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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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1.2.1. L'invocation rituelle des droits de l'Homme

Chronologiquement, le cas kosovar a constitué l'apogée d'un cycle d'opérations coercitives militaires ayant comme motif la protection des droits de l'Homme. On invoque de plus en plus les progrès de la réglementation internationale en faveur des droits de l'Homme comme, par exemple, les deux Pactes des Nations Unies sur les droits civils et politiques et sur les droits économiques, sociaux et culturels, la Convention internationale contre la torture, les Conventions européenne et interaméricaine des droits de l'Homme et la Charte

147Serge Sur, « Le recours à la force dans l'affaire du Kosovo et le droit international », Les Notes de l'I.F.R.I, n° 22, septembre 2000, à la page 19.

148Le monde, 8 octobre 1998.

149 Intervention de la Belgique, CR 99/15, supra note 127.

africaine des droits de l'Homme. On mentionne également le progrès en matière de droit international pénal en se référant à la reconnaissance progressive d'une compétence universelle conférant à des juridictions nationales la possibilité de juger les crimes les plus odieux indépendamment du lieu du crime et de la nationalité des auteurs ou des victimes150. Tout cela en soutien à l'idée d'un retrait progressif de la souveraineté dans le domaine des droits de l'Homme, et d'une responsabilité croissante de protection de la part de la communauté internationale151. Plus clairement, la souveraineté sera contournée par l'universalité152. L'idée centrale de cette construction est que, en cas de violations massives des droits de l'Homme, les sujets de droit international bénéficient d'un titre juridique pour intervenir, même par la force armée.

Dans le cas kosovar, la référence aux droits de l'Homme a été invoquée de façon répétitive et rituelle pour justifier l'intervention militaire. Les défenseurs de cette intervention soutiennent qu'en cas de violation massive des droits de l'Homme et qu'en l'absence de toute alternative, le recours à la force armée peut être envisagé et le silence du Conseil de Sécurité ne devrait pas empêcher une telle intervention. Par ailleurs, certains ont tenté de tirer des bénéfices du cas kosovar en essayant d'inscrire cette intervention dans la durée, tout en lui donnant un caractère éthique153, indépendamment de l'attitude hésitante de quelques pays participants. C'est dans ce sens que plusieurs juristes de renom ont utilisé le cas du Kosovo pour produire a posteriori une doctrine de l'intervention humanitaire qui pourrait ensuite être appliquée à d'autres cas, bien qu'à notre humble avis, la formulation de cette doctrine doit précéder son application et non le contraire. C'est dans ce sens que le juge et ancien président du TPIY, Antonio Cassese, affirme en se référant au cas du Kosovo, que la pratique récente témoigne d'une règle coutumière émergente qui n'attend que sa cristallisation. Il avance un certain nombre de conditions qui devraient être réunies et qui justifieraient ainsi le recours à la force. Selon Cassese, la violation massive des droits de l'Homme et la paralysie du Conseil

150Rapport de CIISE, infra note 161, à la page 7.

151Ibid., à la page 9.

152Mario Bettati, Le droit d'ingérence, Paris : Odile Jacob, 1996, à la page 38.

153On verra par la suite comment certains juristes, américains dans leur majorité, ont pris l'intervention de l'OTAN au Kosovo comme base pour justifier en partie l'intervention américaine en Irak. Voir infra, partie II, chapitre 3.

54 de Sécurité par le droit de veto peuvent constituer une base pour un recours proportionné à la force armée afin de faire cesser ces atrocités154 dans la mesure où :

[...] le développement et la propagation rapide dans la communauté internationale des doctrines des droits de l'Homme... ont apporté des changements significatifs au droit international, en particulier dans l'approche des problèmes qui assaillent la communauté mondiale. Une approche axée sur la souveraineté de l'État a été progressivement supplantée par une approche axée sur les droits de l'Homme. Progressivement, la maxime de droit romain Hominum causa omne jus constitutum est, (tout doit être créé au bénéfice des êtres humains) a acquis également un solide ancrage dans la communauté internationale155.

Cependant, selon des auteurs plus critiques, cette thèse « consiste, d'une certaine façon, à faire prévaloir un argument de légitimité, fondé sur la prééminence de certaines valeurs éthiques, incorporées dans des normes juridiques estimées impératives, sur la légalité stricte établie dans le texte de la Charte quant aux conditions du recours à la force »156. Dire que « l'intervention d'humanité n'est contraire à aucune règle prohibitive et répond même à des règles positives de portée générale »157 n'est pas concevable, à notre sens, surtout après l'examen de la jurisprudence de la CIJ en la matière.

Déjà en 1949, lors de l'affaire du Détroit de Corfou, la Cour a estimé que le prétendu droit d'intervention n'a aucune place dans le droit international158. Cette position a été actualisée lors de l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, lorsqu'elle a déclaré que « le recours unilatérale à la force ne saurait être une méthode appropriée pour vérifier et assurer le respect des droits de l'Homme »159. Enfin, dans une ordonnance du 2 juin 1999 dans les affaires relatives à la Licéité de l'emploi de la force,

154Antonio Cassese, « Ex iniuria ius oritur : Are we moving towards International legitimation of forcibal Humanitarian Counter measures in the World Community ? », E.J.I.L, 1999, vol. 10, n°1, pp. 23-31.

155Affaire Tadic, TPIY, Chambre d'Appel, 2 octobre 1995, D-88-86/6491 BIS.

156Dupuy, supra note 116, à la page 612.

157Jean Combacau et Serge Sur, Droit international public, Paris : Montchrestien, 6e éd, 2004, à la page 631.

158Détroit de Corfou, supra note 28, à la page 35.

159Nicaragua c. États-Unis, supra note 27, à la page 178, par. 268.

elle déclara qu'elle « [...] est fortement préoccupée par l'emploi de la force en Yougoslavie ; dans les circonstances actuelles, cet emploi soulève des problèmes très graves de droit international »160.

Dans le même ordre d'idées, au sein de l'ONU, l'intensité des débats entourant l'intervention de l'OTAN au Kosovo -- et les controverses qu'elle a suscitées sur la scène internationale -- ont donné naissance à la Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États (CIISE) suite à une proposition du Canada. Cette commission avait comme tâches de réfléchir sur le concept de l'intervention humanitaire et, surtout, de le réconcilier avec les dispositions de la Charte relatives au recours à la force. Ses travaux ont abouti à l'adoption d'un rapport intitulé « La responsabilité de protéger »161 . Dans ce rapport, on peut lire « [...] que l'expression « intervention humanitaire » ne contribuait pas à faire progresser le débat, la Commission [préfère] parler non pas d'un « droit d'intervention » mais plutôt d'une responsabilité de protéger »162.

De notre point de vue, il paraît clair que la Commission est en train de chercher un cadre systématique d'application de l'intervention humanitaire à travers l'adoption d'une terminologie plus éthique (la responsabilité).

Pour la Commission, « L'intervention militaire à des fins de protection humaine doit être considérée comme une mesure exceptionnelle et extraordinaire et, pour qu'elle soit justifiée, il faut qu'un préjudice grave et irréparable touchant des êtres humains soit en train -- ou risque à tout moment -- de se produire »163. En d'autres termes, il y a une obligation d'agir lorsqu'il s'agit d'arrêter ou d'éviter

160Licéité de l'emploi de la force, mesures conservatoires, ordonnance du 2 juin 1999, CIJ Rec. 1999, par.16.

161Commission internationale de l'intervention et de la souveraineté des États, « La responsabilité de protéger », Centre de recherches pour le développement international, Ottawa, décembre 2001. [En ligne] : [http :// www.ciise.ca/pdf/Rapport-de-la-Commission.pdf] (page visitée le 13 février 2007).

162 Ibid., à la page 12.

163Ibid., à la page 37.

des pertes considérables en vies humaines, effectives ou appréhendées, qu'il y ait ou non intention génocidaire, qui résultent soit de l'action délibérée de l'État, soit de sa négligence ou de son incapacité à agir, soit encore d'une défaillance dont il est responsable ; ou un « nettoyage ethnique » à grande échelle, effectif ou appréhendé, qu'il soit perpétré par des tueries, l'expulsion forcée, la terreur ou le viol164.

Si l'une de ces conditions est satisfaite, le critère de la « juste cause » est rempli, par référence à la théorie de la guerre juste. En d'autres termes, la légitimité de l'opération doit l'emporter sur sa légalité ou, au moins, remédier à son éventuelle illégalité dans la mesure où « en matière d'action militaire transfrontière, l'appartenance à l'ONU impose aux grandes puissances l'obligation de s'abstenir de toute intervention militaire au profit d'interventions internationales collectives autorisées »165 par le Conseil de Sécurité « qui détient une autorité universelle acceptée pour valider ces opérations »166 . Mais, de l'avis de la Commission, « il serait irréaliste de s'attendre à ce que les États concernés renoncent à tout autre moyen de faire face à la gravité et à l'urgence de ladite situation »167. Sur ce point, on remarque que la centralité du Conseil de Sécurité a été réaffirmée. Toutefois, dans le cas où

le Conseil ne p[eut] pas, ou ne veu[t] pas, assumer le rôle qu'il était censé jouer, on peut difficilement écarter complètement toute possibilité de recours à d'autres moyens d'assurer la responsabilité de protéger lorsqu'il rejette expressément une proposition d'intervention alors que des questions humanitaires et de droits de l'Homme se posent très clairement, ou qu'il ne donne pas suite à cette proposition dans un délai raisonnable168.

Dans ce cas, l'une des solutions proposées par la Commission consiste à « confier à une organisation régionale ou sous-régionale le soin de mener l'action collective »169 par référence au cas kosovar. Quant à l'exigence de l'article 53 de la Charte de l'autorisation préalable du Conseil de Sécurité, la Commission nous indique qu'« il est arrivé dernièrement que cette approbation soit sollicitée ex post facto, ou après les faits [...] et il pourrait y avoir

164Ibid.

165Ibid., à la page 53.

166Ibid.

167Ibid., à la page XIII. 168Ibid., à la page 57. 169Ibid., à la page 58.

57 une certaine marge de manoeuvre à cet égard pour les actions futures »170. Cette éventualité évoquée par la Commission remet en cause le système de sécurité collective dans la mesure où l'argumentation glisse en dehors du cadre de la Charte.

On peut donc conclure que le rapport de la CIISE n'a pas réussi à réconcilier ses principes avec les dispositions de la Charte en matière de recours à la force. Toutefois, la proposition faite par la Commission aux cinq membres permanents du Conseil de Sécurité de renoncer à exercer leur droit de veto lorsque leurs intérêts ne sont pas en jeu -- afin de permettre l'adoption de résolutions autorisant des interventions militaires dans un but humanitaire dans les cas où celles-ci recueilleraient la majorité des voix171 -- nous parait très judicieuse même si ses chances d'être acceptée par les principaux intéressés sont quasi nulles.

Avant de conclure sur l'invocation des droits de l'Homme comme motif pour recourir à la force armée, une précision s'impose puisque :

Sur le plan juridique, cette invocation relevait d'une confusion, confusion entre droits de l'Homme et droit humanitaire, qui sont pourtant philosophiquement et surtout techniquement différents. Philosophiquement : le droit humanitaire, concrètement universel, protège la personne humaine dans son intégrité physique et morale contre les tortures, les traitements inhumains et dégradants [...]. Les droits de l'Homme, produit des conceptions politiques occidentales, organisent son insertion ordinaire dans la cité, protègent sa vie privée et déterminent les conditions de sa participation à la vie publique. Ils n'ont donc pas le même objet [...]. Les manquements aux droits de l'Homme [...] ne sauraient justifier une action militaire contre l'État qui s'en rendrait coupable, faute de quoi la porte serait ouverte à la guerre de tous contre tous, ou peu s'en faut. Techniquement, le droit humanitaire est un droit des circonstances exceptionnelles, un droit applicable en cas de conflit armé [...]. En revanche les droits de l'Homme sont les droits de la vie quotidienne, simple et tranquille [...]. Les deux types de droits sont donc de nature différente et ne sont pas mis en oeuvre par les mêmes techniques. L'universalité du droit humanitaire contraste enfin avec les interprétations différentes des droits de l'Homme172.

170Ibid., à la page 59. 171Ibid., à la page 82. 172Sur, supra note 147, à la page 18.

Au-delà de cette précision, si importante soit elle, et toujours dans le domaine de la protection des valeurs universelles, la défense de la démocratie comme motif de recourir à la force a connu le même développement que celui de la défense des droits de l'Homme.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon