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La maladie sacrée, les parthenoi dans le regard de la médecine grecque

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par Virginie TORDEUX
Université Rennes 2 - Master 2006
  

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II.3. Du pronostic

II.3.1.Du coté du médecin

Selon G.E.R. Lloyd, il est possible que le pronostic, formellement reconnu comme un moyen de convaincre les patients d'accepter un traitement, ait été vu comme une forme de divination79(*). Le début du traité Pronostic en fournit un bon exemple :

« Pour un médecin, à mon avis, ce qu'il y a de mieux c'est de savoir pratiquer le pronostic. Prévoyant et prédisant, auprès des malades, le présent, le passé et l'avenir de leurs maladies, et expliquant ce qu'ils omettent, il leur persuadera qu'il connaît mieux qu'un autre les affaires des malades, si bien que les gens oseront s'en remettre au médecin. Quant au traitement, il le mènera de la meilleure façon, sachant d'avance ce qui arrivera d'après les affections présentes,[...] De la sorte le médecin sera admiré à juste titre et il sera un bon médecin. En effet, ceux dont la guérison est possible, il sera plus capable de les préserver du péril, en se précautionnant de plus loin contre chaque accident ; et, prévoyant et prédisant quels sont ceux qui doivent périr ou réchapper, il sera exempt de blâme. »

Le pronostic porte sur le passé, le présent et le futur. Cette vision se comprend dans le cadre du contexte de concurrence dans lequel évolue les médecins hippocratiques80(*). Les devins, pour guérir les hommes des maladies, semble s'être appuyés sur le passé, le présent et le futur. On peut en trouver un exemple au début de l'Iliade, lorsqu'une pestilence s'abat sur l'armée d'Agamemnon qui assiège Troie. Calchas, devin, explique comment le mal peut être éloigné de l'armée.

«  Et voici que se lève Calchas, fils de Thestor, de beaucoup le meilleur des devins, qui connaît le présent, le futur, le passé[...] Ce n'est pas pour un voeu, une hécatombe omise, qu'ici se plaint le dieu. C'est pour son prêtre, à qui Agamemnon a fait affront naguère, en refusant de délivrer sa fille et d'agréer une rançon. Voilà pourquoi l'Archer vous a octroyé des souffrances et vous en octroiera encore. Des Danaens il n'écartera pas le fléau outrageux, avant qu'ils n'aient à son père rendu la vierge aux yeux vifs, sans marché, sans rançon, et mené à Chrysé une sainte hécatombe. Ce jour là seulement, nous le pourrons apaiser et convaincre. »81(*)

Entre les attributs que l'on donnait à Calchas et ceux du médecin décrit pas Pronostic, la coïncidence est remarquable. On peut donc dire que le pronostic ressemble à une prophétie, puisque que la connaissance porte sur le passé, le présent et l'avenir. La différence réside dans le fait qu'il tire son origine, non pas des signes envoyés par les dieux mais des symptômes de l'état du malade82(*).

La prévision de l'avenir reste ce qui intéresse le malade. Mais le médecin considère comme un beau succès de pouvoir annoncer le passé, et le présent en retrouvant les maux qu'il a pressenti83(*).

Ainsi, le médecin hippocratique, en découvrant le passé, le présent et l'évolution de la maladie, se rapproche du devin bien que sa technique afin de fonder sa prédiction, la méthode rationnelle, soit différente. Toutefois, pour l'homme du peuple qui a pu, au théâtre, voir des médecins mythiques ou des dieux médecins84(*), la parole du médecin humain énonçant un pronostic peut devenir, dans son esprit, une parole prophétique suscitant étonnement et admiration85(*).

Cet état de fait a été compris par nombre de médecins qui ont tenté de s'imposer avec des diagnostics spectaculaires. Ainsi l'auteur du Prorrhétique II :

« Un malade paraît condamné à son médecin traitant et aux autres personnes ; mais un autre médecin survient et déclare que le malade ne périra pas, mais qu'il deviendra aveugle ; ou auprès d'un autre malade qui paraît être au plus mal, il survient et prédit que l'homme se relèvera mais qu'il sera estropié d'un bras ; ou bien chez un autre malade qui ne semble pas devoir en réchapper, il déclare qu'il guérira mais que ces doigts de pied vont noircir et tomber en pourriture. »

De telles pratiques sont condamnées par le médecin auteur du Prorrhétique II :

«Pour moi, (dit l'auteur du Prorrhétique II), je ne ferai point de telles divinations ; mais j'écris les signes par lesquels on doit conjecturer ceux des malades qui guériront, et ceux qui mourront, ceux qui guériront en peu de temps ou en beaucoup de temps, et de même pour ceux qui mourront. »

Toutefois, l'auteur admet qu'il est possible d'en faire si elles reposaient sur le savoir médical :

« Il faut prédire en ayant une parfaite connaissance de tout cela, quand on désire faire de telles prédictions théâtrales. »

On retrouve ici l'esprit qui dominait dans le corpus, ne pas faire plus de mal que nécessaire. Si les procédés qui suscitent l'étonnement ne vont pas à l'encontre du malade et de l'exigence de l'art, il est possible de les utiliser.

Ce que le médecin recherche dans son pronostic, c'est la justesse et la rapidité car elles restent le meilleur moyen d'asseoir une réputation86(*). L'idéal est un verdict rapide permettant de calmer la famille et de devancer les rivaux.

Ce type de point de vue entraîne, quelquefois, des pronostics à distance. On en retrouve la trace dans le traité Plaies de la tête :

«  Voilà ce qu'il faut dire après avoir examiné de loin, sans toucher l'homme »

Examiner à distance un malade peut permettre au médecin de décider si le malade était curable ou non. Toutefois, la non intervention semble être restée exceptionnelle, le Corpus ne nous en laissant que deux traces, l'une pour une affection du poumon87(*),

«  Dans ce cas, si désormais les cheveux tombent et que la tête soit désormais dénudée et si, lorsqu'il crache sur des charbons, les matières glaireuses dégagent une odeur forte, prédisez qu'il mourra dans un bref délai...Dans ce cas, ne traitez pas le malade. »

l'autre une maladie des femmes, la formation d'une môle.

« Autant que possible, ne pas traiter un tel cas ; et si on le traite, avertir »

Ailleurs, même en cas de maladie mortelle, un traitement est indiqué88(*).

Néanmoins, il existe d'autres témoignages qui font part d'un refus de soigner si le malade ne peut se prêter activement au traitement89(*). A l'époque d'Hippocrate, cette position faisait déjà débat. On reproche aux médecins de ne soigner que des maladies qui se guérissent sans aide extérieure tandis qu'ils refusent de soigner celles dont la connaissance de la médecine est nécessaire. Même si cette position peut paraître scandaleuse, il faut se rappeler que le médecin hippocratique évolue dans une période où la médecine s'érige en science et que ces critiques sont, par conséquent, plus dictées dans le but d'attaquer la médecine rationnelle que pour le bien être des malades90(*).

A :

« Si l'art existait vraiment, il faudrait soigner toutes les maladies sans distinctions. »

l'auteur de l'Art répond :

« Exiger que l'art ait la puissance dans les domaines qui ne relèvent pas de l'art, ou la nature dans des domaines qui ne relèvent pas de la nature, c'est être ignorant d'une ignorance qui tient plus de la folie que de l'absence de savoir. »

Selon lui, le fait de ne soigner que des malades curables relèvent de la définition même de la médecine :

« je vais définir, ce qu'est selon moi la médecine. C'est délivrer complètement les malades de leurs souffrances ou émousser la violence des maladies, et ne pas traiter les malades qui sont vaincus par la maladie. »

On retrouve cette vision dans République de Platon qui considère que ce raisonnement vaut pour toutes les sciences :

« Les hommes de l'art experts, par exemple le pilote et le médecin éminents, savent faire la distinction dans leur art entre l'impossible et le possible, et entreprennent le possible mais laissent l'impossible. »

Mais, la position des médecins hippocratiques sur le curable et l'incurable peut varier :

« De tel cas, dira-t-on, sont extérieurs à la médecine ; à quoi bon, dès lors, porter encore sa connaissance sur les affections devenues désormais incurable ? Mais il s'en faut de beaucoup qu'on doive raisonner ainsi. C'est au même domaine de la réflexion qu'appartient aussi le fait de les connaître ; car il n'est pas possible de les séparer des autres. En effet, pour les affections curables, on doit faire en sorte qu'elles ne deviennent pas incurable, en connaissant quelle est la meilleure voie pour les empêcher de passer à la catégorie de l'incurable ; quant aux affections incurables, on doit les connaître, afin de ne pas causer des dommages inutiles. »

Derrière ces inquiétudes concernant le patient, s'en dessine une autre, concernant le médecin lui-même. L'auteur de Fractures le rappelle :

« Il faut autant que possible échapper à de tels cas, si l'on possède une échappatoire honorable. Les chances de salut sont rares tandis que les dangers sont nombreux. Si on ne fait pas la réduction, on peut passer pour un ignorant de l'Art ; et si on la fait, on peut amener le blessé plus près de la mort que du salut. »

On voit ici la fragilité de la profession de médecin, prisonnier du jugement du public. En refusant de soigner le malade, ne nuit-il pas à sa réputation ? Au moment où aucune loi, au sens moderne du terme, ne peut l'inquiéter, c'est l'existence d'une censure sociale qui retient parfois la main du médecin. Toutefois, rappelons que, si parfois le médecin se dérobe, c'est souvent plus par égard à l'adresse du malade que pour sauver sa réputation91(*).

II.2.2. Caractéristique du pronostic

Toujours dans le souci de voir les maladies comme des choses naturelles, les médecins hippocratiques considèrent que des observations méthodiques et détaillées sont nécessaires pour connaître celle dont était affectée le patient92(*).

C'est particulièrement visible chez l'auteur du Pronostic qui s'intéresse aux maladies aiguës, c'est à dire celles qui s'accompagnent d'une forte fièvre, telle que la pneumonie ou la malaria. Il est nécessaire d'examiner le visage en prenant garde à la texture et à la couleur de la peau. Les yeux ont également une importance particulière :

« En effet, s'ils évitent l'éclat de la lumière, ou s'ils larmoient sans cause normale,... si le blanc de l'oeil est livide, ou si l'on y remarque la présence de veinules sombres, ou si les yeux sont chassieux, si leurs mouvements sont désordonnés, s'ils sont saillants, ou au contraire enfoncés profondément,... tous ces symptômes doivent être considérés comme de mauvais signes annonciateurs de la mort. »

Le médecin doit aussi se renseigner sur la façon dont le patient a dormi, sur ses intestins, sur son appétit ; il doit prendre en note la posture du malade, sa respiration, la température de sa tête, de ses mains, de ses pieds ; plusieurs chapitres à part sont consacrés à l'art d'interpréter les symptômes que l'on peut relever dans les selles, l'urine, la matière vomies ou expectorées.

C'est grâce à ce type de théorie que le Corpus a laissé sa marque dans l'histoire de la médecine. Mais la diversité des auteurs a très vite été oubliée pour ne laisser qu'à Hippocrate le prestige de ce recueil. On terminera cette étude sur la globalité du corpus par le rayonnement que ce dernier a eu sur les vingt derniers siècles.

* 79 G.E.R. Lloyd,op. cit.

* 80 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 145.

* 81 Homère, Iliade, Paris, Gallimard, 1986.

* 82 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992, p 146.

* 83 Ibid.

* 84 Eschyle, Suppliantes, v.263, Euménides,v.62 Agamemnon, v.1623.

* 85 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992 p 147.

* 86 Jacques Jouanna, Hippocrate, Paris, Fayard, 1992 p 149.

* 87 Ibid. p 154.

* 88 Ibid.

* 89 Ibid. p 155.

* 90 Ibid.

* 91 Ibid., p 158.

* 92 Ibid., p 153.

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