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L'Homme Démocratique

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par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

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Reginem et regnum : la conception ministérielle du pouvoir

Ainsi, en distinguant deux cités de nature et de finalité différentes, Augustin parvient à définir un nouveau concept de justice, inconnu jusqu'alors du monde antique. Le Livre XIX,

§21 de la Cité de Dieu nous éclaire particulièrement sur cette différence. Augustin, dans les nouveaux cadres conceptuels définis par la doctrine chrétienne, parvient à retourner la pensée romaine contre elle-même, en utilisant ses propres concepts. S'accordant sur la définition

1 Ibid., Livre XIV, §11, p. 168: " Il est séduit non parce qu'il croit à la vérité des paroles de sa compagne, mais parce qu'il obéit à l'affection conjugale ".

2 Ibid., Livre XIV, §3, p. 149: " Car cette corruption du corps qui appesantit l'âme n'est point la cause, mais la peine du péché; et ce n'est point la chair corruptible qui a rendu l'âme pécheresse, mais l'âme pécheresse qui a rendu la chair corruptible ".

3 Ibid., Livre XIII, §3, p. 107: " Donc tout le genre humain, qui par la femme devait s'épancher en générations, était dans le premier homme, quand le couple reçut l'arrêt de sa condamnation. Et tel il fut, non pas au moment

de sa création, mais au moment de son péché et de son châtiment, tel il se reproduit dans les mêmes conditions

originelles de mort et de péché ". Cf. aussi Livre XIII, §14, p. 118.

4 Ibid., Livre XIV, §1, p. 145: " Aussi, malgré cette merveilleuse variété de nations répandues sur toute la terre,

de croyances et de moeurs si différentes, divisées par leurs langues, leurs armes, leurs costumes, il n'existe toutefois que deux sociétés humaines, ou, pour les appeler du nom que leur donne l'Ecriture, deux cités. L'une est

la cité des hommes qui veulent vivre en paix selon la chair; l'autre, celle des hommes qui veulent vivre en paix selon l'esprit; et quand les désirs de part et d'autres sont accomplis, chacun à sa manière est en paix ".

5 Ibid., Livre XIV, §4, p. 150: " Il existe deux cités différentes et contraires, celle des hommes vivant selon la chair, celle des hommes vivant selon l'esprit, je pourrais dire aussi celles des hommes qui vivent selon l'homme, celle des hommes qui vivent selon Dieu ".

3 Ibid. Livre XIV, §13, p. 170: " C'est une fausse grandeur qui, délaissant celui à qui l'âme doit demeurer unie comme à son principe, prétend devenir en quelque sorte son principe à soi-même; et cela, quand l'âme se

complaît trop en soi. Elle se complaît en soi, quand elle se détache de ce bien immuable qui devait être

préférablement à elle-même l'unique objet de ses complaisances. Or ce détachement est volontaire; car si la volonté du premier homme fut demeurée stable dans l'amour du bien immuable, lumière de son intelligence, foyer de son coeur, s'en serait-il détourné pour se plaire en soi, pour tomber dans les ténèbres et la froideur? "

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cicéronienne de la République comme chose du peuple, Augustin s'attache à montrer qu'une telle République n'a jamais existé et ne peut être envisageable que dans le contexte de la foi chrétienne. En effet, une République est basée sur le droit consenti. Or un tel droit est lui- même fondé sur la justice. Mais, et c'est là toute l'originalité du propos augustinien, une telle justice n'existe pas là où seul est visé l'intérêt humain. L'homme qui se soustrait à la puissance de Dieu pour se livrer à celle des hommes est un esclave et ne peut connaître de véritable félicité1. Il convient donc de distinguer la paix de la cité terrestre, tournée vers l'orgueil, et la justice de la cité de Dieu, seule à même d'orienter vers le salut. Ainsi peut-on comprendre la paix non comme simple calme extérieur, mais " comme soumission à la volonté de Dieu, telle qu'elle nous est connue par la foi "2. C'est l'ordre transcendant de la création qui fournit la norme de l'établissement humain. " Si la paix résulte de l'ordre établi par Dieu, la justice n'est pas autre chose, au fond, que le respect et la réalisation de cet ordre. Cette harmonie des choses est inscrite dans la volonté divine "3. Contre la conception aristotélicienne qui voyait dans l'autarcie la fin même de la Cité, Augustin fait, par conséquent, de la dépendance, le critère même de la justice.

Or cette conception, jusqu'à présent exposée dans ses principes, va bouleverser les cadres politiques de l'Occident chrétien, jusqu'à l'émergence de l'Etat-nation qui s'est justement bâti contre ces cadres politiques, mais dont il recevra néanmoins l'empreinte, quand bien même celle-ci ne serait que négative4.

En effet, cette conception neuve du rapport de l'homme à lui-même conduit à comprendre le pouvoir des hommes non comme rapport immédiat de la volonté à la réalité, mais comme médiation de cette volonté au monde par l'amour de Dieu. Ainsi l'autorité du pouvoir se fonde directement dans la recherche du salut et par-là dans l'éducation à la vraie foi. Le pouvoir perd son autonomie et se voit distingué entre puissance séculière et pouvoir religieux, le premier se trouvant soumis au second. Se découvre, dès lors, une " conception ministérielle du pouvoir séculier » où « l'autorité du prince s'impose au respect et à l'obéissance parce qu'elle est l'instrument de Dieu pour promouvoir le bien et réfréner le mal. C'est sa raison d'être "5. Par conséquent, " la royauté dans l'Eglise tend à devenir un office. Elle exerce un pouvoir réel mais un pouvoir ministériel. (...) Le roi représente la force, mise

au service de l'Eglise. Il doit obtenir par la crainte ce que le prêtre est impuissant à réaliser par la prédication "6. On le voit, le rôle du pouvoir n'est plus tant de régler les seules actions extérieures, mais de pénétrer l'intérieur des âmes pour les faire se tourner vers l'amour de Dieu. Pour être plus exact, il conviendrait même de dire qu'une telle distinction entre la rectitude des actes et la volonté bonne ne naît qu'avec la conception chrétienne de la royauté. Aussi le pouvoir royal ne consiste pas tant en une domination qu'en une direction, ce que traduit le terme de regere qui signifie à la fois diriger, gouverner, dominer, et auquel le regnum, l'exercice de la royauté, est soumis7. Ainsi " la justification augustinienne d'un pouvoir s'inscrit dans une vision globale de la déchéance du genre humain "8. Le plus

1 Ibid., Tome III, Livre XIX, §21, p. 134: " Car enfin, quel peut être l'intérêt véritable de ceux qui vivent dans l'impiété, comme vit quiconque trahit le service de Dieu pour celui des démons, monstres d'impiétés d'autant plus pervers qu'ils veulent, esprits impurs, qu'on leur sacrifie comme à des dieux? "

2 H.X. Arquillière, L'augustinisme politique, p. 62.

3 Ibid., p. 63

4 C'est en effet par le discours chrétien sur la Chute que les concepts de liberté de l'individu, de for intérieur et d'universalité du genre humain acquiert une réalité politique.

5 Ibid., p. 93

6 Ibid., p. 148-149

7 M. Senellart, Les arts de gouverner, p. 23: " Pendant plusieurs siècles, la réflexion médiévale sur l'origine, la nature, l'exercice du pouvoir s'est développée autour, non des droits attachés à la fonction souveraine, mais des devoirs liés à l'office du gouvernement (regimen). "

8 Ibid., p. 69.

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frappant dans cette compréhension du rôle du gouvernement tient sans doute au fait que le roi

lui-même est soumis aux devoirs liés à son office. Pour guider son peuple vers la justice, le

roi doit devenir modèle de vertu. Son pouvoir ne se sépare dès lors pas d'une justification transcendante à laquelle il se voit rappelé par la voix de l'Eglise. Ainsi " l'Eglise ne pouvant

se passer de la contrainte l'a peu à peu pliée aux règles éthiques du gouvernement "1.

L'exemple le plus significatif de cet office est sans doute ce genre nouveau de littérature que constitue le Miroir du prince, véritable catalogue de vertus, que le roi se doit d'observer tout au long de son règne. On en découvre déjà une ébauche chez Augustin qui, au Livre V, ch. 24 de la Cité de Dieu, recommande à l'empereur chrétien de vivre selon la vertu

et d'avoir en vue, non comme " les serviteurs du démon ", seulement la paix temporelle, mais

le bien commun du peuple, autrement dit la justice divine2.

Retenons donc de ce rapide aperçu de ce qu'il est convenu d'appeler l'augustinisme politique une nouvelle compréhension du fait politique et de l'exercice du pouvoir basée sur une définition inédite de la nature humaine ou, pour être plus exact, sur l'invention même de

la nature humaine. Car ce qui se met en place avec la doctrine chrétienne du péché originel, c'est, nous l'avons vu, la mise au jour d'une communauté d'essence entre tous les hommes, tous soumis aux mêmes conséquences du péché originel et en même temps séparés de la nature créée. Par-delà donc les différences entre les peuples du monde, une seule origine et une seule rédemption possible, la foi chrétienne. D'autre part, apparaît avec Augustin l'idée d'une autodétermination fondamentale de l'homme, qui, libre de choisir entre Dieu et le néant, se voit seul responsable de sa déchéance, bien qu'il ne puisse assumer seul son salut. Enfin, avec l'idée que la déchéance du corps n'est que l'effet de la mauvaise volonté, c'est le thème de l'intériorité de la conscience individuelle qui commence à poindre, bien que celle-ci soit par essence mauvaise, puisque l'indépendance, et par conséquent la volonté particulière,

est justement la perpétuation du péché d'orgueil qui condamna l'homme à sa condition mortelle. Contre l'idée même d'autonomie prennent place des structures de pouvoir propres à diriger les âmes vers la justice véritable, amour bien ordonné de la création et de son créateur. Nous assistons par-là même à l'évacuation du modèle de la Cité autarcique propre à Aristote qui jugeait du juste à partir de l'excellence proprement humaine.

Néanmoins à partir du XIIe siècle s'accomplit un déplacement de sens de l'office royal qui va peu à peu conduire à l'autonomie du politique, effective à partir du XVIIe siècle.

En effet, à ce moment le prince ne se voit plus seulement confier pour tâche de diriger les âmes mais aussi, et surtout, de diriger les affaires communes et temporelles3.

Avec saint Thomas et la lecture de la Politique d'Aristote, on quitte le discours augustinien sur la chute pour passer à une réflexion sur la conduite des affaires humaines. Désormais le regnum et le regimen se confondent en la personne du monarque. A partir de ce moment, regere n'est plus tant bien se conduire que conduire quelque chose4. Gouverner devient régir une multitude en vue du bien commun ; gouvernement qui, finalement, se définit comme " capacité de pourvoir aux choses nécessaires à la vie humaine "3. Ainsi saint Thomas remet à l'honneur la notion aristotélicienne de prudentia, non plus entendue comme discernement entre le bien et le mal, mais comme la vertu qui, au milieu des choses

1 Ibid., p. 29.

2 Cité de Dieu, Livre I, §24, p. 246-247.

3 Les arts de gouverner, p. 125: " L'Etat n'a pu se dégager progressivement de l'autorité ecclésiale que par un transfert, sur la personne du prince, du symbolisme religieux. Or ce transfert supposait une véritable métamorphose du prince lui-même, lui permettant, non plus seulement d'être digne de son office, mais de s'identifier avec la personne publique qu'il incarnait ".

4 Ibid., p. 168.

3 Ibid., p. 165.

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contingentes, permet d'atteindre rationnellement ses buts. On passe de la science des fins à l'art délibératif des moyens à partir du temps réel de l'action politique et non plus d'une norme intemporelle. Nous voici finalement bien proche de Machiavel.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery