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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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3.2. Critique de la thèse anglo-saxonne

L'argument américain fondé sur une autorisation implicite, contenue dans la résolution 1441, trouve son origine dans l'interprétation de la version anglaise de ladite résolution. Il faut noter que la rédaction de cette dernière dans sa version anglaise a été, par ailleurs, fortement inspirée de l'argumentation juridique américaine257. Dans son premier paragraphe, la résolution 1441 affirme que l'Irak « remains in a material breach of its obligations under relevant resolutions, including resolutions 687 (1991) ». Donc, « la violation patente » (version française de la résolution) a été traduite par « material breach », ce qui a été interprété comme un renvoi direct à l'article 60 de la Convention de Vienne (1969) sur le droit des traités portant sur la suspension ou à l'extinction d'un traité en cas de violation substantielle par l'une des parties258.

257Philippe Weckel, « L'usage déraisonnable de la force », R.G.D.I.P, vol. 107, 2003, à la page 384. 258L'article 60 de la Convention de Vienne (1969) sur le droit des traités stipule que :

1. Une violation substantielle d'un traité bilatéral par l'une des parties autorise l'autre partie à invoquer la violation comme motif pour mettre fin au traité ou suspendre son application en totalité ou en partie.

2. Une violation substantielle d'un traité multilatéral par l'une des parties autorise :

a)les autres parties, agissant par accord unanime, à suspendre l'application du traité en totalité ou en partie ou à mettre fin à celui-ci :

i) soit dans les relations entre elles-mêmes et l'État auteur de la violation,

ii) soit entre toutes les parties ;

b) une partie spécialement atteinte par la violation à invoquer celle-ci comme motif de suspension de l'application du traité en totalité ou en partie dans les relations entre elle-même et l'État auteur de la violation ;

c) toute partie autre que l'État auteur de la violation à invoquer la violation comme motif pour suspendre l'application du traité en totalité ou en partie en ce qui la concerne si ce traité est d'une

Suivant cette interprétation, la résolution 687 est considérée comme un traité ou un accord de cessez-le-feu, et sa violation par l'Irak entraînerait sa suspension ou son extinction, c'est-à-dire une rupture de l'accord de cessez-le-feu. Cela enclencherait, par conséquent, la remise en vigueur automatique de la résolution 678 dans laquelle le Conseil de Sécurité avait autorisé l'action militaire contre l'Irak suite à son occupation du Koweït. Pour John Yoo :

Due to Iraq's material breaches of the cease-fire, established principles of international law-both treaty and armistice law-permitted the United States to suspend its terms and to use of force to compel Iraqi compliance. Such a use of force was consistent with US practice both with regard to Iraq and with regard to treaties and cease-fires [...]259.

Au-delà de cette ambiguïté sémantique, certes aucunement fortuite, cette argumentation comporte une faille évidente dans la mesure où l'accord de cessez-le-feu a été conclu entre l'ONU et l'Irak et, par conséquent, la suspension ou la rupture de cet accord ne peuvent être invoquées par un ou plusieurs membres de l'organisation internationale260. D'un autre côté, le fait d'assimiler la résolution 687 à un traité de paix reste contestable puisqu'elle n'a fait l'objet d'aucune négociation. Le paragraphe 33 de la résolution stipule que :

nature telle qu'une violation substantielle de ses dispositions par une partie modifie radicalement la situation de chacune des parties quant à l'exécution ultérieure de ses obligations en vertu du traité.

3. Aux fins du présent article, une violation substantielle d'un traité est constituée par :

a) un rejet du traité non autorisé par la présente Convention ; ou

b) la violation d'une disposition essentielle pour la réalisation de l'objet ou du but du traité.

4. Les paragraphes qui précèdent ne portent atteinte à aucune disposition du traité applicable en cas de violation.

5. Les paragraphes 1 à 3 ne s'appliquent pas aux dispositions relatives à la protection de la personne humaine contenues dans des traités de caractère humanitaire, notamment aux dispositions excluant toute forme de représailles à l'égard des personnes protégées par lesdits traités.

259John Yoo, « International law and the War in Iraq », A.J.I.L, vol 97-3, 2003, à la page 563.

260Voir sur ce point Conséquences juridiques pour les États de la présence continue de l'Afrique du Sud en Namibie (Sud-ouest africain) nonobstant la résolution 276 (1970) du Conseil de Sécurité, avis consultatif, 21 juin 1971, CIJ. Rec.1971, p.53, par.114.

[...] dès que l'Iraq aura notifié officiellement au Secrétaire général et au Conseil de sécurité son acceptation des dispositions qui précèdent, un cessez-le-feu en bonne et due forme entrera en vigueur entre l'Iraq et le Koweït ainsi que les États Membres coopérant avec le Koweït en application de la résolution 678 (1 990)261.

Le cessez-le-feu a été donc « concédé unilatéralement en posant un préalable. Il n'y a donc pas eu d'accord de cessez-le-feu. D'ailleurs une "violations substantielle" (material breach) d'un tel accord de cessez-le-feu se produit lorsque l'une des parties prend la responsabilité d'ouvrir les hostilités. On ne peut pas accuser l'Iraq de cela [...] »262. En d'autres termes, l'invocation de l'article 60 de la Convention de Vienne (1969) sur le droit des traités dans le cas d'espèce n'a aucun fondement juridique.

Dans le même ordre d'idées, il faut remarquer que le ravivage de l'autorisation donnée dans la résolution 678 est également sans fondement, dans la mesure où cette résolution visait un but bien déterminé, à savoir la libération du Koweït. Une fois cet objectif atteint, l'autorisation cesse d'exister. Aller chercher une quelconque autorisation dans cette résolution en dehors du contexte dans lequel elle a été adoptée n'a aucun sens juridique. En effet,

Par la résolution 678 le Conseil de Sécurité n'a pas donné mandat d'employer la force aux États membres de l'ONU en général comme le prétendent les États-Unis [...]. Il est faux de soutenir que l'actuelle coalition peut se prévaloir de l'autorisation de l'usage de l'usage de la force armée accordée par la résolution 678 à une coalition poursuivant des buts différents : le mandat ancien a définitivement cessé d'être en vigueur du fait de la réalisation de son objet263.

Un autre point également frappant dans cette argumentation réside dans le fait que, lors de la guerre du Golf, de 1990-1991 l'autorisation donnée par le Conseil de Sécurité avait seulement pour but de libérer le Koweït, tandis que l'invasion de 2003 avait pour but principal le changement de régime à Bagdad. En d'autres termes, « If the "all necessary

261L'acceptation de l'Irak a été communiquée le 6 avril 1991. UNDOC, S/22456, 6 avril 1991. 262Philippe Weckel, supra note 257, à la page 387.

263Ibid., à la page 386.

means" provision of Resolution 678 did not permit the forcible removal of Hussein from power in the course of Kuwait's liberation, it does not permit a forcible regime change a decade later »264.

Il paraît donc -- et d'une façon très claire -- que l'interprétation anglo-saxonne est erronée. La résolution 1441 ne comporte aucune autorisation ni explicite ni implicite de recourir à la force. D'ailleurs, si telle avait été l'intention du Conseil de Sécurité, celui-ci l'aurait formulée clairement, comme il l'a déjà fait dans d'autres résolutions265. Un autre point essentiel, qui corrobore ce mode de pensée, est celui ressortant des débats entourant l'adoption de ladite résolution. Dans les procès verbaux, tous les États membres266 du Conseil de Sécurité, et à leur tête les États-Unis, se sont accordés pour dire que « la présente résolution ne contient pas de "détonateur caché" ou d'"automacité" concernant le recours à la force »267 . Les efforts déployés en février et mars 2003 par les États-Unis et leurs alliés (notamment le Royaume Uni, l'Espagne et la Bulgarie) pour obtenir une résolution autorisant le recours à la force contre l'Irak, montrent que ces États admettaient que la résolution 1441 ne contenait pas l'autorisation requise pour entreprendre cette action armée268.

Il est à noter que cette argumentation américaine concernant la suspension de la résolution 687 n'a rien de nouveau puisque les États-Unis avaient déjà adopté un raisonnement semblable à propos de la résolution 1154 du 2 mars 1998, dans le but de justifier leur opération « Renard du désert » en décembre 1998. Dans cette résolution, le

264Patrick McLain, « Settling the score with Saddam : Resolution 1441 and parallel justification for the use of force against Iraq », Duke Journal of Comparative & International Law, vol. 13, 2003, pp. 257- 258.

265S/RES/770, 13 août 1992, § 2 ; S/RES/794, 3 décembre 1992, § 10 ; S/RES/929, 22 juin 1994, § 3 ; S/RES/940, 31 juillet 1994, § 4 ; S/RES/1264, 15 septembre 1999, § 3 ; S/RES/1464, 4 février 2003, § 9 ; S/RES/1484, 30 mai 2003, § 4 ; S/RES/1491, 11 juillet 2003, § 11 ; S/RES/1497, 1er août 2003, § 5. 266Déclarations des Représentants de la France, S/PV.4644, 8 novembre 2002, p. 5 ; du Mexique, ibid., pp. 6-7 ; de l'Irlande, ibid., pp. 7-8 ; de la Fédération de Russie, ibid., p. 9 ; de la Bulgarie, ibid., p. 10 ; de la Syrie, ibid., pp. 10-11 ; de la Colombie, ibid., p. 12 ; du Cameroun, ibid., p. 12 ; de la Chine, ibid., p.14.

267Déclaration du Représentant des États-Unis d'Amérique, S/PV.4644, 8 novembre 2002, p. 3.

268C'est d'ailleurs la position du Secrétaire général Kofi Annan ; voir Patrick Tyler, Felicity Barringer, « Annan Says US Will Violate Charter if it Acts Without Approval », New York Times, 11 mars 2003, p. A8.

Conseil de Sécurité avait rappelé à l'Irak ses obligations en matière de désarmement, tout en le prévenant « que toute violation aurait de très graves conséquences ». Les Américains ont interprété ces termes comme une autorisation à user de la force en cas de violation par l'Irak269.

On peut donc dire que, pour qu'une intervention armée légale puisse avoir lieu, une résolution du Conseil de Sécurité contenant une autorisation expresse aurait été nécessaire.

À travers un certain opportunisme, on a également ou alternativement essayé de légaliser cette invasion à posteriori, suite à l'adoption des résolutions 1483 du 22 mai 2003, 1500 du 14 août 2003 et 1511 du 16 août 2003. Ces résolutions permettent d'organiser la présence des membres de la coalition sur le territoire irakien, sans toutefois critiquer les circonstances ayant conduit à leur présence sur ce même territoire. Elles reconnaissent, entre autres, l'autorité provisoire de la coalition en tant que responsable principal de l'administration du territoire iraquien270. Dans la résolution 1511, le Conseil de Sécurité a, par ailleurs, autorisé « une force multinationale, sous commandement unifié, à prendre toutes les mesures nécessaires pour contribuer au maintien de la sécurité et de la stabilité en Iraq » et a demandé aux États-Unis de rendre compte, « au nom de la force multinationale », de tous les progrès accomplis par cette même force271.

Cependant, dire que l'absence de condamnation vaudrait autorisation tacite ex post est erroné puisque :

269Voir Maurice Torelli, « Le nouveau défi iraquien à la communauté internationale : Le dialectique des volontés », Paris, R.G.D.I.P, vol.2, 1998, pp.45 1-455.

Il est à noter que l'opération « Renard du désert » reposait sur des bombardements aériens à haute altitude et qu'elle n'a pas abouti à une invasion totale, comme ce fut le cas avec l'action armée de 2003.

270S/RES/1483, 22 mai 2003, § 4.

271S/RES/1511, 16 août 2003, §§ 13-25.

Nothing in Resolution 1483 explicitly approves of the 2003 invasion. The resolution does refer to the United States and United Kingdom as occupying powers, but the duties of an occupying power exist whether or not it was lawful to use the armed force that resulted in the occupation. Consequently no implication as to the lawfulness of the invasion can be drawn from the resolution's recognition of the U.S. and U.K. as occupying powers272.

Il nous parait évident que l'action armée entreprise par les États-Unis et ses alliés ne peut en aucun cas être légalisée par l'organe même qui ne l'a pas autorisée. L'absence de condamnation ne peut pas être interprétée comme une régularisation de l'action, dans la mesure où les résolutions du Conseil de Sécurité ne peuvent pas avoir, en principe, un effet rétractif.

D'un point de vue pratique, une résolution condamnant cette action militaire aurait certainement rencontré un veto de la part des États-Unis et du Royaume Uni. L'adoption de ces résolutions « ne préjuge en aucun cas de la légitimité ou de la légalité du conflit armé»273. D'ailleurs, certains membres du Conseil de Sécurité ont précisément insisté sur le fait que ces résolutions ne pouvaient comporter une quelconque légalisation de l'occupation274. Ces États ont clarifié leur position en expliquant que leur vote en faveur de ces résolutions était simplement motivé par des considérations humanitaires275.

À la lumière de ce qui précède, nous pouvons tirer quelques enseignements. Ce type d'argumentation, bien qu'il se place apparemment sous l'égide de la Charte, attaque le

272Frederic L. Kirgis, « Security Council Resolution 1483 on the rebuilding of Iraq », ASIL Insights, May 2003. Disponible [en ligne] : [http :// www.asil.org/insights/insigh107.htm], (page visitée le 25 avril 2007).

273Déclaration du Représentant de l'Argentine, S/PV.4726, 26 mars 2003, p. 40.

À cette occasion, plusieurs membres des Nations Unies ont recondamné l'action militaire de la coalition : Voir Déclarations des Représentants de la Malaisie, S/PV.4726, 26 mars 2003, p. 8 ; de la Ligue arabe, ibid., p.9 ; du Yémen, ibid., p. 14 ; de la Libye, ibid., p. 18 ; de l'Indonésie, ibid., p. 21 ; de l'Inde, ibid., p. 26 ; du Brésil, ibid., p. 30 ; de la Suisse, ibid., p. 32 ; de l'Iran, ibid., p. 36 ; du Maroc, ibid., p. 48 ; du Laos, ibid., p. 51 ; du Liechtenstein, S/PV.4726 (resumption 1), 27 mars 2003, p. 2 ; de la Palestine, ibid., p. 10 ;du Timor Oriental, ibid., p. 12 ; du Mexique, ibid., p. 21 ; du Pakistan, ibid., p. 22 ; de la Fédération de Russie, ibid., p. 28 ; de la Chine, ibid., p. 30 ; de la France, ibid., p. 31 ; de la Syrie, ibid., p. 34

274Déclaration des Représentants de la Syrie, S/PV.4732, 28 mars 2003, p. 3 ; de la Russie, ibid. ; du Pakistan, ibid.

275Ibid.

système entier en donnant à l'unilatéralisme une place considérable -- notamment en transférant un pouvoir de constatation ou de décision du Conseil de Sécurité aux États membres. C'est en ce sens qu'il a été soutenu, par exemple, que le Conseil de Sécurité peut autoriser le recours à la force d'une manière implicite alors que pour mettre fin à une autorisation donnée, il doit y avoir une décision explicite276. Ceci fait bien sûr abstraction du fait que, sur le plan pratique, cette décision peut se heurter au droit de veto de l'État ou des États intéressés. En d'autres termes, on nous dit que, pour écarter la règle cardinale de l'article 2 § 4, une autorisation implicite est suffisante alors que pour revenir au système de la Charte, il faudrait une décision explicite ! C'est à travers ce type de raisonnement que l'on s'attaque au système de la Charte en inversant la logique du système de sécurité collective, et en particulier les rapports entre l'article 2 § 4 et le Chapitre VII. Finalement, l'interdiction de recourir à la force devient l'exception et le recours à la force devient la règle.

Ce type d'argumentation permet aussi de détourner la volonté du Conseil de Sécurité tout en méconnaissant l'article 42 de la Charte. Évoquer des résolutions adoptées dans un contexte bien déterminé, pour argumenter un recours à la force dans un contexte différent, est contraire au système de la Charte dans lequel le Conseil de Sécurité détient le monopole de la qualification mais aussi le monopole de la décision sur la nature de l'action à entreprendre.

Enfin, l'argument de l'autorisation a posteriori qui vient rétroactivement régulariser l'action initiale touche aussi l'intégrité du système de la Charte, dans la mesure où il crée une présomption en faveur de l'État qui utilise la force d'une manière unilatérale. Ceci est bien évidemment contraire à l'esprit de la Charte.

276Yoo, supra note 259, pp. 567-568.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand