WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine grecque

( Télécharger le fichier original )
par Virginie TORDEUX
Université Rennes 2 - Master 2006
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

I. ANATOMIE DE L'UTERUS.

Dans le mythe de Pandora, la femme est une construction, une illusion qui contient l'esprit d'une sorcière et un utérus en forme de jarre380(*).

Culturellement parlant, l'utérus est une source riche d'image. Les études de Janice Boddy montre que, au Soudan, il est représenté par une maison avec une porte, la comédie grecque utilise porte et portail dans l'imagerie sexuelle. L'utérus peut aussi être considérée comme un récipient ou un jardin à cultiver. Dans l'imagerie grecque, les femmes sont de nature chaude ou froide, l'utérus est chaud puisqu'il lui est nécessaire de l'être afin de cuisiner la petite graine et en faire un bel enfant381(*). La métaphore du four exprime également très bien ce que les hommes grecs attendaient de l'utérus.

Les médecins grecs et biologistes grecs utilisent le mot cheilê pour désigner les lèvres du col de l'utérus, le mot stoma qui désigne la bouche pour nommer l'orifice utérin382(*). Ils utilisent le même vocabulaire pour évoquer le vagin383(*), mais ils attachent plus d'attention à la bouche intérieure et invisible de la matrice qu'à l'entrée bien visible du vagin. Dans le traité Ancienne Médecine, la bouche d'en haut et ses lèvres sont clairement comparées à la matrice384(*), leur forme étant identique : étroite d'abord, puis creuse et large afin de pouvoir aspirer un liquide. D'ailleurs les médecins n'hésitent pas à établir une liaison directe entre la bouche d'en haut et la bouche d'en bas. Un teste de grossesse est très parlant à ce sujet :

« Cela fait, versant dans une phiale d'argent ou de cuivre du parfum blanc égyptien et du sel, et s'enveloppant, la femme s'assoira sur la phiale. Si l'odeur du parfum lui vient par la bouche on déclarera qu'elle peut concevoir et que la matrice est encore saine. Si l'odeur ne pénètre pas, on ne perdra pas courage ; au moment de se coucher, elle s'appliquera le parfum égyptien dans de la laine. Le lendemain, elle examinera si l'orifice utérin est plus droit »385(*)

Comme l'a affirmé Robert Joly, « la matrice est une personne dans une personne », elle a donc un cou. En grec, le cou se dit auchên ou trachêlos, comme le col de l'utérus. Nicole Loraux affirme que :

« la femme est prise entre deux bouches, entre deux cols, où les errances de la matrice entravent brutalement la voix dans la gorge des femmes, où mainte jeune fille en âge d'être nymphè se pend pour échapper à l'étouffement redoutable qui, à l'intérieur de son corps, l'affole386(*) »

Les Hippocratiques considèrent la matrice comme un récipient387(*), Dean-Jones et Hanson ont suggéré que c'était un pot. Métaphore du vase, on retrouve dans les traités toute une physique du récipient. Le vase, comme l'utérus, à des lèvres, un col, et une panse388(*).

Le askos semble avoir été l'image générale que se faisait les Hippocratiques de l'utérus. Ceci semble lié à sa capacité à s'étendre pour recevoir le foetus durant la grossesse389(*). En effet, Nature de l'enfant décrit l'utérus comme souple, les Hippocratiques l'ont sans doute imaginé ainsi afin de contenir le foetus durant la grossesse.

Quelle est la nature de ce récipient ? Selon Maladies des femmes, si la matrice est béante contre nature, elle est incapable d'attirer le sperme. Il n'y a conception que si le sperme est retenu par la matrice. Pour le médecin d'Ancienne médecine, la forme est due aux organes creux qui conviennent mieux à attirer l'humidité du reste du corps.

« Rétrécis en une portion étroite après une portion creuse et large. Pour le comprendre, il convient de se référer à ce qui est visible à l'extérieur. D'une part, en gardant la bouche ouverte, vous ne pouvez aspirer aucun liquide ; mais en avançant les lèvres, en les contractant et en les comprimant, vous aspirerez ; et même si de surcroît vous appliquez une canule contre les lèvres, c'est avec facilité que vous pourrez aspirer tout ce que vous voudrez (...). Les parties à l'intérieur de l'homme qui ont une configuration naturelle de ce type sont la vessie, la tête et, chez les femmes, la matrice. Manifestement ces parties là sont celles qui attirent le plus et elles sont constamment remplies d'un liquide amené du dehors390(*). »

Ici, l'utérus a davantage la forme d'une outre que d'un vase. Ainsi, quand trop de sang s'accumule dans l'utérus, il ne déborde pas simplement dans les organes qui l'entourent, ce qui aurait été le cas s'il avait eu la forme d'un vase mais se diffuse à d'autres parties du corps par des passages. Les ouvertures de la vessie et de l'utérus dans l'urètre et le vagin se rapprochent de cette forme donnée au passage, celle de lèvres pincées, mais elles pointent dans la mauvaise direction pour attirer à elles les fluides du corps. Pour comprendre le système hippocratique, il faut imaginer des ouvertures similaires de l'autre côté de la vessie et de l'utérus, des ouvertures dirigées vers l'intérieurs du corps. Lors de la grossesse,

« un passage vers l'extérieur se forme du ventre et des intestins par l'anus et un autre par la vessie »391(*)

C'est, peut être, cette portion étroite que l'auteur de Ancienne médecine décrit par laquelle la vessie s'attire les fluides de tout le corps392(*).

Il n'y a pas de description d'un tel tube vers l'utérus mais selon Superfétation l'utérus possède des cornes, terme qui s'applique aussi bien à l'anatomie des animaux qu'à celle du sexe de l'homme (verge), mais aussi une partie des organes génitaux féminins puisqu'il désigne les trompes de l'utérus :

« Mais si le premier enfant est dans l'une des cornes, la femme met au monde en dernier lieu le produit non viable une fois que la matrice s'est relâchée et humectée, après s'être délivrée du produit viable393(*) »

L'utérus est donc multiple,

« La matrice a des poches recourbées et multiples, les unes plus loin, les autres plus près du sexe : les animaux qui portent beaucoup de petits en ont plus que ceux qui en portent peu. Il en est de même du bétail, des bêtes sauvages et des oiseaux. Quand la semence à son arrivée se trouve répartie dans les deux poches, que la matrice garde la semence et qu'aucune de ses poches ne se vident dans l'autre, la semence séparée dans chacune des deux poches394(*) s'entoure d'une membrane et s'anime de la façon que j'ai dite pour une seule395(*) »

il contient plusieurs poches. En effet, certains animaux sont capables d'avoir plusieurs petits en une portée car leur semence est divisée en plusieurs poches et un foetus se développe séparément dans chacune. C'est ainsi qu'on explique la naissance de jumeaux chez la femme. Ce phénomène pouvait paraître anormal mais il montrait simplement au médecin que la femme qui avait deux poches dans l'utérus était un phénomène inhabituel mais pas anormal, ce qui explique qu'il n'en soit pas fait mention dans le Corpus.

Les Hippocratiques croyaient que l'appareil reproducteur féminin était limité à l'utérus.

Comme une jarre, l'utérus a une bouche, ou depuis que l'utérus est pluriel, des bouches. On retrouve, occasionnellement, référence aux plusieurs bouches de l'utérus mais peut-être, suggère t-il que le bec de la jarre-utérus est double une bouche du corps dans l'utérus et une dans le vagin. Plus communément, la bouche de l'utérus doit être alignée avec une seconde bouche à l'autre extrémité du tube, où le sang ne pourra pas s'écouler. On l'appelle la bouche du vagin ou la bouche de sortie. La condition intérieure, la bouche utérine peut être déterminée par la femme elle-même, qui peut dire, en touchant, si elle est dure ou molle, ouverte ou fermée, verticale ou inclinée396(*).

Si Hippocrate a intégré certaines croyances folkloriques à ses méthodes, cela ne veut pas dire pour autant qu'il accorde crédit aux causes avancées de ladite divagation. Le traité Maladie Sacrée en est un excellent exemple : nous reviendrons sur l'épilepsie dans la dernière partie de notre mémoire. Si les Hippocratiques ne rejettent pas l'idée d'un utérus vagabond, c'est certainement parce que cela a une incidence sur l'aspect culturel lié au sexe de la femme.

Chez Aristote, le concept n'est pas le même. Le rôle de l'utérus serait mineur dans l'attirance du sang vers lui et il considère qu'il lui est bien difficile d'être capable de sentir les odeurs. Pour lui, les femmes ont le même utérus que les autres races d'animaux, à savoir qu'il est soutenu par des tendons. Aristote explique la descente d'organe à cause d'un manque de relations sexuelles. Il descend et ne remonte plus à l'emplacement auquel il devait être.397(*) La descente d'organe est l'une des rares maladies pour laquelle les Hippocratiques recommande l'abstinence sexuelles.

La mobilité de l'utérus à l'intérieur du corps sert d'explication à bien des maladies des femmes, et pas seulement à la « suffocation de la matrice » qui n'est qu'un cas particulier398(*).

«  Les règles ne pourront pas trouver d'issue tant que la matrice ne sera pas remise à sa condition naturelle. Cette maladie se produit surtout chez celles qui ont l'orifice utérin étroit. Si l'un de ces cas existe, que la femme n'ait pas de rapports sexuels et que le ventre se vide plus qu'il faut par quelques souffrances, la matrice subit un déplacement, car elle n'est pas humide par soi-même, vu qu'il n'y a pas eu de coït, et qu'elle a de l'espace, vu que le ventre est devenu vide ; de sorte qu'elle se déplace en raison de sa sécheresse et de sa légèreté plus grande qu'à l'ordinaire... Au contraire, quand la matrice est humide par le coït et que le ventre ne se vide pas, elle ne se déplace pas facilement 399(*) »

La « suffocation utérine » est un cas particulier où les mêmes mécanismes sont en jeu, sauf qu'ils sont plus précis. Voici ce qu'en dit Hippocrate :

« Cette affection survient surtout chez les femmes qui n'ont pas de rapports sexuels, et chez les femmes qui d'un certain âge plutôt que chez les jeunes ; en effet, leur matrice est plus légère. Voici comment cela se fait : la femme ayant les vaisseaux plus vides que d'ordinaire et ayant plus fatigué, la matrice desséchée par la fatigue se déplace, attendu qu'elle est vide et légère ; la vacuité du ventre fait qu'il y a de la place pour qu'elle se déplace ; s'étant déplacée, elle se jette sur le foie, y adhère et se porte aux hypocondres ; en effet, elle court et va en haut vers le fluide, vu qu'elle a été desséchée à l'excès par la fatigue. Or, le foie est plein de fluide. Quand elle s'est jetée sur le foie, elle cause une suffocation subite, interceptant la voie respiratoire qui est dans le ventre. Parfois, en même temps que la matrice commence à se jeter sur le foie, du phlegme descend de la tête aux hypocondres, attendu que la femme est suffoquée ; et parfois, avec cette descente du phlegme, la matrice quitte le foie, retourne à sa place et la suffocation cesse...Quand la matrice est au foie et aux hypocondres et produit la suffocation, le blanc des yeux se renverse, la femme devient froide et même quelquefois livide. Elle grince des dents ;la salive afflue dans la bouche et elle ressemble aux épileptiques. Si la matrice reste longtemps fixe au foie et aux hypocondres, la femme succombe étouffée400(*) »

Hippocrate préconise comme remède, notamment pour les jeunes filles, plutôt comme prévention, le mariage.

A nouveau, science et intérêt de la médecine se rejoignent.

Pour ce qui est des femmes, on va voir que les croyances traditionnelles ont perdurées longtemps. La question qui se pose est de savoir pourquoi. Comment Hippocrate justifiait les divagations de cet animal vorace ? Que cela supposait-il de l'anatomie féminine ?

* 380 Helen King, op. cit., p 27.

* 381 Ibid., p 33.

* 382 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 348.

* 383 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, 96.

* 384 Hippocrate, Ancienne Médecine, Tome I, 626, 1-634,17.

* 385 Hippocrate,Maladies des femmes, Tome VIII, 322.

* 386 Nicole Loraux, Façons tragique de tuer une femme, Hachette, 1985, p 97-98.

* 387 Hippocrate, Epidémies, Tome VI.5.2.

* 388 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques : filles, femmes, mères.

* 389 Lesley Ann Dean-Jones, op. cit. p 65.

* 390 Hippocrate, Ancienne médecine.

* 391 Hippocrate, Nature de l'enfant, Tome VII, 498, 14-15.

* 392 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères.

* 393Hippocrate, Superfétation, Tome VIII, 476, 3.

* 394 Lydie Bodiou, Histoire du sang des femmes grecques :filles, femmes, mères.

* 395 Hippocrate, Nature de l'enfant, Tome VII, 540, 1-16.

* 396 Helen King, op. cit. p 35.

* 397 Ibid., p 76.

* 398 Emile Trillat, Histoire de l'hystérie, p15.

* 399 Emile Littré, Tome VIII, p 15.

* 400 Hippocrate, Maladies des femmes, Tome VIII, p33-34.

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il faudrait pour le bonheur des états que les philosophes fussent roi ou que les rois fussent philosophes"   Platon