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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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2.2. L'imputabilité de l'agression armée : le cas de l'agression indirecte

Partons du principe que le droit international régit seulement les relations entres les sujets du droit international, au premier rang desquels figurent les États. Suivant les définitions de l'agression données par la doctrine203 et la résolution 3314 (XXIX)204, on peut donc dire que pour se situer dans le cadre de la légitime défense, il faut que l'auteur et la victime de l'agression soient des États. Ce sont là, par voie de conséquence, également des exigences juridiques de l'article 51.

200A. C.D.I, 1976, vol II, 2e partie, à la page 89

201Nicaragua c. États-Unis, supra note 27, à la page 101.

202Rapport de la CDI, commentaire de l'article 21, supra note 65. pp.191 -192.

203Supra note 53.
204Supra note 23.

Dans le cas d'espèce :

Pour désigner comme agression l'attaque du 11 septembre, il faut soit considérer qu'on peut assimiler le réseau transnational terroriste Al Qaïda à un État, ou, à tout le moins, à un sujet de droit international, soit assimiler son action à celle menée par cet État de fait que constituait alors vraisemblablement l'Afghanistan sous contrôle des Talibans205.

Puisque Al Qaïda ne constitue pas un État selon la définition de l'État en droit international, peut-on alternativement considérer l'Afghanistan des Talibans comme responsable indirect par complicité ?

Dans sa lettre adressée au président du Conseil de Sécurité, le représentant permanent des États-Unis déclarait que son gouvernement :

has obtained clear and compelling information that the Al-Qaeda organization, which is supported by the Taliban regime in Afghanistan has a central role in the attacks [...] The attacks on 11 September and the ongoing threat on the United States and its nationals posed by Al-Qaeda organization have been made possible by the decision of the Taliban regime to allow the parts of Afghanistan that it controls to be used by this organization as a base of operation206.

Pourtant, avant les attentats, certains responsables de l'administration américaine avaient déclaré que le réseau Al-Qaïda agissait de façon autonome. Le coordinateur du Département d'État américain écrivait, en 1999, que « Bin Laden's organization operates on its own, without having to depend on a state sponsor for material support. He possesses financial resources and means of raising funds-often through narcotrafficking, legitimate « front » companies, and local financial »207.

205Ibid.

206Letter from the U.S. Permanent Representative to the UN, to the president of the Security Council (Oct. 7, 2001), UN Doc.S/2001/946.

207Hearings Before the Subcomm. on Near E. and S. Asian Affairs of the Senate Foreign Relations Comm., 1 06th Cong. (Nov. 2, 1999) (testimony of Ambassador Michael A.Sheehan, coordinator for counterterrorism, U.S. Dept of State).

Il est juridiquement primordial de déterminer si la nature du soutien de l'Afghanistan des Talibans à Al-Qaïda suffit pour leur imputer les attaques du 11 septembre. L'article 3 g) de la résolution 3314 (XXIX), portant définition de l'agression, stipule que constitue un acte d'agression :

l'envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État d'une gravité telle qu'ils équivalent aux actes énumérés [aux paragraphes précédents], ou le fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action.

La lecture de cet article montre qu'il existe des conditions très strictes pour imputer un acte perpétré par des forces irrégulières à un État. C'est sur cette base que dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la CIJ a déclaré que :

[L]'accord parait aujourd'hui général sur la nature des actes pouvant êtres considérés comme constitutifs d'une agression armée. En particulier, on peut considérer comme admis que, par agression armée, il faut entendre non seulement l'action des forces armées régulières à travers une frontière internationale mais encore "l'envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de mercenaires qui se livrent à des actes de forces armées contre un autre État d'une gravité telle qu'ils équivalent" à une véritable agression armée accomplie par des forces régulières, "ou [au] fait de s'engager d'une manière substantielle dans une telle action". Cette description qui figure à l'article 3, alinéa g), de la définition de l'agression annexée à la résolution 3314 (XXIX) de l'Assemblée Générale, peut être considérée comme l'expression du droit international coutumier [...] Mais la Cour ne pense pas que la notion d'agression armée puisse recouvrir non seulement l'action de bandes armées dans le cas où cette action revêt une ampleur particulière, mais aussi une assistance à des rebelles prenant la forme de fourniture d'armements ou d'assistance logistique ou autre. On peut voir dans une telle assistance une menace ou un emploi de la force, ou l'équivalent d'une intervention dans les affaires intérieures et extérieures d'autres États208.

En reprenant in extenso les situations figurant dans l'article 3 g), la Cour a considéré cet article comme une disposition clef dans la mesure où il constitue « l'expression du droit international coutumier »209. Toujours selon la Cour, « si la notion d'agression armée englobe

208Nicaragua c. États-Unis, supra note 27, p.103 par.195. 209Ibid.

l'envoi de bandes armées par un État sur le territoire d'un autre État, la fourniture d'armes et le soutien apporté à ces bandes ne sauraient être assimilés à l'agression armée »210. La Cour a donc précisé d'une façon claire quelles sont les conditions auxquelles un soutien à des forces armées qui commettent un acte de terrorisme peut être qualifié d'acte d'agression armée.

