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L'Homme Démocratique

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par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

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Chapitre III

Phénoménologie du pouvoir social

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Notre interrogation de départ consistait à se demander pourquoi et comment la

démocratie libérale ne se présentait pas comme un mode de gouvernement politique particulier, mais instaurait un régime naturel et universel de régulation des interactions humaines et partant pouvait se prévaloir d'incarner l'essence de l'Homme. Nous avons ainsi vu que les structures mises en place à partir du XVIIe siècle avait permis l'émergence d'une conception du pouvoir hors les termes d'aliénation à une autorité transcendante au corps social. Dans ce cadre, la régulation naturelle intrinsèque à la société civile, l'idée d'un gouvernement censé suivre plutôt que diriger cette autorégulation et enfin la visibilité que la société acquiert d'elle-même dans la représentation que lui offrait l'espace public, nous sont apparus comme porteurs d'une définition du pouvoir en termes de rapport immanent, et partant non violent, de la société à elle-même. C'est ce rapport à soi de la société que nous avons nommé Subjectivité démocratique et sur lequel nous devons revenir. Nous verrons alors comment la constitution de ce sujet entraîne avec elle l'élaboration d'un monde signifiant

en lequel ce pouvoir n'apparaît plus comme tel, mais semble être effectivement l'effet d'un mode non-politique et partant non-particulier de gouvernement des hommes. C'est là l'évidence démocratique. Or, au centre de ce dispositif, l'idée de nature nous semble fondamentale. C'est elle qui en dernier lieu permet d'expliquer comment le libéralisme démocratique peut apparaître comme une définition même de l'homme.

Selon une formule de Marcel Gauchet, " si la démocratie n'est pas seulement le nom d'un régime, ni même d'un état social, mais celui d'une nouvelle manière d'être de l'humanité, sous la totalité de ses aspects, alors il y a une anthropologie démocratique "1. Or, il nous semble que vouloir mener une anthropologie de l'homme démocratique serait reconduire les structures signifiantes à partir desquelles cet homme démocratique se comprend lui-même et son pouvoir. Notre ambition sera donc de revenir en-deçà de ces structures déjà constituées pour observer comment celles-ci se trouvent investies dans le processus de constitution de la réalité démocratique.

1 La démocratie contre elle-même, XVIII.

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Emancipation

Mais avant de nous porter à l'étude de cette élaboration, nous voudrions revenir sur trois caractéristiques de ce monde démocratique telles qu'elles apparaissent dans le discours moderne sur l'inscription politique de l'homme et son émancipation à l'égard de toute hétéronomie: l'autonomie de la société, la question du progrès et la topique du pouvoir démocratique en tant que lieu vide. Nous aurons dès lors articulé les principaux cadres permettant de conduire une phénoménologie du fait démocratique.

La société contre l'Etat 1

Le libéralisme, nous l'avons vu, se caractérise par une critique du pouvoir en tant que sphère hétérogène au corps social et à ses lois propres. Or, un discours nous semble à ce propos particulièrement significatif et révélateur de l'idée qui sous-tend cette conception, l'idée de régulation naturelle des rapports inter-sociaux; il s'agit de l'ouvrage de Thomas Paine sur Les droits de l'homme faisant réponse aux Réflexions sur la révolution de France de Burke et à la défense de la continuité historique que ce dernier défend à travers l'idée de préjugé collectif.

Dans son ouvrage, Paine combat l'artificialité de la médiation gouvernementale au profit du droit naturel de l'homme. Selon le principe classique du libéralisme, il fonde les droits civils à partir des droits naturels en montrant, selon l'argument de la compétence sociale, que l'homme verse à la société les droits naturels qu'il ne peut exercer par lui-même. L'on retrouve cette idée, une quinzaine d'année plus tard, chez Constant, pour qui " il y a une partie de l'existence humaine, qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante et qui est,

de droit, hors de toute compétence sociale "2. Dans cette perspective, le gouvernement naît par

en bas. La constitution est dès lors le fait du peuple constituant le gouvernement3.

1 Dans son ouvrage La société contre l'Etat, l'anthropologue Pierre Clastres montre qu'au sein de certaines sociétés traditionnelles d'Amérique du Sud, le pouvoir détenu par le Chef est un pouvoir totalement symbolique qui n'implique en aucune façon une distinction entre dominants et dominés; p. 11: " On se trouve confronté à un énorme ensemble de sociétés où les détenteurs de ce qu'ailleurs on nommerait pouvoir sont en fait sans pouvoir,

où le politique se détermine comme champ hors de toute coercition et de toute violence, hors de toute subordination hiérarchique, où, en un mot ne se donne aucune relation de commandement-obéissance". Le Chef

possède le pouvoir de la parole, mais seulement en tant qu'acte ritualisé, sans pouvoir effectif. En contre partie,

la société fait peser sur chacun de ses membres un pouvoir absolu mais parfaitement immanent dont le groupe

est l'objet; p. 180: " La propriété essentielle de la société primitive, c'est d'exercer un pouvoir absolu et complet sur tout ce qui la compose, c'est d'interdire l'autonomie de l'un quelconque des sous-ensembles qui la constituent, c'est de maintenir tous les mouvements intérieurs, conscients et inconscients, qui nourrissent la vie sociale, dans

les limites et dans la direction voulues par la société ". Bien entendu, l'analogie entre la société primitive et l'autonomie de la société moderne ne saurait être poursuivie très loin. Elle montre néanmoins que l'absence d'un point central de domination, détenteur des moyens coercitifs, contient l'affirmation d'un pouvoir immanent coextensif qui, détenu par aucun, s'exerce sur tous, mais sans référence directement extérieure et visible.

2 B. Constant, Principes de politique, p. 51-52: " Il y a une partie de l'existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante et qui est, hors de toute compétence sociale. La souveraineté n'existe que d'une manière limitée et relative. Au point où commence l'indépendance de l'existence individuelle, s'arrête la juridiction de cette souveraineté".

3 Les droits de l'homme, p. 64.

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Ainsi contre la spoliation des droits inaliénables dont l'homme a été victime par le passé du fait d'une autorité abusive, les droits de l'homme, en tant qu'ils reconduisent le pouvoir dans son foyer d'origine, apparaissent comme une " régénérescence de l'homme "1. Le gouvernement, lui, est parfaitement artificiel et n'est qu'une " invention de la sagesse humaine

"2. La révolution constitue, en ce sens, un retour à l'ordre naturel3. Ainsi peut-on distinguer entre l'ancien et le nouvel ordre des choses: " le gouvernement, selon l'ancien système, est un pouvoir usurpé qui a pour objet de s'agrandir; selon le nouveau, c'est un pouvoir délégué qui vise l'avantage commun de la société "4. En effet, si la nature s'exprime à travers la société civile et que le gouvernement ne se fait que le représentant de cette société, alors le " système représentatif est toujours en harmonie avec l'ordre et les lois immuables de la nature et est en tous points conforme à la raison humaine "5.

Ainsi, trouve-t-on une équivalence entre nature, raison et droits de l'homme et d'autre part une équation entre artifice, arbitraire et gouvernement. Cette distinction se retrouve aussi chez Constant selon lequel " il existe dans la nature une force réparatrice. Tout ce qui est naturel porte son remède avec soi. Ce qui est factice, au contraire, a des inconvénients au moins aussi grands et la nature ne porte pas de remède "6. L'idée de marché auto-régulé s'impose, par conséquent, avec une évidence tout aussi naturelle7: " le commerce n'est rien d'autre qu'une transaction entre deux individus transposée à l'échelle d'une multitude de gens. Ayant voulu et inventé le commerce entre deux hommes, la nature, s'inspirant de la même règle, a fait en sorte qu'il y ait commerce entre tous "8.

Il existe donc bien une consistance naturelle à la société non-politique qui assure sa cohésion, avec toujours pour moyen terme l'idée d'une nature accomplissant la sociabilité en fonction de ses lois propres. Le Ch. I de la seconde partie des Droits de l'homme, De la société et de la civilisation, se révèle à cet égard particulièrement éclairant. Paine y montre en effet, que " pour une large part, l'ordre qui règne parmi les hommes n'est pas un effet du gouvernement. Cet ordre tire son origine des principes de la société et de la constitution naturelle de l'homme. Il existait avant le gouvernement et continuerait d'exister si la structure formelle du gouvernement était abolie. L'interdépendance et les intérêts mutuels des hommes

et de toutes les composantes d'une communauté civilisée créent cette grande chaîne de rapports réciproques qui assure leur cohésion (...) Bref, la société accomplit par elle-même la presque totalité de ce qu'on attribue au gouvernement "9. L'on retrouve bien l'idée d'une naturalité des rapports sociaux, naturalité que ruine l'artifice du gouvernement. Le commerce

est en ce sens paradigmatique car il incarne au mieux ce principe: " toutes les grandes lois de

la société sont des lois de nature "10.

Quant à la contrainte nécessaire au respect de tous, elle peut elle-même se réaliser sur

un plan d'immanence totale. C'est en effet ce que montre le radicalisme d'un Godwin qui

1 Ibid., p. 106.

2 Ibid., p. 109.

3 Ibid. p. 137: " Ce que nous voyons actuellement dans le monde, grâce aux révolutions d'Amérique et de France, c'est une régénérescence de l'ordre naturel des choses, un système de principes aussi universels que la vérité ou l'existence de l'homme, et qui conjugue la félicité morale avec le bonheur politique et la prospérité des nations ".

4 Ibid. p. 165.

5 Ibid. p. 177.

6 Etienne Hofmann, Les principes de politiques de Benjamin Constant, p. 343.

7 Et l'on peut dire avec un commentateur que " l'automatisme des lois du marché semblait à Constant aussi fiable

et aussi universel que les grands principes qui gèrent le monde physique ", Ibid., p. 344.

8 Les droits de l'homme, p. 210.

9 Ibid., p. 155.

10 Ibid. p. 157. Cf. aussi p. 158: " Dans ces associations que les hommes forment entre eux pour promouvoir le commerce ou telle autre activité, associations dans lesquelles le gouvernement n'a strictement aucune part et où

les individus se contentent de suivre les principes de la société, on voit bien comment les diverses partis

s'unissent naturellement ".

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pousse à bout le principe libéral de l'autonomie de la société. Dans son Enquête sur la justice politique1, il montre que " le contrôle de chacun sur la conduite de ses voisins constituera une censure tout à fait irrésistible ". Ainsi s'accomplit, par la voie de l'opinion publique, une intériorisation de la norme qui, par le biais d'un pouvoir diffus et invisible, conduit à un auto- contrôle direct de la société.

Dès lors le degré de perfection d'une société se mesure à sa capacité à s'autoréguler elle-même. " Plus une civilisation est parfaite, moins elle a besoin de gouvernement, car plus elle est propre en effet à conduire elle-même ses affaires et à se gouverner "2. Ainsi se met en place comme une certaine philosophie de l'histoire en laquelle l'hétéronomie de l'Etat et de la société se voit résorbée par la réappropriation graduelle du pouvoir de la société sur elle- même. Mais comment penser un tel processus, à partir du principe d'immanence propre à la société, sinon en le greffant lui aussi sur un processus naturel? A ce problème de l'articulation d'un progrès historique et d'une libération des forces naturelles au sein de la société, nous allons voir que l'Aufklärung et l'idée kantienne d'un dessein de la Nature peuvent amener une réponse originale.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci