WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

De l'être politique au droit à la politique: un essai de compréhension du sens de la politique chez Hannah Arendt

( Télécharger le fichier original )
par Tshis Osibowa Godefroy TALABULU
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2007
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

III.2. Le devoir de participer à la vie politique

Après avoir parcouru les contours du concept de politique dans la pensée de Hannah Arendt, force est d'affirmer à sa suite que pour autant que l'homme est un être politique, il est de son devoir de participer à la vie politique et qu'il ne peut lui être étranger au risque d'être sans identité. Mais comment H. Arendt comprend-elle cette participation ? Signalons, avant toute considération que Arendt ne pense pas seulement la politique selon la tradition du républicanisme civique, elle la pense également au sein d'une pluralité d'institutions politiques constitutives du gouvernement. Elle n'est donc pas un penseur anarchiste dans le sens où elle voudrait abolir l'État. Elle est, au contraire, un penseur qui tient à fonder l'État sur la participation populaire.

L'homme, le citoyen est pour elle celui qui participe activement au maniement des affaires humaines. Il est le codirigeant de la cité. H. Arendt se réfère au modèle des citoyens athénien, romain, révolutionnaire français, américain, russe, hongrois et au communard de 1871. Ces exemples historiques et politiques où les hommes ont pu saisir la portée de leur participation à la vie de la polis, et de ce fait leur accomplissement, sont pour notre auteur des stimuli qui doivent réveiller notre oubli et désintéressement vis-à-vis de la chose politique.

Par ailleurs, Arendt est aussi consciente de sa société moderne. Pour elle, la modernité politique n'est pas seulement constituée de citoyens participant activement à la vie politique, elle englobe aussi, dans sa tentative même de fonder un nouvel État, un gouvernement qui doit représenter les citoyens. Autrement dit, la politique ne se réduit pas à l'expérience de la liberté politique dans un espace public, elle développe aussi un rapport entre le citoyen et l'État.

III.2.1. La représentativité

Le citoyen arendtien est cet homme qui quitte le domaine privé pour exercer la liberté politique avec ses semblables. Pour fonder la vie politique arendtienne, il ne s'agit pas simplement d'agir de façon concertée, il s'agit aussi de dégager de l'ensemble des citoyens les meilleurs délégués, les meilleurs politiques, qui formeront le gouvernement. C'est ce gouvernement qui `représente' l'ensemble des citoyens. Sa légitimité provient des corps politiques subalternes.

En effet, H. Arendt se rapporte à l'expérience de la Révolution américaine, pour mieux associer sa compréhension de la représentativité politique par rapport à la société grecque. Elle identifie d'abord deux principes qui président à l'action révolutionnaire américaine : en premier lieu, « le principe des promesses mutuelles » entre les citoyens américains, combiné, en second lieu, avec celui de « la commune délibération »41(*). Ces deux principes furent actualisés, selon elle, dans la multitude des associations volontaires américaines. C'est par la conviction de partager un monde commun que les citoyens américains s'étaient réunis dans ces associations afin de poursuivre leur but : fonder un gouvernement établi sur la liberté. Pour H. Arendt, les citoyens américains connaissaient, avant même le déclenchement de la révolution, une vie politique riche constituée de différents corps politiques (comtés, communes, etc.) dans lesquels les Américains « s'unissaient et s'engageaient mutuellement par des promesses, des conventions et des pactes »42(*). Puisque les Américains partageaient des principes de conviction actualisés dans le domaine politique, cela démontrait aux yeux d'Arendt le dynamisme de la vie politique américaine prérévolutionnaire. « La différence unique et déterminante entre les établissements d'Amérique du Nord et les autres entreprises coloniales fut que seuls les émigrants britanniques avaient insisté, dès le début, pour se constituer en corps politiques civils »43(*). Ceux-ci n'étaient cependant pas des institutions politiques dans lesquels les uns gouvernent et les autres obéissent. Ils « n'étaient pas des gouvernements ; ils n'impliquaient pas la domination, ni la division entre gouvernants et gouvernés »44(*). En faisant l'expérience de la liberté politique et en rejetant le principe de violence, les Américains ont redécouvert ainsi « la grammaire élémentaire de l'action politique ». Animés du goût pour le bonheur public, « le fait de participer aux affaires publiques », les Américains ont exercé leur métier de citoyen, leur responsabilité civique avant la lettre.

Les Américains n'avaient pas seulement fait l'expérience de la liberté politique, ils avaient avait fondé un nouveau type de gouvernement. Pour H. Arendt, la légitimité de ce dernier provenait précisément des pactes et des promesses qui liaient les différents corps politiques entre eux. Ce gouvernement était ainsi « organisé du sommet à la base, c'est-à-dire, en corps dûment constitués dont chacun était autonome, pourvu de représentants librement choisis par le consentement d'amis et de voisins affectionnés »45(*). Autrement dit, le pouvoir constituant de chacun de ces espaces politico-publics américains fondait leur propre légitimité et les promesses mutuelles liaient chacun de ces corps représentés par un délégué et qui, s'élevant par échelons, établissaient le gouvernement. En reliant la base, le peuple, avec l'État, les révolutionnaires américains étaient ainsi parvenus à fonder une nouvelle res publica.

Nous pouvons aussi nous permettre de faire un rapprochement entre le gouvernement républicain et américain avec le type de gouvernement fondé sur les conseils que H. Arendt décrit dans Du mensonge à la vérité et précisément dans la partie `Politique et révolution'. Ce système reposait en effet sur un système pyramidal hiérarchique de conseils dans lesquels « celui qui est le plus qualifié va exposer les vues du conseil devant les membres du conseil situé à l'échelon supérieur (...) pour aboutir finalement à un Parlement »46(*). Bien que le système des conseils n'apparaisse pas, selon H. Arendt, avec l'avènement de la Révolution américaine mais seulement avec le surgissement de la Révolution française, il n'en demeure pas moins que pour H. Arendt les Américains étaient parvenus à fonder leur République parce qu'ils s'appuyaient sur ce système de pouvoir. Par là, on voit bien, pour anticiper un peu, qu'Arendt n'est pas contre toute forme de représentation, puisque les délégués issus des conseils représentaient en dernière instance l'ensemble du pays. Ils parlaient pour l'ensemble des citoyens.

Cette conception de la représentation politique diffère, bien sûr, passablement de la notion de représentation dans la démocratie libérale moderne. Mais, au demeurant, cela signifie qu'il y a bien un caractère représentatif dans le politique arendtien. Notons ici que les citoyens n'ont pas tous la même fonction politique chez elle car certains d'entre eux deviennent des délégués. Leurs responsabilités politiques sont donc supérieures à celles des « simples citoyens ».

Les expériences arendtiennes de vie politique partagent un point commun : le peuple est toujours convié à exercer le pouvoir politique. Elles ne partagent pas, en revanche, cet autre caractère du politique arendtien, le système des conseils. Nous avons vu en effet que ce système apparaît seulement à l'époque moderne. Arendt ne pense donc pas seulement le politique à partir des catégories grecques. Il ne suffit pas ainsi pour elle que les citoyens agissent de concert, il faut encore qu'ils essaient d'établir l'autorité politique suprême constituée des meilleurs citoyens. Tous les citoyens sont égaux chez H. Arendt ; mais les meilleurs d'entre eux sont appelés à fonder l'autorité suprême. Représentation et participation sont constitutives de la citoyenneté arendtienne.

Cependant, Hannah Arendt, scrutant sa société, ajoute, à propos de la représentation, que « c'est l'un des problèmes les plus critiques et difficultueux de la politique moderne depuis les révolutions. »47(*) Et il est vrai qu'aujourd'hui les sociétés modernes, clamant à tout prix la démocratie, n'arrivent pas toujours à faire participer le peuple. On assiste à des cas où soit la représentation est un substitut de l'action directe des citoyens et elle laisse place à un espace d'action et de parole qui n'est plus réservé qu'aux représentants du peuple. Dans ce cas la démocratie n'est qu'une oligarchie, dans la mesure où le bonheur et la liberté publique sont redevenus le privilège du petit nombre. Soit la représentation restreint l'initiative des représentants, en les dotant d'un mandat impératif strictement contrôlé par les mandants. Dans ce cas, ils sont privés de toute action et le gouvernement se réduit à n'être qu'une administration.

Par ailleurs, l'existence des partis politiques, formés en vue de faire élire un maximum de leurs membres au gouvernement, est inséparable du gouvernement représentatif. Certes, les partis divisent le corps électoral, affinent le rapport du représenté à la représentation et permettent un certain contrôle des citoyens sur le gouvernement. Leur objectif n'est cependant pas d'assurer une participation directe des citoyens aux affaires publiques, mais de faire parvenir leurs membres aux affaires avec le soutien des citoyens qui votent pour eux.

Le problème que pose la représentation est celui de savoir ce qui, politiquement, est à proprement parler représentable, c'est-à-dire délégable à un autre, de telle sorte que par lui, je sois présent tout en étant absent. Or, de plus en plus, est notre constat, le champ politique tend à se refermer de plus en plus sur lui même, le jeu politique étant de plus en plus une affaire de spécialistes. La distance se crée entre les représentants et les représentés. Ces derniers, toujours nombreux et novices, sont affaiblis par l'expertise et la sophistique que revêt la politique aujourd'hui. D'où, Arendt trouve nécessaire d'étudier les concepts tels que vérité, mensonge et opinion dans le contexte un contexte politique où l'incompréhension de l'une de ses notions peut occasionner un désintéressement du citoyen à la chose politique, et par là, perdre sa vraie responsabilité et son identité.

III.2.2. De la responsabilité de penser sa situation

Le vrai problème de Arendt, en fait, peut se résumer en une invitation à penser ces trois concepts : l'histoire, la mémoire et la responsabilité pour une perspective d'une humanité responsable et humanisée. En effet, après avoir constaté la rupture de l'homme moderne d'avec la tradition, toute l'insistance de notre auteur se résumera à `penser ce que nous faisons'. Or, penser implique un effort de se référer tant soit peu à l'histoire. Cette dernière est d'autant plus importante car elle sert de socle sur lequel tout un peuple peut s'asseoir pour bien vivre son présent et orienter son avenir. C'est comme Tocqueville qui dira : « Le passé n'éclairant plus l'avenir, l'esprit marche dans les ténèbres »48(*) Un peuple sans histoire est voué à sa disparition et, nous semble-t-il, la connaissance et l'intériorisation de son histoire constitue le point de départ du processus de développement.

D'aucuns penseront que H. Arendt est pessimiste au regard de la situation politique actuelle et dont nous avons fait l'actualisation en Afrique. Il nous semble que, après nous être efforcé à comprendre sa pensée, H. Arendt ne se réclame nullement de la tradition philosophique héritée des Anciens ni ne s'élève contre une modernité jugée décadente dans son ensemble.

Là où le commun des mortels pose un doigt accusateur sur le nazisme comme l'incarnation du mal et donc unique responsable de la tragédie juive, le Bourreau, elle refuse d'innocenter purement les juifs et refuse que d'autres soient pris pour des boucs émissaires et eux-mêmes, les juifs, des victimes innocentes.49(*)

Son propos est clair devant ses contemporains: `rien de plus que penser ce que nous faisons' ! H. Arendt interpelle l'homme, sa responsabilité devant ses propres actes. Il serait absurde, après avoir médité son histoire, exercé sa mémoire de rester insensible quand aux leçons à tirer pour le présent et le futur, de même que pour un chrétien qui a médité le mystère de la mort et la résurrection du Christ, laisser jaillir, à la suite des apôtres, son kérygme paraît être l'aboutissement de sa démarche de foi.

H. Arendt apprécie le pas effectué par ses contemporains avec l'instauration de la démocratie. Constituer un monde commun qui assume la pluralité,une pluralité qui ne soit pas la pluralité des mêmes mais la pluralité des différents, car l'égalité ne signifie pas l'identité, tel est l'objectif de la démocratie dont H. Arendt a redéfini longuement les modalités face à la catastrophe totalitaire. Car la démocratie n'est pas un fait, qui serait garanti par une déclaration fondatrice  : c'est une réalité en mouvement toujours imparfaite, qui ne cesse pas de devoir être interrogée , contestée et redéfinie au nom même de son principe. Elle repose sur un dialogue permanent où chacun, chacune, doit pouvoir faire entendre sa voix : voix qui ne peut être réduite au seul rituel de la pratique électorale. Les mots de Père Valadier interprètent avec justesse l'invitation de H. Arendt à ses contemporains :

Sommes-nous sortis de l'horreur? Ne pourrait-on pas interpréter les abominations d'un siècle, non comme le signe du règne inéluctable du Mal, mais comme le trop long égarement hors des sentiers de la sagesse? En ce cas, il faudrait dire que la victoire de la démocratie sur les totalitarismes est un témoignage heureux de la fin de l'exceptionnalité tragique. (...) Cependant, une leçon à tirer de l'expérience tragique du XXème siècle consiste à ne pas s'endormir sur des illusions. Aucun système institutionnel n'est à l'abri de la corruption, et la démocratie pas plus qu'un autre. Fatigue et usure des institutions qui, avec le temps, perdent de leur pouvoir régulateur ou se compliquent à l'excès; impuissance des gouvernants à la décision, parce que débordés par la mondialisation ou timorés devant l'opinion publique; domination des lobbies et corruption par l'argent; individualisme grandissant, qui replie le citoyen sur ses seuls « droits » et ronge le lien social ; domination apparemment immaîtrisable de la recherche scientifico-technique qui, à nouveau sous l'invocation du bien le plus grand de l'humanité (thérapie, santé, progrès des connaissances), peut conduire à des pratiques redoutables (génétique, neurosciences...), et donc engendrer des formes nouvelles du mal politique. Faut-il conclure que la démocratie est « un moindre mal », qu'elle est, selon une expression nietzschéenne, une faute de mieux par excellence ? Peut-être, mais il faut éviter d'entretenir ces formes de pessimisme qui contribuent au nihilisme et démobilisent devant de nouvelles formes du mal; il faut plutôt, sans illusions ni pessimisme a priori, entretenir et fortifier les convictions démocratiques de nos contemporains. Après tout, celles-ci reposent sur une idée de la raison : à savoir que mal ou violence ne sont pas les derniers mots de tout, mais que, dans la lucidité devant leur présence, l'homme peut vouloir instituer du sens plutôt que ne rien vouloir ou vouloir le rien. Kant l'avait dit : le mal n'est pas le principe premier, et même si, à certaines époques, il semble tout emporter sous sa loi tyrannique, il faut le désigner pour ce qu'il est, le règne du maléfique quand les hommes s'abandonnent à leurs démons, au lieu de chercher incessamment de quel bien ils sont capables, et quel Bien leur fait signe à travers leurs recherches. La honte éprouvée par Arendt devant l'humanité fait écho à la sagesse de Sophocle lorsque le choeur proclame, au début d'Antigone : « Beaucoup de choses sont inquiétantes, mais aucune n'est plus inquiétante que l'homme. » Et si, selon la Bible, la vraie sagesse commence par la crainte de Dieu, on peut ajouter, avec le tragique grec, qu'elle passe aussi par la crainte de l'homme. Seuls ceux qui connaissent de quoi l'homme est capable dans le pire peuvent espérer en lui, sans illusion et en vérité.50(*)

* 41 Arendt H., Essai sur la Révolution, Gallimard, Paris, p. 316

* 42 Ibid., p. 268

* 43 Ibid., p. 247

* 44 Idem

* 45 Ibid., p. 259

* 46 Arendt H., « Politique et révolution » in Du mensonge à la vérité, Calmann-Lévy, Paris, 1971, pp. 240-241

* 47 Arendt H., Essai sur la Révolution, Op.cit., p. 261

* 48 Cité dans la Préface de Hannah Arendt, La crise de la culture, op.cit. p.15

* 49 Amiel A., Op.cit., p.13

* 50 Paul Valadier, « Le mal politique moderne » in Etudes 2001/2, Tome 394, pp. 205-207

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots"   Martin Luther King