Pour L.A. Sicilianos, les forces irrégulières constituées et envoyées par un État en territoire étranger, ou qui agissent en son nom, remplissent « une mission publique » même « si ses membres n'ont pas officiellement le statut de fonctionnaire ou d'agent de cet État »21 1. C'est ce que la CDI a appelé « la théorie des organes de fait »212. En d'autres termes, « le lien de subordination d'un groupe de prétendus volontaires ou de mercenaires à l'État qui les emploie, ainsi que leur dépendance totale à son égard fait que ces entités constituent en réalité une partie de l'appareil étatique »213.

Dans le cas de bandes armées soutenues activement par un État, mais bénéficiant d'une liberté d'action en opérant pour leur propre compte, il n'est pas possible « d'assimiler les bandes armées en question à un organe de l'État qui les soutient ni de considérer qu'elles agissent en son nom. Ces entités doivent dès lors être qualifiées de non étatiques au sens strict du terme »214.

Pour revenir à l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, la Cour a examiné séparément les activités des UNCLAs (Unilaterally Controlled Latino Assests) et celles des contras. Les premières, des forces paramilitaires, étaient composées essentiellement de nationaux d'États de pays latino-américains payés par les États- Unis et agissaient sous leurs directives et instructions. De l'autre côté, les contras bénéficiaient, eux aussi, d'un soutien de la part des États-Unis mais ils jouissaient d'une autonomie d'action et, de ce fait, on ne peut les considérer comme agissant au nom des États-

210Ibid., à la page 127, par. 247.

211Sicilianos, supra note 57, à la page 323.

212Rapport de la CDI à l'Assemblée générale, A.C.D.I 1974, vol II, 1ère partie, à la page 294. 213Sicilianos, supra note 57, à la page 323.

214Ibid.

70 Unis. La Cour a constaté, sur cette base, le lien d'imputation dans le premier cas et l'a refusé dans le second cas, malgré le nombre élevé de victimes engendré par les agissements des contras puisque :

Ces actes auraient fort bien pu être commis par des membres des forces contra en dehors du contrôle des États-Unis. Pour que la responsabilité juridique de ces derniers soit engagée, il devrait en principe être établi qu'ils avaient le contrôle effectif des opérations militaires ou paramilitaires au cours desquelles les violations en question se seraient produites215.

Il est à noter que la position de la CIJ concernant l'« engagement substantiel » dans cette affaire a été critiquée. C'est dans ce sens que certains internationalistes se sont demandés si l'agression indirecte, tout en n'étant pas exclue en théorie, devenait quasiment impossible en réalité. Cette critique trouve son origine dans l'arrêt du 15 juillet 1999, rendu en appel dans l'affaire Tadic. Le TPIY a explicitement affirmé que le critère de contrôle effectif énoncé par la CIJ « ne semble pas convaincant »216. Un simple contrôle général serait suffisant selon le TPIY.

Néanmoins, le TPIY ne semble pas avoir convaincu la CDI dans cet arrêt, puisque cette dernière a réaffirmé la pertinence de l'approche de cette dernière217.

D'ailleurs, dans l'avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, la CIJ a rappelé -- brièvement mais fermement -- que l'exercice de la légitime défense ne s'exerce qu'en cas d'agression armée par un État contre un autre État218 avant de conclure qu'« Israël ne saurait se prévaloir du droit de légitime défense ou de l'état de nécessité, comme excluant l'illicéité de la construction du

215Nicaragua c. États-Unis, supra note 27, à la page 65, par.115.

216Affaire Tadic, TPIY, Chambre d'Appel, IT-94-1 -A, 15 juillet 1999, titre (ii) ; il est à noter que le Tribunal de première instance a adopté la jurisprudence de l'arrêt Nicaragua ; arrêt du 7 mai 1997, IT94-1-T, par.585.

217Rapport CDI, supra note 65, commentaire de l'article 8, pp.109-116.

218Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, CIJ, Rec. 2004, à la page 62, par. 139.

mur [...] »219. Plus récemment, dans l'affaire relative à l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, la Haute Juridiction, dans le cadre de la responsabilité internationale a, d'une part, réaffirmé sa jurisprudence lorsqu'elle a déclaré qu'il faut établir « un degré particulièrement élevé de contrôle de l'État sur les personnes ou entités en cause »220 et, d'autre part, critiqué la position de la TPIY en considérant que « le critère du « contrôle global » est inadapté, car il distend trop, jusqu'à le rompre presque, le lien qui doit exister entre le comportement des organes de l'État et la responsabilité internationale de ce dernier »221.

Quant à la pratique du Conseil de Sécurité, notamment dans le conflit arabo-israélien, elle corrobore l'approche de la CIJ puisque Israël a été condamné, dans plusieurs résolutions, pour ses opérations militaires fondées sur la légitime défense contre les États arabes qui soutenaient des forces palestiniennes222. Dans un sens analogue et lors des frappes aériennes américaines contre la Libye en 1986 en réponse à son soutien allégué de terroristes opérant en Europe contre les intérêts américains, la majorité des États qui sont intervenus devant le Conseil de Sécurité ont condamné cette opération223, tout comme l'a ainsi fait l'Assemblée Générale dans sa résolution du 20 novembre 1986224.

On peut donc dire que « jamais une instance de l'ONU n'a retenu l'argument de la légitime défense lorsque celui-ci a été utilisé pour justifier une riposte à une prétendue agression armée indirecte constituée par un simple soutien à des forces irrégulières »225.

219Ibid., par. 142.

220Affaire relative à l'application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), 26 février 2007, à la page 141, par. 393. 221Ibid., à la page 145, par.406.

222S/RES/171 (1962) du 9 avril 1962 ; S/RES/228 (1966) du 25 novembre 1966 ; S/RES/248 (1968) du 24 mars 1968 ; S/RES/256 (1968) du 16 août 1968 ; S/RES/262 (1968) du 31 décembre 1968 ; S/RES/270 (1969) du 26 août 1969 ; S/RES/280 (1970) du 19 mai 1970 ; S/RES/313 (1972) du 28 février 1972 ; S/RES/332 (1973) du 21 avril 1973 ; S/RES/347 (1974) du 24 avril 1974 ; S/RES/573 (1985) du 4 octobre 1985 ; S/RES/61 1 (1988) du 5 avril 1988.

223S/PV. 2674-2682 du 15 au 21 avril 1986.

224A/RES. 41/38 du 20 novembre 1986.

225Olivier Corten, François Dubuisson, « Opération "Liberté Immuable" : une extension abusive du concept de légitime défense », R.G.D.I.P, tome106-1, Paris, 2002, à la page 61.

Pour conclure, et à la lumière des passages précités de l'arrêt de la CIJ concernant l'affaire de Nicaragua -- qui reste à notre avis l'arrêt de principe en la matière --, on peut dire que « [...] la simple tolérance d'un État à l'égard des activités d'entités non étatiques opérant à partir de son territoire ne constitue pas en soi une agression armée au sens de l'article 51 de la Charte »226 et que le soutien apporté par un État à des groupes armés opérant sur le territoire d'un État étranger n'est pas inévitablement assimilable à une agression, puisqu'il est encore difficile de relever aujourd'hui une opinio juris fermement établie. En effet,

la pratique est [...] loin de remettre en cause le texte clair de la définition juridique de l'agression élaborée au sein de l'Assemblée générale de l'ONU, texte dont le sens a été illustré par la Cour internationale de Justice dans une affaire de principe qui garde toute sa pertinence aujourd'hui227.

Par conséquent, et en application du droit existant au moment des faits à l'intervention américaine en Afghanistan, on peut dire que les attentats du 11 septembre ne peuvent être qualifiés d'agression à l'égard des États-Unis, faute d'imputabilité de ces actions à un État ou à un groupe agissant au nom, ou sous le contrôle effectif, d'un État.

Pour résumer, on peut dire avec le juge Gilbert Guillaume, ancien président de la CIJ, qu' :

[...] après les événements du 11 septembre 2001, de nouvelles théories se sont développées pour démontrer que ces événements marquaient une agression armée contre les États-Unis justifiant l'exercice du droit de légitime défense. Que ces événements aient eu la dimension d'une agression armée, j 'en conviens volontiers, mais il n'a jamais été établi qu'ils trouvaient leur source dans l'action d'un État ; ils trouvaient leur origine dans l'action d'Al Qaïda qui bénéficiait d'un certain soutien, d'une certaine complicité du côté de l'Afghanistan et du régime des Talibans, mais il n'a jamais été prétendu que c'étaient les Talibans qui avaient envoyaient les avions dans les tours de New York. Peut-on considérer dans ces conditions qu'on se trouvait en face d'un cas d'application de l'article 51 ? Ce serait, me semble-t-il, extrêmement dangereux parce que si l'on considère qu'un

226Sicilianos, supra note 57, à la page 327.

227Corten, F. Dubuisson, supra note 225, à la page 62.

événement de ce genre, c'est-à-dire une agression armée par une organisation non gouvernementale -- après tout, Al Qaïda est une ONG d'un type particulier -- peut justifier l'exercice du droit de légitime défense, cela veut dire que l'État qui s'estime agressé a le droit d'intervenir par la force armée sur le territoire d'un autre État, où se trouve éventuellement cette ONG. Ce serait donc justifier l'action unilatérale des États par le recours à la force à l'étranger même en l'absence d'agression par un autre État dès lors que leur sécurité a été menacée par des organisations de type Al Qaïda. Les dangers d'une telle théorie paraissent considérables228.

Cependant, on peut d'un autre côté se demander s'il ne ressort pas de l'argumentation américaine un certain renvoi à un autre type de réaction armée, à savoir les représailles armées.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera