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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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3.3.1. L'hypothèse du droit coutumier antérieur à la Charte

Dans le document de la Maison Blanche, on peut lire que : « For centuries, international law recognized that nations need not suffer an attack before they can lawfully take action to

288 Voir Brenda Godfrey, « Authorization to Kill Terrorist Leaders and Those Who Harbor Them : An International Analysis of Defensive Assassination », San Diego Int 'l L.J., vol.4, 2003, pp. 491 et ss. 289Supra note 173, à la page 23.

290Discours du Secrétaire général Kofi Annan devant l'Assemblée Générale des Nations Unies. SG/SM/8891, 23 septembre 2003.

defend themselves against forces that present an imminent danger of attack »291. Cette phrase est une référence directe à l'argument souvent avancé par les partisans de la doctrine de la légitime défense préventive selon lequel l'article 51 de la Charte n'a pas porté atteinte à la règle coutumière préexistante dans le domaine de la légitime défense292 en mentionnant qu'« aucune disposition de la présente ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense [...] ».

Les partisans de cette doctrine présentent ainsi l'affaire de la Caroline de 1837 comme le locus classicus en la matière293. The Caroline est le nom d'un navire appartenant à des particuliers américains, qui assurait, à partir du territoire américain, l'approvisionnement de rebelles canadiens en lutte contre le Royaume Uni. Ce navire fut attaqué pendant la nuit du 29 au 30 décembre 1873, dans le port américain de Fort Schlosser, par des soldats de sa Majesté Victoria. Il fut incendié et finalement précipité dans les chutes de Niagara. Suite aux protestations américaines, le Royaume Uni invoqua l'état de nécessité pour justifier son intervention. Cet argument fut, en principe, accepté par les États-Unis puisque dans une note adressée à son homologue britannique le 24 avril 1841, le Secrétaire d'État américain, Daniel Webster, reconnaissait qu'une action militaire en territoire étranger pouvait se justifier dans le cas d'une « necessity of self defense, instant, overwhelming, leaving no choice of means and no moment for deliberation »294. Quelques mois plus tard, le 7 décembre 1841, le président Tyler reprit l'idée, en affirmant dans un message au Congrès que son « gouvernement ne [pourrait] jamais autoriser aucun gouvernement étranger quel qu'il soit, sauf en cas de nécessité la plus urgente et la plus extrême, à envahir son territoire, que ce

291Supra note 173, à la page 15.

292Voir Humphry Waldock, « The Regulation of the Use of Force by Individual States in International Law », R. C.A.D.I, vol. 81, 1952-II, pp. 495 et ss ; Julius Stone, Aggression and World Order, Los Angeles : University of California Press, 1958, pp. 43 et ss.

293Voir par exemple, Bowett, supra note 67, pp. 187-192.

294Treaties and Other International Acts of the United States of America, Hunter Miller, vol 4 Documents 80-121 : 1836-1846, Washington : Government Printing Office, 1934. [En ligne] : [http :// www.yale.edu/lawweb/avalon/diplomacy/britain/br-1 842d.htm#web1] (page consultée le 5 juin 2007).

[fut] pour arrêter des personnes ayant violé le droit interne de ce gouvernement étranger ou pour détruire leur biens [...] »295.

Pour les défenseurs de ce type d'intervention, le droit de légitime défense préventive aurait donc été établi lors de l'affaire de la Caroline296. Cela veut dire que le droit coutumier antérieur à la Charte est sensiblement plus permissif que l'article 51297. En d'autres termes, un recours à la force serait licite s'il existe une menace imminente. Pour soutenir cette argumentation, on cite aussi fréquemment un passage du jugement du Tribunal militaire international de Nuremberg, dans lequel le Tribunal -- tout en rejetant l'argument de la défense qui justifiait l'invasion de la Norvège par l'Allemagne au titre de la légitime défense -- a rappelé : « [...] qu'une action préventive en territoire étranger ne se justifie que dans le cas d' "une nécessité pressante et urgente de défense, qui ne permet ni de choisir les moyens, ni de délibérer [...]" »298. La question qui se pose à ce niveau de l'analyse est donc de savoir quelle est la valeur pertinente de l'incident de la Caroline en matière de légitime défense aujourd'hui.

Il n'est pas excessif de rappeler que la notion de légitime défense n'a acquis son autonomie juridique et conceptuelle qu'avec l'émergence du principe de non-recours à la force. À l'époque de l'incident de la Caroline :

295Tel que cité dans le Rapport de la CDI, supra note 202, à la page 210.

296Yoo, supra note 259, à la page 572.

297Benvenuta Occelli, « Sinking the Caroline: Why the Caroline Doctrine's Restrictions on SelfDefense Should Not be Regarded as Customary International Law », San Diego Int 'l Law Journal, vol.4, 2003, pp. 467 et ss.

298Jugement du 1er octobre 1946, dans Procès des grands criminels de guerre devant le Tribunal militaire, Nuremberg, 1947, à la page 217 éditeur?.

Le droit international renonce à toute limitation du recours à la force : il se borne à l'enregistrer comme un fait et à y rattacher des conséquences juridiques, conséquences qui ressortissent au droit des conflits armés [...]. Mais le droit y est indifférent quant au déclenchement de la guerre, à ses causes et à la justice ou à l'injustice de celle-ci, l'opportunité et la licéité de la guerre deviennent une option politique de fait, non une question de droit299.

En effet, à l'époque, la notion de légitime défense n'était qu'un terme générique utilisé en plein période d'autopréservation et de libre recours à la force.

La notion de légitime défense [...] était comprise dans un sens particulièrement large, tant dans la pratique diplomatique que parmi les spécialistes du droit international [...]. La guerre était justifiée dès que l'État attaquant pouvait s'appuyer sur des motifs légitimes, expressions qui illustre bien la confusion prévalant encore entre le droit au sens strict et les considérations subjectives de justice, qui étaient laissées à l'appréciation unilatérale des États300.

Donc, on peut dire tout simplement que, puisque le principe n'existe pas, l'exception n'existe pas non plus. D'ailleurs, la doctrine du XIXe et du début du XXe siècle ne classait pas l'incident de la Caroline comme un cas classique de légitime défense. Les auteurs de cette époque se référaient à ce cas dans le cadre des analyses des questions de la neutralité et de ses éventuelles exceptions301. Quant à la CDI, elle a souligné que « l'incident de la "Caroline" de 1837, bien que souvent cité comme un cas de légitime défense, faisait en réalité intervenir l'excuse de nécessité à une époque où le droit régissant l'emploi de la force ne reposait pas du tout sur les mêmes bases qu'aujourd'hui »302.

Pour Ian Brownlie, le droit de légitime défense, tel que défini dans l'article 51, reflétait d'une manière globale le droit coutumier tel qu'il existait lors de l'adoption de la Charte, surtout en ce qui concerne la condition fondamentale de l'existence d'une agression armée.

299Robert Kolb, Ius contra bellum : Le droit international relatif au maintien de la paix, Bruxelles : Bruylant, 2003, à la page 20.

300Corten, supra note 181, à la page 14.

301Voir par exemple, Theodore Dwight Woolsey, Introduction to the Study of International Law, Designed as an Aid in Teaching, and in Historical Studies, 5th ed, 1879.

302Rapport de la CDI, supra note 202, à la page 209.

Selon lui « the use of force in riposte to force was the only generally accepted view as to the justified use of force in self-defence and the delegations at San Francisco naturally did not regard the phrasing of the article as in any sense an innovation in its reference to selfdefence»303.

D'un point de vue normatif, nous sommes d'avis que la période pertinente en la matière est celle qui se situait entre les deux guerres, puisque c'est à cette époque-là que l'on a commencé à poser les prémices du jus contra bellum304. Il faut d'ailleurs rappeler que lors de l'affaire Nicaragua, les États-Unis avaient argumenté que l'article 51 avait résumé et supplanté le droit coutumier préexistant305, ce qui est en contradiction flagrante avec leur position actuelle. Toujours dans le cadre de l'affaire Nicaragua, la CIJ a affirmé-- en se prononçant exclusivement dans le cadre du droit coutumier de légitime défense -- l'existence autonome et parallèle de l'article 51 et de la règle coutumière correspondante, en insistant toutefois sur le fait que le droit inhérent à la légitime défense « est désormais confirmé par la Charte et influencé par elle »306.

De plus, « à supposer même que l'on admette que certaines règles coutumières aient survécu à l'élaboration de la Charte, on voit mal comment ces règles pourraient aboutir à contourner cet instrument conventionnel qui reste la base de l'ordre juridique international [...] »307. En d'autres termes, le seul droit coutumier qui préexiste à la Charte et qui continue à être valide au travers de l'article 51 est celui qui ne contredit pas le texte de cet article. La suprématie de la Charte trouve son fondement juridique dans l'article 103, dans la mesure où les obligations de la Charte prévaudront sur toutes les autres obligations des membres des Nations Unies308.

303Ian Brownlie, International Law and the Use of Force by States, Oxford: Clarendon Press, 1963, à la page 274.

304Sicilianos, supra note 57, pp. 297-299.

305Nicaragua c. États-Unis, supra note 27, à la page 103, par.195.

306Ibid., à la page 94, par. 176.

307Corten, supra note 181, à la page 40.

308Rudolf Bernhardt, « Article 103 », dans Bruno Simma (ed), The Charter of the United Nations- A commentary, Oxford : Oxford University Press, 2e ed, 2002, à la page 1299.

Pour réfuter la thèse du droit coutumier antérieur à la Charte, on peut aussi se fonder sur les principes généraux de droit : lex posterior derogat legi priori, ou encore sur le principe lex specialis derogat legi generali.

Ce qui précède nous permet donc d'affirmer que présenter l'incident de la Caroline comme le locus classicus en matière de légitime défense préventive n'a aucun fondement juridique.

Conscients de ces difficultés, les partisans de cette doctrine ont aussi ravivé un ancien argument. En effet, une fois écartée l'idée de la légitime défense extérieure à la Charte, l'alternative pour eux consiste alors à dire que l'article 51 lui-même n'exclut pas la possibilité d'une intervention armée préventive.

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"Entre deux mots il faut choisir le moindre"   Paul Valery