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Réflexions sur la problématique du coup d'état en Afrique.

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par Koffi Afandi KOUMASSI
Université de Lomé - Master 2 en Droit Public Fondamental 2015
  

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CONCLUSION GÉNÉRALE

Peut-être, il serait trop osé de prétendre avoir tout dit sur la problématique du coup d'État en Afrique. Tellement les causes de ce fléau s'entremêlent, tellement ses modalités sont de plus en plus variables sur le continent et la recherche du remède approprié pour le faire taire pour de bon implique la combinaison de plusieurs solutions. Mais au terme de cette réflexion, un constat général s'est dégagé. Le coup d'État plane fatalement sur la majorité des États d'Afrique comme une épée de Damoclès. La stabilité apparente des États ne doit pas occulter leur vulnérabilité aux coups d'État parce que les gènes de ce mal sont visibles un peu partout sur le continent.

Pourtant, la longue nuit sombre des années de plomb au cours desquelles les coups d'État furent les moyens prestigieux de conquête du pouvoir a semblé se dissiper sous les projecteurs du processus démocratique engagé en 1990. Ce processus est marqué par la conversion des États à la chapelle de l'État de droit par le truchement du retour au constitutionnalisme néo-libéral. Les nouvelles constitutions africaines ont alors proscrit aux États toute sorte de péchés contre les principes démocratiques au risque d'être rejetés du paradis des démocraties néo-libérales. Avec des imitations par ici et des innovations par là, l'UA, dont la naissance en 2002 fut le tournant politique majeur du début du XXIème siècle en Afrique, a pris sur elle l'engagement de lutter aux côtés des États pour promouvoir la bonne gouvernance démocratique à travers tout le continent. De toute évidence, les Africains ont mis en oeuvre, avec beaucoup de doigté, d'importants moyens en vue de faire définitivement des coups d'État un lointain et mauvais souvenir.

Mais à l'épreuve des faits, tout est apparu illusoire et le pari de libérer le peuple africain de la hantise des coups d'État semble relever toujours de la chimère. Au niveau continental, il se pose alors la question de l'efficacité de la philosophie de l'UA dans le processus de lutte contre ce phénomène. Aux niveaux nationaux, l'on s'interroge sur l'effectivité de l'adhésion des États à l'idéal démocratique.

Aujourd'hui, on n'a nullement besoin d'une loupe avant de se rendre à l'évidence que « le meilleur c'est-à-dire une succession d'alternances politiques démocratiques au sommet de l'État côtoie le pire c'est-à-dire les remises en cause de certains acquis démocratiques sous la forme de dérives présidentialistes et d'une pérennisation au pouvoir »328(*). Le principe de l'alternance démocratique au pouvoir est querellé par la plupart des chefs d'État. Ils s'en prennent à la limitation du nombre des mandats présidentiels et déploient toute une ingénierie pour truquer les processus électoraux. Les élections disputées suscitent émoi et consternation sur le continent au point qu'on est tenté d'épouser ces conclusions de Philippe Braud : « le suffrage universel est une institution profondément inintelligible, voire un pari naïf (...) »329(*). Les traces de l'exercice arbitraire du pouvoir sont de plus en plus palpables sous le prisme de la mauvaise gouvernance, de la corruption à grande échelle, de la violation accentuée des droits de l'homme et de l'ethno-tribalisme. De plus, la « fin de l'ordre militaire »330(*) annoncée en 1990 n'a guère équivalu au retrait définitif des militaires de la scène politique. Dépouillé par conséquent de ses piliers stabilisateurs, l'édifice démocratique africain repose aujourd'hui sur « un plancher pourri » aux dires du professeur Adama Kpodar331(*). Le constitutionnalisme semble produire un effet boomerang car les élites africaines retournent les vertus constitutionnelles contre la démocratie. On constate donc que les mauvaises habitudes politiques qui ont caractérisé l'exercice du pouvoir en Afrique depuis les années 1960 n'ont pas disparu comme par enchantement après 1990.

Salutaires ou suicidaires, maléfiques ou bénéfiques, peu importe le qualificatif à l'aune duquel les coups d'État militaires sont désignés. Point n'est point besoin de s'en tenir aux formules byzantines employées par les putschistes pour se dédouaner. Tout putsch est antidémocratique et condamnable sous toutes ses formes. Il constitue une transgression flagrante des normes constitutionnelles et une négation des acquis démocratiques. Il trahit le néo-constitutionnalisme en croyant le servir et déprécie l'élan démocratique en alléguant le soutenir. Comme l'écrit si ouvertement Pierre Pactet, « l'intervention de l'armée dans le système politique n'est en fait qu'une négation même de l'existence d'un droit constitutionnel »332(*). Eu égard aux conséquences humanitaires et aux répercussions économiques qu'il engendre, le coup d'État est un anathème qui se révèle fatal aux États en se voulant les moyens de sortie de crises ou le salut des peuples en souffrance. En définitive, disons-le de façon nette et simple : « qu'ils soient populaires ou non ; acclamés ou condamnés, les coups d'État demeurent un acte illégal au lendemain pourri pour l'État victime »333(*).

Face aux ravages des coups d'État, il y a lieu de dépasser le stade des belles déclarations de principe et de poser des actions concrètes. Fondamentalement, l'affermissement démocratique des États est l'unique antidote efficace contre ce fléau. Si tant il est vrai qu'un instrument, aussi perfectionné et sophistiqué soit-il, placé dans une main malhabile ne peut jamais produire les résultats escomptés, il est donc clair que ce n'est pas la démocratie elle-même qui pose problème en Afrique. Ce sont plutôt les hommes chargés d'accompagner le processus parce que la démocratie « n'est pas une machine qui fonctionne toute seule dès lors qu'elle est programmée en fonction des principes et des procédures appropriées »334(*). Sa réalisation est fonction de la conjugaison des conditions juridiques, politiques et sociologiques avec en arrière-plan l'existence d'une véritable culture démocratique.

Il importe alors que les élites africaines changent de mentalité d'autant plus que c'est dans les parages de la pratique constitutionnelle que la démocratie trouve son ancrage et ses conditions de possibilité tout aussi bien que celles de son effectivité. Ceci étant, l'on s'accorde sans peine avec l'idée selon laquelle « la démocratie n'est pas une propriété qu'on acquiert une fois pour toute. Mais elle est l'effort toujours sans cesse renouvelé, quoi qu'imparfait, de tous les acteurs impliqués »335(*). Ainsi tous les réformes et plaidoyers en faveur du bannissement des coups d'État en Afrique ne peuvent point aboutir en l'absence d'une volonté manifeste de permettre à la démocratie de prendre véritablement corps dans tous les États.

D'une part, cette volonté ne naitra que si les gouvernants acceptent de respecter les principes de l'État de droit à travers l'intériorisation des valeurs démocratiques. Comme on peut le lire clairement sous la plume du Doyen Gaudemet, « l'État de droit n'est pas dans la législation ; il est dans les esprits et les moeurs. Il suppose stabilité, conviction, adhésion aux règles que le législateur se borne à exprimer »336(*). Il est donc grand temps que les chefs d'État africains vouent un respect sacramentel au principe de l'alternance démocratique au pouvoir en acceptant de quitter le pouvoir au terme de leur mandat et en cessant de manipuler les élections présidentielles en leur faveur. D'autre part, le changement n'est possible que lorsque les gouvernés participent effectivement à la vie politique en se reconnaissant dans les institutions étatiques. Du reste, « ce qui au fond est essentiel c'est l'éthique constitutionnelle des gouvernants et des élites ; celle-ci est souvent malmenée, mais sans elle, on ne saurait obtenir l'adhésion des gouvernés ni donner une chance au constitutionnalisme et aux valeurs démocratiques et libérales qui lui confèrent tout son sens »337(*). La disposition d'une véritable culture civique démocratique permettra par exemple la réintégration des constitutions africaines à l'orthodoxie constitutionnelle des années 1990. Cela consiste à opérer des réformes constitutionnelles pour rendre les Lois fondamentales nationales aptes à discipliner l'exercice du pouvoir politique et capables de renfermer et de refermer le jeu politique sur lui-même. Car les réalités politiques actuelles démontrent que « la constitution n'est plus cet instrument de régulation des pouvoirs publics ; la classe politique a peur d'elle : la constitution divise ; elle n'est plus crédible ; elle sent la poudre »338(*). La culture démocratique favorisera aussi l'acceptation des réformes institutionnelles dont l'objet est de rendre puissants et crédibles les contre-pouvoirs destinés à assurer la stabilité du processus démocratique et à contenir l'exercice du pouvoir dans les limites de la légalité et de la légitimité.

Indubitablement, le positionnement constructif de l'armée dans le jeu démocratique est aussi tributaire du degré de maturité démocratique des gouvernants. Puis que les militaires ont eux-mêmes déclaré que « porter l'uniforme en tant qu'officier n'est noble que si le fonctionnement des institutions de la République que l'on doit servir loyalement et avec abnégation, ne porte pas atteinte à la vie des citoyens et à la dignité humaine, à la cohésion de la collectivité nationale »339(*).

L'UA a également besoin de cette même volonté politique des dirigeants africains d'autant plus que de celle-ci dépend toute entreprise de réforme au sein de l'organisation continentale. Ici, les réformes souhaitées sont dans l'ordre d'inviter les États à faire véritablement de l'UA une organisation d'intégration, une organisation supranationale capable de s'imposer à eux. A notre sens, ce voeu devrait rapidement être exhaussé car si on veut la paix en Afrique, on doit en payer le prix. Ce prix est essentiellement l'acceptation des chefs d'État de transférer à l'UA une marge essentielle de souveraineté de leurs États. Le résultat final attendu est de doter l'organisation panafricaine de pouvoirs et de moyens importants pour réussir le défi de promouvoir la consolidation de la démocratie sur le continent et d'éradiquer pour de bon le phénomène du coup d'État.

Il est également très important de rendre l'organisation panafricaine elle-même plus crédible. Il est donc souhaitable que l'UA imite sa soeur européenne en faisant de la conditionnalité démocratique le passage obligé des États pour avoir le cachet de l'adhésion à l'Union. « Vaut mieux envoyer cinq lions à la bataille que cinq mille moutons ! ». Suivant ce proverbe chinois, nous osons dire à l'égard de l'UA qu'il vaudrait mieux compter seulement à ses sommets les États dignes de représenter et de défendre l'intérêt des Africains plutôt que les délégations faramineuses de tous les gouvernements du continent qui vont tournailler autour des questions vitales.

Aussi bien dans la prévention que dans la gestion des changements anticonstitutionnels de gouvernement, l'UA doit disposer d'une ligne de conduite inébranlable. Elle devra ainsi finir autant que possible avec « le doute, la confusion, les tergiversations nombreuses, les picotements du désir, les volontés diluées et les attitudes brumeuses et neutres dans ses réactions »340(*). Il convient donc de renforcer le régime coercitif de l'UA en le dotant d'un faisceau puissant de sanctions chaque fois identiquement et fermement activées.

La grandeur du défi de tourner définitivement la page des coups d'État en Afrique nécessite l'apport décisif des mécanismes sous-régionaux aux côtés de l'UA. Tant dans la diplomatie préventive que dans la mise en oeuvre des sanctions et la gestion des crises, il importe de renforcer la coordination et la coopération entre les organes de l'UA, les CER et autres Mécanismes régionaux. De plus, la communauté internationale, en tant que gardien et défenseur de l'ordre démocratique international, doit être proactive et pro-démocratique en Afrique. Elle doit ainsi jouer un rôle dissuasif afin de faire échec par tous les moyens aux tentatives de déstabilisation de l'ordre constitutionnel des États résolument engagés sur la voie de démocratisation. Pour tout dire, « (...) si l'on veut que le continent africain fasse des progrès notables, il faudra que la communauté internationale se mobilise aux plus hauts niveaux politiques pendant plusieurs années »341(*).

Somme toute, terminons de la manière dont nous avons commencé : « Au lieu de coups d'État et de changements anticonstitutionnels de gouvernement, efforçons-nous de faire en sorte que la démocratie prospère en Afrique ». Tel est le voeu de tous les Africains !

* 328 A. BOURGI, « L'implication des partis politiques dans les processus électoraux », in Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, op. cit., p. 327.

* 329 PH. BRAUD, Le suffrage universel contre la démocratie, Paris, PUF, 1980, p. 241 ; Cité PAR M.-F. VERDIER, « La démocratie sans et contre le peuple », in Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, op. cit., p. 1085.

* 330 M. BERTRAND, La fin de l'ordre militaire, Paris, Presses de Sciences Po., 1996.

* 331 A. KPODAR, « Prolégomènes à une virée constitutionnelle en Afrique noire francophone : une approche de théorie juridique », in Les voyages du droit, op.cit., p. 334.

* 332 P. PACTET, Droit constitutionnel et Institutions politiques, Paris, Armand Colin, 1993, p. 159.

* 333 P. ANYANG' NYONG'O, « Instabilité démocratique et perspectives de démocratie en Afrique », op cit, p. 597.

* 334 K. AHADZI-NONOU, « Constitution, démocratie et pouvoir en Afrique », op. cit., p. 69.

* 335 Allocution de Son Excellence Guillaume SORO, président de l'Assemblée nationale ivoirienne à l'époque, le 1er Avril 2014 lors de l'ouverture de la première session ordinaire de la cinquième législature de l'Assemblée nationale togolaise.

* 336 Y. GAUDEMET, « L'occupation privative du domaine public », in Mélanges Guy Braibant, Paris, Dalloz, 1996, p. 309.

* 337 J. DU BOIS DE GAUDUSSON, « Constitution sans culture constitutionnelle n'est que ruine du constitutionnalisme : Poursuite d'un dialogue sur quinze années de « transition » en Afrique et en Europe », in Démocratie et liberté : tension, dialogue, confrontation, op. cit., p. 348.

* 338 A. KPODAR, « La communauté internationale et le Togo, réflexion sur l'extranéité de l'ordre constitutionnel », op. cit., p. 42.

* 339 GÉNÉRAL JEAN M. M. MOKOKO, Congo : le temps du devoir, Paris L'Harmattan, 1995, p. 24 ; Cité par YVES A. CHOUALA, « Contribution des armées au jeu démocratique », op. cit., p. 548.

* 340 A. K. SÉDAMINOU, L'Union Africaine face aux changements anticonstitutionnels de gouvernement en Afrique, op. cit., p. 80.

* 341 K. ANNAN, « Les causes des conflits et la promotion d'une paix et d'un développement durables en Afrique », Nations Unies, New York, 1998.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry