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L'Homme Démocratique

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par François Palacio
Université Montpellier III - Master I Philosophie 2003
  

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Espace et temps du gouvernement des hommes :

le moment machiavélien

Nous avons donc vu qu'avec la synthèse qu'opère saint Thomas entre christianisme et aristotélisme une nouvelle définition du bien commun commence à émerger. A partir de la hiérarchie des réalités au sein du monde créé, le docteur évangélique peut ainsi situer la conservation de la paix civile au centre de l'office gouvernemental. Si le roi se définit toujours comme un pasteur, sa mission directrice se confond désormais avec la nécessité " de conserver cette unité qu'on appelle la paix "1. Commence dès lors à poindre un certain discours de l'art de gouverner où le prince est investi de la plénitude du regimen. C'est en vue

de pourvoir au nécessaire que les hommes s'assemblent, et c'est la volonté une du monarque qui dirige les volontés particulières vers cette fin. Aussi trouvons-nous chez Thomas une réévaluation du statut de l'histoire concrète qui peut servir d'exemple à la conduite des affaires du royaume. Un exemple parmi d'autres est le titre du chapitre IV du Livre I du De regno : " où l'on montre comment l'autorité a varié chez les Romains et que chez eux la chose publique a cependant pris de l'extension avec le gouvernement d'une collectivité "2.

Néanmoins, si une certaine considération des nécessités matérielles du gouvernement vient à tenir une place importante dans le discours thomiste, il n'en demeure pas moins que c'est aux conditions éthiques de l'office royal que se trouve soumise la réflexion sur le pouvoir du prince. Or, c'est avec cette conception d'un cosmos ordonné que va rompre le florentin Machiavel. En inscrivant le critère d'efficacité au centre du dispositif politique, ce dernier rompt avec toute idée d'une fin transcendante à l'exercice du pouvoir et inaugure par-

là même notre modernité. Le bien fondé de l'action politique n'est plus antérieur à la réalisation de cette action, mais au contraire découle de son succès au sein de l'affrontement des forces en présence3. La fin du gouvernement est désormais ordonnée à une seule considération : la conservation de la puissance. Et cette puissance ne se fonde pas dans une justification transcendante à l'ordre humain mais est, au contraire, directement liée à la capacité du prince à composer avec les passions que le christianisme condamne comme les signes de la déchéance humaine. Or, dans un monde où la vertu chrétienne est sans cesse démasquée comme une illusion par les appétits réels des hommes, c'est de la nature humaine telle qu'elle se donne à voir que le prince doit partir pour élaborer son commandement. Désormais donc, l'aune de référence de l'action politique n'est plus l'immutabilité d'une histoire supra-humaine renvoyée dans les ténèbres de l'origine, mais au contraire, l'instabilité fondamentale des affaires mondaines.

Ainsi, c'est en rompant avec la morale chrétienne et son discours sur les vertus du prince, que Machiavel institue le lieu réel du pouvoir : dans l'histoire. Cette histoire est celle

du heurt des intérêts et des luttes pour la domination, une histoire pleine de fureur et de bruit que raconte celui qui, pour un temps, en acquière la maîtrise. Ici apparaît un couple

1 Thomas d'Aquin, Du gouvernement royal, p. 15.

2 Ibid., p. 29.

3 A. Negri, Le pouvoir constituant, p. 76: " Dans la production de l'Etat et dans le développement du principe constituant, le vrai et le bien sont indissolublement liés à la puissance - leur horizon est toujours celui de la puissance et toute distinction est a posteriori, alors que l'action vient avant, et choisit librement ".

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conceptuel fondamental du remaniement machiavélien : l'opposition entre Fortuna et virtù1.

Le vrai passe désormais tout entier du côté du changement et de la mutabilité, dans la temporalité intrinsèque du monde humain et de la nature changeante. Et c'est dans sa capacité

à s'adapter à la fortune, à ordonner son action aux nécessités du temps, que se reconnaît le bon prince. Ce n'est plus le monde humain qui doit être orienté par rapport au modèle intemporel de la vertu que le prince incarne de par sa mission divine, c'est au contraire le prince qui doit s'adapter à la mutabilité essentielle du cours du monde. " Si nous pouvions changer de caractère selon le temps et les circonstances, la fortune ne changerait jamais "2: voilà l'enseignement fondamental du Florentin. Le temps est la substance même du pouvoir,

ce temps que le prince doit intérioriser pour l'amener à se plier à sa volonté3. La temporalité

est à la fois la contrainte objective avec laquelle le prince compose et l'empreinte subjective par laquelle il peut infléchir la réalité. Le temps est proprement le principe constituant du pouvoir4. Dès lors, la science politique imbue de prétentions normatives et théorétiques se transforme en " technologie politique 5 ", en élaboration subjective de la matière historique. Et comme l'histoire n'est que le jeu des passions humaines, c'est à partir de et sur celles-ci que

la domination s'exerce6.

Ainsi voit-on se dessiner chez Machiavel une nouvelle économie de la puissance, constituée à partir d'une réélaboration des catégories politiques et d'une signification inédite

de l'inscription de l'action humaine dans le monde. Le Prince se donne comme un miroir de

la puissance dans un monde redéfini en termes de volonté subjective de domination et de conservation du pouvoir. Par conséquent, ce n'est plus l'image d'un modèle transcendant que réfléchit le miroir du prince, c'est le lieu de son action et de son inscription temporelle et spatiale. Le catalogue des vertus devient celui du compte des forces en présence au sein du royaume que le monarque doit connaître pour s'y adapter7.

Un pas néanmoins reste à franchir pour voir le livre du prince se transformer en livre d'Etat, recensement des forces du Royaume offert à l'administration rationnelle. Pour cela, une nouvelle structure du pouvoir doit s'affirmer, celle de l'Etat-nation où le monarque s'identifie avec le territoire administré, la personnalité du souverain se trouvant peu à peu absorbée dans sa fonction administrative. Effacement progressif du prince au profit d'une libération de la puissance collective et d'une réappropriation des forces de la nation par elle- même que le XVIIe siècle voit se mettre en place. C'est à l'étude de cette nouvelle structuration de la réalité politique qu'il nous faut à présent nous intéresser.

Mais concluons avant toute chose sur cette étude de la structure du pouvoir chez les

Anciens, au Moyen-âge et à l'aube de la modernité. Nous avions parlé à ce propos d'une

1 Les arts de gouverner, p. 188: " Ainsi l'art, chez Machiavel, est-il indissoluble de la temporalité. Il ne se conçoit que dans un rapport de lutte avec la puissance instable de la fortune ".

2 N. Machiavel, Le prince, p. 176.

3 Le pouvoir constituant, p. 63: " Nous pouvons saisir comme volonté, et comme projet subjectif concentré, la puissance en acte dans ces moments. Plus précisément, le problème est d'intérioriser le temps historique, de l'intégrer au temps anthropologique, de singulariser la puissance qui s'est découverte ".

4 Ibid., p. 60: " C'est sa volonté de puissance qui rassemble cette temporalité éparse pour en faire une arme invincible dans la réalité (...). Il (César Borgia) est l'organisateur de l'Etat, celui qui surdétermine le temps

historique et le réorganise ".

5 Ibid., p. 61.

6 Ibid., p. 106: " La passion est une trame matériellement et profondément immergée dans le temps, une trame capable de secouer le temps et son inertie ".

7 Chez Machiavel, le terme de stato permet d'articuler l'idée du gouvernement, de conservation de la puissance

et de la domination d'un territoire. Le terme stato ne recouvre pas la notion d'Etat, entendue comme structure administrative encadrant l'usage de la puissance, mais fait référence d'une part au pouvoir d'un homme ou d'un groupe au sein de la Cité, d'autre part, au domaine et au territoire sur lequel s'exerce la domination, enfin, le régime ou la forme constitutionnelle de gouvernement. C'est donc avant tout dans sa connotation d'espace de la domination du prince que doit s'entendre le stato machiavélien. Cf. Les arts de gouverner, p. 212-213.

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imbrication essentielle du concept de pouvoir et de Nature. Nous sommes à présent en mesure

de mieux justifier cette affirmation. Nous avons en effet pu observer qu'à chacune de ces époques correspond une conception particulière de la Nature qui, avec chacune de ses redéfinitions, entraîne avec elle une nouvelle structuration du politique. Si les Grecs voient dans la Nature l'image d'un cosmos organisé en lequel vient s'inscrire l'ordre humain, la conception politique qui s'ensuit comprend la Cité, soit chez Platon, comme harmonie des parties à l'image du cosmos et de l'âme, soit chez Aristote, comme communauté autarcique, l'idée d'un premier moteur autonome ordonnant la fin de la Cité à une vie belle s'achevant dans l'éducation du citoyen à l'excellence de la theoria. Aussi la liberté politique dans la Polis antique ne peut-elle consister qu'en la recherche par la discussion du bien commun, prolongement de l'harmonie naturelle. Dès lors l'idée d'une liberté privée, basée sur l'indépendance de l'individu apparaît comme non-sens à l'expérience grecque de la vie humaine.

Si nous nous tournons à présent vers la conception chrétienne de la Nature, nous voyons que celle-ci, définie comme nature créée, fait indéfiniment signe vers la transcendance

de la volonté créatrice. Or la faute originelle, issue du désir d'autonomie du premier homme, condamne le genre humain en son entier à une éternelle distance de sa volonté à sa puissance.

En ce sens, l'homme déchu fait face à sa propre nature créée qu'il doit reconquérir par l'amour ordonné en aliénant sa volonté propre dans la volonté divine, qui seule peut lui accorder la grâce. Ainsi peut-on voir une opposition entre Nature créée bonne parce qu'issue

de la volonté divine et nature humaine pécheresse séparée de l'ordre de la création par la mauvaise volonté de l'homme.

Enfin, rompant avec ce modèle, Machiavel conçoit la Nature comme fortune contre laquelle le prince doit dresser ses forces pour en épouser la plasticité et ainsi la plier à ses fins

de conservation et de domination. Dès lors la passion se dresse contre la passion ; et l'homme

se trouve face à lui-même, dans la lutte sans fin d'un monde dépourvu de toute finalité transcendante et ramené à l'autonomie d'une législation que l'homme d'action doit arracher

au prix de ses efforts.

L'histoire que nous avons suivie nous apparaît ainsi comme celle d'une réinscription

du fondement de l'action politique dans le monde humain. Mais ce remaniement ne va pas sans une compréhension plus générale de la notion de pouvoir. Cette redéfinition, nous allons

le voir, n'est pas tant l'effet d'un programme de réforme politique qu'une réinterprétation générale du phénomène de puissance naturelle.

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus