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Pour une loi cadre sur l'eau en Haiti

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par Montes Charles
Universite d'Etat d'Haiti, Faculte de Droit et des Sciences Economiques - Licence en Droit 1986
  

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Section 2- LES ENJEUX D'UNE BONNE GESTION DE L'EAU EN HAITI

Les enjeux dans le secteur eau en Haïti sont complexes et diversifiés. L'enjeu peut se définir comme ce qui peut se gagner ou se perdre dans une situation donnée, ce qu'un acteur mise ou risque, ou encore ce qu'il vise à travers le jeu complexe des interactions.

1. Les enjeux dans le secteur eau en Haïti

§ L'enjeu de l'alimentation en eau potable

Le premier enjeu de l'eau est celui de l'alimentation en eau potable. L'eau est indispensable à la vie. `Comme la vie a évolué dans l'eau pour la plus grande partie de son histoire, nos constituants fondamentaux, les cellules, sont étroitement dépendantes de l'eau pour leur fonctionnement et donc pour leur survie'5(*)

De l'eau potable consommée sur le plan domestique, à peine 1% sert à l'alimentation humaine proprement dite en tant qu'eau de boisson. Mais les autres usages domestiques sont importants pour la santé humaine : cuisine, lessive, soins d'hygiène, toilettes et autres, sans oublier la protection contre l'incendie. Si l'on affirme globalement la mauvaise qualité de l'eau potable en Haïti, on signale du même souffle la vétusté de la réglementation, les risques d'infection virale et microbienne liés à la mauvaise qualité de l'eau brute et un certain nombre d'inquiétudes nouvelles, notamment celles touchant les trihalométhanes. Les mêmes inquiétudes concernent les gens alimentés par des puits domestiques, parce que les contrôles sont inexistants et parce que les cas de (fosses septiques pollution bactériologique et autres semblent fréquents inadéquates, puits mal colmatés, pollution agricole diffuse).

Sauf quelques cas assez rares, il y a en Haïti de problème de disponibilité d'eau potable. Selon les experts, en Haïti sur une population de 8 millions d'habitants, seulement 52,3% sont couverts par une alimentation en eau potable. Il existe également des problèmes de qualité liés aux normes elles-mêmes, aux types de contrôle, à la contamination des réseaux, voire même à la compétence des opérateurs. En ce domaine, l'attente du public est énorme, d'autant plus que le doute sur la qualité de l'eau potable incite certains consommateurs à utiliser de l'eau embouteillée ou à acheter des appareils de filtration supplémentaires, solutions souvent coûteuses et qui ne sont pas sans risque non plus. L'enjeu de l'eau potable et de sa qualité devrait inciter donc à une série de mesures : réforme de la réglementation, contrôle plus rigoureux dés puits individuels, campagnes d'information, etc.

La qualité de l'eau potable renvoie donc directement au défi de la santé. Mais elle renvoie aussi à la confiance que la population peut avoir dans le système social et technique qui lui achemine cette eau. Si la confiance se perd, si le système devient sous performant, assistera- t- on à la recherche de solutions de rechange où les pauvres auront accès à une eau bon marché et peu sûre alors que les riches pourront se payer une eau sans risque ? L'enjeu social et politique rejoint ici la dimension santé.

§ L'enjeu de la protection des milieux aquatiques

Un fleuve, une rivière, un lac ne sont pas simplement des masses d'eau. Ce sont des milieux de vie, des écosystèmes où s'établit un réseau alimentaire plus ou moins complexe, plus ou moins diversifié selon les conditions du milieu : température, vitesse des courants, oxygène, état des rives, profondeur de l'eau, etc. S'il fut un temps, un très long temps, où nous avons pu simplement considérer les milieux aquatiques comme de simples lieux pour satisfaire nos besoins (pour l'eau potable, la pêche, comme égout ou dépotoir, comme lieux de remblai), nous comprenons beaucoup mieux maintenant la dynamique propre des milieux aquatiques comme milieux de vie.

Maintenant que l'on comprend mieux la richesse et la diversité des milieux aquatiques ainsi que leur fragilité, leur protection devient un enjeu crucial. Le laisser-faire n'est plus tolérable. Par exemple, les milieux humides (étangs, mares, marécages) ont subi la pression implacable des développements urbains, en sorte que ceux qui restent acquièrent une valeur désormais unique. En conséquence, la politique relative à la protection des rives et aux zones inondables s'impose comme une question essentielle.

On estime maintenant qu'un des impacts les plus importants qu'ait subis le régime hydrique haïtien a été consécutif aux interventions dans le milieu agricole. Des centaines de kilomètres de cours d'eau, souvent situés à la tête des bassins versants, ont ainsi cessé d'être des milieux de vie pour devenir des canaux d'évacuation de l'eau que certaines appellent « décharges agricoles.». Bien sûr, l'objectif est en soi louable : aménager les terrains pour faciliter les travaux agricoles, allonger la saison productive et, donc, améliorer les rendements. Pour cela on a donc creusé, reprofilé les ruisseaux et les petits cours d'eau. Le résultat fut la dégradation de la vie de ces milieux.

C'est à cet enjeu encore que se rattache le débat autour de la bande de protection des rives en milieu agricole et en milieu forestier. Le rendement strictement financier et individuel pour l'agriculteur et le forestier peut-il être évalué au regard des bénéfices attribués à une meilleure qualité du milieu, une productivité biologique globale accrue, une eau de meilleure qualité ? La question est à la fois technique (quelles sont les meilleures manières de faire), économique, politique et sociale.

Ce que nous disons ici de l'agriculture peut aussi être affirmé pour les autres utilisateurs, où un certain usage de la ressource risque de modifier profondément l'équilibre d'un milieu et empêcher d'autres usages. Chose certaine, si les milieux aquatiques sont encore et toujours convoités 'pour certains usages, ils sont également perçus comme des milieux à préserver ou, tout au moins, comme des milieux fragiles dont il faut prendre soin dans une perspective plus globale.

§ L'enjeu économique

Le développement de la société industrielle, y compris dans le domaine agricole, et le changement des modes de vie font émerger une question nouvelle, déjà présente depuis longtemps mais largement occultée : celle du coût de l'eau. L'eau utilisée n'est plus une donnée naturelle qu'on cueille à la source ou à la rivière. Elle est le résultat d'une production sociotechnique tant du côté de l'eau potable (pompage, filtration, distribution) que du côté de l'épuration (collecte des eaux usées, système d'égout, épuration). L'eau coûte cher. Or, la crise actuelle de l'État et des finances publiques a soulevé la question du prix de l'eau en Haïti. Si l'eau coûte quelque chose, doit-elle avoir un prix ? L'eau doit-elle demeurer un bien public offert gratuitement aux citoyens, ou peut-on charger aux usagers les coûts afférents aux services qu'ils reçoivent ?

Pour plusieurs raisons, les coûts de l'eau iront croissant : vieillissement des installations, étalement urbain, exigences plus grandes pour rendre l'eau potable et assainir les eaux usées, pollutions à long terme mieux identifiées, pressions accrues sur les ressources, aspirations sociales plus élevées et plus diversifiées pour l'usage des plans d'eau. L'État sera t-il capable de répondre à ces attentes exponentielles ? L'État doit-il tout assumer ? Ou doit-il y avoir un prix clairement identifié qui traduise fidèlement les réels coûts de l'eau ? En ce cas, qu'arrivera t-il à ceux et celles qui ne peuvent payer ce prix parce que trop pauvres ? Plus encore, la régulation du système d'eau peut-elle être assumée par le marché ? La prise en charge des systèmes d'eau sera t-elle réalisée d'une manière plus efficace et plus efficiente par une gestion étatique, une gestion privée ou un système mixte? Bien au-delà des enjeux économiques d'un marché de l'eau, sur le plan national ou international, pour l'eau de surface comme pour l'eau souterraine, la question touche au rôle de l'État et à la perception de l'eau comme ressource vitale à la vie, comme réalité primordiale.

De fait, une politique de protection de l'eau en Haïti doit se concevoir dans un cadre général incluant la dimension économique et la dimension sociale. Une chose demeure claire : à court et moyen terme, les coûts de l'eau vont devoir augmenter, et de façon prodigieuse, parce que l'attente sociale est vive et que les objectifs de santé, de qualité du milieu, de qualité de l'eau vont obliger l'État à poursuivre ses efforts et à investir dans des travaux importants et certains secteurs économiques (les industriels et les producteurs agricoles) à changer leurs pratiques et à assumer la dépollution.

Or, l'Etat Providence est mis en question, d'où les hypothèses de délester l'État de ses charges, de passer de l'État entrepreneur à l'État stratège en recourant au secteur privé ou en refilant la facture aux usagers et aux pollueurs. Plusieurs questions demeurent apparemment sans réponse. La considération du coût réel risque-t-elle de nous conduire vers la logique du prix de l'eau, faisant ainsi passer l'eau dans le domaine des choses commercialisables ? Et cela est-il socialement et éthiquement acceptable ? Devrons-nous alors conclure que nous n'avons pas les moyens de notre désir ? Vers quelle forme de compromis faut-il aller ?

En ce sens, l'enjeu économique dépasse très largement les questions de la privatisation - partenariat et de la facturation à l'usage pour les consommateurs domestiques. Il est évident que la gestion de l'eau en Haïti a été un domaine fortement socialisé et subventionné et qu'il n'est ni opportun ni prudent maintenant de briser brutalement cette tradition. Mais quelles réformes entreprendre et à quel rythme ? Il y a un défi politique à distribuer la facture pour que le coût de l'eau soit effectivement assumé par la taxation générale ou encore par différentes formes de tarification.

Il y a tout lieu de penser que la crise se dénouera à long terme grâce à l'implantation de la gestion par bassin versant et grâce à la mise en oeuvre d'un système de redevances qui instaurera, pour le secteur de l'eau, de nouvelles manières de faire dans la considération de l'efficacité, de l'efficience et de l'équité sociale.

§ L'enjeu de société

Haïti accuse un net retard quant à la gestion de son eau, considérant le fait qu'elle en a moins qu'elle en a besoin et qu'il en manque en plusieurs endroits. D'ici à 2025, l'indice de pénurie établie par les Nations Unies montre que l'eau est déjà, ou va devenir, une contrainte majeure pour le développement de beaucoup de pays, dont Haïti.

Par ailleurs, nos concitoyens sont sensibles à la disponibilité de cette eau, à son prix, mais surtout à sa qualité. La pollution par les nitrates ou les pesticides font l'objet d'une médiatisation croissante et sont devenues des préoccupations du quotidien. Ils exigent également davantage de lisibilité et de transparence dans les services d'eau et d'assainissement. Enfin, l'ensemble des citoyens a également conscience des impacts qu'il induit sur la ressource en eau et les milieux aquatiques : tout consommateur est lui-même un pollueur. Il me semble important de rappeler que la Constitution de 1987 a érigé l'eau comme patrimoine public de la Nation. Depuis lors, nous souhaitons que des comportements plus respectueux de l'environnement puissent se développer dans tous les secteurs de la société.

§ L'enjeu démocratique

L'enjeu démocratique est lié à ce que l'on pourrait appeler le principe de la participation. Il n'est pas suffisant de consulter une fois seulement puis de prendre les décisions en se laissant plus ou moins influencer par les désirs et attentes jamais unanimes des citoyens. Il faut aussi prévoir l'inscription du principe démocratique au sein de la gestion elle-même. Ce principe implique une information de qualité en provenance des acteurs institutionnels (ministères, sociétés, municipalités), le maintien de la recherche et la diffusion de la connaissance. Il postule aussi un effort constant d'information, de sensibilisation et d'éducation, ainsi que la mise en place de mécanismes de participation particulièrement au palier des municipalités, et de ce qui se profile à l'égard de la gestion par bassin versant. Sur ce dernier point, l'hypothèse de mettre en oeuvre la gestion à l'échelle des bassins versants évoque une représentation fortement participative. Il ne s'agît plus de simplement confier la responsabilité de gérer un domaine en désignant un nouvel acteur qui se contentera d'un rapport public annuel. Il s'agit de mettre en oeuvre un processus de consultation et de concertation où des acteurs de différents réseaux devront s'entendre sur l'attribution et la vocation des ressources qui les concernent.

Les hypothèses à favoriser dans la nouvelle gestion de l'eau devront, pour parvenir à un maximum d'efficacité, tenir compte de ces acteurs résolus et compétents. L'enjeu de la participation est à cet égard particulièrement complexe puisqu'il faut à la fois tirer pleinement profit du potentiel extraordinaire que représentent ces forces sociales à l'oeuvre et parvenir à une action cohérente malgré l'extrême diversité des intérêts et parfois le caractère contradictoire des aspirations.

On dit souvent que, pour changer les décisions, il ne suffit pas de prendre de nouvelles décisions. Il faut aussi changer la manière de prendre les décisions. En essayant de mettre en oeuvre une nouvelle politique de l'eau, Haïti est comme acculée à modifier également la manière de prendre ses décisions pour accueillir de nouveaux acteurs, sans confusion de rôles ni retard.

La multiplicité des enjeux liés à l'eau entraîne une diversité des stratégies de gestion des ressources et de protection contre les risques. Liés à la santé, à l'écologie, à la prévention, à l'économie et à la démocratie, les enjeux de la politique actuelle de l'eau en Haïti, rendent le défi plus complexe. Dans des pays limitrophes où la ressource est rare, voire insuffisante, l'eau devient alors un enjeu géopolitique et l'objet de conflits. Nous n'avons pas inclus d'autres enjeux possibles : l'horizon international, voire planétaire de la question, les enjeux de connaissance, les enjeux politiques au sein du territoire haïtien en ce qui touche les paysans et leur rapport aux ressources naturelles, etc. Ces aspects sont soulevés à différents endroits du mémoire. En signalant certains des enjeux majeurs, nous avons simplement voulu évoquer ce qui, à notre avis, était caractéristique du temps présent et de la dynamique actuelle des acteurs.

En résumé, afin de mieux protéger, conserver et mettre en valeur notre eau, nous croyons nécessaire de revoir et de remettre en question nos modes actuels de gestion de l'eau. Cela implique, à notre avis, de revoir à fond l'état actuel de la législation de l'eau, d'analyser ses faiblesses et ses lacunes par rapport aux enjeux et aux grands principes liés à une bonne gestion de l'eau en Haïti et de revoir également le partage du rôle et des responsabilités des divers acteurs dans le secteur.

* 5 (Villeneuve. Sans eau, pas de vie. Sans eau de qualité, pas de vie saine, 1996, p. 16).

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle