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De l'être politique au droit à la politique: un essai de compréhension du sens de la politique chez Hannah Arendt

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par Tshis Osibowa Godefroy TALABULU
Faculté de philosophie Saint Pierre Canisius - Bachelier en philosophie 2007
  

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III.3. Penser l'Afrique avec H. Arendt : Histoire, Mémoire et Responsabilité

La mémoire est tour à tour souvent décrite comme une construction, et comme éruption de souvenirs, oubliés ou refoulés. Et une de la mémoire peut conduire à des attitudes réactives ou régressives d'autant plus fortes que l'origine de ces attitudes n'est pas reconnue. De même que, inversement, un trop-plein de mémoire, une mémoire ressassée peut stériliser l'action tournée vers l'avenir, une mémoire sans discernement peut fausser le jugement. N'avons-nous pas entendu chez beaucoup d'Africains des invitations à "quitter la position de victime" que peut provoquer le souvenir de la Taite négrière et de la colonisation, des guerres et conflits, position qui stériliserait la prise en charge responsable de sa vie et de la société ? Il nous semble que revenir à l'un des drames les plus profonds de l'humanité, c'est chercher à en comprendre les ressorts, comprendre les mécanismes, c'est faire en sorte qu'il ne se reproduise plus aujourd'hui. C'est cela l'invitation de H. Arendt quand elle nous demande de penser ce que nous faisons. Elle réfléchit sur le totalitarisme dont elle a été victime. Dès lors, après l'avoir cerné, elle peut alors penser autrement la condition de l'existence humaine dont l'essence est incompatible avec la violence et la domination.

Dans la plupart des sociétés africaines, victimes des conflits et guerres, tout un pan de l'histoire peut être «oublié« et «refoulé« dans la précipitation, et dans l'urgence de reconstruire, au détriment d'un véritable travail d'analyse des évènements, et dans la plupart des cas au détriment des victimes qui devront sacrifier leurs souvenirs individuels pour la garantie de la survie du groupe. Or, les souvenirs refoulés par un groupe ou par des individus ne sont pas entièrement oubliés. C'est pourquoi les idées de reconstruction et d'amnistie souvent prônées par les gouvernements après les conflits afin de créer un début de paix sociale, peuvent s'avérer aléatoires et resurgir des années plus tard sous forme de conflits sociaux, revendications des victimes, ainsi que de ségrégation entre différents groupes. De là découle l'instabilité notoire d'une paix durable.

Pourtant, la mémoire est comme cette huile nous permettant d'allumer nos lampes du passé pour obtenir la lumière qui guide nos pas dans l'exercice de la politique. Si la réflexion arendtienne a pris sa source suite à l'événement du totalitarisme, cette dynamique autodestructive reposant sur une dissolution des structures sociales et une terreur permanente, prônant le primat de l'appartenance à une masse informe sur l'identité sociale des individus, nous sommes invités, aujourd'hui, à la suite de H. Arendt, de réfléchir sur la politique dans les sociétés africaines.

L'Afrique semble aller à vau l'eau  en se perpétuant dans les crises politiques infinies. Cet état critique et les tensions qui s'entremêlent font désespérer le continent qui est en train de perdre son ancienne base de grandeur morale pour s'enraciner dans les fondements de ressentiment, de domination et de volonté de puissance. Or, ces fondements montrent leur fragilité et leur impuissance lorsque des crises subsistent. La gestion de ces crises aboutit à un terrorisme particulier, elle entretient la psychose d'une guerre civile aux contours indéterminés. Cette psychose atteint son pourrissement dans l'auto-exclusion de certaines masses de la population qui craignent l'extermination et se résignent à la soumission à l'arbitraire du cercle de fer. N'est-ce pas là reproduire l'image des régimes totalitaires qui déshumanisent et réduisent la politique à l'idéologique ?

Dans un système totalitaire, comme le montre H. Arendt, la liberté humaine est bafouée par la volonté d'une personne ou d'un groupe de personnes qui utilisent la force, la violence et la domination pour garantir leur pouvoir. Or la liberté constitue la raison d'être de la politique. Il s'ensuit que là où la liberté humaine ne constitue pas le souci primordial de tout système politique, il n'y pas de politique au vrai sens et par ricochet, nous ne pouvons pas parler d'une éventuelle humanité car la liberté, c'est ce qui permet à l'homme de s'accomplir, d'échanger avec ses égaux aussi bien en actes qu'en paroles, d'initier et de commencer quelque chose de nouveau, d'épouser ou de réfuter les opinions des autres, d'assumer et d'accepter que ses opinions soient aussi rejetées lors d'un débat public... Tâche difficile pour la politique dans les sociétés africaines qui sont, bien que démocratiques, caractérisées par une monopolisation et en une privatisation des affaires politiques par et entre les mains d'un groupe réduit autour du pouvoir en place. La plupart des pays d'Afrique ont connu des gouvernements dictatoriaux avec parti unique, durant au moins vingt ans. Chaque fois qu'on y parlait d'élections, c'était obligatoirement en vue de reconduire le même président.

Il faut reconnaître pourtant que laisser ainsi un peuple entier en marge des affaires engageant sa vie, le priver de la vie publique (donc de son humanité), c'est banalement l'animaliser, et Hannah Arendt pourra même dire que c'est gérer le pays à la manière d'une famille où il y a la dictature du chef de famille qui donne des ordres que d'autres exécutent sans riposte.

Par ailleurs, H. Arendt souligne l'importance de la pluralité comme étant la condition même de toute politique. Cette dernière engage les citoyens, qui doivent, pour ce faire, dire leur mot au sujet des affaires publiques de la communauté et débattre de ces affaires avec leurs égaux. Cette pluralité implique la distinction et l'égalité des membres présent dans l'Agora, chacun sui generis, apportant les fruits de ses pensées, ses opinions, en vue d'une mise en commun et d'une effectuation d'un choix qui engage le nous dans un processus de `bien-vivre-ensemble'. Cela veut dire que tout le monde participe aussi bien directement qu'indirectement à la gestion de la cité dont la direction est confiée aux meilleurs parmi les autres, ceux dont les idées ou opinions et les vertus sont reconnues et estimées par d'autres. De même que H. Arendt a vivement condamné le système totalitaire qui anéantit l'individu et sublime l'autorité du chef ou d'un groupe de personnes avides du pouvoir, réduisant la pluralité au conformisme, de même nous remettons en question les régimes politiques africains qui, aux apparences démocratiques, copient sans coup férir et sans exercice aucun de mémoire, les bévues du passé. Ces régimes réduisent ainsi la politique à l'idéologique où les puissants se créent des partis de fanatiques et usent de tous les moyens pour garantir leur pouvoir. En effet, écrit Ouraga Obou,

Pour la majorité des régimes politiques africains, le pluralisme a l'inconvénient de favoriser la division politique, d'émietter et éparpiller les forces du peuple, d'encourager la corruption, le tribalisme et les passions partisanes, de laisser des hommes de valeur se constituer en opposition et se livrer à la critique au lieu de participer à l'effort national et surtout d'entraîner des luttes de clans groupés autour de personnalités avides de pouvoir et risquant de dégénérer très rapidement en tentatives de coup d'Etat. Qu'il soit de jure ou de facto, le parti unique détruit le système de poids et de contrepoids d'un régime de séparation des pouvoirs et permet au père-fondateur de la Nation de contrôler tous les mécanismes électoraux pour se maintenir au pouvoir.51(*)

Tout se passe comme si l'Autre était inapte à vivre,  comme s'il était une punaise qu'on doit exterminer par la machette ou par les fusils. On assassine les individualités, on détruit les spontanéités et « l'ennemi objectif » est la tribu de l'Autre, son ethnie ou  les adeptes de sa religion. C'est le conformisme, le désir de voir tout le monde en parfait accord avec soi.

Si, en outre, la politique a pour raison d'être la liberté et la pluralité sa condition, l'action et la parole, nous dit H. Arendt, constituent les moyens de son actualisation. Les hommes libres et égaux, réunis dans l'Agora, discutent et échangent des idées, des opinions et cherchent l'opinion la meilleure par rapport à la destinée de la polis. Cette opinion la meilleure se manifeste dans l'action que le nous entreprend pour se réaliser. Notre auteur ne pouvait pas ne pas, face à l'échec de la violence et de la domination ou encore la banalisation du mal que le totalitarisme a introduit, faire appel au modèle politique ancien se reposant harmonieusement sur la parole et l'action. De même que l'Europe, qui a su tirer profit de ses erreurs du passé, a réactualisé les moyens anciens de la parole et de l'action, il est grand temps, pour l'Afrique, de passer à cet exercice de mémoire pour découvrir combien la violence et la domination n'ont pas résolu, de quelque manière que ce soit, ses attentes les plus profondes. Il est temps de se poser toujours la question fondamentale suivante : Quel est le but de la politique en Afrique ? Si  les conflits y sont récurrents, cela est assurément dû aux problèmes politiques mal résolus. Ceux-ci  exigent que l'on fasse  voir les choses essentiellement sous l'angle de l'intégration et de la concorde. La politique moderne est dit `civilisée' et se doit de substituer la discussion aux fusils, le dialogue aux rebellions. Elle doit être un effort sans fin pour éliminer la violence, du moins pour la restreindre. Son rôle doit être celui de modérer les conflits par des compromis en vue de favoriser une intégration dans laquelle chacun des membres de la société se sent comme acteur de la vie  politique, où chacun  trouve un épanouissement total de son être dans une sorte d'interaction circulaire sans bornes. 

Dans l'Afrique actuelle, avec l'avènement de la démocratie, l'éducation est en désuétude car les référentiels moraux sont en train de chuter : il s'agit du respect de la chose donnée et de la chose jugée, de l'engagement pris, de la nécessité du dialogue pour résoudre les différends, de la préférence de la vérité au mensonge, de l'essence à l'apparence. Même la parole devient biaisée, et surtout avec le développement de techniques médiatiques. N'a la parole que celui qui détient le pouvoir. Souvent l'opposition, aux contestations authentiques, se trouve isolée et outrageusement faible, en face d'un ennemi omniprésent et outrageusement fort. On déforme la vérité en sa guise. L'homme politique moderne, au grand regret de H. Arendt, est associé au `menteur', qui se considère comme un renard en face d'un peuple, ce prétendu « phénix des hôtes » de l'Ëtat, ce « corbeau » des fables de la Fontaine, qui s'entre-déchire pour un pseudo fromage  qu'il ne mangera pas, probablement qu'il ne verra jamais. N'est- ce pas que «tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute » ?52(*)  

* 51 Ouraga Obou, « Essai d'explication des crises politiques en Afrique » in Débats, n°1-janvier 2003, p. 18

* 52 Voir à sujet « Le corbeau et le renard » in Fable de la Fontaine.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams