La nature et l'histoire
Le problème central de l'idée
libérale consiste à articuler la liberté
fondamentale d'agents moraux indépendants avec l'aliénation
politique que constitue l'existence d'un gouvernement menaçant
l'autonomie que la société parvient à tirer
d'elle-même. Comment résoudre cette nécessaire collusion
du moral et du politique? A cette question deux réponses peuvent
être apportées: ou la révolution violente qui
rétablit le peuple dans son droit originaire, ou la lente
réforme des principes du gouvernement à partir de l'idée
de droit. Or ces deux solutions s'avèrent problématiques, comme
nous allons pouvoir le constater. Mais une troisième solution doit
permettre de résoudre l'antinomie sur le plan de l'histoire. Or, par
là- même, le sens du concept d'histoire va se voir
redéfini sur un nouveau terrain, celui d'un progrès
orienté par l'idée de nature.
?Fichte et la révolution
En 1793, le jeune Fichte fait paraître ses
Considérations destinées à rectifier les jugements
du public sur la Révolution français. Dans la
première partie de son ouvrage, Fichte pose la question de la
légitimité de la révolution. " Un peuple a-t-il le droit
de changer
à son gré sa constitution? "3. Cette
interrogation se raccroche directement à la problématique
libérale en tant qu'elle cherche à déterminer si le droit
des individus est premier par rapport à celui du pouvoir. Existe-t-il
une antériorité de l'homme sur le citoyen?
Fichte part de la distinction kantienne entre une nature
sensible et une nature intelligible de l'homme. La seconde consiste en la
loi morale qui constitue la forme originaire
de notre moi. Ce que cette loi nous commande nous contraint
absolument et ainsi, la nature sensible se trouve déterminée par
la nature intelligible et non l'inverse. Celle-ci est une loi du devoir et
renvoie à notre liberté en tant qu'êtres de raisons alors
que la seconde consiste dans
le libre arbitre de faire ou ne pas faire ce à quoi notre
nature sensible nous incline. Ce que la
loi morale nous prescrit, nous sommes obligés de le faire.
Tout ce qu'elle ne défend pas, nous
1 Enquiry concerning political justice,
Londres, ed. Kramnick, Pelican, 1976, p. 554, in Le capitalisme
utopique,
p. 152.
2 Les droits de l'homme, p. 157.
3 J-G Fichte, Considérations
destinées à rectifier les jugements du public sur la
Révolution Française, p. 86.
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pouvons le faire1. Tout ce qui touche à
cette loi morale constitue un droit inaliénable. C'est le droit de faire
son devoir. En dehors de cette législation, l'homme possède les
droits aliénables qui ressortent de son libre arbitre. La limitation de
ce libre arbitre ne regarde que lui, et quand bien même il limite son
droit à l'égard d'un autre, il ne s'oblige que lui-même. Il
" concède librement à l'autre l'exercice de son droit
"2. Ainsi le domaine du contrat, et notamment, celui
du contrat social par lequel l'homme transige de ses droits ne
porte en aucun façon sur le droit inaliénable mais seulement
sur ceux laissés à sa libre disposition, ses droits
aliénables. Comme cette aliénation ne naît que d'un accord
volontaire, l'obligation qu'imposent les lois civiles ne peut naître
qu'avec " l'acception volontaire de ces lois par l'individu "3.
Mais l'homme peut-il s'engager par un contrat à
demeurer éternellement sous la même constitution politique?
Peut-il renoncer à son droit de contracter à nouveau une
nouvelle alliance politique? Finalement " l'immutabilité de la
constitution politique n'est-elle pas contraire à la destination que
la loi morale nous assigne"4?
Quelle est cette destination? Relativement à
notre nature sensible, il s'agit de la culture, c'est-à-dire "
l'exercice de toutes les facultés en vue de la liberté absolue,
de l'absolue indépendance par rapport à tout ce qui n'est pas
nous-mêmes, notre moi pur "5. Dès lors tout
ce qui entre sous la catégorie du simplement permis par
la loi morale ne doit cependant pas aller à l'encontre de cette
loi? Si cette loi est une loi d'autonomie, l'exercice de nos droits
aliénables doit servir de moyen en vue de cet
autonomie6. Dès lors, l'association politique
elle-même ne peut avoir d'autre fin que nous faire concourir à la
culture de cette sensibilité. Toute constitution qui va à
l'encontre de ce droit est par conséquent
illégitime7. Il s'ensuit qu'une constitution immuable, et
par conséquent qui ne s'accorderait pas avec la perfectibilité
inscrite en la nature sensible de l'homme, conduit à renoncer à
notre nature d'être de raison, ce que nous défend la loi
morale8. L'Etat n'est donc qu'un moyen qui ne peut se
présenter comme responsable de tout ce qui découle de la
constitution d'agent libre de l'homme. Pas plus la
1 Ibid., p. 95: "Ce que la loi morale ne
fait que nous permettre, nous avons le droit de le faire; mais nous avons aussi
le droit opposé au précédent, celui de ne pas le faire. La
loi morale se tait, et nous rentrons tout à fait dans notre libre
arbitre. Nous avons aussi le droit de faire notre devoir; mais nous n'avons pas
le droit opposé à celui-
là, celui de ne pas le faire. De même nous avons le
droit d'être des êtres libres, moraux; mais nous n'avons pas celui
de ne pas l'être. Le droit est donc très différent
dans les deux cas: dans le premier, il est réellement
affirmatif; dans le second, il est purement négatif ".
2 Ibid., p. 110.
3 Ibid., p. 111.
4 Ibid., p. 113.
5 Ibid., p. 114
6 Ibid. p. 115: " Cette culture en vue de
la liberté est le seul but final possible de l'homme, en tant qu'il
est une partie du monde sensible; mais ce but final sensible n'est pas
encore le but final de l'homme en soi: il n'est que le dernier moyen pour
atteindre un but final plus élevé, son but final spirituel,
à savoir la parfaite concordance de sa volonté avec la loi de la
raison. Tout ce que l'homme fait doit pouvoir être
considéré comme un moyen d'arriver dans le monde sensible
à ce dernier but final; autrement ses oeuvres sont sans but,
ce sont des oeuvres déraisonnables ".
7 Ibid. p. 124: " Si la culture de
la liberté peut être l'unique but final de la
constitution politique, toutes les constitutions politiques qui ont pour
fin dernière le but précisément opposé à
celui-là, à savoir l'esclavage de tous
et la liberté d'un seul, la culture de tous en vue des
fins de ce seul individu, et l'étouffement de toutes les
espèces
de culture qui peuvent conduire à la liberté
d'un plus grand nombre, toutes ces constitutions ne sont pas
seulement susceptibles de changement, mais elles doivent aussi être
réellement changées ".
8 B. Bourgeois, Philosophie et droits de
l'homme, p. 52: " Renoncer au droit de pouvoir modifier, y compris par
la force, une constitution mutilant le droit, ce serait nier
l'esprit même de l'humanité, qui consiste à pouvoir se
perfectionner à l'infini, c'est à dire à devenir plus
parfait - plus auto-suffisant, plus libre -, et à le devenir par soi-
même - à se libérer soi-même toujours plus ".
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propriété1, que la culture2
de l'individu ne doit servir d'argument au pouvoir pour faire
de l'homme son obligé.
Par conséquent, comme l'Etat n'a pas droit sur
tout ce que l'individu ne lui a pas volontairement abandonné,
dans le cadre permis par la loi morale, il s'ensuit que la loi civile n'abroge
en aucune façon son droit naturel3. Il s'ensuit que chacun
est parfaitement libre de reprendre son engagement à l'égard de
l'Etat et peut parfaitement contracter à nouveau et ainsi instaurer une
nouvelle association politique4.
L'on voit donc qu'avec Fichte, le contrat social cesse
d'incarner la loi fondamentale par laquelle, une constitution juridique
étant établie, chacun se voit capable d'assurer sa
destination humaine fondamentale. Ici la relation s'inverse et c'est cette
destination qui devient
la condition de l'association politique. Or avec cette
soumission du politique au moral et de l'association à la liberté
de l'individu, la question se pose de savoir quelle consistance possède
encore l'Etat. Ce dernier est un simple moyen, mais encore un moyen
superflu. L'écueil anarchiste n'est pas loin. Si l'individu
possède le même droit en matière politique qu'en
matière religieuse, droit consistant à s'unir librement en
une association possédant ses lois propres5, l'on peut
se demander si cette association particulière qu'est le contrat social
possède encore une consistance suffisante pour assurer aux lois civiles
leur efficace. S'il est à craindre que l'individu, en l'absence d'une
législation universelle, ne devienne pour ses semblables un danger
permanent; mais si, d'un autre côté, il faut craindre de
l'autorité politique qu'elle ne contrarie notre devoir de
perfectibilité, qui, tôt ou tard, conduira à sa
disparition, comment penser alors l'articulation de l'obligation politique et
du devoir moral? Comment penser la co- existence contradictoire, et pourtant
nécessaire, de l'homme, qui doit dépasser le citoyen, et du
citoyen, qui empêche le progrès de l'homme6?
Kant et le dessein de la nature
Nous avons vu que Kant refuse le droit aux sujets de
résister aux décisions du monarque. En effet,
l'établissement d'une législation universelle est une condition
nécessaire, quoique non suffisante, d'accès à la
vertu. En l'état naturel où chacun voit sa volonté
contrariée par les déterminations sensibles que constitue la
menace permanente que les autres font peser sur lui, l'homme ne peut accomplir
son devoir. Il doit donc instaurer un ordre légal
1 Considérations, p. 143: " Ce
n'est pas l'Etat, mais la nature raisonnable de l'homme en soi qui est la
source du droit de propriété, nous possédons
indubitablement certaines choses en vertu du droit purement naturel, et nous
pouvons légitimement exclure tous les autres de la possession de ces
choses ".
2 Ibid., p. 153: " Ce que je suis, c'est en
définitive à moi que je le dois, si je suis quelque chose par
moi-même ".
3 Ibid. p. 148: " Si l'Etat ne peut ni
nous retirer ni nous donner les droits qui sont notre propriété
originaire, il faut que toutes ces relations persistent réellement dans
la société civile. Je ne puis pas posséder comme citoyen,
en tant que tel, un droit que je possède comme homme; et je ne puis
avoir déjà possédé comme homme le droit que
je possède à titre de citoyen. C'est donc une
grande erreur de croire que l'état naturel de l'homme est
supprimé par le contrat civil; il ne peut jamais être
supprimé, il passe et subsiste sans interruption dans l'Etat ".
4 Ibid. p. 159: " Chacun a parfaitement
le droit de sortir de l'Etat, dès qu'il le veut; il n'est retenu ni par
le contrat civil, qui n'a de valeur qu'autant qu'il le veut, et dont les
comptes peuvent se régler à chaque moment, ni par des contrats
particuliers sur sa propriété ou sur sa culture acquise (...). Si
un individu peut sortir de l'Etat, plusieurs
le peuvent. Or ceux-ci rentrent, à l'égard
les uns des autres ou à l'égard de l'Etat qu'ils
abandonnent, dans le simple droit de nature. Si ceux qui se sont
séparés veulent se réunir plus étroitement et
conclure un nouveau
contrat civil aux conditions qui leur conviennent, ils en ont
parfaitement le droit en vertu du droit naturel, dans le
domaine duquel ils sont rentrés ".
5 Locke, Lettre sur la tolérance, p.
17: " L'homme n'est pas par nature astreint à faire partie d'une
église, à être lié
à une secte; il se joint spontanément à la
société au sein de laquelle il croit que l'on pratique la vraie
religion et
un culte agréable à Dieu. L'espérance du
salut qu'il y trouve ayant été la seule cause de son
entrée dans l'église, elle sera de même la seule raison d'y
demeurer ".
6 Le règne de la critique, p.
110: " La simple morale ne pouvait garantir que le for
intérieur puisse arriver
vraiment au pouvoir. L'hiatus qui subsistait était
comblé par la philosophie de l'histoire ".
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dont les inconvénients ne sauront jamais
dépasser ceux du vide éthique que constitue l'état
naturel.
Dans le cadre de la soumission à une volonté
souveraine incarnant le principe du droit,
les sujets possèdent, comme nous l'avons
vu, le droit d'exprimer publiquement leurs remontrances au pouvoir.
Mais un problème se pose néanmoins quant à savoir comment
un gouvernement pourra accepter de laisser se propager les
Lumières, et fera donc droit à " l'usage public de la
raison " si ce gouvernement n'est lui-même déjà
éclairé. Comme le note Habermas, " l'opinion publique est
commandée par la volonté de rationaliser la politique au nom de
la morale "1. Mais si la politique ne garantit pas
à la morale un moyen d'accéder jusqu'à elle, et si
d'autre part, l'usage de moyens violents contre cet ordre politique ne
saurait
se justifier sur un plan moral, l'on peut se demander si nous ne
sommes pas pris dans un cercle infernal.
Selon Habermas, c'est sur le plan de la philosophie de
l'histoire que Kant résout cette question: " tant qu'un
régime républicain n'est pas réalisé, comment
pourrait-on garantir l'unité de la politique et de la morale
"2?
Kant conçoit en effet une faculté morale et
intelligible par laquelle l'homme est cause nouménale et principe de
détermination transcendantal de son existence empirique. Du point
de vue sensible, l'homme est inscrit dans la causalité
naturelle. Or c'est un devoir pour lui de dépasser ce niveau
d'hétérogénéité pour réaliser
pleinement sa nature d'être raisonnable. L'on
ne peut par conséquent interdire à l'homme de "
progresser dans les Lumières ", c'est-à-dire d'atteindre à
l'autonomie effective de la pensée. " Ce serait un crime contre la
nature humaine, dont la destination originelle consiste
précisément en cette progression "3. Mais si cette
nature humaine est étouffée par les contraintes sensibles
d'une législation hétéronome, comment parvenir à
un état tel que la fin morale puisse se réaliser?
La solution du problème va consister à
résoudre cette contradiction sur le plan purement sensible de la
causalité naturelle4. En effet, " quel que soit le concept
qu'on se fait,
du point de vue métaphysique, de la liberté du
vouloir, ses manifestations phénoménales, les actions humaines,
n'en sont pas moins déterminées, exactement comme tout
événement naturel, selon les lois universelles de la nature
"5. Ainsi en l'homme, en qui se rencontre un double principe de
détermination intelligible et sensible, l'on peut
considérer que " les dispositions naturelles qui visent à
l'usage de la raison ", c'est-à-dire les capacités qu'a
l'homme de s'approcher d'un état où il sera
déterminé par la seule loi de sa raison, autrement
dit les moyens de la culture, " sont
déterminées de façon à se développer
un jour complètement ", mais dans l'espèce et non dans
l'individu. Or cette idée d'un développement
générique de ces capacités inclut par là-même
l'idée d'un processus temporel à grande échelle
au cours duquel ces dispositions pourront se
révéler. Mais cette destination morale de l'homme va se
réaliser, sur le plan sensible, à partir du conflit des
intérêts sensibles entre les individus. La nature incline les
hommes à entrer en société, mais, en même
temps pousse chacun à chercher son intérêt propre et par
conséquent conduit au heurt des passions. C'est là
le principe de l'insociable sociabilité
grâce auquel, selon l'axiome mandevillien qui veut que
les vices privés se transforment en vertus
publiques, la nature extorque pathologiquement,
c'est-à-dire sur un plan d'immanence purement sensible, un accord sur
les règles du droit. La
1 L'espace public, p. 112.
2 Ibid., p. 118.
3 Qu'est-ce que les Lumières?, p.
48.
4 Projet de Paix Perpétuelle, p.
105: " Il faut qu'un tel problème puisse être résolu. Car
le problème ne requiert pas l'amélioration morale des hommes,
mais seulement de savoir comment on peut faire tourner au profit des hommes le
mécanisme de la nature pour diriger au sein d'un peuple l'antagonisme de
leurs intentions hostiles, d'une manière telle qu'ils se contraignent
mutuellement eux-mêmes à sa soumettre à des lois de
contrainte, et produisent ainsi l'état de paix où les lois
disposent d'une force ".
5 E. Kant, Idée d'une histoire universelle
au point de vue cosmopolitique, p. 71.
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concorde naît de la discorde via le principe de
l'intérêt particulier universalisé. L'on retrouve encore
une fois l'idée d'un ordre immanent et naturel entre
intérêts concurrents et " d'une justice immanente au
marché réglé par la libre concurrence "1.
Néanmoins se pose toujours le problème de l'éducateur
éduqué2. Dans ce cas, " la nature nous oblige à
ne pas chercher autre chose qu'à nous approcher de cette idée
"3. L'on peut tout de même attendre, toujours selon le
principe de l'intérêt bien entendu, que les chefs
eux-mêmes trouvent leur intérêt dans le progrès
des Lumières qui gagneront ainsi " une influence sur les principes du
gouvernement "4
.
Revenons donc sur le sens de ce dessein de la nature
introduit par Kant. D'un point de vue théorique, cette idée
d'une providence veillant au développement des facultés
humaines,
est une idée transcendante et ne saurait faire l'objet
d'une expérience. Mais d'un point de vue moral, " nous pouvons et nous
devons l'ajouter par la pensée, afin de nous faire un concept de
sa possibilité, par analogie avec les actions de
l'art humain "5. En effet, si du point de la connaissance,
nous sommes impliqués dans la causalité temporelle et par
conséquent nous ne pouvons connaître par l'expérience
l'origine ou la fin de la nature, nous pouvons du point de vue moral, en tant
que nous sommes cause nouménale, nous représenter l'idée
d'une fin en la nature par laquelle nous puissions nous orienter
sensiblement6. Mais il s'agit dès lors d'une idée
régulatrice7, un jugement réfléchissant, par
lequel nous pouvons subsumer le particulier sous une règle
générale, et nous orienter, sans pour autant chercher à
découvrir dans la nature une telle fin. Il ne s'agit pas d'un
principe constitutif de l'expérience. Il ne faut donc pas
essayer de déduire de l'observation sensible la preuve d'un
progrès vers l'unité de la morale et
du politique car croire en un tel progrès est
un devoir, l'on peut rechercher seulement les signes
historiques8 qui nous permettent d'identifier la
conjoncture en laquelle nous nous situons par rapport à ce
progrès.
Ainsi voyons-nous que c'est sur le terrain de l'histoire que
doit être résolu le problème d'une autonomie de la
société par rapport à l'arbitraire politique. Dans
ce cadre, le progrès vers la maîtrise effective de l'homme
par lui-même apparaît comme un progrès naturel et
irréversible. Mais il ne s'agit pas, pour Kant, d'affirmer la
réalité phénoménale d'un tel processus naturel.
La nature ne joue ici que le rôle d'un principe
réfléchissant par lequel
1 L'espace public, p. 120.
2 Idée d'une histoire universelle, p.
77.
3 Ibid., p. 78.
4 Ibid., p. 85.
5 Projet de Paix Perpétuelle, p.
100.
6 E. Kant, Critique de la faculté de
juger, §84, p. 410: " J'ai dit que le but final n'est pas une fin que
la nature suffirait à effectuer et à produire conformément
à l'Idée de ce but, parce qu'il est inconditionné. (...)
Mais une chose qui doit exister nécessairement à cause de
sa constitution objective comme but final d'une cause intelligente,
doit être telle qu'elle ne soit dépendante dans l'ordre
des fins d'aucune autre condition que de sa simple Idée. Or nous
n'avons qu'une seule espèce d'être dans le monde, dont la
causalité est téléologique, c'est à dire
orientée vers des fins et en même temps cependant
constituée de façon que la loi selon laquelle doivent se
déterminer des fins, est représentée par
eux-mêmes comme inconditionnée et indépendante des
conditions naturelles, mais comme nécessaire en soi. L'être de
cette espèce est l'homme mais considéré comme
noumène; c'est le seul être de la nature dans lequel nous pouvions
reconnaître, de par sa constitution propre, un pouvoir suprasensible et
même la loi de la causalité, ainsi que l'objet de
celle-ci, qu'il peut se proposer comme fin suprême ".
7 En ce sens la représentation d'un accord
naturel entre les intérêts permet, en une certaine mesure, de
faire jouer
la philosophie de l'histoire comme un quatrième postulat
de la raison pratique.
8 Le conflit des facultés, p. 210: "
Il faut donc rechercher un événement qui indique
l'expérience d'une telle cause
et aussi l'action de sa causalité sur le genre humain
d'une manière indéterminée sous le rapport du temps, et
qui permette de conclure au progrès comme conséquence
inévitable; cette conclusion pourrait alors être
étendue aussi à l'histoire du passé (à savoir qu'il
y a toujours eu progrès); de sorte toutefois que cet
événement n'en soit pas lui-même, la cause, et, ne devant
être regardé que comme indication, comme signe
historique, puisse ainsi démontrer la tendance du genre humain
considéré en sa totalité, c'est à dire non pas
suivant les individus, mais suivant les division qu'on y rencontre sur terre en
peuples et en Etats ".
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puisse être pensée la réalisation du
devoir moral. Néanmoins, il semble que l'idée d'une
harmonisation naturelle des intérêts divergents conduisant
à une régulation autonome de la société qui,
hors de l'arbitraire politique se découvre comme naturel, acquiert
justement, dans
le discours libéral, la réalité d'un
principe constitutif, dans la mesure où la main invisible du
marché fonctionne comme principe transcendantal; et d'autre
part, que cette idée d'une régulation naturelle se greffe
justement sur l'idée d'un progrès historique
nécessaire pour constituer un processus quasiment providentiel
justifiant la diffusion du modèle libéral. L'on
ne peut accuser Kant de ce glissement de sens, mais ce
léger aperçu de sa philosophie de l'histoire nous aide
à mettre en évidence le fondement naturaliste de la
démocratie libérale.
C'est sur ce fondement naturaliste que s'ancre l'idée d'un
gouvernement non-politique
et partant, non-violent, à même de réaliser,
dans un processus historique orienté, la libération
et l'affirmation de l'essence même de l'homme. Mais en
même temps, ce sont les structures conceptuelles mises en place dans
le dispositif libéral qui rendent possible la pensée d'un
progrès historique en terme de processus naturel. Néanmoins,
avant de nous porter à l'étude de
ce pouvoir immanent et naturel ainsi produit, un dernier
point semble essentiel à la description de la configuration de la
démocratie libérale: l'idée d'un lieu vide du pouvoir.
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