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Les fonctions sociales de la littérature dans l'oeuvre de Simplice Ilunga Monga

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par Guy KEBA GUMBA
Université de Lubumbashi - DEA 2016
  

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III.2. LA FONCTION PEDAGOGIQUE

0. Introduction

L'enseignement supérieur et universitaire (E.S.U.) au Congo n'est pas en crise. Il est en voie de disparition. La formation dispensée, dans ses instituts et dans ses facultés, est tombée en dessous du seuil qui permet de prétendre à une qualification professionnelle de niveau supérieur.

Au contraire, sa décomposition s'amplifie, d'année en année, au point de ronger même ses dimensions les plus essentielles que sont la pédagogie, la bibliothèque, la formation...

La pédagogie, on le sait, est un domaine très vaste et parfois ambigu. Elle a été considérée, à divers moments de son cheminement historique, tantôt comme un art, tantôt comme une science, tantôt encore comme une théorie pratique de l'action éducative. Cependant, comme l'affirment Georgette Pastiaux et Jean Pastiaux (1986, 4) aujourd'hui, on ne débat plus pour savoir si la pédagogie est un art ou une science, mais on reconnaît sa nature praxéologique et sa double visée : améliorer une situation réelle et comprendre les déterminants (psychologiques, historiques, sociaux, etc.) et les principes générateurs de l'action éducative. Pourtant, le domaine ne demeure pas moins vaste. Mais, avant de revenir à l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA, retraçons brièvement la genèse de l'E.S.U. en R.D.C.

Les deux premiers établissements d'enseignement universitaire congolais ont été créés respectivement en 1954 et 1956, soit 6 ans et 4 ans avant l'accession du pays à l'indépendance. Le profil d'homme à former traduit dans la conception du programme d'alors répondait essentiellement aux besoins de développement politique, économique, social et culturel de l'époque. Depuis l'indépendance, les quelques réformes du programme de formation universitaire n'ont pas suivi les profondes mutations que la société congolaise à l'instar de tous les autres pays a connues -et en train de connaitre.

Pendant que les entreprises, l'administration publique, les Organisations non gouvernementales, ... peinent à trouver de la main d'oeuvre qualifiée, le taux de chômage explose parmi les jeunes diplômés de l'Université. Il devient clair que les Universités ne répondent plus aux besoins des entreprises et de la société congolaise. Le système d'enseignement congolais vit en total déphasage avec son environnement économique alors qu'il devrait être en interaction avec ce dernier. Ce n'est guère étonnant si les grandes entreprises minières installées au Katanga font appel à la main d'oeuvre étrangère pour répondre à des impératifs économiques.

De manière particulière, l'augmentation rapide et continue des effectifs à l'Université a, paradoxalement, entrainé une faible attractivité de certaines filières.La libéralisation de l'offre d'enseignement supérieur a généré des formes inédites de compétition entre les formations et les établissements privés et publics qui proposent désormais des filières répondant au mieux aux besoins du marché. La dimension marchande de l'éducation supérieure, dans laquelle les savoirs deviennent de simples biens commerciaux, détermine la nature même de ces savoirs scientifiques mais également leurs conditions de production et de transmission.

Le programme universitaire conçu dans les années 1950 a connu quelques réformes (1971 ,1981 et de 2004) qui n'ont pas permis au système éducatif universitaire congolais de s'adapter aux transformations majeures et aux besoins fondamentaux de la société.

L'enseignement supérieur et universitaire au Congo doit encore relever le défi de la qualité de son enseignement, dont les performances sont jugées parmi les plus faibles de la planète. Ce pays qui comptait l'un des taux les plus élevés d'universitaires et qui a formé la plupart des « élites » d'Afrique, vit actuellement des heures sombres de son histoire dans le secteur éducatif. La belle époque a pris fin dans les années 1974. Plusieurs raisons sont à l'origine de cette situation catastrophique en occurrence le faible budget alloué à ce secteur, pauvreté des parents, non-paiement des enseignants, le clientélisme, le favoritisme, le tribalisme etc. Qualitativement l'enseignement congolais est à plaindre.

En observant la pratique pédagogique au niveau de l'enseignement supérieur et universitaire en R.D.C., on ne peut manquer de constater qu'une méthode de communication s'est imposée au fil des années : la méthode «dictée». Par cette méthode, s'il est toutefois permis de l'appeler ainsi, la communication pédagogique revient pratiquement à dicter le contenu du cours aux apprenants et, éventuellement, à expliquer le texte dicté. Certains enseignants, soucieux de la compréhension de la matière par les étudiants, ajoutent une troisième phase à la méthode, les réponses aux questions des étudiants.

De manipulation facile, ce qui justifie son extension, la méthode «dictée», préconisée par aucun didacticien, requiert un moindre effort dans la préparation de la communication pédagogique. Il suffit de savoir lire pour savoir dicter. De même, la préparation de la prestation pédagogique ne va pas au-delà de la préparation et de la compréhension du texte à dicter. Point n'est donc besoin de suivre un séminaire de pédagogie universitaire pour savoir exploiter cette procédure d'enseignement.

De facilité éprouvée, la méthode «dictée» est pourtant éprouvante tant pour l'enseignant que pour l'enseigné. Il n'est pas aisé, loin s'en faut, de procéder à une dictée dans une classe nombreuse. Terminer une page de dictée est une épreuve qui pourrait être retenue comme une Méthode «dictée». Et cette « méthode » se décline en trois phases suivantes :

Phase I

Dictée de la matière

Phase II

Explication de la matière

Phase III

Questions de compréhension

Il faut, en effet, répéter la phrase, si pas autant de fois qu'on a d'étudiants, mais certainement plusieurs fois. Ainsi, outre le fait que l'enseignant et l'enseigné sortent d'une telle séance physiquement abattus, les opportunités d'apprentissage, la réflexion, le raisonnement, la curiosité scientifique, la créativité, la recherche se voient fortement étouffés dans un contexte de communication pédagogique marquée par cette méthode. De manière particulière, les interventions des étudiants, dans ce contexte, se ramènent à peu près à ceci : « Je n'ai pas saisi la phrase, je manque le mot, je n'ai pas terminé la phrase... ».

Si même l'enseignant a le souci d'explication de la matière dictée, il prêchera littéralement dans le désert, les étudiants étant plutôt préoccupés par les notes à compléter. Ceci ne pourrait-il pas amener les étudiants à avoir une mauvaise estime des enseignants ? Les apprenants ne seraient-ils pas de ce fait conduits à formuler à l'égard des enseignants des institutions de l'E.S.U. en R.D.C. le reproche ci-après mis en évidence par la recherche de Mucchielli (1998, http://[...]/pedagogie.htm) menée auprès de quelques étudiants d'une université parisienne ? « Vous nous considérez comme des machines à prendre des notes, à mémoriser et à réciter non comme des individus qui veulent comprendre et trouver du sens à ce qu'ils apprennent. Nous ne sommes pas des machines, mais des individus en quête de sens. »

Devenu objet et non sujet de sa formation dans le contexte d'une communication pédagogique par la méthode «dictée», l'étudiant ne peut nullement développer l'apprendre à apprendre, aptitude aujourd'hui plus qu'indispensable dans le processus d'apprentissage. Si la communication pédagogique à l'E.S.U. laisse à désirer, l'évaluation n'est pas en reste. Des notions élémentaires de formulation des questions ne semblent pas être connues par beaucoup d'enseignants. En plus, le moment d'évaluation s'apparente plus à un moment de règlement de compte pour certains enseignants et de véritable trauma pour beaucoup d'étudiants. « L'ethos de l'évaluateur semble recouvert par cet obscur objet du désir : le pouvoir [...] la relation entre l'évaluateur et l'évalué semble régie d'un côté par un rapport de force, de l'autre côté par le soupçon ou la peur d'être fustigé, voire disqualifié » (Jorro, 2006, p. 68).

N'est-ce pas cela qui justifie toutes les pratiques éthiquement négatives constatées pendant les sessions d'examen et dénoncées par Simplice ILUNGA MONGA : la corruption, le trafic d'influence, le favoritisme ? Tout compte fait, l'évaluation est loin d'être partie intégrante du processus enseignement-apprentissage. L'évaluation formative, en particulier, représentée par des interrogations et des travaux pratiques, est fortement négligée dans certains établissements au profit de l'évaluation sommative.

Sur le plan de l'évaluation, l'on peut aussi stigmatiser le non-respect de certains principes essentiels : l'objectivité, la validité de contenu de l'évaluation, la cohérence entre l'évaluation et le contenu de la matière dispensée, entre l'évaluation et les objectifs du cours....

Lorsqu'on passe en revue quelques échantillons de questions d'examens ou d'interrogations, force est de constater qu'elles sollicitent plus les connaissances déclaratives que les connaissances procédurales et conditionnelles. Les questions sont ainsi plus du type quoi, qu'entendez-vous par, quels sont, définissez, citez-moi, et moins du type comment et pourquoi. Peut-il en être autrement lorsque la communication pédagogique, par la méthode «dictée» ou par d'autres méthodes qui ne mettent pas l'apprenant au centre de sa formation, n'insiste pas elle-même sur les connaissances procédurales et conditionnelles ?

La corruption est devenue presque la deuxième identité de l'université congolaise. Toute la crédibilité est perdue à cause de l'exagération de la corruption au point que les diplômes qu'elle décerne n'ont aucune valeur sur l'échiquier mondial.

Pour obliger les étudiants à donner de l'argent, certains enseignants se cachent derrière la vente  des « syllabus » et un paiement conditionnel avant de passer des travaux pratiques ou les frais d'enrôlement avant de passer une interrogation. La corruption pécuniaire change parfois pour se convertir en « NST » c'est-à-dire « Notes Sexuellement Transmissible ». Les étudiantes font régulièrement l'objet du harcèlement sexuel de la part de certains enseignants.

Ces derniers vont parfois jusqu'à menacer de faire échouer celles qui résisteraient à leurs sollicitations. Beaucoup de filles sont parfois recalées  à cause de leur refus de céder aux avances des enseignants. Il faut aussi signaler,avec Simplice ILUNGA MONGA que « des bureaux des certains enseignants sont devenus des chambres d'hôtel, plus question de se soucier de l'absence du  lit car leurs tables jouent déjà ce rôle ».

Les relations humaines/sociales comme la parenté, l'amitié, l'appartenance tribale ou ethnique sont aussi exploitées par les étudiants qui, parfois, font intervenir leurs proches pour plaider leurs cas auprès des enseignants. On voit passer des mains en mains, plus spécialement pendant et après les différents examens, d'innombrables lettres de recommandation des enseignants demandant à leurs collègues d'être favorables aux leurs. Cette pratique enfreint donc  l'égalité des chances dont doit bénéficier chaque étudiant sans discrimination. « Les autorités politico-administratives, les Conseillers de différents cabinets politiques, les Honorables, les officiers de la police et de l'armée, les directeurs d'entreprises, les pasteurs, les beaux frères, tous au mépris du règlement académique appelaient pour changer le rouge en bleu quelques part. Facilement, le zéro devenait six, le trois huit, le deux en douze. Il y avait de quoi estomaquer un fou.(...) Monsieur le président !le principe dont je parle n'est écrit nulle part, mais il est marqué dans la tête de chacun de nous. Il s'agit du principe nos enfants d'abord. »p90 -91

Pour l'auteur, le non-respect des principes  d'évaluation nuit aujourd'hui effectivement à la formation des étudiants. A court, moyen ou long terme, le recours à la corruption  nuira de façon très significative à la bonne marche du pays.

Les corrupteurs d'aujourd'hui sont appelés à être les cadres de demain. Que peut-on attendre d'eux une fois aux commandes du pays? Ils prendront sans aucun doute la place des corrompus d'hier. Si le pays est géré par des individus de ce genre, peut-on vraiment espérer quelque chose de bon ?

Aux yeux de Simplice ILUNGA MONGA, les enseignants ne sont pas les seuls à accuser.  Parfois les étudiants encouragent cette situation. Il faudra dire que ce sont là les habitudes apprises très tôt, car même à l'école maternelle certains parents n'acceptent que leurs enfants reprennent de classe. Une fois au niveau de l'enseignement supérieur, ces enfants ne peuvent que poursuivre ce chemin de corruption. 

Souvent ce sont ces étudiants qui vont frapper, porte après porte, aux  bureaux des enseignants pour demander une mesure de grâce en cas d'échec dans un cours donné. Certains enseignants ne peuvent que céder à la tentation.

III.3. LA FONCTION FANTASMATIQUE

La fonction fantasmatique est transversale à toute l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA. En effet, Dans Imposteur Pasteur, il s'observe des conflits entre personnages ayant des liens de sang ou alors ceux ayant une parenté par alliance.

En effet, premier d'entre tous, le Pasteur est en conflit avec la mère de Lotti, épouse de Iluzi et le juge. La mère de Lotti et le juge sont en quelque sorte les derniers « gardiens du temple ». Ils défendent avec bec et ongles un idéal social et moral auquel, hélas, le Pasteur ne croit plus. Au nom de la loi, le juge ne peut pas fermer les yeux devant le viol que commet le Pasteur. Au nom d'une certaine idée de modèle social, la mère de Lotti n'est pas disposée à laisser le Pasteur réaliser son projet. Elle n'est pas non plus en odeur de sainteté avec sa fille Lotti victime d'un endoctrinement déplorable de la part du Pasteur. Le Pasteur lui-même est en conflit avec les valeurs éthiques et déontologiques qu'impose son « métier ».

Dans L'odeur de la malédiction, le conflit entre personnages ayant les liens de sang oppose d'abord Cobella à son père, puis à ses oncles paternels et enfin à ses frères.

Dans l'Université à la dérive, le Professeur Talanga ne partage pas la même opinion avec sa fille. Le Recteur et le Ministre finissent, en gardien des valeurs universitaires, par mettre le véreux Professeur hors d'état de nuire.

III.4. LES FONCTION IDEOLOGIQUE

Par ces fonctions, Simplice ILUNGA MONGA nous plonge dans une société à la dérive et sans repère moral, une société dans laquelle les vices prennent la place des vertus.

On le sait, la perte des valeurs morales ne date pas d'aujourd'hui. En effet, ce thème a fait florès en tout temps : que ce soit sous l'Empire romain, qui vit certains auteurs déplorer le déclin des valeurs d'ordre, de justice et d'humanité (Cicéron), ou au contraire la montée en puissance des valeurs de renoncement, de charité et de pauvreté affirmées par la religion chrétienne naissante (Flavius Josèphe) ; que ce soit au siècle des Lumières, qui vit nombre d'aristocrates ironiser sur les valeurs d'épargne, de travail et d'effort (l'«esprit de calcul») ainsi que sur les valeurs de liberté et d'égalité en droit promues par la bourgeoisie montante ; que ce soit sous et après la Révolution, époques qui virent les «possédants» et/ou les conservateurs de toute sorte vitupérer contre les aspirations à davantage d'égalité réelle exprimées par certains (Thiers, Tocqueville) ou contre les valeurs d'une société préférant se placer sous l'égide de la Nation plutôt que sous celle de Dieu (Burke, de Maistre...) ; que ce soit après la défaite de 1871, époque qui vit des penseurs convaincus que cette dernière était imputable à une dégénérescence des valeurs traditionnelles en appeler à une «réforme intellectuelle et morale» (Renan) ; ou que ce soit encore dans l'entre-deux-guerres, qui vit un certain nombre de penseurs conservateurs dénoncer la France du Front populaire (la «France du pastis»), coupable, à leurs yeux, d'apprécier davantage les congés payés, le repos et le plaisir que l'effort, le travail et le sacrifice.

Par ailleurs, ce thème a fait - et fait aujourd'hui - également florès en tous lieux : sans qu'il soit besoin d'insister longuement, il est plus que probable que les aspirations à davantage de liberté, d'autonomie, d'égalité et de démocratie ressenties par une partie (variable) des populations vivant dans les sociétés du Proche et du Moyen-Orient voire du Sud-Est asiatique sont perçues, par tous ceux qui ne les partagent pas, comme le symptôme d'une réelle « crise des valeurs »...

Faut-il s'en étonner ? À l'évidence, non. La raison en est simple : c'est qu'il existe, pour Simplice ILUNGA MONGA, entre crise des valeurs et fonctionnement social, une relation dialectique en quelque sorte inévitable, chacune de ces deux instances agissant et réagissant l'une sur l'autre. De là cependant à en déduire que cette relation dialectique ne peut ni ne doit être régulée ou maîtrisée, il y a bien évidemment un pas qu'il faut se garder de franchir.

Si l'on part de l'idée que le concept de valeur renvoie à ce qui est vrai, beau ou bien, « selon un jugement personnel plus ou moins en accord avec celui de la société de l'époque » (Petit Robert), nul doute que la « crise des valeurs» censée affecter la société française contemporaine ne saurait être dissociée de la manière dont fonctionne et évolue cette dernière : non pas seulement parce que cette crise ne fait que refléter, finalement, l'évolution qui affecte la société ; mais aussi parce qu'elle ne manque pas d'agir, en retour, sur cette même évolution.

Que la « crise des valeurs » soit tout d'abord le reflet de l'évolution qui affecte la société ne saurait faire ici aucun doute. La plupart des vecteurs grâce auxquels l'intégration des valeurs de citoyenneté et de cohésion sociale par l'ensemble de la population s'effectuait sont aujourd'hui en panne ou en déclin : qu'il s'agisse de l'école, laquelle a du mal à remplir sa mission traditionnelle de structuration culturelle et/ou sociétale de ses usagers ; qu'il s'agisse du service national qui, compte tenu de son coût financier et des mutations opérées en matière de défense stratégique, a été supprimé et ne joue donc plus son rôle de ciment de la Nation ; qu'il s'agisse des partis politiques, dont la perte d'audience (on pense en particulier au rôle de mobilisation autrefois joué par le Mouvement Populaire de la Révolution) a laissé en déshérence (provisoire ?) une fraction importante des personnes qu'ils parvenaient, jadis, à regrouper autour de valeurs communes fortes ; qu'il s'agisse des syndicats, dont le déclin sensible bien que relatif est concomitant de celui des partis ; ou qu'il s'agisse encore de l'Église, dont la force d'attraction n'a cessé, au fil du siècle dernier, de régresser (en témoigne la baisse de la pratique voire de la foi), entraînant un étiolement là aussi relatif mais palpable des valeurs attachées à son message.

Par ailleurs, la société se trouve confrontée, compte tenu notamment de la mondialisation et de la globalisation de l'économie, de l'amplification des échanges et de l'accélération des communications qui en résultent (le « village-monde ») et aussi, on doit le souligner, de notre système politico-social, à de redoutables défis : exacerbation des règles de la concurrence, qui pèse sur la capacité et/ou sur la volonté des employeurs de ménager le capital humain ; nécessité d'intégrer (au sens de ne pas exclure) des populations issues de vagues plus ou moins récentes d'immigration d'origines culturelles et/ou religieuses fortement différenciées ; tendance d'une partie (certes marginale mais non négligeable) de ces populations à se replier sur des valeurs communautaires pas toujours en harmonie (c'est le moins que l'on puisse dire) avec les principes d'universalité ; insuffisance voire absence de sanctions à l'égard d'un grand nombre de ceux (de toutes origines et de toutes conditions) qui enfreignent la loi (situation délétère qui conduit certains à penser que tout ou presque est permis : échapper à l'impôt, soit par la fraude, soit par la délocalisation, compte tenu du niveau « insupportable » atteint par celui-ci ; se livrer à des incivilités croissantes eu égard à la fois au rejet dont on s'estime victime et au sentiment de relative impunité que l'on nourrit)...

Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que les valeurs anciennes sur lesquelles s'appuyait jusqu'alors notre société soient considérées par certains comme en crise : qu'il s'agisse des valeurs de laïcité et de neutralité (voir le débat sur le « foulard islamique » à l'école) ; des valeurs de tolérance et de respect de l'autre (ceux qui se retranchent derrière des valeurs identitaires et/ou communautaires reprochant aux autres de déroger à leurs valeurs de tolérance, ces derniers reprochant, à l'inverse, aux premiers de nier les valeurs de fraternité et de solidarité (que devient le rêve de la solidarité organisatrice et égalitariste exprimé en 1945 lorsque le mouvement du monde et la force supposée des choses la contraignent à n'être plus que réparatrice et « équitariste » ?) ; des valeurs de liberté, d'égalité et de responsabilité (quelle valeur peut avoir la liberté pour celui qui est sans emploi et sans logement ? l'égalité pour celui qui est victime de la panne de «l'ascenseur social» ? la responsabilité pour celui qui éprouve, à tort ou à raison, un sentiment de relative impunité, pour celui qui, mû par ses seuls intérêts personnels, n'hésite pas à transférer ses avoirs et/ou sa résidence à l'étranger pour échapper à l'impôt, ou, à l'inverse, pour celui qui, cherchant surtout à tirer profit de l'État-providence de manière soit passive soit active - voir la thématique anglo-saxonne du « passager clandestin » - en arrive parfois à compter non pas tant sur lui-même que sur les autres pour améliorer son sort ?).

Mais si la « crise des valeurs » doit, de toute évidence, se saisir comme le reflet ou le produit de l'évolution que connaît notre société, elle ne manque pas d'influer et de réagir, en retour, sur cette même évolution. Ainsi n'est-il guère contestable, par exemple, que c'est la croyance moins forte d'une partie des élites aux valeurs de solidarité qui a permis - via une résurgence de la valeur « responsabilité individuelle » et une priorité donnée aux valeurs de liberté voire d'équité (donner à ceux qui en ont le plus besoin, les autres se débrouillant par eux-mêmes) de préférence à celle d'égalité - un affaiblissement relatif bien que sensible de l'État-providence. Et ce, même s'il n'est pas davantage contestable, à l'inverse, que c'est l'attachement d'une grande partie de la population aux valeurs de solidarité sociale et de responsabilité collective qui, jusqu'à présent en tout cas, a permis de freiner une évolution rapide de la société congolaise vers une dislocation certaine.

De même n'est-il guère douteux, dans un ordre d'idées similaire, que si les attaques portées (au nom des valeurs d'efficacité, de responsabilité ou d'équité) à l'État-providence n'ont pas peu contribué à mettre un terme à l'expansion quasi continue dont celui-ci avait bénéficié depuis des lustres, le relatif repli qu'il a connu depuis une trentaine d'années a généré, en retour, une résurgence des valeurs de solidarité personnelle et intergénérationnelle d'entraide familiale, de fraternité via des engagements associatifs de plus en plus nombreux : constat qui tend clairement à montrer que le combat pour les valeurs doit se saisir autant comme un agent de structuration de la société que comme sa résultante...

On peut même aller plus loin : en l'occurrence, soutenir que si le fonctionnement de la société est bel et bien à l'origine de la crise des valeurs, les valeurs (anciennes ou nouvelles) qui tendent à prévaloir à un moment donné sont bel et bien à l'origine, à leur tour, de la crise de la société. Ainsi, et pour ne s'en tenir qu'à ce seul exemple : qui pourrait penser que le déclin des valeurs d'égalité, de justice, de solidarité (avec son corollaire : la résurgence des valeurs du « chacun pour soi », d'irresponsabilité, de liberté personnelle poussée à l'excès voire d'adhésion sans réserve aux communautés) qui touche aussi bien certains membres des élites (voir les rémunérations faramineuses que s'octroient certains dirigeants de sociétés) que certains membres des classes dites « défavorisées » (voir la multiplication des actes de petite délinquance, les incivilités croissantes, l'importance du groupe ou du clan, etc.) n'est pour rien dans la crise latente et dans la morosité ambiante qui affectent aujourd'hui notre société ? Comment inciter les uns à faire des sacrifices en termes de rémunérations et de revendications lorsque les autres s'estiment dispensés d'y consentir ? Comment sanctionner de manière cohérente les auteurs de petits délits (qui, en « pourrissant » la vie de ceux qui en sont victimes, les poussent parfois dans les bras des partis extrémistes) lorsque les auteurs - puissants et connus - d'autres délits (fraude fiscale, corruption, etc.) parviennent à passer entre les mailles du filet ?

Entre la « crise des valeurs » et le fonctionnement social, il existe donc bien, on le voit, une relation dialectique à la fois forte et inévitable. Ce qui ne saurait signifier, bien évidemment, que cette relation ne puisse - ou ne doive - connaître certaines limites.

Pour étayer le propos, on partira ici de l'hypothèse selon laquelle toute société organisée repose nécessairement sur des valeurs, c'est-à-dire sur une représentation de ce qui, à l'intérieur du groupe, est considéré majoritairement comme bon, bien ou juste ; valeurs dont il est certes possible de récuser aussi bien l'universalité que l'intemporalité mais dont il n'est guère pensable, en revanche, de nier l'existence.

Évoquer la « crise des valeurs » ne saurait avoir de sens, dans cette perspective, que pour autant que l'on postule que les valeurs en crise ne sont pas n'importe lesquelles : ce sont celles-là même qui sont en vigueur dans une société donnée à un moment donné. Autrement dit, celles qui peuvent se réclamer d'une certaine tradition et qui ont réuni, de manière plus ou moins durable, un minimum de consensus.

Parmi elles, certaines sont plus particulièrement marquées au coin de la contingence (même si cette dernière peut se révéler relativement durable dans le temps et assez répandue dans l'espace...) car liées, pour l'essentiel, aux moeurs, aux coutumes et usages, et, plus largement, au fonctionnement de la société civile : ainsi, par exemple, des valeurs liées à la sexualité (liberté sexuelle, avortement...), au couple (place du mariage, unions hors mariage, unions entre personnes du même sexe...), au statut de la famille (familles recomposées, place de l'enfant adultérin...), etc.

L'évolution qui les affecte pourra donner lieu à une appréciation très différenciée selon les convictions de chacun : elle pourra être considérée comme une crise par les uns et comme une évolution positive voire salutaire par les autres. Autant dire que la crise, ici, ne revêt pas (quel que soit le jugement que l'on peut porter sur elle) une importance fondamentale pour le devenir de la société : celle-ci pourra se pérenniser sans problème majeur sans être remise fondamentalement en cause dans son être ou dans sa forme politique (république, etc.) d'organisation.

Il en va différemment, en revanche, pour d'autres valeurs dont le déclin, l'oubli voire le non-respect se révèlent beaucoup plus dangereux pour la pérennité de la communauté nationale. Tel est le cas, tout d'abord, des valeurs qui, étroitement liées au fonctionnement même de la société politique, sont de nature à porter atteinte, si on les ignore ou les récuse, aux idées mêmes de démocratie et de république.

Pour ces valeurs, en effet, les choses sont claires. Toute remise en cause substantielle de leur existence ne saurait que menacer sinon le devenir même de la société (à moins qu'elle ne se disloque, celle-ci pourra perdurer indépendamment du régime politique qui est le sien), du moins la pérennité de ce modèle particulier d'organisation politico-sociale.

Sans doute, d'aucuns pourraient faire valoir qu'il en va de cette république et de ses valeurs comme il en va de toute société : elle a vocation à évoluer en même temps qu'évolue cette dernière. Qu'y a-t-il en effet de comparable entre la traduction donnée en 1960 à la valeur de l'authenticité, celle qui lui a été donnée en 1970 et celle qui lui est donnée en 1997 par les responsables de l'Alliances des Forces Démocratique pour la Libération du Congo ?

Tel est le cas, également, des valeurs liées aux règles élémentaires de la sociabilité telles que le respect des biens et des personnes, le respect de l'autre et de ses opinions, le rejet de l'intolérance et des incivilités, etc. À l'évidence, on touche là à des valeurs encore plus fondamentales que les précédentes car consubstantielles (indépendamment de la forme du régime politique) au principe même de toute vie en société : raison de plus pour que les pouvoirs publics dans leur ensemble conjuguent leurs efforts afin de combattre cette « crise » spécifique des valeurs. Crise aux conséquences mortifères car susceptible de déboucher sinon forcément sur ces deux formes de négation du droit que constituent la dictature ou l'anarchie, du moins sur la négation de ce qui spécifie toute société organisée et a fortiori toute société fondée sur le respect des Droits de l'homme.

III.5. FONCTION CRITIQUE

Transversale également à toute l'oeuvre de Simplice ILUNGA MONGA, la fonction critique est toujours exploitée par ricochet. En effet, derrière le Pasteur Mwempo, c'est une sévère diatribe de l'auteur contre le détournement de l'Eglise et de sa mission première qui se cache. Le Professeur Talanga est tout sauf un modèle pour la communauté universitaire et scientifique. Mieux, il est une honte pour ce « corps ». Cobella comme ses oncles paternels sont également loin d'être une enfant ou alors des frères modèles. Ils lorgnent nuit et jour sur la richesse de Iluzi et rêvent en secret de le voir mort pour jouir de ses biens.

Derrière chaque figuration se cache un regard critique trahissant le discours social de l'auteur et son positionnement dans différents champs.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand