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Réflexions sur la problématique du coup d'état en Afrique.

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par Koffi Afandi KOUMASSI
Université de Lomé - Master 2 en Droit Public Fondamental 2015
  

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PARTIE I

LE COUP D'ÉTAT, UN FLÉAU PERSISTANT

Originellement, les coups d'État ont été une des caractéristiques de l'Amérique latine. Comme le précise Moustapha Benchenane, les fréquentes interventions militaires dans l'Amérique hispano-portugaise ont fini, à tort, par être considérées comme un élément du folklore latino-américain33(*). Cependant les statistiques alarmantes que présente le paysage politique africain en matière de prises anticonstitutionnelles du pouvoir démontre que « l'Afrique a pratiquement ravi à l'Amérique Latine la palme dans ce domaine »34(*).

De nos jours, les cas sont pléthoriques et variés. Au-delà de la brutalité des coups d'État militaires, l'émergence des coups d'État « démocratiques »35(*) et des coups d'État « civils »36(*) constitue un fait sinistre et de plus en plus courant. Vingt ans après le virage des États africains vers la démocratie libérale, où l'heure des coups de force politiques est censée être révolue, comment expliquer que le coup d'État soit encore récurrent comme une donnée structurelle de la vie politique en Afrique ? Sûrement, la persistance des coups d'État en Afrique traduit une anormalité de la vie politique des États faite de flux et de reflux, de continuités et de ruptures, de permanences et de mutations. Le diagnostic de ce mal requiert alors que l'on mette en exergue les facteurs explicatifs de sa persistance (chapitre I) en prenant soin de ressortir ses conséquences dommageables (chapitre II).

CHAPITRE PREMIER : UNE PERSISTANCE EXPLIQUÉE

L'Afrique est devenue un vaste chantier constitutionnel depuis 1990. L'objectif, résume Jean du Bois de Gaudusson, était clairement « d'engager ou réengager les États (africains) dans la voie du constitutionnalisme démocratique et effectif »37(*). Mais à y regarder de près, d'espoirs déçus en espoirs dépités, l'aventure démocratique des États se heurte à des résistances multiformes. Ce qui laisse courir librement les violations des prescriptions constitutionnelles relatives à l'organisation, au fonctionnement et à l'encadrement du pouvoir politique.

De ce fait, le coup d'État est le symptôme et la résultante d'une défaillance plus profonde liée au système de gouvernement des États. Ses causes sous-jacentes sont habituellement tributaires de l'exercice illégitime du pouvoir et de l'extrême politisation de l'armée. Pour tout dire, si nombre d'États africains succombent encore à cette épidémie, c'est parce que la greffe de la démocratie n'a pas encore pris (section I) et le syndrome de l'armée n'a su être vaincu (section II).

Section I : Le déficit démocratique

Certains ont estimé que le processus de démocratisation de l'Afrique doit être remis à plus tard38(*). D'autres se sont curieusement demandé si l'Afrique a refusé la démocratie39(*). Ces points de vue expriment le cheminement en lacet des États africains vers la cristallisation démocratique. En effet, la démocratie en Afrique oscille entre heurts et malheurs, ombres et lumières, entre succès et résistances. Pour s'en convaincre, les manoeuvres politiciennes de confiscation du pouvoir politique et la gestion défectueuse de celui-ci sont les éléments à interroger. En clair, la plupart des régimes politiques africains se singularisent toujours par le rejet de l'alternance démocratique (paragraphe I) et le refus de la gestion démocratique du pouvoir (paragraphe II).

Paragraphe I : Le rejet de l'alternance démocratique

La quintessence du renouveau démocratique réside dans l'adoption d'une constitution comme moyen de limitation du pouvoir et garantie de l'alternance démocratique40(*). Susceptible de propulser les États sur la voie de la démocratie constitutionnelle41(*), cet élan constitutionnel sera malheureusement dévié dès les premières occasions de révision des constitutions. Il emprunte désormais une trajectoire qui conduit à verrouiller le jeu politique (A) et à détruire le cadre construit pour contenir le pouvoir politique (B).

A-) LE VERROUILLAGE DU JEU POLITIQUE

Selon Georges Burdeau, « l'alternance au pouvoir est la conséquence d'une exigence rationnelle inhérente au concept même de démocratie »42(*). En conséquence, presque tous les constituants africains des années mille neuf cent quatre-vingt-dix ont consacré l'alternance démocratique comme la sève vitale des régimes politiques à mettre en place. Mais très vite, les conditions prévues pour sa réalisation sont compromises par calcul ou par instinct de pérennisation au pouvoir. Ce refus de l'alternance démocratique s'est matérialisé par la suppression des clauses limitatives des mandats présidentiels (1) et la transformation des processus électoraux en un véritable marché des dupes (2).

1-) L'abolition des limites aux mandats présidentiels

Pour le professeur A. Loada, la limitation du nombre des mandats présidentiels permet de « promouvoir la circulation des élites, à défaut de provoquer l'alternance démocratique, ainsi que la bonne gouvernance et de mettre fin au phénomène des présidences à vie, caractéristique de l'exercice solitaire du pouvoir dans les États africains  »43(*). Comme tel, ce mécanisme est vertueux pour calmer l'impatience des prétendants au pouvoir et d'endiguer les logiques de conquête violente du pouvoir. Cependant, les clauses limitatives des mandats présidentiels furent très tôt controversées quant à leur bien fondé et confrontées à l'appétence du pouvoir de certains gouvernants. Elles ont produit comme un effet d'épine dans la gorge des chefs d'État et firent l'objet de révisions constitutionnelles « pour soi »44(*). Toujours sous l'effet de la fièvre de la « présidence à vie », les chefs d'État considèrent ces clauses comme superfétatoires et comme une restriction anti-démocratique.

Ceux qui s'opposent à ce mécanisme soutiennent que si tant il est vrai que la souveraineté du peuple est la pierre angulaire de la démocratie, alors dans le contexte de démocratisation de l'Afrique, les peuples africains devraient avoir pleinement le droit de choisir leurs présidents et ne les désavouer que quand ils le voudront. Il est donc inopportun d'imposer une limitation constitutionnelle au nombre de mandats consécutifs qu'un chef d'État doit exercer à la présidence de la République. Une telle limitation « constitue une négation de la souveraineté populaire en ce sens qu'elle remet en cause la capacité naturelle du peuple à distinguer le bon grain de l'ivraie, la vertu du vice »45(*).

Se fondant sur ces raisonnements, le président Blaise Compaoré a initié et obtenu la désactivation de la clause limitative des mandats présidentiels en modifiant l'Art. 37 de la constitution burkinabé en 199746(*). L'abolition des clauses limitant la durée des mandats présidentiels ressemble désormais à un effet de mode qui n'a pas épargné la majorité des États qui lui avaient jadis élu domicile dans leur constitution. En sautant ce verrou des réélections limitées, les chefs d'État transforment les mandats présidentiels en de véritables règnes viagers. Ce qui fait planer sur les États des risques de convulsions politiques multiformes et des tentatives de conquête violente du pouvoir. Les chances de ces présidents devenus ainsi indéboulonnables d'être réélus ad infinitum et de s'offrir des mandats présidentiels ad vitam se trouvent de surcroit maximisées par la contorsion du système électoral (2).

* 33 M. BENCHENANE, Les coups d'État en Afrique, op. cit., p. 7.

* 34 K. AHADZI-NONOU, Éssai de réflexions sur les régimes de fait : Le cas du Togo, op. cit., p. 2.

* 35 Encore qualifié de coup d'État salutaire, le coup d'État « démocratique » est généralement un coup d'État militaire perpétré dans le « but de créer les conditions d'un dialogue afin de rétablir l'ordre constitutionnel, la démocratie, l'État de droit et de restituer les droits et les libertés aux citoyens (...) ». B. GUEYE, « Les coups d'État en Afrique entre légalité et légitimité », Droit sénégalais, n° 9, novembre 2010, p. 271.

Une fois que le coup d'État est commis, le rétablissement de l'ordre constitutionnel peut aller dans deux sens ; tout dépendant de l'intention des militaires. D'un côté, le coup d'État est suivi du retrait tactique des militaires pour permettre la tenue des élections auxquelles un putschiste, ayant récemment abandonné les uniformes, participe et les remporte dans le cadre du rétablissement de l'ordre constitutionnel. C'est notamment ce qui s'est produit à la suite du coup d'État du 6 août 2008 en Mauritanie par le général Mohamed Ould Abdel Aziz. De l'autre côté, les militaires se retirent définitivement de la scène politique en retournant le pouvoir aux civils après une période transitoire scellée par l'organisation des élections auxquelles ils ne participent pas. A titre d'exemple, on peut évoquer le cas des coups d'État du 18 février 2010 au Niger et de 2012 au Mali.

* 36 La catégorie des coups d'État « civils » regroupe les coups d'État à la constitution et les coups de force électoraux. Les coups d'État à la constitution sont les révisions constitutionnelles « déconsolidantes » de la démocratie, c'est-à-dire des révisions constitutionnelles qui ont pour objet manifeste ou latent de remettre en cause les principes constitutionnels ayant qualité d'acquis démocratiques ou de consacrer des institutions à utilité controversée. Quant aux coups de force électoraux, encore appelés putschs électoraux, ils sont des malversations électorales organisées par les dirigeants au pouvoir et qui consistent pour le chef de l'État à manipuler les résultats de l'élection présidentielle en sa faveur, volant ainsi la victoire au peuple, pour s'autoproclamer vainqueur du scrutin grâce à la complicité des organes en charge des élections, du juge constitutionnel et de l'armée. Ici, on peut citer les exemples des élections présidentielles d'octobre 1992 au Cameroun, du 21 Juin 1998 au Togo, du 6 décembre 1998 au Gabon, d'avril 2008 au Zimbabwe etc.

* 37 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Défense et illustration du constitutionnalisme en Afrique après quinze ans de pratique du pouvoir », in Le renouveau du droit constitutionnel, Mélanges Louis Favoreu, Paris, Dalloz, 2007, p. 617.

* 38 C'est par exemple le point de vue du président Pascal Lissouba qui déclarait : On nous a dit ; « Prenez notre système en prêt à porter, c'est le meilleur. Mais qui a pensé à dire aux Africains que la démocratie est aussi le plus conflictuel des régimes ? ... Il n'y a rien d'Africain, rien de nous, dans les valeurs de cette démocratie importée. Le vêtement est trop large ou trop court, comme vous voudrez. La solution ? Il nous faut une longue transition vers la démocratie, la plus longue possible afin que nous puissions l'assimiler et l'adapter ». Voir Jeune Afrique, n°1834 du 28 février au 5 mars 1996.

* 39 K. AHADZI-NONOU, « Les nouvelles tendances du constitutionnalisme africain : Le cas des États d'Afrique noire francophone », Afrique Juridique et Politique, La Revue du CERDIP, Vol I, n°2, juillet-décembre 2002, p. 79.

* 40 TH. HOLO, « La constitution, garante de l'alternance démocratique », Conférence internationale, Les défis de l'alternance démocratique, FNUD, IDH, Cotonou, du 23 au 25 février 2009.

* 41 La démocratie constitutionnelle est un système politique dans lequel le peuple a la liberté de choix entre plusieurs candidats pour devenir ses gouvernants. Ces derniers devraient donc se livrer à une lutte politique à la fois ouverte et pacifique par la sollicitation du suffrage. C'est un système obéissant à des règles supérieures aux gouvernants voulus et choisis par les gouvernés librement. G. VEDEL, Droit constitutionnel, Sirey, 1946, p. 36.

* 42 G. BURDEAU, Traité de science politique, Tome V, Les régimes politiques, Paris, LGDJ, 1970, p. 563.

* 43 A. LOADA, « La limitation du nombre de mandats présidentiels en Afrique francophone », Revue électronique Afrilex, n° 03, 2003, p. 144.

* 44 S. BOLLE, « Des constitutions « made in » Afrique », Communication au VIe Congrès français de droit constitutionnel,Montpellier, 9-11 juin 2005, p. 12. Consulté sur www.la-constitution-en-afrique.org le 10 octobre 2013.

* 45 K. AHADZI-NONOU, « Constitution, Démocratie et Pouvoir en Afrique », in La Constitution béninoise du 11 décembre 1990 : Un modèle pour l'Afrique ?, Mélanges Maurice Ahanhanzo-Glèlè, op. cit., p. 71.

* 46 Le Burkina Faso est le premier État francophone à supprimer la limitation des mandats présidentiels. Cf. Loi n°002/97/ADP du 27 janvier 1997 portant révision de la constitution burkinabé. La limitation du nombre de mandats présidentiels sera toutefois rétablie en 2000 à l'occasion de la révision constitutionnelle du 11 avril 2000.

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