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De l'être politique au droit à la politique: un essai de compréhension du sens de la politique chez Hannah Arendt

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par Tshis Osibowa Godefroy TALABULU
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2007
  

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III.1.2. A la base de toute politique : la pluralité

Au niveau où nous sommes, nous comprenons que la politique est cet espace et cette activité qui permettent l'épiphanie de l'action. Et cette dernière est celle qui définit l'homme, qui lui donne son sens en lui donnant de répondre à la question `qui es-tu'. Cependant, la politique a pour raison d'être la liberté. Et l'on est libre que par rapport à une pluralité. « Cette pluralité est spécifiquement la condition - non seulement la conditio sine qua non, mais encore la condition per quam - de toute vie politique »38(*). André Enegrén corrobore cette pensée de H. Arendt par ces mots :

Agir seul, voilà le propre du tyran qui, précisément, n'agit pas puisqu'il use d'instruments de violence et traite la matière humaine en maître d'oeuvre. Au contraire, toute action authentique est interaction supposant la riche diversité de l'espace politique qui, s'il repose sur l'être-ensemble, débouche aussi sur l'inter-esse.39(*) 

La pluralité n'est pas une dispersion, elle est d'emblée relation qui ne peut être actualisée que dans le discours : « vivre-dans-un-monde réel et discuter de lui avec d'autres (est) une seule et même chose » La réalité du monde repose sur la « présence simultanée de perspectives, d'aspects innombrables sous lesquels le monde se présente ». Aucune place ne coïncide avec une autre. Mieux, c'est la pluralité des places et des points de vue qui garantit la réalité du monde. Le monde comme tel est donc menacé dès qu'arrive à s'imposer une tendance à superposer les perspectives, à les simplifier, à les réduire à une seule. A l'inverse, plus il y a de perspectives, plus le monde est réel.

Le Qui ne se manifeste jamais à lui-même mais aux autres. Mais cette manifestation n'est pas volontaire, elle est toujours implicite en tout ce que l'on fait et tout ce que l'on dit : je n'en suis ni le maître ni l'auteur, je ne sais jamais exactement ce qui transparaît de moi aux autres lorsque je parle et j'agis. Et pourtant sans cette manifestation aux autres je ne deviendrais jamais un Qui. A la différence du travail et de la fabrication, il n'y a pas d'action solitaire, elle est donc fondamentalement publique. La condition pour la manifestation du Qui est ce que Arendt appelle un espace d'apparence qui est structurellement un espace d'égalité, comme égalité de participation, possibilité de principe donnée à chacun en particulier de se manifester, de commencer sa propre histoire : la pluralité humaine est la paradoxale pluralité d'êtres unique. Avec la notion d'unicité est donnée celle de natalité. Dans la mesure où il s'agit précisément d'action, chacun doit s'y engager de lui-même, en même temps que les autres. En impulsant par nous-mêmes cette insertion, c'est comme si nous naissions une nouvelle fois et assumions notre naissance physique. L'action manifeste ce que nous sommes chacun : un nouveau commencement, un être imprévisible et irréductible à ceux qui nous ont précédés. Imprévisibilité et nouveauté sont les deux grands caractères distinctifs de l'action par rapport au travail et à la fabrication.

Cependant, en pensant la natalité comme une insertion dynamique dans un espace pluriel et égal, H. Arendt se sépare aussi du concept de communication ou de dialogue, issu de la rencontre personnelle entre le Je et le Tu et échoue à rendre compte de la modalité de la parole accompagnant l'action.

L'actualisation de la pluralité chez H. Arendt n'a jamais la forme de l'entente pacifiée du dialogue, elle est au contraire agonistique, c'est-à-dire cet affrontement d'opinions, cette rivalité émulative où chacun cherchant à exceller et à montrer aux autres le meilleur de lui-même. Il s'agit cependant pour H. Arendt de penser cette agonistique, sans la rabattre nécessairement sur le modèle de la lutte qui s'inspire toujours plus ou moins du combat militaire. L'espace public, constitué d'innombrables conflits de volontés et d'intentions, est cependant un état avec les autres et non pour ou contre eux. « Avec », « commun » chez H. Arendt ne signifie ni unanimité ni consensus mais entre. Cet entre n'est jamais visible, jamais totalisable, il est fondamentalement ouvert, impossible à fabriquer, c'est un « réseau » ou un tissu qui se produit entre les hommes à partir du moment où ils manifestent qui ils sont dans la parole et l'action. Le nom que H. Arendt donne à cet entre sans lequel la pluralité ne serait qu'une pure dispersion est le pouvoir.

Le pouvoir est cette union qui s'institue entre les hommes lorsqu'ils prennent une initiative ensemble à l'issue d'une assemblée où chacun, assumant la rivalité et le conflit dans l'élément du langage, a cherché à se manifester lui-même et à faire valoir aux autres son opinion. On ne doit le confondre ni avec la force - qui est une capacité individuelle physique ou intellectuelle - ni avec la violence qui peut détruire ou instaurer une domination, réduisant la pluralité à l'un ou aux deux. Les caractéristiques même de l'« entre » intangible qui s'instaure entre les hommes agissant, font de l'action la plus fragile des activités humaines, la plus exposée à la violence destructrice.

Mais la fragilité de l'action lui vient aussi de son inscription dans la temporalité, de sa finitude. Contemporaine de sa prestation vivante devant/avec les autres, la manifestation du Qui ne dure pas plus que le temps de cette prestation. A la différence de la fabrication, l'action ne produit rien. Dès lors, elle ne peut devenir passé pour les générations à venir que si elle reste dans la mémoire des hommes. Une telle mémoire dépend d'une réification : le récit que d'autres peuvent faire des exploits de quelqu'un.

En plus d'une fragilité, l'inscription temporelle de l'action détermine aussi une frustration. Alors que la fabrication était maîtrise de l'avenir, l'action introduit une irréversibilité dont les conséquences sont imprévisibles. S'insérant dans un réseau préexistant de relations humaines, l'acteur initie quelque chose, et modifie le réseau. Mais dans la mesure même où il ne s'agit pas d'une fabrication, l'initiative individuelle touche forcément une multiplicité d'acteurs qui, à leur tour, répondront d'une façon enchevêtrée sans qu'il soit jamais possible de prévoir exactement l'infinité de modifications et de réponses que suscitera une action localisée ici et maintenant. L'acteur ne maîtrise jamais les conséquences de ce qu'il fait. Il est un déclencheur de processus qui ont pour caractéristique de commencer de façon irréversible sans qu'on puisse connaître leur fin. Pour H. Arendt l'action n'a rien de rassurant, elle déploie au contraire une turbulence susceptible d'introduire elle aussi une illimitation, une hybris. Dans la mesure où le réseau est ouvert, tout un chacun peut en principe y introduire une initiative. De plus, si l'on peut penser que le réseau est parvenu à une certaine stabilité, il est toujours modifiable par l'assaut que doivent prendre les nouvelles générations pour y prendre leur place.

En fin de compte, l'action apparaît comme l'activité qui offre le moins de garantie et de certitude. Dès lors, on peut dire que la politique consiste non pas en un déploiement généralisé de l'action, mais en son institution qui appelle la dimension de la loi chargée d'en rendre l'exercice possible, dans son énergie agonistique mais aussi dans le maintien de l'égalité, afin de garantir à chacun l'égale participation à l'élaboration des affaires publiques. C'est la polis grecque qui a constitué historiquement la première tentative pour remédier à la fragilité des affaires humaines. Son institution centrale était l'assemblée, comme espace délimité par où les citoyens agissent et parlent ensemble sous le double signe de l'isonomie comme revendication à l'activité politique pour tous et de l'iségorie ou égalité d'accès à la parole. La politique est, dans des conditions toujours nouvelles, le signe de la capacité humaine de s'assembler, qui précède, en elle-même, toute « constitution formelle du domaine public et des formes de gouvernement, c'est-à-dire des différentes formes sous lesquelles le domaine public peut s'organiser »40(*)

La politique est donc l'organisation du pouvoir au sens que H. Arendt donne à ce terme. Mais contrairement à ce que beaucoup pensent, Arendt n'idéalise pas la cité grecque, elle en montre aussi les limites, la plus importante étant son incapacité à élaborer une conception politique de la loi, dans la mesure où pour les Grecs la loi était comparable aux murs que la cité érigeait pour se protéger. L'activité du législateur s'apparentait ainsi pour eux à une fabrication. Ce sont les Romains qui ont conçu la loi comme alliance, c'est-à-dire comme capacité de faire coexister des parties autrefois ennemies. De même ont-ils réussi à établir un lien entre le présent et le passé, en rattachant le présent à l'origine d'une fondation, déterminant les dimensions de tradition et d'autorité inconnues des grecs.

La politique n'advient donc que par le consentement à vivre ensemble qui chasse d'emblée la domination de l'espace public ; alors s'exprime le pouvoir du groupe, un pouvoir communicationnel : par sa capacité à élaborer des projets, à mettre en oeuvre des actions dans le cadre d'un dialogue, le groupe devient communauté politique.

* 38 Arendt H., Condition de l'homme moderne, Op. cit., pp. 199

* 39 Enegrén A., op.cit., p. 45

* 40 Roviello A., Op.cit., p.46

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