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L'Homme Démocratique

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par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

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La représentation démocratique

??Forme de gouvernement et forme de souveraineté

Nous avons vu que le libéralisme se présentait avant tout comme une critique du politique et une revendication visant à la reconnaissance de la consistance intrinsèque à la société. Or quel est l'ordre naturel inhérent à la société? Nous l'avons vu à propos de la question de la tolérance comme avec l'idée de marché: les acteurs sociaux se trouvent dans une relation à la fois d'indépendance et d'égalité. Néanmoins l'idée d'Etat-nation, qui s'avérait fondamentale dans la naissance de cette sphère privée, apparaît aussi comme une condition essentielle à son maintien. En effet, la tolérance institutionnalisée a besoin du secours de la loi pour voir s'articuler le droit de chacun. L'universalité de la loi ne peut être garantie que par le dispositif institutionnel qui fait de l'égalité la condition essentielle du rapport des citoyens. D'autre part, la liberté économique suppose quant à elle l'existence d'une législation à même d'assurer la libre disposition de la propriété privée. C'est ce mécanisme que nous avons vu se mettre en place chez Locke. Dans un Etat où les droits des citoyens sont reconnus et proclamés par la constitution, nous sommes face à un Etat républicain. C'est à la constitution d'une telle res publica que les penseurs du contrat social se sont acheminés suivant en cela l'adage: salus populi suprema lex est. L'on trouve ainsi chez Kant cette définition: " la constitution fondée premièrement sur le principe de liberté des membres d'une société (en tant

réellement pour but d'y travailler ".

1 Le capitalisme utopique, p. 46.

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qu'hommes), deuxièmement sur les principes de dépendance de tous envers une législation unique commune (en tant que sujets), et troisièmement sur la loi de leur égalité (en tant que citoyens), seule constitution qui dérive de l'idée d'un contrat originaire sur lequel doit être fondée toute législation de droit d'un peuple, c'est la constitution républicaine "1. C'est donc la constitution qui garantit les principes selon lesquels les hommes seront traités en tant que sujet de droit et ne seront pas soumis à l'arbitraire du gouvernement. De ce point de vue, la fin

de l'Etat est d'aménager en la collectivité, l'espace d'une juste articulation des libertés. A partir de là, le citoyen protégé par la loi, peut librement, dans le cadre prévu par elle, user de ses droits fondamentaux, droits que le sujet n'a pu déléguer puisqu'étant inaliénables. La constitution est donc le principe d'existence d'un peuple particulier (entendons " peuple " au sens hobbesien) et décide de la forme du gouvernement. Dans le cas qui nous occupe, celle-ci

est nécessairement républicaine2. La volonté générale est au fondement de la souveraineté. La fin de la législation sera cantonnée dans le juste et n'aura pas pour principe le bien3.

Considérons donc ici la liberté du sujet individuel en cette république: il jouit d'une liberté privée articulée de façon égale à celle de tous dans le cadre prévu par la loi. Mais quant

à la liberté politique, celle qui consiste justement à participer à la législation, elle n'est encore que négative. On retrouve cette idée dans la distinction chère à Sieyès entre citoyen actif et citoyen passif4. Pour ce qui est du pouvoir de décision en la République, c'est, selon l'expression de Kant, la forme de la souveraineté qui en décide: " ou bien en effet un seul, ou bien quelques-uns unis entre eux, ou bien tous les citoyens ensemble, détiennent le pouvoir

1 E. Kant, Projet de Paix Perpétuelle, p. 84.

2 Ibid. p. 86: " La forme de gouvernement concerne la manière fondée sur la constitution (l'acte de la volonté universelle par laquelle la foule devient un peuple) dont l'Etat fait usage de sa pleine puissance. Sous ce rapport elle est soit républicaine soit despotique. Le républicanisme est le principe politique de la séparation du pouvoir exécutif (le gouvernement) et du pouvoir législatif; le despotisme est le principe selon lequel l'Etat met à exécution de son propre chef les lois qu'il a lui-même faites, par suite c'est la volonté publique maniée par le chef

de l'Etat comme si c'était sa volonté privée ".

3 John Rawls, dans son ouvrage sur la Théorie de la justice, définit ainsi une procédure par laquelle les acteurs sociaux qui prendraient part à l'élaboration d'une constitution de droit, dans le cas où il se trouveraient placés sous un voile d'ignorance, élaboration rationnelle de l'état de nature, adopteraient, en tant qu'ils sont placés en position originelle d'égalité, un ordre hiérarchique de principes à même de garantir la maximalisation des droits

de chacun. Les principes choisies dans cette position d'égalité se ramènent au principe selon lequel « chaque personne doit avoir un droit égal au système total le plus étendu de liberté de base égale pour tous, compatible avec un même système pour tous ». Le second principe, soumis au premier, est « que les inégalités économiques

et sociales doivent être telles qu'elles soient au plus grand bénéfice des plus désavantagés et attachées à des fonctions et des positions ouvertes à tous » (§ 46, p. 341). L'on retrouve donc ici le principe libéral classique

selon lequel le juste a priorité sur le bien du point de vue d'une définition collective du vivre-ensemble.

L'articulation des conceptions du bien dont chacun se fait une idée différente garantit à tous le choix d'une vie bonne. D'autre part, le second principe qui regarde au statut socio-économique des individus doit lui-même entré

en ligne de compte comme condition d'une libre poursuite du désir rationnel. D'où le rôle dévolu à l'Etat dans la régulation des inégalités, régulation qui renforce plus qu'il ne détourne le principe libéral de l'autonomie individuelle. L'Etat n'assigne pas de fin, mais assure les conditions minimales pour que cette fin puisse être librement choisie par chaque individu.

4 E. Sieyès, Premier projet de déclaration, in Droits de l'homme et philosophie, anthologie de textes choisis par Frédéric Worms, p. 97: " Nous n'avons exposé jusqu'à présent que les droits naturels et civils des citoyens. Il nous reste à reconnaître les droits politiques. La différence entre ces deux sortes de droits consiste en ce que les droits naturels et civils sont ceux pour le maintien et le développement desquels la société s'est formée; et les droits politiques, ceux par lesquels la société se forme. Il vaut mieux, pour la clarté du langage, appeler les premiers, droits passifs, et les seconds, droits actifs. Tous les habitants d'un pays doivent y jouir des droits de citoyen passif: tous ont droit à la protection de leur personne, de leur propriété, de leur liberté, etc., mais tous n'ont pas droit à prendre une part active dans la formation des pouvoirs publics; tous ne sont pas citoyens actifs.

(...) Tous peuvent jouir des avantages de la société; mais ceux-là seuls qui contribuent à l'établissement public sont comme les vrais actionnaires de la grande entreprise sociale. Eux seuls sont les véritables citoyens actifs, les véritables membres de l'association ".

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souverain "1. Seule cette dernière forme de souveraineté consiste en une liberté active et positive de tous à l'exercice de la législation. C'est le modèle de Rousseau: tous statuent sur tous. Nous avons donc affaire à une double universalité de la loi2. Néanmoins, un reproche systématiquement adressé à cette idée d'une démocratie directe, modelée sur celle des Anciens, tient à son irréalité dans le cadre des Etats modernes, trop grands et trop peuplés pour voir le peuple assemblé dans son entier. En outre, dans le cas où l'unanimité n'est pas réalisée, la majorité risque d'asservir dangereusement à sa volonté l'opinion minoritaire.

??Le dispositif institutionnel de la démocratie libérale: représentation, élection et consentement

La démocratie moderne conservant la puissance de la République, la souveraineté, dans les mains du peuple aménage donc la liberté politique dans le cadre d'une représentation,

où les gouvernants sont élus par le peuple qui leur délègue le pouvoir décisionnel pour un temps précis établi par la constitution. Les citoyens usent de leur liberté politique lors de l'élection de ses représentants qui par conséquent gouvernent avec le consentement du peuple. Ainsi trois principes sont présents au coeur du schéma juridique organisateur de la démocratie:

le consentement du peuple au pouvoir, l'égale liberté de tous les citoyens et la garantie de la légalité par l'organisation constitutionnelle du pouvoir. Ce qui fait que la légitimité de l'autorité collective dérive « du consentement de ceux sur qui elle est exercée ou, en d'autres termes, que les individus ne sont obligés que par ce à quoi ils ont consenti "3.

Dès lors l'on peut remarquer qu'avec le principe du consentement, le peuple n'élit pas des représentants qui vont exécuter leur volonté. Le peuple désigne simplement ceux dont les volontés deviendront des décisions publiques. Aussi, comme le montre Schumpeter, dans Capitalisme, socialisme et démocratie 4, le peuple ne gouverne pas lui-même " en élisant des individus qui se réunissent ensuite pour accomplir sa volonté ". La démocratie représentative doit bien plutôt être définie comme " le système institutionnel, aboutissant à des décisions politiques, dans lequel des individus acquièrent le pouvoir de statuer sur ces décisions à l'issue d'une lutte concurrentielle portant sur les votes du peuple "5. On le voit, cette définition de la démocratie représentative en fait tout autre chose qu'un pouvoir exercé indirectement par le peuple. Mais comment dès lors justifier un pouvoir émanant du peuple, représentant le peuple, mais n'étant pas la voix effective du peuple?

A cet égard, un texte nous éclaire particulièrement sur la question de la représentation.

Il s'agit du Fédéraliste écrit sous le pseudonyme de Publius par John Jay, Alexander Hamilton

et James Madison. Dans ce texte, qui vise à convaincre d'un intérêt d'une union entre les Etats américains confédérés, l'on trouve une justification du principe représentatif qui nous éclairera sur sa légitimité. Ainsi dans Le Fédéraliste n°9 rédigé par Hamilton trouve-t-on que l'effet de

la représentation " est d'épurer et d'élargir l'esprit public, en le faisant passer dans un milieu formé par un corps choisi de citoyens, dont la sagesse saura distinguer le véritable intérêt de leur patrie, et qui, par leur patriotisme et leur amour de la justice, seront moins disposés à sacrifier cet intérêt à des considération momentanées ou partiales "6. Ainsi la représentation des intérêts plutôt que leur expression directe doit permettre, par l'aménagement

1 Projet de paix perpétuelle, p. 86.

2 J-J Rousseau, Du contrat social, II, 6, p. 201: " Quand tout le peuple statue sur tout le peuple il ne considère que lui-même, et s'il se forme alors un rapport, c'est de l'objet entier sous un point de vue à l'objet entier sous un autre point de vue, sans aucune division du tout. Alors la matière sur laquelle on statue est générale comme la volonté qui statue. C'est cet acte que j'appelle une loi ".

3 Bernard Manin, Principes du gouvernement représentatif, p. 113.

4 Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, p. 329-330.

5 Ibid. p. 355.

6 Le fédéraliste in Les libéraux, p. 304.

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institutionnel, de répondre aux difficultés inhérentes à l'expression directe de la volonté populaire: canaliser la puissance de la majorité pour éviter qu'elle ne se retourne contre une partie du peuple. En effet, comme Madison le montre dans le Fédéraliste 51: " Si la majorité

est unie par un intérêt commun, les droits de la minorité seront en péril. Il n'y a que deux manières pour parer à ce danger; la première c'est de créer dans la nation une volonté indépendante de la majorité, c'est à dire de la nation elle-même ". C'est là le principe de toute autorité transcendante au corps social, ce qui va à l'encontre du principe de la souveraineté populaire, " la seconde, c'est de faire entrer dans la nation assez de classes différentes de citoyens pour rendre très improbables, sinon impossible, une combinaison injuste de la majorité "1.

Ainsi dans le procédé de la démocratie représentative, les représentants n'ont pas pour

fin d'incarner les volontés de ceux qu'ils représentent mais de défendre leurs intérêts. Aussi l'élection a ce double privilège de sélectionner, d'une part, des élites préexistantes2, d'autre part de représenter les intérêts de la nation plutôt que les intérêts des individus qui la composent et qui peuvent facilement se laisser conduire à la faction. C'est sur ce dernier point que se fonde le rejet du mandat impératif. Ainsi dans la discussion qui oppose les anti- fédéralistes et les partisans de l'Union, un point capital d'opposition concerne le statut de la représentation. " On peut caractériser le point de vue anti-fédéraliste comme une conception

de la représentation-mandat qui veut que le rôle des représentants soit de refléter les idées de ceux qu'ils représentent et de partager leurs attitudes et leurs sentiments alors que les Fédéralistes auraient conçu la représentation comme l'activité indépendante d'un fondé de pouvoir (trustee) dont le rôle est de se former une opinion personnelle sur les intérêts de ses électeurs et le meilleur moyen de les servir "3. En ce cas, l'élection repose effectivement sur la confiance accordée aux gouvernants et dès lors le point central de la légitimité du gouvernement demeure effectivement circonscrit au consentement donné à l'exercice du pouvoir4.

Mais une autre raison avancée doit être directement raccrochée à la configuration de la société libérale en train de naître. Selon Sieyès, en effet, la supériorité du régime représentatif

ne tient pas tant à ce qu'il produit des décisions moins partiales et moins passionnelles, mais à

ce qu'il constitue la forme de gouvernement la plus adéquate à la condition des sociétés commerçantes modernes où les individus sont avant tout occupés à produire et à distribuer les richesses. Dans ce cadre, les avantages de la représentation sont équivalents à ceux de la division du travail appliquée à l'ordre politique5. Dès lors que le représentant a pour tâche de représenter des intérêts et non pas directement les volontés des gouvernés quant à ces intérêts, c'est en quelque sorte le corps social, en lequel s'opère la synthèse des intérêts particuliers par

1 Ibid. p. 311.

2 Principes du gouvernement représentatif, p. 125: " Le gouvernement représentatif a été institué avec la claire conscience que les représentants élus seraient et devaient être des citoyens distingués, socialement distincts de ceux qu'ils élisaient. C'est ce que l'on appelle ici le principe de distinction ".

3 Ibid. p. 149.

4 P-P Royer-Collard in Les libéraux, p. 482-484: " Le mot représentation est une métaphore. Pour que la métaphore soit juste, il est nécessaire que le représentant ait une véritable ressemblance avec le représenté; et, pour cela, il faut, dans le cas présent, que ce que fait le représentant soit précisément ce que ferait le représenté.

Il suit de là que la représentation politique suppose le mandat impératif, déterminé à un objet lui-même déterminé, tel que la paix ou la guerre, une loi proposée, etc. (...) (Or) au fond, l'opinion d'une nation ne doit être

cherchée, et elle ne se rencontre avec certitude que dans ses véritables intérêts, tels qu'une raison exercée les

découvre et que la morale les avoue. (...) Je crois avoir prouvé que, hors l'élection populaire et le mandat, la représentation n'est qu'un préjugé politique qui ne soutient pas l'examen, quoique très répandu et très accrédité ".

5 E. Sieyès, Observations sur le rapport du comité de constitution concernant la nouvelle organisation de la

France, 1789, p. 35, cité in Principes du gouvernement représentatif, p. 14: " L'intérêt commun, l'amélioration

de l'état social lui-même nous crient de faire du gouvernement une profession particulière ".

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voie de libre-échange entre producteurs, qui se trouve représenté à travers l'appareil des partis.

De ce point de vue, l'Etat qui garantit, via la constitution, la protection négative des droits individuels, se doit de prendre en charge, de manière positive, les droits sociaux, c'est à dire ces droits qui assurent la reconnaissance, non pas de la dignité en tant qu'homme, mais

de l'estime en tant que composante du corps social1. Ainsi la notion de représentation politique change de sens et emporte avec elle une redéfinition du statut de l'Etat. Ce dernier cesse d'affirmer l'hétéronomie radicale du pouvoir par rapport au corps social pour devenir médiation active de la société à elle-même2. A partir du moment où le pouvoir politique n'est plus qu'un moyen au service de la société civile, la conversion du pouvoir transcendant en pouvoir immanent est achevée.

Intéressons-nous donc aux conséquences qui découlent de la redéfinition du statut de l'Etat dans la perspective libérale. D'une part, l'appareil politique se voit en un sens instrumentalisé par la société civile qui apparaît désormais première. L'équation qui fait de la société la sphère des moyens et l'Etat la voie des fins3 semble se renverser. En tant qu'il représente les intérêts des sociétaires et non leur volonté expresse, il se révèle être un point de visibilité pour la société qui acquière grâce à lui une possibilité supplémentaire d'agir sur elle- même. Le gouvernement gagne dès lors en étendue et en domaine de compétence ce qu'il perd en puissance autonome. La transcendance qui constitue essentiellement le pouvoir politique cesse d'apparaître comme une transcendance constitutive grâce à laquelle la collectivité atteint l'unité du peuple, comme dans le dispositif classique de souveraineté, mais devient simple point de vue global par lequel se réfléchit le corps social. En ce sens, c'est la société qui se connaît à travers lui. Dans ce mouvement, l'autorité personnelle du gouvernant s'efface au profit de la libération d'une rationalité organisatrice qui doit veiller au maintien de

la puissance de la société4. En ce sens, l'administration technocratique, simple moyen

1 Dans un article sur " La reconnaissance- De l'honneur à l'estime ", F. Fischbach montre que le problème de la reconnaissance dans les sociétés modernes, reconnaissance essentielle à une vie bonne, " se laisse ramener à la question de l'articulation entre, d'une part, une politique de la dignité, par essence universaliste, égalitaire et aveugle aux différences et d'autre part, une politique de l'identité fondée sur la possibilité individuelle et collective de constituer une identité propre et irréductible à tout autre ". Or la reconnaissance sociale est fondée

en " la contribution apportée par un individu ou un groupe à la reproduction sociale ". La reconnaissance juridico-morale de l'égale dignité finit donc par se séparer de l'estime sociale acquise au sein du processus de production. Contre le facteur d'inégalité mis en jeu par cette évaluation de l'estime sociale et la dignité amoindrie qui en résulte, l'Etat se voit justement conduit à protéger, en plus des droits fondamentaux, les conditions d'existence sociale minimale sans lesquelles la possibilité même d'une vie digne est menacée.

2 M. Gauchet, La religion dans la démocratie, p. 153-155: " l'évanouissement du principe qui assurait la supériorité métaphysique de la sphère publique modifie la nature du rapport de représentation entre la société

civile et l'Etat. On pourrait dire : il libère la logique représentative et la laisse aller au bout d'elle-même ; il rend

la relation intégralement représentative ", c'est-à-dire " qu'il tend à se transformer en espace de représentation de

la société civile, sans plus de supériorité hiérarchique vis-à-vis d'elle ni de rôle d'entraînement historique. Sa légitimité n'est plus faite que de la répercussion qu'il assure aux réquisitions, aux interrogations ou aux difficultés de la vie commune ".

3 E. Weil, Philosophie politique, p. 246: " L'Etat est l'organe dans lequel une communauté pense: elle ne peut se penser qu'à condition de ne pas vivre dans la peur de sa destruction. La société peut satisfaire à cette condition, mais elle ne saurait être un Etat véritable: elle n'assigne pas de fin dernière aux Etats, n'étant que le moyen, nécessaire (et non suffisant) pour la réalisation de cette fin; elle est la condition nécessaire pour qu'ils puissent se montrer dans leur être positif. Ce dont elle est la condition nécessaire est ce qui la justifie devant la philosophie: c'est l'Etat positif, la morale consciente d'une communauté libre, plus exactement, la possibilité de créer et de développer des communautés libres sous leurs propres lois, concrètement raisonnables en ce qu'elle permettent à leurs citoyens de mener une vie sensée pour eux dans la vertu ".

4 Le principe de souveraineté, ,p. 222: " Est juste, chez les modernes, ce qui correspond à la rationalité de la société. En d'autres termes, la société n'est pas structurée par une norme du juste qui viendrait d'on ne sait où, mais, au contraire, c'est le corps social qui, organisé selon sa propre rationalité, constitue la norme conformément

à laquelle le juste est défini. "

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impersonnel, devient l'essentiel de la charge gouvernementale, comme il nous est apparu à propos de la question de la gouvernementalité. Il y a en ce sens accroissement paradoxal et parallèle de la liberté et du pouvoir. Le pouvoir chargé d'assurer l'autonomie de la société devient finalement un instrument très étendu de contrôle et de régulation sans pour autant incarner la contrainte hétéronome d'une autorité extérieure1.

L'on peut se demander néanmoins comment l'Etat dont la charge consiste désormais à articuler des revendications concurrentes au sein de la société parvient à leur faire droit? Comment se structure cette entité sociale pour parvenir à se connaître et ainsi à agir sur elle- même? Nous avons d'un côté une multiplicité d'individus, sujets de droits inaliénables, engagés dans une relation horizontale d'échanges. D'un autre côté, l'Etat de droit, fondé sur une constitution républicaine à base de souveraineté populaire, qui garantit l'articulation réciproque des droits de chacun et contribue à la défense des droits individuels. En même temps, le dispositif institutionnel de la démocratie représentative suppose, par la voie des partis politiques, la prise en compte des intérêts divergents des groupes sociaux composant la nation. Nous sommes donc en présence d'un sujet collectif, la nation, composée d'individus libres et égaux en droits, mais rassemblés en sphères d'intérêts particuliers communs; ce sujet social, pour articuler les revendications concurrentes de ces groupes, identifiés par la représentation des partis politiques, met à sa disposition les moyens que fournit une administration rationnelle. De ce point de vue, le pouvoir politique est soumis à la conscience que le corps social a de ses besoins. Ce n'est pas donc pas sur le terrain politique que nous rencontrons l'affirmation d'une pleine disposition de la société sur elle-même, mais directement dans le sujet social.

C'est de cette idée qu'il nous faut à présent partir pour nous porter à l'étude d'un autre foyer de pouvoir au sein du monde démocratique, la sphère de communication propre à assurer le contrôle des gouvernants par les gouvernés, et qui apparaît de ce fait comme le véritable point de visibilité de la société sur elle-même. Cette sphère nous conduira dès lors à apprécier la distinction capitale qui s'établit dans la démocratie libérale entre pouvoir et savoir, et les effets de pouvoir que le savoir social peut produire. C'est, en effet, en soumettant les moyens du pouvoir au savoir que le corps social atteint de lui-même dans l'espace public, que la société parachève son autonomisation, après qu'elle ait commencé de s'appréhender comme jouissant d'une consistance naturelle.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo