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La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine grecque

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par Virginie TORDEUX
Université Rennes 2 - Master 2006
  

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I. LE SANG DOMESTIQUE PAR LE MARIAGE.

Je dois, pour cette sous-partie, rendre hommage au travail de Lydie Bodiou dont la thèse, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères, a inspiré ce qui va suivre.

La puberté est considérée comme l'âge auquel les jeunes filles ont un trop plein de sang dans leur corps. Ce sang se dirige dans leur utérus et s'écoule si la fille est « ouverte ». Si celui-ci ne parvient pas à sortir, la jeune fille en tombe malade de son sang. car il se porte à la zone entourant le coeur où il cause une sensation d'engourdissement, provoquant des symptômes similaires à ceux de l'épilepsie.

« le sang n'ayant pas de sortie, s'élance, vu la quantité sur le coeur et le diaphragme. Ces parties étant remplies, le coeur devient torpide ; à la torpeur succède l'engourdissement, et l'engourdissement, le délire354(*). »

L'issue est terrible :

« la femme a le transport à cause de l'inflammation aiguës, l'envie de tuer à cause de la putridité, des craintes et des frayeurs à causes des ténèbres, le désir de l'étrangler à cause de la pression autour du coeur. (...) La maladie dit des choses terribles. Les visions lui ordonnent de sauter, de se jeter dans les puits, de s'étrangler comme étant meilleur et ayant toute sorte d'utilité »355(*)

A ce désordre du corps et de la raison, le praticien cherche une cause logique, il recommande aux jeunes filles de

« se marier le plus tôt possible : en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent, à l'époque de la puberté ou peu après 356(*) »

Mariée et déflorée dès qu'elle a atteint la puberté. Pour ce médecin, il semble aller de soi que le premier rapport sexuel après le mariage verra la défloration de la jeune fille. La fin de ses maux de parthenos, le début des maladies du gunai. Cet « obstacle » à la menarche dans le corps d'une jeune fille est, dès lors, ôté :

«  Elles sont délivrées de cette maladie, quand rien n'empêche l'éruption du sang. Je recommande aux jeunes filles, éprouvant des accidents pareils, de se marier le plus tôt possible ; en effet, si elles deviennent enceintes, elles guérissent357(*) »

Tout cela illustre parfaitement l'extrême précocité du mariage. Ainsi, sans doute sont-elles mariées avant d'être pubères avant que la « maladie des jeunes filles » ne les frappe.

Déflorée. Qu'entend-t-on par là ? La question divise.

Selon G. Sissa, la défloration n'est pas une rupture de l'hymen ( qu'elle pense être une idée chrétienne) mais la dilatation du tissu des veines du corps et de la bouche du col de l'utérus (stoma)358(*). Comment accréditer cette idée ? Il n'est qu'à citer l'évidence de Maladies de jeunes filles. Qui plus est, la métaphore de la jarre de vin scellée pour désigner l'utérus d'une jeune fille confirme que le rapport sexuel équivaut à rompre un sceau ou à arracher un voile. Elle cite les arguments de Soranos contre l'existence d'un hymen :

On pense parfois qu'une mince membrane, qui s'est développé en travers du vagin, l'obstrue : que la rupture de cette membrane intervient au cours de la défloration et cause une douleur, ou qu'elle a lieu en cas d'apparition des règles avant la défloration ; que si ladite membrane, demeurant en place, prend constance et durcit, elle est à l'origine de l'état pathologique nommé atrésie : tout cela n'est que mensonge. D'abord, la dissection ne révèle pas semblable membrane ; ensuite, chez les vierges, on devrait buter sur elle en explorant le vagin à la sonde : or la sonde entre profondément. De plus, si c'est bien la rupture de la membrane lors de la défloration qui cause une douleur, il faudrait alors nécessairement que, chez les vierges, une menstruation antérieure à toute défloration entraînait une sensation douloureuse, et qu'il n'en fût plus ainsi au cours de la défloration359(*) »

Selon G. Sissa, ces théories contre lesquelles Soranos argumente sont anonymes et ne peuvent être attribuées à une école médicale avant la période chrétienne360(*). Elle argue que les médecins hippocratiques voient une membrane hermétique sur le vagin comme un état pathologique plutôt qu'un état naturel361(*), et que Maladies des jeunes filles peut être expliquée de façon plus cohérente si le sang est emprisonné à l'intérieur du corps, du fait de l'étroitesse des veines de la jeune fille. Superfétation confirme cette interprétation. En effet ce médecin décrit les symptômes des parthenoi souffrant, si leurs règles n'apparaissent pas :

« Elle souffre de la bile, à la fièvre, des douleurs, soif, faim, des vomissements, du délire et puis des retours à la raison362(*) »

Ces termes sont très similaires à ceux que l'on a rencontré dans Maladies des jeunes filles. Par contre, ce passage de Superfétation recommande des fumigations et des applications chaudes pour soulager ces symptômes, et non pas des rapports sexuels, montrant ainsi que l'on soignait la nature rétrécie du corps, plus qu'une membrane imperforée dans le vagin. Bien plus, Maladies de jeunes filles ne décrit pas le sang emprisonné descendant de l'utérus dans la partie supérieure du vagin, (endroit où il aurait dû s'arrêter), si la forte poussée ascendante du pénis à travers la membrane était pensée la percer. Le sang est emprisonné dans l'utérus par un stoma resserré que la friction réchauffante du rapport sexuel ouvre. En l'absence de rapport sexuel, cette fermeture est l'état normal du stoma. C'est la raison pour laquelle toutes les femmes dans leurs années reproductives doivent rester actives sexuellement :

« A un niveau, c'est la cause de l'utérus se fermant dans le cas d'une femme qui n'use pas du coït363(*) »

Mettre en équation la défloration et l'élargissement du stoma plutôt que la rupture d'une membrane hermétique, permet au sang qui apparaît souvent lors du premier rapport, d'être rapport, d'être confondu avec le sang se collectant supposément dans l'utérus d'une jeune fille, et d'affirmer que la jeune fille était prête à tenir son rôle d'adulte. Le sang hyménal peut ainsi être expliqué comme les premières gouttes de sang menstruel. Si la menstruation entière ne commence pas immédiatement après la défloration, c'est soit parce qu'une grande quantité de sang n'a pas été accumulée, soit que le sang s'est déplacé vers une autre partie du corps et avait besoin de temps pour retourner dans l'utérus 364(*).

De façon similaire, pour Aristote, les filles commencent à devenir femme vers 14 ans et le signe patent de ce changement est la présence de sang à l'intérieur de leur corps. Alors que le corps masculin prend plusieurs années à atteindre ses entières capacités génératives, une fois qu'il a commencé à produire du sperme, cela lui permet de prouver que la présence de sang dans un corps féminin, ne signifie pas automatiquement qu'elle soit prête à assumer son rôle de femme.

Ainsi la virginité n'est pas saine, les rapports sexuels sont conçus dans l'espace d'une médication salutaire pour la jeune fille. Ils permettent l'écoulement des menstrues et humidifient la matrice. Mieux, la maternité accomplira la femme, car elle s'accorde alors avec elle-même, en réalisant pleinement sa vocation. Cette logique correspond parfaitement à une raison sociale, car la période à hauts risques pour le corps des femmes n'a jamais été la puberté, mais bien la grossesse et l'accouchement. Le médecin se conforme aux réalités de son temps : le salut de la parthenos passe par le mariage.

Ainsi donc, la jeune fille, prisonnière d'un temps cyclique, porte en elle la source de maux bien spécifiques. L'échéance de son destin la voue au silence de l'attente dont seule la grossesse saura la délivrer. Elle ne peut espérer s'épanouir que sous le joug marital. La maladie est donc bien un langage, le médecin hippocratique érigeant en modèle social la sujétion de la jeune fille.

Selon Aristote, les développements des garçons et filles à la puberté sont parallèles et expliquent la réexpédition de l'alimentation précédemment utilisée dans la croissance, pour la production des fluides reproductifs : sperme et règles. Il est plus aisé pour lui de maintenir ce parallélisme que pour le médecin de Nature de l'enfant, puisque selon lui, une femme ne produit pas de la semence en même temps que les règles sont le parallèle du sperme mâle, elles doivent nécessairement être un résidu séminal de la femme :

« Puisque le flux menstruel est la sécrétion qui, chez les femmes, correspond au liquide séminal des mâles ; comme d'autre part, il n'est pas possible que deux sécrétions spermatiques se produisent dans le même être, il est évident que la femelle ne contribue pas à l'émission du sperme dans la génération : car si elle émettait du sperme, elle n'aurait pas les menstrues365(*) »

Alors qu'il établit la puberté à 14 ans pour les garçons et les filles, en revanche, le sperme d'un garçon reste infertile jusqu'à l'âge de 21 ans et cela bien que des jeunes femmes concevassent volontiers :

Jusqu'à 21 ans, le sperme est infécond. Ensuite, il est fécond mais les jeunes gens et les jeunes femmes ont des enfants de petite taille et imparfaitement formés. Quoiqu'il en soit, les jeunes femmes conçoivent, elles ont un accouchement plus laborieux. (...) Après 21 ans, les femmes sont désormais en bonne condition pour faire des enfants, tandis que les hommes ont encore à se développer366(*) »

Elles doivent donc attendre, elle aussi, 21 ans pour se reproduire. En fait, la recherche moderne a montré que la plupart des hommes sont infertiles lors de leur première éjaculation, alors que les jeunes filles n'ovulent pas à chaque cycle menstruel pendant au moins les deux premières années. Donc il serai plus correct de considérer un temps de latence plus important entre la puberté et la capacité de reproduire pour les filles que pour les garçons. Aristote a pu être mené à cette conclusion parce qu'il a rencontré quelques très jeunes mères dans la société de son temps, alors que, les hommes n'étant pas encouragés à se marier avant 30 ans, les jeunes pères sans doute rares367(*).

Mais Aristote est surtout de ceux qui milite contre les mariages trop précoces et pour des raisons physiologiques, il propose que l'homme épouse une femme de 15 à 20 ans sa cadette. Pour des raisons économiques aussi (le mariage oblique est le plus prisé), pour des raisons de mainmise, la femme a largement le temps d'être dressée à ses devoirs. Néanmoins, parce qu'il croit que le corps féminin est plus proche de celui du mâle que ne le croient les Hippocratiques, Aristote soutient que la puberté pour une femme s'étend sur un certain laps de temps comme pour l'homme ; tout comme ce dernier, si la jeune fille peut concevoir, cela ne signifie pas qu'elle doive le faire.

La fermeture hermétique de l'utérus est pour Aristote, une condition pathologique. La croissance du stoma est une pathologie qui doit être soignée par un traitement :

« Il existe des femmes chez qui l'orifice de l'utérus, après être resté soudé, se déchire au moment des règles et au prix des douleurs : chez certains cas l'issue est fatale quand l'ouverture est faite de force ou qu'elle ne peut être obtenue »

Sa combinaison anatomique du vagin et de l'urètre l'empêche d'imaginer une membrane imperforée sur le passage de l'urètre au vagin. Il est difficile de savoir comment il explique le sang hyménal puisqu'il ne parle pas la défloration dans ces travaux biologiques. On peut penser qu'il sent probablement ce rapport sexuel initial comme signifiant dans un contexte social, plus que dans un contexte biologique. Il ne peut avoir cru en un stoma rétréci qui serait ouvert par le rapport sexuel, alors qu'il argumente contre les mariages précoces et l'expérience sexuelle prématurée à la fois pour les garçons et les filles et par conséquent, doit penser qu'il n'y a pas d'obstacle à la menstruation des vierges. Pour lui, les rapports sexuels élargissent les passages (poroi) dans les corps mâles et féminins et son affirmation selon laquelle les tentatives prématurées d'éjaculation par la masturbation causent autant de douleur que de plaisir chez les jeunes garçons, peut être une assimilation inappropriée de la première expérience sexuelle d'un garçon par rapport à celle d'une fille368(*).

Après l'exposé de ces théories médicales, nous allons voir comment elles ont servi à renforcer l'image d'une femme ne pouvant se passer de son époux pour sa survie mais surtout que, pour satisfaire au croyances culturelles, certains postulats n'ont pas été remis en cause par la médecine d'observation.

* 354 Hippocrate, Maladies de jeunes filles, Tome.VIII, 466.

* 355 Ibid., Tome VIII,468.

* 356 Ibid., Tome VIII, 470.

* 357 Ibid.,Tome VIII, 468.

* 358 G.Sissa, op. cit., p 1133-1134.

* 359 Soranos, 1, 16-17.

* 360 G. Sissa, op. cit., p 1131.

* 361 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII. I.20.

* 362 Hippocrate, Superfétation, Tome VIII, 16, 1-2.

* 363 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 16, 1-2.

* 364 Hippocrate,Femmes stériles, 246, Tome VII, 458.

* 365 GA, 727a 26-30

* 366 HA, 582a 16-29

* 367 A.M. Verilhac, Cl Vial, Le mariage grec du VIè à l'époque d'Auguste, Suppl. BCH, 1998, 214-218.

* 368 Hippocrate, Epidémies, Tome V, 300, 1-2.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe