Hobbes et le mécanisme
Pour le philosophe anglais, tout s'explique par le mouvement des
corps et la causalité
est l'ultime principe d'explication de l'ordre physique aussi
bien que moral. En effet, il n'est
de connaissance que par les sens, et l'esprit n'est
lui-même qu'un mouvement du corps3. Par conséquent,
c'est la même méthode qui permet d'expliquer le mouvement
physique, la volonté et l'action humaine. Une physique des
actions humaines est dès lors envisageable pour autant que l'on
sache suivre la juste consécution des désirs qui animent les
hommes. Car l'homme est tout entier désir4. La raison
elle-même est au service des passions5 et connaître la
finalité des actions humaines, ce n'est plus comme chez saint Thomas les
ramener à une fin transcendante, mais découvrir leur origine
dans l'objet qui les anime. Une physique des atomes sociaux est
finalement tout aussi possible qu'une mécanique des corps physiques.
Résumons donc les conséquences introduites par
Spinoza et Hobbes dans l'ordre de la connaissance et de ses fondements. Tout
d'abord, la création n'est plus définie par rapport à une
volonté extérieure mais devient elle-même le lieu du
déploiement des forces naturelles immanentes. Au sein de cette nature
règne le principe de causalité par lequel tout corps se voit
conduit à produire ses effets en vertu du mouvement qui l'anime.
Dès lors se découvre une égalité ontologique entre
tous les êtres qui ne subsistent plus qu'en vertu de leur puissance
propre. En ce sens, la puissance n'est plus tant ce qu'un ordre
créé rend possible de par la volonté de son
créateur que l'effet propre produit par chaque corps sous
l'effet d'une sollicitation extérieure. Finalement chaque corps
est individué à la fois par sa puissance naturelle et par
l'action des autres corps qui accroissent ou limitent sa puissance. Immanence,
causalité, égalité, puissance individuelle,
voilà les acquis de l'ontologie spinozienne et hobbesienne et qui,
on va le voir, vont permettre une restructuration du champ conceptuel à
même de réinscrire la puissance au sein du monde des hommes.
1 T. Hobbes, Léviathan, Ch. VI,
p. 48: " L'objet, quel qu'il soit, de l'appétit ou du désir d'un
homme, est ce que pour sa part celui-ci appelle bon; et il appelle
mauvais, l'objet de sa haine et de son aversion; sans valeur et
négligeable l'objet de son dédain. En effet, ces mots de
bon, de mauvais et de digne de dédain s'entendent toujours par
rapport à la personne qui les emploie car il n'existe rien qui soit tel,
simplement et absolument; ni aucune règle commune du bon et du mauvais
qui puisse être empruntée à la nature des objets
eux-mêmes ".
2 P-F Moreau, Hobbes. Philosophie, science et
religion, p. 55: " Radicalement, la métaphysique de Hobbes ne se
lasse pas de répéter cette thèse: tout est corps
- et tous les phénomènes s'expliquent par le mouvement
des corps".
3 Léviathan, Ch. I, p. 12: " Toutes
ces qualités appelées sensibles ne sont dans l'objet qui les
cause qu'autant de mouvements variés de la matière par lesquels
celui-ci presse diversement nos organes. Et en nous qui subissions
cette pression, elles ne sont rien d'autre non plus que divers
mouvements; car le mouvement ne produit que le
mouvement ".
4 Ibid., Ch. XI, p. 95: " L'objet du
désir de l'homme n'est pas de jouir une seule fois et pendant un seul
instant, mais de rendre à jamais sûre la route de son désir
futur ".
5 Ibid., Ch. VIII, p. 69: " Les
pensées sont comme les éclaireurs et les espions des
désirs, rôdant de tous côtés
pour trouver le chemin des choses désirées ".
28
|