l'histoire, la géographie, l'instruction civique, l'économie, le calcul, la géométrie, le dessin, les sciences physiques et naturelles, l'agriculture et le chant.

Dans le programme d'instruction civique de 1882 le rôle de l'instituteur et de l'institutrice dans cet enseignement est clairement établi. Il est mentionné que :

« L'instituteur et l'institutrice sont chargés de cette partie de l'éducation comme représentant de la société : la société laïque et démocratique a en effet l'intérêt le plus direct à ce que tous ses membres soient initiés de bonne heure et par des leçons ineffaçables de leur dignité et à un sentiment non moins profond de leur devoir et de leur responsabilités personnelle ».

Cet extrait montre bien que l'intérêt de l'instruction morale dès le plus jeune est de rendre « ineffaçables » les notions transmises par les maîtres et maîtresses aux élèves. L'objectif est de rendre naturelles ces valeurs chez les Français. L'extrait montre également que ces préoccupations concernent l'ensemble des enfants âgés de six à treize ans, c'est-à-dire les garçons et les filles. Tous doivent partager des valeurs communes apprises à l'école primaire républicaine. Il est également précisé que les maîtres et maîtresses ne doivent pas juger les croyances religieuses de leurs élèves :

« Il peut remplir cette mission sans avoir à faire personnellement, ni adhésion, ni opposition à aucune des diverses croyances confessionnelles auxquelles ses élèves associent et mêlent les principes généraux de la morale ».

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La distinction entre l'instruction morale et religieuse et l'instruction morale laïque est clairement mentionnée dans les programmes lorsqu'il est indiqué que :

« L'instituteur ne se substitue ni au prêtre, ni au père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme ».

L'honnêteté est une notion importante qui apparaît à plusieurs reprises dans les programmes scolaires. Maîtres et maîtresses doivent donc former des citoyens honnêtes. Ils se doivent donc de l'être eux-mêmes. L'instruction morale et civique dispensée par les maîtres et maîtresses dans les écoles primaires doit également permettre de créer un esprit de corps chez les élèves. Cet objectif transparaît à travers cet extrait du programme de 1882 : « Il doit insister sur les devoirs qui rapprochent les hommes ». L'enseignant doit faire comprendre aux élèves que les droits, devoirs, et la citoyenneté permettent de créer un esprit de corps.

Après avoir énoncé l'objet de l'enseignement de la morale, le programme propose aux maîtres et maîtresses une méthode à suivre. En réalité, cette méthode à suivre par les élèves ressemble davantage à des conseils prodigués aux maîtresses et maîtres. Dans cette méthode, il est précisé que l'objectif de l'instruction morale n'est pas tant de faire apprendre par coeur des notions et définitions de valeurs républicaines, mais de les faire ressentir par les élèves comme le montre la citation suivante :

« On demande à l'instituteur non pas d'orner la mémoire de l'enfant, mais de toucher son coeur, de lui faire ressentir, par une expérience directe, la majesté de la loi morale ».

Les institutrices et instituteurs doivent donc transmettre la morale en travaillant sur les émotions des élèves. Pour ce faire, ils doivent avoir recours à des exemples précis et minutieusement sélectionnés. Ces exemples doivent être parlants et concrets pour leur jeune public. Le programme scolaire de 1882 explique en outre la posture que doivent tenir les institutrices et instituteurs. Ces-derniers y sont présentés comme des guides, comme des modèles à suivre de la part des élèves. De par leur statut, maîtresses et maîtres se doivent donc d'être d'une moralité irréprochable et doivent eux-mêmes être convaincus de leur rôle comme le montre l'extrait suivant :

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« Pour que l'élève se pénètre de ce respect de la loi morale qui est à lui seul toute une éducation, il faut premièrement que par son caractère, sa conduite, par son langage, il soit lui-même le plus persuasif des exemples. Dans cet ordre d'enseignement, ce qui ne vient pas du coeur ne va pas au coeur »15.

L'instruction morale ne peut donc être réalisée que par des personnes reconnues de bonne moralité et conscientes de constituer un exemple à suivre. Ceci explique donc pourquoi les Écoles Normales accordent autant d'importance à la morale de leurs élèves-maîtresses et élèves-maîtres puisqu'elles ont pour vocation de déceler les personnes habilitées à remplir cette mission. Le rôle des institutrices et instituteurs de l'école primaire est donc de faire aimer la morale à leurs élèves. Le caractère laïc de l'école de la IIIème République nécessite un respect de la part des enseignants envers les croyances de leurs élèves. Ils ne doivent donc pas rejeter un élève à cause de ses croyances religieuses, mais ils doivent au contraire les tolérer et les respecter.

Concernant le contenu même de l'instruction morale, les institutrices et instituteurs doivent respecter le programme scolaire établi par la loi du 28 juillet 1882. Les recommandations faites aux maîtres et maîtresses sont organisées suivant le découpage tripartite de l'école primaire : les objectifs à atteindre au cours élémentaire, au cours moyen et au cours supérieur. Pour les élèves de cours élémentaire, soit des élèves âgés de six à neuf ans, cet « enseignement par le coeur » doit s'appuyer sur des « exercices pratiques tendant à mettre la morale en action dans la classe même ». La salle de classe constitue donc un lieu d'apprentissage et d'exercice de la morale. Elle est en quelque sorte une représentation de la société de la fin du XIXème siècle dans laquelle ces élèves exerceront leur citoyenneté. Il est d'ailleurs intéressant de relever le fait que le programme parle de « donner l'exemple dans le gouvernement de la classe d'un scrupuleux esprit d'équité ». Le terme de gouvernement n'est pas sans rappeler une dimension dimension politique. Il montre que l'institutrice et l'instituteur représentent l'État au sein de leur salle de classe. Ces guides doivent également utiliser l'instruction morale de manière à responsabiliser les élèves. Pour cela, dès le cours élémentaire les maîtres doivent donner des responsabilités aux élèves telles que :

« Faire souvent les élèves juges de leur propre conduite, et les amener à découvrir par eux-mêmes leurs erreurs ou leurs torts »16.

15 Circulaire de 1883, programme d'enseignement moral et civique :

http://cache.media.eduscol.education.fr/file/Morale/62/6/morale_Jules_Ferry_190626.pdf

16 Programmes de 1882.

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Les enseignants doivent également dès le cours élémentaire les élever « au sentiment d'admiration ». Même si le terme de république n'est pas mentionné, nous pouvons en déduire que l'objectif de cet enseignement est de d'amener les élèves à admirer leur régime politique politique, la République, et son gouvernement.

Après avoir éveillé la morale chez les élèves du cours élémentaire, les institutrices et instituteurs approfondissent ce travail grâce à des exemples concrets et en variant les échelles en cours moyen. L'accent est mis sur les notions de devoirs, obéissance et respect. Tout d'abord, les maîtres et maîtresses doivent à partir d'exemples concrets faire réfléchir les élèves sur leurs devoirs envers eux-mêmes, envers leurs aînés et envers leurs frères et soeurs. Ils mènent donc une réflexion à l'échelle de la famille. Dans un second temps, la réflexion s'opère à l'échelle de l'école. L'étude porte sur les devoirs des élèves envers l'institutrice ou l'instituteur ainsi que leurs devoirs envers leurs camarades. Maîtresses et maîtres conduisent les élèves à une réflexion sur les devoirs envers la patrie et envers la société. Cette démarche et cette réflexion faites à différentes échelles montre bien que l'enseignant doit partir du quotidien des élèves, de leur environnement pour les amener à réfléchir sur leur future place de citoyen au sein de la société.

Enfin, dans le cours supérieur, l'objectif est d'approfondir les réflexions entamées en cours élémentaire et en cours moyen. Pour cela, l'institutrice et l'instituteur doivent réutiliser le schéma intégrant différentes échelles de réflexion : la famille, la société et la patrie. La partie concernant la famille comporte peu de précisions. Il est simplement mentionné que doivent être étudiés les « devoirs des parents et des enfants ». Pour ce qui concerne la société, l'enseignant doit susciter la réflexion des élèves à propos de la liberté, de la justice, de la solidarité et de la fraternité. Nous retrouvons ici des valeurs républicaines. Enfin, concernant la patrie, maîtresses et maîtres doivent amener les élèves à réfléchir sur le vote, les droits, les devoirs, les différentes libertés. Ainsi, à l'issue de leur scolarité obligatoire, c'est-à-dire à treize ans, chaque Français et chaque Française doit connaître les rouages de la République Française, doit aimer sa Patrie et être paré pour devenir un citoyen patriote et responsable. L'institutrice et l'instituteur assurent tout au long de la scolarité des élèves le rôle de guide et d'exemple à suivre concernant la morale. Ils doivent pour cela transmettre l'amour de la Patrie et de la République à leurs élèves.

Pour que le personnel enseignant puisse travailler la morale et la laïcité avec les élèves, le processus de laïcisation des enseignants et plus largement de l'État se poursuit sous la IIIème

République. Après avoir laïcisé les programmes scolaires avec la loi du 28 mars 1882, le gouvernement républicain décide de laïciser les enseignants. L'école étant devenue républicaine et laïque, il est devenu nécessaire de posséder un personnel laïc de manière à transmettre ces valeurs. La loi GOBLET, Président du Conseil des Ministre Français entre 1886 et 1887, adoptée par le Sénat et la Chambre des Députés le 30 octobre 1886 décrète que :

« Dans les écoles publiques de tout ordre, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque »17.

L'article 18 précise qu' « aucune nomination nouvelle, soit d'instituteur, soit d'institutrice congréganistes, ne sera faite dans les départements où fonctionnera depuis quatre ans une école Normale ». Ce délais s'explique par le fait que la formation des élèves-maîtresses et élèves-maîtres au sein des Écoles Normales dure trois ans. Cela permet donc au minimum à deux promotions d'élèves-maîtresses et élèves-maîtres laïcs d'assurer les cours dans les écoles primaires. La laïcisation de l'école républicaine comme instrument de l'État est entérinée grâce à la loi de séparation définitive de l'Église et de l'État du 9 décembre 1905. Les élèves préparés à la laïcité par les instituteurs et institutrices lors des cours de morale peuvent donc pleinement s'intégrer dans la société nouvellement laïque.

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17 Loi du 30 octobre 1886 : http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/oct1886.pdf

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"L'ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit"   Aristote