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Le graffiti à  Beyrouth: trajectoires et enjeux d'un art urbain émergent

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par Joséphine PARENTHOU
Sciences Po Aix-en-Provence - Aix-Marseille Université - Diplôme de Sciences Politiques 2015
  

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3. Le graffiti doit-il être vandale pour être du graffiti ?

La question du vandalisme dans le graffiti a déjà été largement abordée, en particulier au regard du processus d'artification du graffiti et des conventions sociales qui en résultaient. Nous y revenons brièvement, prenant cette fois-ci en compte les considérations des graffeurs sur le vandalisme dans leur rapport à l'État. En fait, il existe un consensus quasi unanime au sein de la communauté de graffeurs pour

149 Malgré toutes les précautions à prendre quant à l'élaboration du Classement Mercer des villes les plus agréables à vivre, notons que Beyrouth a, en 2016, été classée 180/230, http://www.mercer.us/newsroom/western-european-cities-top-quality-of-living-ranking-mercer.html.

150 BAAMARA, Layla, op. cit., p. 232.

151 KATTAR, Antoine, op. cit.

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reconnaître que cette liberté face à l'État représente une opportunité sans précédent de pouvoir exercer sa pratique sans risquer de sanctions. C'est d'ailleurs une des raisons de la rapide internationalisation de Beyrouth comme scène graffiti, puisque des graffeurs étrangers reconnus viennent apprendre aux locaux autant qu'ils profitent des savoirs et possibilités intrinsèques à ce contexte institutionnel et culturel. Néanmoins, deux limites surgissent face à cette acceptation du graffiti comme pratique non vandale : premièrement, suffit-il qu'elle ne soit pas sanctionnée par l'État et définie comme illégale pour que le vandalisme disparaisse ? Deuxièmement, qu'en est-il de ceux qui réfutent cette légalité du graffiti ? En effet, par l'absence de répression étatique, la figure hybride du tagueur152 et l'image même du tagueur ou graffeur idéal sont contrariées. La frontière entre le vandale et le vendu devient poreuse et nécessite a priori de recréer des « catégories » de graffeur ; il s'agit là d'une question qui ne s'était jamais posée ailleurs en ces termes. Comment se définir comme authentique si la caractéristique même de ce qui était défini comme l'authenticité dans le graffiti, soit le vandalisme et l'illégalité, n'est plus ? Ces questionnements proviennent d'une histoire héritée, celle du graffiti, et ne se posent pas en soi ou intrinsèquement à la pratique locale. Ainsi, « ce qui advient dans le champ est de plus en plus lié à l'histoire spécifique du champ, donc de plus en plus difficile à déduire directement de l'état du monde social au moment considéré ». C'est bien par rapport à l'héritage du champ graffiti que les acteurs se posent ces questions, sous-entendant que « toute interrogation surgit d'une tradition »153. Comment y répondent-ils ? La création de conventions sociales, floues et lâches, tente alors de recréer une distinction qui n'existe plus objectivement et légalement - ce que nous avions vu avec le cas particulier d'Ashekman. Dans cet ordre d'idée, les graffeurs qui se présentent comme étant les plus street redynamisent la catégorie vandale : elle est plus définie par la pratique que par l'opposition aux institutions dans un rapport d'illégalité. Le tag est privilégié, présenté comme une « belle drogue » auquel un vrai tagueur (et graffeur) ne peut se soustraire, tout comme l'espace dans lequel il les réalise :

Tu te mets dans un endroit à 4 heures du matin, je suis complètement heureux et y a personne sur la route, tu vois ça m'est déjà arrivé, je vais taguer tout ce qui a... Je vais taguer des, je vais taguer la tour centrale tu vois, la grande horloge quand t'as sur un rond-point. Alors que je sais que... pas nécessairement parce que c'est la municipalité tu vois, bon j'ai, j'ai un problème avec la municipalité (rires). C'est la corporation qui parle, qui veut faire du monde de la merde quoi.

Avec la recréation de catégories symboliques, le graffeur continue à se définir comme authentique, en opposition (de principe) à l'ordre institué. Si cela contente la plupart des graffeurs, Phat2 en revanche montre une autre facette de cette relation à l'État, qui témoigne de l'instabilité des relations entre graffeurs et acteurs institutionnels. Il répétait, à plusieurs reprises, que le graffiti devrait être illégal au Liban et que

152 VAGNERON, Frédéric, op. cit., p. 89

153 BOURDIEU, Pierre, op. cit., p. 399

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les graffeurs devraient se faire arrêter, tant par légitimation de la figure du graffeur, importée des autres scènes, que pour marquer plus aisément cette opposition à l'État. Cela entrerait alors dans une vision plus engagée du graffiti. La volonté de ce graffeur d'importer la conception euro-américaine154 du vandalisme a le mérite de problématiser l'importation de considérations étrangères dans un contexte différent. Si certains recréent le label de vandale par des conventions à la structure lâche, peut-on effectivement réemployer ce label sans prendre en compte les conditions dans lesquels il a émergé ? De fait, existe-t-il un vandalisme qui ne soit pas illégal ? Aucune réponse nette à cette question ne peut être proposée, parce qu'elle relève plus exactement du champ graffiti et du cadre institutionnel que de la sociologie. Il semble que, pour l'instant, la notion de vandalisme trouve chez les graffeurs une réalité dans l'attitude qu'ils adoptent ainsi que dans la dégradation de la propriété privée (plus que de l'espace public), en particulier lorsqu'ils taguent des voitures ou des bâtiments particuliers. De plus, du point de vue de l'activité et du processus d'artification, il semble que cette activité soit et puisse être définie comme du graffiti, même sans vandalisme à proprement parler.

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