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Tradition et rationnalité chez Hans-Georg Gadamer


par Pierre Luhata Lokadi
Université Saint Pierre Canisius - Bachelier en Philosophie 2006
  

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III.4. Le Langage : entre Tradition et Rationalité.

Beaucoup ont fait du langage un instrument ou un outil dont on peut se servir. On a réduit le langage à un simple instrument de travail qui ne sert qu'à décrire. Le positivisme logique viendra radicaliser cette thèse105(*). Malheureusement cette conception du langage est pernicieuse car elle conduit à une attitude instrumentale de la pensée vis-à-vis du langage.

C'est pourquoi Gadamer veut saisir le phénomène du langage dans la vérité de son être même. Il prend la phénoménologie comme voie pour arriver à cette fin. Le retour aux grecs notamment à Socrate, Platon et Aristote n'a pour but que de rappeler l'oubli de l'Etre du langage par la philosophie occidentale106(*). Gadamer fait une étude approfondie des plusieurs dialogues de Platon, entre autres : Cratyle, Philibè, Sophiste, Parménide...pour saisir le rôle du langage dans l'existence humaine.

Le langage a une dimension ontologique. Il est le lieu par excellence où l'Etre se manifeste mieux, le lieu où l'Etre se rend présent. C'est la conception grecque du Logos. Le langage est le médiateur par excellence de notre expérience au monde107(*). Le dasein comme être-jété-dans-le- monde grandit au sein du langage. Le langage nous a précédé. Il nous constitue et c'est à partir de lui que toute compréhension est possible. C'est grâce au langage que l'entente de la société est possible. C'est exactement ce que Gadamer dit en ces mots :

Comprendre ce que quelqu'un dit, c'est, comme nous l'avons vu, s'entendre sur ce qui est en cause et non se transporter en autrui et revivre ce qu'il a vécu. Nous avons souligné que l'expérience de sens qui s'effectue de la sorte, dans la compréhension, inclut toujours une application. Nous observons à présent que ce processus tout entier est un processus langagier (sprachlich). Ce n'est pas sans raison que la problématique proprement dite de la compréhension, ainsi que la tentative de maîtriser par une technique- c'est l'objet de l'herméneutique -relèvent traditionnellement de la grammaire et de la rhétorique. Le langage est le milieu dans lequel se réalise l'entente entre les partenaires et l'accord sur la chose même.108(*)

Aussi, le langage se comporte comme un jeu. Gadamer parle du « jeu  du langage ». Ce jeu se réalise dans l'exercice de la traduction ou de l'interprétation. En effet, il existe un dialogue continuel entre le langage du texte et celui du traducteur. Dans le cas de l'interprétation Gadamer dit que le rôle de l'interprète est déterminant car c'est lui qui participe à l'éveil du sens du texte. Sans son apport, le texte reste lettre morte. A ce sujet, Gadamer affirme :

Or, cela signifie que les idées propres à l'interprète participent toujours, elles aussi et dès le début, au réveil du sens du texte. Ainsi, l'horizon personnel de l'interprète est déterminant, il ne l'est pas cependant, lui non plus, à la manière d'un point de vue personnel que l'on maintient ou impose, mais plutôt comme une opinion ou une possibilité que l'on fait jouer et que l'on met en jeu, et qui contribue pour sa part à une appropriation véritable de ce qui est dit dans le texte.109(*)

Ces phrases de Gadamer révèlent le caractère langagier de la compréhension qui est la concrétisation de l'histoire de l'influence. L'historicité de la compréhension doit être prise au sérieux. Ce qui ressort du dialogue entre le texte et l'interprète n'appartient pas seulement au texte, ni à l'interprète, mais c'est quelque chose de commun entre les deux. Fruchon dit que la saisie du sens est un phénomène de pure intériorité. C'est dans et par le langage que le sens advient et qu'il s'impose comme vérité110(*). C'est pourquoi, comprendre c'est toujours articuler cette compréhension en une interprétation qui est mise en langage de sens.111(*) Avec cette thèse Gadamer montre l'intimité profonde qui existe entre penser et parler112(*). Ceci nous renvoie aux problèmes des Universaux. Quel rapport entre le monde et la langue ? Il y a une identité ontologique. C'est ainsi que Gadamer dit que l'être qui peut être compris est langue.113(*) Gadamer explique cette thèse en disant :

Quand j'écrivais : « l'être accessible à la compréhension est langage », il fallait voir dans cette formule que ce qui est ne peut jamais être compris dans sa totalité. Il faut l'y voir, dans la mesure où tout ce qu'un langage entraîne avec soi renvoie toujours au-delà de l'énoncé lui-même.114(*)

Cette thèse affirme l'universalité de l'herméneutique. En effet, le problème de la compréhension est universel. L'herméneutique ne cherche qu'à décrire l'expérience humaine du monde au moyen de l'élément langagier qui constitue l'essence de la tradition. C'est à travers le langage que la tradition nous est transmise. Que ça soit les coutumes, la langue, les proverbes, les contes, les mythes, les légende...Par ailleurs, Gadamer dit que le fait que l'essence de la tradition soit caractérisée par sa dimension langagière atteint sa pleine signification herméneutique lorsque cette tradition devient tradition écrite115(*). C'est dans l'écrit que repose la conscience spirituelle de la tradition.116(*) L'écriture est pure présence de l'esprit. C'est exactement c'est que Gadamer confirme en ces termes :

Rien n'est pure trace de l'esprit au même titre que l'écriture, mais rien non plus n'est aussi dépendant de l'esprit qui comprend. Dans son déchiffrement et son interprétation se produit un miracle : la transformation de quelque chose d'étranger et de mort en quelque chose d'absolument Co-présent et de familier. Aucune autre tradition, qui du passé vient à nous, ne peut l'égaler. Les vestiges de la vie passée, les édifices en ruines, les outils, le contenu de tombes peuvent être ravagés par les tempêtes du temps qui les assaillent -mais la tradition écrite, dès qu'elle est déchiffrée et lue, est à tel point esprit pur qu'elle nous parle comme si elle était présente. C'est pourquoi la faculté de lire, la familiarité avec l'écrit, est comme un art secret, voire un charme qui nous libère et nous lie. En lui l'espace et le temps semblent abolis. Quiconque sait lire ce qui est transmis par écrit atteste et accomplit la pure présence du passé.117(*)

Aussi, il faut signaler que le langage est toujours langage de la raison.118(*) Il y a donc une intimité profonde entre la raison (la pensée) et le langage. Car la raison n'est raison que sous forme langagière pour être comprise. Aussi, nous avons dit qu'il existe aussi une intimité entre tradition et langage. La tradition est langage, elle nous adresse la parole qui doit être interprétée et comprise. Dans ce sens, il serait judicieux de penser une intimité entre tradition et rationalité. En effet, le propre du dialogue c'est d'introduire les interlocuteurs dans l'intimité de leur être- même. L'essence de la tradition ne contredit pas celle de la raison119(*). Au contraire, ces deux réalités se meuvent dans une dialectique de question-réponse, rupture- continuité. D'où, il faut combattre l'idée selon laquelle que la tradition est l'ennemie principale de la raison. Au contraire, elle est un partenaire dialogal. Entre les deux, le contraste n'est pas absolu. C'est ce que Gadamer nous dit dans ces phrases :

Il me semble cependant que le contraste n'est pas aussi absolu entre tradition et raison. Autant la restauration consciente de traditions ou la création consciente de nouvelles traditions sont problématiques, autant est également chargée de préjugés et jusqu'au fond d'elle-même fidèle à l'Aufklärung, la foi romantique dans les « traditions organiques » qui imposerait le silence à la raison. En réalité, la tradition ne cesse pas de porter en elle un élément qui relève de la liberté et de l'histoire même.120(*)

* 105 A ce sujet Gadamer dit qu'il est inévitable que le nivellement des formes de vie à l'âge industriel agisse sur le langage. De fait, l'appauvrissement du Vocabulaire fait l'immense progrès, rapprochant la langue d'un algorithme technique. La parole authentique qui a quelque chose à dire et qui pour cette raison n'utilise pas des signes convenus mais cherche les mots à l'aide desquels on peut atteindre autrui, est une tâche humaine générale mais c'est une tâche particulière pour le théologien dont la mission est de transmettre un message écrit. Cfr. Gadamer, L'art de Comprendre. Herméneutique et tradition philosophique. Paris, Aubier, 1982, 40.

* 106 Au sujet de l'oubli de l'Etre du langage, Pierre Fruchon dit ceci : « il y a une pensée qui n'est pas une pensée grecque et qui rend mieux justice à la réalité du langage, en sorte que, dans la pensée occidentale, l'oubli du langage ne pouvait pas devenir total. C'est la pensée Chrétienne de l'Incarnation. Cfr, Pierre Fruchon, Herméneutique, langage et ontologie. In archives de philosophie n°36, 1973, p.550.

* 107 Hans Georg Gadamer, Vérité et Méthode, p. 405.

* 108 Ibid., pp.405-6.

* 109 Ibid., p.

* 110 Pierre Fruchon, « Herméneutique, langage et ontologie », in Archives de Philosophie, n°36, 1973, p.530

* 111 Jean Grondin, Op Cit, p.182.

* 112 Hans Georg Gadamer, Vérité et Méthode, p.411

On peut être approfondir cette étude en revisitant Platon. En effet, dans la 7e lettre de Platon, celui présentent les quatre médiations de la chose. Il y a :- le nom ou le mot (onoma) ; -l'explication ou plus exactement la définition du concept (logos) ;- l'apparence, l'image sensible, l'exemple, la figure(eidolon) ; -enfin, la connaissance. A ceux-ci, il faut ajouter un cinquième élément c'est « l'étant véritable lui-même ». Cfr. L'art de Comprendre. Herméneutique et tradition philosophique. Paris, Aubier, 1982, p.40.

* 113 Ibid., p.500. Il faut comprendre par cette phrase que ce qui est ne peut jamais être compris dans sa totalité. Tout ce qu'un langage entraîne avec soi renvoie toujours au- de là de l'énoncé lui-même. On ne peut comprendre ce qui se dit qu'en cherchant à entendre son non-dit, c'est-à-dire la question ou la constellation de questions d'où ressort ce qui a été proféré. Les mots n'épuisent pas la réalité. Cfr. Gadamer, « Le défi herméneutique », in Revue Internationale de Philosophie, n°151, 1984, P.U.F, pp. 338-339.

* 114 Ibid., pp.338-339.

* 115 Idid., p.412.

* 116 Ibid., p.413.

* 117 Ibid., p.183.

* 118 Ibid., p.424.

* 119 Onaostho dit que la tradition porte la science dans son évolution. Même l'évolution de la techno- science suit la dialectique « prolongement- rupture » de l'ancien, au déjà-là. La modernité, le développement se déploient sur le fond de la tradition. Cfr. « Le développement comme oeuvre de la tradition », in philosophie et conflit des cultures en Terre Africaine, Mélanges offerts au Père Alfons Josef SMET, professeur émérite des F.C.K , Kinshasa, Cerdaf, 2002, p. 170.

* 120 Ibid., p. 302.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld