CRITIQUES ET SUGGESTIONS
Ce chapitre sera consacré à la critique des
mesures proposées pour accompagner le système mais aussi aux
recommandations d'autres mesures en vue d'une bonne application du nouveau
système d'avancement au mérite.
Notre analyse ayant abordé la politisation comme
étant un obstacle principal à la mise application correcte du
nouveau système d'avancement au mérite, nos recommandations
seront axées sur les moyens à mettre en oeuvre pour combattre le
phénomène afin que le système soit bien
appliqué.
SECTION I : CRITIQUE DES MESURES PROPOSEES :
PARAGRAPHE I :
DYNAMISER LE SYSTEME DE RECOURS
1- Nécessité de renforcer les voies
de recours :
Le nouveau système de rémunération et de
carrière a eu le mérite d'instaurer des voies de recours en cas
de contestation de la note par l'agent. La disposition paraît assez
éloquente ; mais elle suscite des interrogations aussi bien sur le
recours contentieux que sur la personne du médiateur.
D'abord, concernant le recours contentieux, il est à
noter que le peuple béninois n'a pas encore acquis la pratique de
formuler de recours devant la chambre administrative de la Cour Suprême.
La première action serait alors de veiller à instaurer cette
pratique dans nos moeurs afin qu'elle puisse profiter effectivement aux agents
permanents de l'Etat. Pour ce faire la déconcentration de cette
juridiction doit être une condition incontournable dans la mise en
application du nouveau système d'avancement au mérite, afin de
rapprocher le juge du contentieux administratif de l'agent.
Quant au médiateur, sa provenance peut susciter
également des inquiétudes. En réalité si l'on veut
réellement garantir la neutralité du médiateur, ce dernier
ne devra pas être nommé par le Gouvernement. Car l'on risque
d'avoir un médiateur au service du pouvoir en place et de ce fait, un
médiateur qui pourrait servir des intérêts tendancieux.
D'où la nécessité de veiller à avoir un
médiateur neutre par nature et qui puisse alors servir
l'intérêt général.
On pourrait par exemple désigner le médiateur
après une élection dans le rang des travailleurs jugés
compétents pour accomplir cette tâche. Le postulant au poste de
médiateur doit avoir accompli le maximum d'années de service
public et faire l'objet d'une enquête de moralité. Il devra
être politiquement neutre et accepté de tous les syndicats des
travailleurs comme tel. Sa désignation doit faire l'objet d'un appel
à candidature conjointement organisé par l'Etat et les centrales
syndicales sur des critères adoptés par les deux parties. Son
mandat ne doit pas être renouvelable.
2- Favoriser l'exécution des
décisions du juge administratif :
Il arrive souvent que l'administration elle-même doive
prendre une mesure positive pour que soit appliquée l'exécution
d'une décision du juge administratif en faveur d'un citoyen et
prononçant alors contre l'administration une condamnation. Selon les
entretiens que nous avons eus avec des greffiers de la Cour Suprême, tous
les arrêts rendus par la chambre administrative de la Cour Suprême
contre l'Etat béninois ne sont pas appliqués ou souvent, le sont
à moitié. Cela n'est pas de nature à encourager l'agent au
recours juridictionnel. De plus, le fait que quelques unes de ces
décisions soient parfois appliquées compromet
l'impartialité de l'Etat et pourrait amener à croire que l'Etat
sélectionne les décisions à exécuter selon l'agent.
Il est alors urgent de résoudre ce problème de
l'inexécution par le pouvoir public des décisions
prononcées par le juge administratif en faveur des citoyens.
Pour ce faire, on peut recourir au système en vigueur
dans l'ex URSS qui consiste à mettre en cause la responsabilité
pénale et civile du fonctionnaire qui refuse l'exécution d'une
décision de justice. Evidemment, le problème se posera de
déterminer et d'atteindre le fonctionnaire responsable. On pourrait
alors instituer, peut-être au niveau du ministère de la justice
une structure chargée de l'exécution du contentieux de l'Etat et
de la défense de l'intérêt de l'Etat devant le juge
administratif, constituée de fonctionnaires. A cette structure, seront
alloués des moyens lui permettant de dédommager les
bénéficiaires d'une condamnation de l'Etat ou de suivre la mise
en application des décisions du juge administratif hors de leur
ressort. Ces fonctionnaires qui composeraient cette structure devront
bénéficier d'une prime de rendement. C'est la
responsabilité civile et pénale de ces derniers qui sera
engagée en cas d'inexécution des décisions du juge
administratif contre l'Etat.
PARAGRAPHE II : LA
SEPARATION DES POSTES
1- Contribution à la nomination des
secrétaires généraux des
ministères :
Il est vrai que l'existence d'un poste de secrétaire
général de ministère peut décourager la
politisation de l'administration. Cependant, il serait trop précoce et
assez naïf de décerner une distinction honorifique à
l'initiative sans s'intéresser à certaines réalités
relatives aux conditions de nomination, aux attributions et aux conditions de
révocation du secrétaire général de
ministère.
Si cela est vrai que le secrétariat
général de ministère est un poste technique et que le
secrétaire général de ministère ne peut faire
valoir ses convictions politiques, on est en droit de se poser des questions
sur la procédure de nomination de ce dernier qui paraît
très peu convaincante pour constituer un obstacle à la
politisation de l'administration, car, dans le schéma actuel, le
secrétaire général de ministère est proposé
par le ministre et le type d'homme qu'il doit être, du point de vue de
ses ambitions et de ses colorations politiques, reste au seul jugement du
ministre. Il est aussi vrai que le ministre n'est autorisé à
proposer qu'un cadre de la catégorie A, échelle 1 ayant un
certain nombre d'années de fonction. Mais, des hommes ou des femmes
répondant à ce profil, on peut en avoir facilement dans son parti
politique ou parmi ses amis politiques.
C'est pour cela qu'il serait plus juste de procéder par
un appel à candidature pour retenir les secrétaires
généraux des ministères afin de garantir réellement
la transparence dans leur gestion.
Ensuite, il est nécessaire que le secrétaire
général de ministère soit incontournable dans le processus
de nomination à la tête des différentes directions du
ministère. Ceci permettra de respecter l'adéquation entre le
profil et le poste et empêchera le ministre de nommer des personnes qui
ne répondraient pas aux exigences du poste.
Si le secrétaire général de
ministère n'intervient pas activement dans les propositions de
nomination à la tête des directions du ministère, quelle
serait alors l'étendue de la volonté de séparation des
postes ? Il est alors inconcevable qu'une réelle volonté
de séparation des postes se limite à la simple nomination des
secrétaires généraux des ministères et pire, dans
ces conditions où le secrétaire général de
ministère n'a dans la pratique aucun pouvoir d'étendre ses
compétences techniques sur toutes les directions supposées
être techniques du ministère en matière de gestion du
processus de nomination et de révocation des différents
directeurs techniques.
C'est pourquoi on est aujourd'hui en droit de conclure que
l'existence des postes de secrétaire général de
ministère dans les conditions actuelles est très peu
orientée vers le souci de combattre la politisation, car :
- d'abord le secrétaire général
étant proposé par le ministre, donc certainement dans les
mêmes conditions qu'un directeur de cabinet ou un attaché de
cabinet, sa nomination risque d'être fortement influencée par
des considérations politiques ;
- ensuite, même si l'on suppose que le
secrétaire général de ministère est nommé
dans de bonnes conditions, le fait qu'il n'ait pas le pouvoir de gérer
la nomination des différents directeurs limite son action de
dépolitisation de l'administration.
Il faut donc que le secrétaire général de
ministère ait plus d'attributions et qu'il ait surtout un pouvoir de
contrôle plus strict sur les différents directeurs.
De plus, il serait souhaitable que le SGM soit nommé
non plus pour cinq (5) mais plutôt pour dix (10) ans au moins pour
assurer la continuité entre deux mandats présidentiels au
moins.
On peut aussi envisager que les secrétaires
généraux de ministère soient affectés dans les
ministères par le ministre de la fonction publique comme tout agent
permanent de l'Etat, mais directement nommés par arrêté de
ce dernier pour occuper le poste de secrétaire général de
ministère.
Pour des mesures de sécurité, on peut exiger
que le ministre de la fonction publique fasse examiner ses propositions par le
syndicat dont relève chaque agent à nommer avant de les soumettre
à la commission chargée des affectations qui devra analyser la
proposition en dernier ressort.
Dans ces conditions, on est sûr d'avoir des
secrétaires généraux de ministère dignes.
Enfin, il est important que le SGM soit réellement
rattaché au ministre et dépende directement de ce dernier et non
du directeur de cabinet comme cela s'observe dans presque tous les
ministères.
2- Plaidoyer pour un renforcement de la
volonté de séparation des
postes :
La politisation de l'administration publique béninoise
ne pourra être découragée si des efforts ne sont pas faits
pour distinguer les postes politiques des postes techniques afin de promouvoir
l'adéquation entre le poste et le profil de celui qui l'occupe.
Il serait alors nécessaire que les différents
responsables nommés à divers postes soient choisis après
un appel à candidature. Dans ces conditions si la sélection est
confiée à un jury vraiment indépendant, rien ne pourra
piétiner le caractère transparent de son choix et l'on a la
chance d'avoir des hommes et des femmes sûrs à la tête des
services publics.
Il est vrai que
« pour appliquer une politique, il faut
que soient mis aux postes clés des hommes et des femmes en harmonie
avec cette politique », Jean POPEREN, Le
Monde, 30/06/1982. Mais, aux grands maux, grands
remèdes, dit-on. Le Bénin a besoin de renoncer à la
politisation de l'administration et il vaut mieux y aller par tous les moyens.
De plus, les directeurs des organismes publics ou semi-publics et des
sociétés et offices d'Etat doivent être nommés dans
les mêmes conditions d'étude minutieuse de dossiers de
candidature. Le cas des nominations récentes à l'ORTB (Office de
Radiodiffusion et Télévision du Bénin) est une
illustration du processus que nous préconisons et peut servir de
repère. Ce faisant, la mauvaise gestion des entités d'Etat,
encouragée par l'impunité pourra diminuer. Car, il sera plus
facile de punir celui qui ne sert aucun intérêt - parce qu'il est
nommé suivant sa compétence - que celui que l'on a placé
pour sauvegarder des intérêts politiques. Le premier aura
peut-être peur d'être puni ou d'être révoqué
parce qu'il n'est jugé que sur la base de son rendement, tandis que le
second, couvert par l'autorité politique ne craint rien, même s'il
fait mal. Le résultat dans ce dernier cas, c'est souvent la faillite des
sociétés d'Etat. Mais, privatisées, ces
sociétés sont souvent mieux gérées. C'est le cas
par exemple de "La Béninoise", actuelle SO.BE.BRA et de la SONICOG,
actuelle I.B.C.G.
Il urge alors de revoir les conditions de nomination à
la tête des entités d'Etat afin d'assurer l'adéquation
entre le profil et le poste qui constitue un élément important
pour la performance de notre administration.
|