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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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DEUXIÈME PARTIE

EXAMEN DE LA PRATIQUE ÉTATIQUE RÉCENTE EN MATIÈRE DE RECOURS
À LA FORCE : DES NOUVELLES ARGUMENTATIONS

Les deux premières guerres de ce XXIe siècle (celles de l'Afghanistan et de l'Irak) ainsi que la dernière guerre du XXe siècle (l'intervention de l'OTAN au Kosovo) ont soulevé des questions quant à leur légalité en vertu des dispositions de la Charte en matière de recours à la force. Elles ont en même temps donné lieu à des justifications qui ne respectent pas toujours la logique traditionnelle de la Charte telle qu'elle vient d'être présentée.

L'émergence de ces nouvelles justifications pour recourir à la force pose des questions très fondamentales par rapport à l'idée que le système de la Charte visait, à savoir d'une part, faire une coupure avec le passé et le droit international classique concernant le lien entre souveraineté et usage de la force et, d'autre part, couvrir l'ensemble des problèmes dans ce domaine. Ces modes de légitimation du recours à la force remettent en effet en question l'idée d'exhaustivité du système de la Charte en matière d'usage de la force, ainsi que l'intégrité de la Charte en matière de sécurité collective. Il s'agit donc de savoir si le droit international est promis à une révolution en matière de recours à la force, dans la mesure où la normalisation hypothétique de ces nouvelles justifications -- qui sont parfois des nouvelles versions de justifications antérieures à la Charte -- remettent en question la place de l'article 2 § 4 de la Charte dans le système juridique international contemporain.

Cela nous pousse à nous demander si l'on s'achemine vers une certaine réinstallation d'une forme d'anarchie dans l'utilisation de la force, parallèlement à l'ordre collectif des Nations Unies.

Ces argumentations se développent en relations avec trois domaines ou trois objectifs de l'utilisation de la force : l'intervention humanitaire (chapitre I), la guerre contre le terrorisme (chapitre II) et la force préventive (chapitre III)

CHAPITRE I
LE RECOURS À LA FORCE ARMÉE DANS UN BUT HUMANITAIRE

Le recours à la force dans un but humanitaire a connu un regain d'intérêt suite aux frappes aériennes menées par l'OTAN à partir du 24 mars 1999, en vue de mettre un terme à la catastrophe humanitaire au Kosovo. La question qui s'imposait était de savoir si, en cas d'inaction du Conseil de Sécurité, un ou plusieurs États pouvaient recourir à la force armée dans un but humanitaire119.

En fait, l'idée selon laquelle l'emploi de la force militaire pourrait faire partie des moyens coercitifs utilisés pour assurer le respect des droits de l'Homme s'est développée tout au long de la première partie des années 1990, notamment sous l'influence de la pratique du Conseil de sécurité en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales. Lors de la crise somalienne, le Conseil de Sécurité a adopté une multitude de résolutions sous le chapitre VII, dans lesquelles il se déclare « profondément troublé par l'ampleur de la tragédie humaine causée par le conflit et préoccupé par la menace que la persistance de la situation en Somalie fait peser sur la paix et la sécurité internationales »120. Il en est de même pour la crise haïtienne121. Ce cycle a donc trouvé son apogée dans l'intervention de l'OTAN au Kosovo.

119Fernando Tesón, Humanitarian Intervention: An inquiry into law and morality, New York: Transnational Publishers, 1988, pp. 127 et ss.

120S/RES/746, 17 mars 1992 ; voir aussi S/RES/733, 23 janvier 1992 ; S/RES/751, 24 avril 1992 ; S/RES/765, 16 juillet 1992 ; S/RES/767, 27 juillet 1992 ; S/RES/775, 28 août 1992 ; S/RES/794, 3 décembre 1992 ; S/RES/814, 26 mars 1993 ; S/RES/946, 30 septembre 1994 ; S/RES/953, 31 octobre 1994 ; S/RES/954, 4 novembre 1994.

121S/RES/841, 19 juin 1993 ; S/RES/861, 27 août 1993 ; S/RES/862, 31 août 1993 ; S/RES/867, 23 septembre 1993 ; S/RES/873, 13 octobre 1993 ; S/RES/875, 16 octobre 1993 ; S/RES/905, 23 mars 1994 ; S/RES/944, 29 septembre 1994.

Dans notre analyse, l'accent sera mis essentiellement sur les arguments avancés que l'on peut diviser dès le départ en deux types : le premier type se fonde sur le droit positif, tandis que le deuxième le dépasse en prenant l'élargissement du concept des valeurs universelles (droits de l'Homme et démocratie) comme point de départ. En d'autres termes, la justification de ce type d'intervention armée se situe sur deux terrains : celui de la légalité et celui de la légitimité. Plus clairement, on se trouve dans le cadre d'une variété de stratégies argumentatives qui peuvent être résumées comme suit : il ne s'agit pas d'une violation de l'article 2 § 4, c'est une violation dudit article qui est autorisée implicitement par la Charte. Enfin, nous nous entendons dire qu'il s'agit d'une violation de la Charte mais qu'elle est justifiée par une nouvelle norme.

1.1. Droit de la Charte et intervention humanitaire

Les débats entourant l'intervention de l'OTAN au Kosovo ont mis en évidence une tendance visant à écarter le principe de non-recours à la force ainsi que le principe de non- ingérence lorsque les droits de la personne sont gravement atteints, ce qui correspondait pour certains « à l'état actuel du droit international »122.

La détérioration de la situation humanitaire au Kosovo pendant l'année 1998 a amené le Conseil de Sécurité à prendre plusieurs résolutions123 dans lesquelles il constatait une menace envers la paix internationale, sans donner une habilitation à prendre des mesures coercitives militaires à l'égard de Belgrade124. Ceci est contraire à ce qui s'est passé lors de la crise du Golfe, avec la résolution 678 de 1990 qui a explicitement habilité les États membres à prendre toutes les mesures requises -- y compris le recours à la force armée -- si l'Irak ne respectait pas l'ultimatum fixé.

122Selon les termes du Juge Valticos, « Un devoir d'État », Le Monde, 10 janvier 1990, à la page 2. 123S/RES/1160, 31 mars 1998 ; S/RES/1199, 23 septembre 1998 ; S/RES/1203, 14 octobre 1998.

124Il est à noter que deux membres permanents du Conseil de Sécurité, en l'occurrence la Chine et la Russie, ont exprimé leur refus contre toute résolution d'habilitation au recours à la force et ont menacé d'utiliser leur droit de veto.

Le Conseil de l'Europe a adopté une déclaration, le 25 mars 1999, dans laquelle il déclare

qu':

À la veille du XXIe siècle, l'Europe ne peut pas tolérer que se déroule en son sein une catastrophe humanitaire [...] Nous les pays de l'Union Européenne, avons l'obligation morale de veiller à ce que ne se répètent pas des actes de violences aveugles comme le massacre de Racak en janvier 1999 [...]125.

Cette argumentation fait de l'opération militaire au Kosovo un exemple de

Ce fameux droit d'ingérence humanitaire, qui exprime l'idée selon laquelle les sujets de droit international auraient, en l'absence de tout consentement du souverain territorial, un titre juridique à commettre une ingérence sur le territoire d'un État, pour venir au secours d'une population en détresse humanitaire, notamment lorsque cette population est victime de violation massive des droits de l'Homme126.

Soucieux de donner une certaine légalité à l'action de l'OTAN au Kosovo, les partisans de cette intervention armée ont essayé de trouver des justifications juridiques en partant d'une certaine relecture des normes en vigueur du droit international. Le premier argument avancé visait à écarter le jeu de l'article 2 § 4 à travers une interprétation restrictive. Selon cette interprétation, ledit article n'interdit pas l'emploi de la force armée dans toutes ses formes. Pour être plus clair, tant que cette intervention armée n'est pas dirigée contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un État, et tant qu'elle n'est pas incompatible avec les autres buts des Nations Unies, elle est conforme au droit de la Charte en la matière. L'ajout de ces qualifications dans le texte de l'article 2 § 4 doit être compris comme une restriction de sa portée. L'article 2 § 4 pose donc trois conditions pour qu'un recours à la force soit interdit. Dans l'affaire relative à la licéité de l'emploi de la force, la Belgique a adopté

125Déclaration du Conseil de l'Europe, Berlin, 25 mars 1999. [En ligne] :

[http :// www.diplomatie.gouv.fr/actual/dossiers/kossovo/kossovo1 7.html] (page visitée le 29 mars 2007)

126Jean-Denis Mouton, « Libertés publiques et droit à la guerre : une évolution du droit international ? » dans Droits de la personne : Éthique et mondialisation, Actes des journées strasbourgeoises de l'Institut canadien d'études juridiques supérieures, Strasbourg, Éditions Yvon Blais, 2004, à la page 515.

cet argument lors de ses plaidoiries, en affirmant que l'intervention au Kosovo n'était pas dirigée contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la République fédérale de Yougoslavie et que, de ce fait, elle ne devait pas être considérée comme contraire à l'article 2 § 4127 . En réalité, la Belgique ne faisait que s'aligner sur l'interprétation adoptée par l'Assemblée parlementaire de l'OTAN avant les frappes aériennes128.

On peut donc dire, toujours selon la doctrine favorable à l'intervention humanitaire, que cette dernière est légale dans la mesure où elle n'est pas dirigée contre l'intégrité territoriale de l'État visé. L'intervention vise essentiellement le rétablissement des droits de la personne enfreints et non l'appropriation du territoire. Il est à noter qu'on est dans le cadre d'un vieil argument129 qui est ici repris pour un nouvel objectif.

Cependant, pour qu'une atteinte à l'intégrité territoriale d'un État soit établie, il n'est pas requis que l'État intervenant prétende annexer ou détacher une partie du territoire de l'État victime. Lors de l'intervention au Kosovo, l'ampleur de l'attaque de l'OTAN n'a pas été sans conséquences sur l'intégrité territoriale de la Yougoslavie. En effet, il paraît « difficile de prétendre que la vague des bombardements massifs déclenchée par les forces de l'OTAN n'ait pas abouti à affecter l'intégrité territoriale de la Yougoslavie ; de plus, en fait, le Kosovo est aujourd'hui soustrait à l'administration des autorités de Belgrade »130.

Théoriquement -- et pratiquement --, on voit mal comment le passage des troupes armées dans le cadre d'une opération armée à travers les frontières de l'État visé, s'opère dans le respect de son intégrité territoriale, ceci sans son consentement. Ce qui compte, c'est le fait

127Intervention du conseil de la Belgique à l'audience publique de la C.I.J. tenue le 10 mai 1999 dans l'affaire relative à la licéité de l'emploi de la force, CR 99/15. [En ligne] : [http :// www.icjcij.org/docket/files/105/4515.pdf] (page visitée le 20 juin 2007).

128Résolution sur l'OTAN et l'intervention humanitaire, n° 286, 15 novembre 1999. [En ligne] : [http ://www.nato-pa.int/archivedpub/resolutions/99-amsterdam-286-f.asp] (page visitée le 20 juin 2007).

129Voir, par exemple, Anthony D'amato, « Israel's air strike upon the Iraqi Nuclear Reactor », AJIL, vol. 77, 1983, à la page 584 ; Rosalyn Higgins, « General course on public international law », RCADI., tome 230, 1991, à la page 313.

130Dupuy, supra note 116, à la page 613.

lui-même et non l'intention réelle ou présumée de l'auteur de l'intervention. Comme nous l'avons déjà signalé, cette argumentation n'a rien de nouveau. En fait, elle ne fait que raviver une argumentation ancienne donnée lors de l'opération de Suez en 1956131, de l'opération israélienne sur l'aéroport d'Entebbe en 1976132 et lors de l'intervention américaine à Grenade en 1983133, pour ne citer que ces trois exemples.

À ce niveau de l'analyse, il est utile de se questionner sur l'utilité ou l'apport des termes « emploi de la force qui ne met pas en cause l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un État ». Il est évident que ces termes ne signifient pas seulement les actes d'agression les plus caractérisés. Cela est d'autant plus vrai si l'on se réfère à l'esprit de la Charte, dans la mesure où l'ajout de ces caractéristiques ou de ces précisions lors de la Conférence de San Francisco, sur proposition de l'Australie134, avait pour but d'expliciter l'interdiction du recours à la force plutôt que de l'affaiblir135. Après un examen des travaux préparatoires de la Charte136, Ian Brownlie avait conclu que l'inclusion du membre de phrase « contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État » suite à la demande des petits États, avait pour but de restreindre l'utilisation de la force et de barrer la route devant les ambitions des grandes puissances137.

131Documents officiels de l'Assemblée Générale, 1ère session extraordinaire d'urgence, 1er au 10 novembre 1956, 562e séance, 1er novembre 1956, p. 22, §105.

132Dans sa déclaration au Conseil de Sécurité, le représentant israélien déclara que : « le paragraphe 4 de l'article 2 doit être interprété comme interdisant le recours à la force contre l'intégrité territoriale et l'indépendance politique des nations mais non point comme interdisant un recours à la force, limité dans son but et dans ses effets à la protection de l'intégrité d'un État et des intérêts vitaux de ses ressortissants lorsque le mécanisme prévu par la Charte des Nations Unies est inopérant dans une situation donnée », S/PV.1942, 13 juillet 1976, § 103. Voir aussi S/PV.1942, 9 juillet 1976, § 115.

133 Devant le Conseil de Sécurité, Mme Kirkpatrick, ambassadrice des États-Unis, a déclaré que : « L'interdiction de l'emploi de la force à laquelle se réfère la Charte doit être replacée dans le contexte. Elle n'est pas absolue [...] ». S/PV.2491, 27 octobre 1983, p. 41.

134UNCIO, vol 3, à la page 543 ; vol 6 à la page 607.

135Sicilianos, supra note 57, à la page 465.

136Les travaux préparatoires des traités peuvent être utilisés comme moyen d'interprétation selon les dispositions de l'article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969.

137Ian Brownlie, « Humanitarian Intervention », dans John Norton Moore (ed), Law and civil war in modern world, London : John Hopkins University Press, 1974, pp.217-228.

Il ne fait aucun doute que les dispositions de la Charte ne permettent aucune échappatoire à l'interdiction générale de l'article 2 § 4, sauf celle contenue dans l'article 51 en ce qui concerne l'usage unilatéral de la force. L'interprétation littérale de l'article 2 § 4 n'est rien d'autre qu'un argument qui n'a rien à voir avec le caractère humanitaire de l'intervention en soi et, de ce fait, il doit être rejeté.

Un autre argument a été avancé par les tenants de ce type d'intervention et particulièrement par quelques membres permanents du Conseil de Sécurité. Selon ce dernier, la simple référence au Chapitre VII dans les résolutions du Conseil de Sécurité peut être une base légale au recours à la force notamment dans les situations persistantes. Toutefois, cette analyse n'est pas conforme avec

[...] la pratique antérieure du même Conseil de Sécurité, inaugurée précisément durant la crise du Golfe avec la résolution 678 en 1990. Cette dernière ne se contentait pas d'une simple référence au Chapitre VII. Elle la comportait mais pour habiliter ensuite explicitement les États membres à prendre toutes les mesures requises [...] si la situation créée par l'Irak perdurait au-delà d'une certaine date. [De plus] l'attitude de deux des membres permanents, la Russie et la Chine, durant l'opération entreprise par les pays de l'OTAN au Kosovo, caractérisée par leur veto à l'égard de toute résolution d'habilitation au recours à la force, interdit qu'on puisse voir dans la pratique durant cette crise une consécration de [cette] thèse138.

En dehors du cas du Kosovo, et toujours dans le cas de l'utilisation de la force dans un but humanitaire, on a invoqué dans le passé l'article 51 comme justification. En effet, celui-ci a été invoqué pour justifier des interventions militaires, pourtant à forte résonance humanitaire, menées dans les années 1970, comme celles de l'Inde au Bengladesh en 1971, celles du Vietnam au Kampuchéa en 1978, ou encore celles de la Tanzanie en Ouganda en 1979. Lors de l'intervention indienne au Bengladesh, le représentant indien a invoqué devant le Conseil de Sécurité l'argument de la légitime défense puisque, pour lui, son pays avait été victime, premièrement d'une agression armée suite aux « bombardements des villages situés près de la frontière pakistanaise » et, deuxièmement, d'une autre forme d'agression causée par l'afflux d'une dizaine de millions de réfugiés qui ont fui le Pakistan suite aux exactions

138Dupuy, supra note 116, à la page 610.

commises par ce dernier139. Quant à l'affaire de Kampuchéa, le Vietnam a invoqué comme seule justification de son action militaire l'article 51 de la Charte contre « la guerre d'agression » entreprise par les khmers rouges140. Pour le dernier exemple cité, la Tanzanie affirmait avoir agi en légitime défense face à « l'occupation », par l'Ouganda, d'une partie de son territoire depuis le 31 octobre 1978. Le président tanzanien déclara que : « [This war] that being conducted by Tanzania in southern Uganda, was presented as being the «continuation» of the action in self-defence against the aggression committed by Uganda against Tanzania at the end of 1978 »141.

Néanmoins, il s'agit dans les trois cas d'une interprétation extensive de l'article 51 puisque aucun des États n'avaient été victime d'une agression armée proprement dite. Cela nous pousse à dire que le recours à la légitime défense pour justifier une intervention humanitaire est dépourvu de tout fondement juridique. En d'autres termes, les États se fondent sur l'argument de la légitime défense pour pallier la faiblesse de l'argument de l'intervention humanitaire, qui est étranger à la Charte. C'est pour cela que nous pensons devoir nous rallier à l'idée selon laquelle « dans le droit international en vigueur aujourd'hui, qu'il s'agisse de droit coutumier ou du système des Nations Unies, les États n'ont aucun droit de riposte armée collective [ou autre] à des actes ne constituant pas une agression armée »142 et, d'autre part, « aucune action coercitive ne sera entreprise en vertu d'accords régionaux ou par des organismes régionaux sans l'autorisation du Conseil de Sécurité »143.

Quoi qu'il en soit, les partisans de l'intervention humanitaire n'ont jamais réussi à présenter une doctrine cohérente et argumentée. Cela est essentiellement dû à l'absence du

139Nations Unies, Conseil de Sécurité, Documents officiels, 1606e séance, 4 décembre 1971, § § 160- 163.

14034 SCOR (XXXIV), 2108e séance, 11 janvier 1979, § 115-116 ; § 120 ; § 126 ; § 128 ; § 130. 141Tel que cité dans Natalino Ronsitti, Rescuing Nationals Abroad Through Military Coercition and Intervention on Grounds of Humanity, Dordrecht : Martinus Nijhoff Publishers, 1985, à la page 102.

Lors de la réunion de l'Organisation de l'Union Africaine, en date du 17 juillet 1979, le président tanzanien conclut dans un rapport écrit : « The war between Tanzania and Ibi Amin's régime in Uganda was caused by the Ugandan army's aggression against Tanzania and Ibi Amin's claim to have annexed part of Tanzanian territory. There was no other cause for it », Ibid., à la page 105.

142Nicaragua c. États-Unis, supra note 27, à la page 105, par. 211.

143Alinéa 1 de l'article 53 de la Charte.

cadre légal, c'est-à-dire l'absence d'un cadre juridique qui se fonde sur des textes incontestables, notamment la Charte des Nations Unies -- instrument de référence essentiel en la matière. On « conviendra [donc] qu'il demeure malaisé de justifier l'intervention en restant dans le cadre de la Charte des Nations Unies »144. En effet, « si aucune argumentation juridique pleinement convaincante permettant de justifier en droit l'intervention militaire de l'OTAN au Kosovo n'a été trouvée, c'est qu'il n'en existe vraisemblablement pas »145. Soucieux de cet obstacle, les défenseurs de ce type d'intervention ont essayé de pousser l'argument en déclarant que la Charte ne constitue pas l'unique source du droit international146 et que, par conséquent, les dispositions de la Charte qui limitent le recours à la force ne doivent pas être considérées comme absolues lorsque ce recours a un but humanitaire. Ce malaise dans l'argumentation juridique a poussé ces mêmes partisans à changer de registre pour se situer sur le plan de la légitimité. D'une part, cette dernière, il faut le dire, laisse une large place à la subjectivité et, d'autre part, elle est nettement moins saisissable que la légalité.

Dans le cas du Kosovo, le débat juridique a dérapé vers une argumentation fondée sur la légitimité avec l'invocation de notions telles que l'esprit du droit international, la protection des valeurs fondamentales. On a même invoqué la possibilité d'écarter les normes positives pour protéger ces valeurs. Le professeur Serge Sur a bien décrit cette situation puisque, pour lui, « derrière chaque type d'argumentation juridique flotte l'ombre de la légitimité, qui peut

144Dupuy, supra note 116, à la page 611.

145Philippe Weckel, « Interdiction de l'emploi de la force : de quelques aspects de méthode », dans Les métamorphoses de la sécurité collective, S.F.D.I, Paris : Pedone, Journée franco-tunisienne, 2005, à la page 189.

146Le représentant des Pays-Bas au Conseil de Sécurité a déclaré que : « Nous espérons [...] que les quelques délégations qui ont soutenu que les frappes aériennes de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) contre la République fédérale de Yougoslavie ont été opérées en violation de la Charte des Nations Unies commenceront un jour à se rendre compte que la Charte n'est pas l'unique source du droit international [...] la Charte est bien plus précise sur le chapitre de la souveraineté que sur celui du respect des droits de l'Homme, mais, depuis le jour de sa rédaction, le monde a connu un déplacement progressif de cet équilibre, qui a rendu le respect des droits de l'Homme plus obligatoire et le respect de la souveraineté moins absolu ». S/PV/401 1, 10 juin 1999, p.1 3.

séduire à défaut de convaincre, persuader que l'action est juste même si elle ne correspond pas à une appréciation vétilleuse de la légalité »147.

1.2. Étirement du concept de la défense des valeurs universelles : droits de l'Homme et démocratie

Pendant la crise du Kosovo, l'ex-président français Jacques Chirac a affirmé dans une déclaration attribuée au journal Le Monde que « la situation humanitaire constituait une raison qui peut justifier une exception à une règle, si forte, si ferme soit elle »148. Il ne fait aucun doute que la règle visée est celle de l'interdiction du recours à la force. Il y avait donc « une véritable obligation d'intervention »149.

En termes juridiques, pour exclure la régulation juridique ordinaire, on invoque des circonstances exceptionnelles, une sorte de circonstances excluant l'illicéité en ressemblance avec le Projet d'articles de la CDI sur la responsabilité étatique. De cette façon, l'« obligation d'intervenir » sera ajoutée à la légitime défense et à l'état de nécessité.

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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo