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Essai de synthèse des nouveaux modes de légitimation du recours à la force et de leurs relations avec le cadre juridique de la Charte des Nations Unies

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par Anis Ben Flah
Université du Quebéc à Montréal - LLM 2008
  

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3.3.4. Caducité de la Charte ou la théorie du no Law

Le débat concernant l'intervention armée américaine en Irak a fait glisser le débat, une fois de plus, vers le terrain de la légitimité, comme c'était le cas lors de l'intervention de l'OTAN au Kosovo. L'expression « illégal, mais légitime » a refait surface. D'ailleurs, le rapprochement entre les deux affaires avait pour motif de faire passer cet argument, comme on le constate dans les propos de Anne Marie Slaughter :

The use of force in Iraq, as in Kosovo, could be legitimate if three conditions are met : (1) the coalition forces uncover undeniable and substantial evidence of weapons of mass destruction maintained by Saddam Hussein's government in the face of increasingly intrusive UN inspections ; (2) the Iraqi people welcome the deposition of Saddam Hussein ; and (3) the United States and Great Britain turned back to the United Nations to help rebuilt Iraq and establish a genuine government of the Iraqi people351.

Se fondant sur la pratique, les défenseurs du concept « illégal, mais légitime » évitent souvent d'évoquer l'autorité légale, à savoir le Conseil de Sécurité qui est le principal organe habilité à autoriser des opérations armées légales, et dès lors légitimes. Pour eux, mais sans qu'ils ne le disent explicitement, cet organe peut aussi --et peut-être doit-- rentrer dans le jeu de l'approbation a posteriori.

Le danger qui émane de cet argument réside essentiellement dans le fait qu'il ne donne aucune réponse claire à la question de savoir qui est l'autorité compétente qui décidera de ce qui est légitime. Le jugement deviendra purement moral, aléatoire et possiblement opportuniste ; en d'autres termes, n'importe qui peut décider de ce qui est légitime, et bien entendu dans le cas d'une intervention armée, les opinions seront divisées. Cela va

évidemment à l'encontre de l'un des buts principaux de la Charte, qui est l'éradication de toute décision morale unilatérale de recourir à la force. En effet, dans le droit de la Charte, l'activité unilatérale des États est soumise à un contrôle juridique, alors que l'activité de police de l'organisation est soumise au contrôle du Conseil de Sécurité. Celui-ci est d'ailleurs le dépositaire du critère de légitimité, dans la mesure où il est habilité à agir pour le bien de la communauté internationale et en son nom.

Mais, dans le cadre des débats entourant l'invasion de l'Irak, l'attaque contre le système collectif de sécurité internationale s'est intensifiée pour atteindre une radicalité outrancière. C'est dans ce sens qu'on nous annonce la mort des règles du droit positif qui encadrent le recours à la force, ou tout simplement la mort de la Charte. Jane Stromseth estime que le droit international actuel, notamment celui régissant le recours à la force dans l'exercice de la légitime défense, est insuffisant pour les États-Unis. Pour elle, ceux-ci doivent créer leur propre droit de légitime défense alors que la Charte garde son pouvoir de contrainte pour le reste des États membres des Nations Unies352. Pour John Yoo et Will Trachman, l'émergence d'un nouveau type de terrorisme signale la fin de l'utilité de la Charte en matière de recours à la force. Le respect de la Charte par les États peut en soi se révéler préjudiciable pour leurs intérêts en matière de sécurité353.

Le chef de file de cette argumentation est Michael Glennon, pour qui: « the age-old dream of subj ecting the use of force to the rule of law has today gone up in smoke »354. Cette théorie, développée depuis la crise du Kosovo, consiste à dire que :

352Jane Stromseth, « Law and Force After Iraq: a Transitional Moment », AJIL, vol.97, 2003, à la page 639.

353John Yoo, Will Trachman, « Less Than Bargained : The Use of Force and the Declining Relevance of the United Nations », Chicago Journal of International Law, vol. 5, no 2, winter 2005, à la page 6. 354Michael. J. Glennon, « Self-defense in an Age of Terrorism », ASIL Proceedings of the 97th Annual Meeting, 2003, à la page 152.

Since 1945, dozens of [UN] member states have engaged in well over 100 inter-state conflicts that have killed millions of people. This record of violation is legally significant. The international legal system is voluntary and states are bound only by rules to which they consent. A treaty can lose its binding effect if a sufficient number of parties engage in conduct that is as odds with the constraints of the treaty. The consent of United Nations member states to the general prohibition against the use of force, as expressed in the Charter, has in this way been supplanted by a changed intent as expressed in deeds [...]. It seems the Charter has, tragically, gone the way of the 1928 Kellogg-Briand Pact which purported to outlaw war and was signed by every major belligerent in World War II355.

L'argumentation de Glennon repose sur une méthode empirique fondée sur l'effectivité qui rejette le droit positif, dans la mesure où ce qui compte « [...] is how States actually behave under conditions of unipolarity, rather than how we would like them to behave »356. Le nombre élevé de conflits armés depuis 1945 (291conflits selon Glennon) montre que le cadre juridique fixé par la Charte ne guide pas la conduite des États et ne reflète donc pas le droit international en vigueur357. C'est pour cela que les règles de la Charte régissant le recours à la force deviennent obsolètes : « The decaying de iure catechism is overly schematized and scholastic, disconnected from State behavior, and unrealistic in its aspirations for State »358. Par conséquent, la Charte est morte, victime de la désuétude359. En d'autres termes, les dispositions de la Charte régissant le recours à la force se sont désintégrées et, de ce fait, sont devenues des termes vides de sens. Il conclut en affirmant qu'un État rationnel ne doit pas penser que les Nations Unies assurent sa sécurité360.

355Michael. J. Glennon, « How war left the law behind », New York Times, 21 novembre 2002, à la page A33.

356Glennon, supra note 354.

357Sur ce point, M. Weisburd rejoint M. Glennon. Il considère que la pratique des États ne confirme tout simplement pas la thèse selon laquelle la règle fixée par la Charte des Nations Unies peut être considérée comme une règle de droit coutumier. Voir Mark Weisburd, Use of Force : the practice of States since World War II, Pennsylvania : Pennsylvania University Press, 1997, à la page 315.

358Michael. J. Glennon, « Military Action Against Terrorists under International Law : The Fog of Law », Harvard Journal of International Law and Public Policy, vol. 25, 2002, à la page 540.

359M. Glennon définit sa thèse de désuétude dans ces termes : « A rule's abandonment through nonenforcement or noncompliance is known as desuetude [...] My theory is that excessive violation of a rule, whether embodied in custom or treaty, causes the rule to be replaced by another rule that permits unrestricted freedom of action ». Michael J. Glennon, « How International Rules Die », The Georgetown Law Journal, vol. 93, 2005, pp.939-940

360Michael J. Glennon, « Why the Security Council failed », Foreign Affairs, mai-juin 2003.

Dans son raisonnement, Glennon est suivi par Anthony Clark Arend, qui présente toutefois une argumentation plus fondamentaliste. Pour lui, « for all practical purposes, the UN Charter framework is dead »361 dans la mesure où le droit coutumier postérieur à la Charte (c'est-à-dire qui ressort de la pratique étatique d'après 1945362) ne concorde pas avec ses dispositions en matière de recours à la force. Arend conclut que la « doctrine Bush » concernant la légitime défense préventive n'enfreint pas le droit international363 tout simplement parce qu'il n'y a pas de règle prohibant le recours à la force364.

Toutefois, cette argumentation frappée par un unilatéralisme anarchique et par un mépris des règles juridiques internationales ne tient pas à l'analyse. Invoquer un grand nombre de conflits armés sans faire la différence entre conflits internes, conflits internationaux, des actes d'agression et des actes de légitime défense est un élément conduisant à la confusion, étant donné que ces différents actes n'ont pas la même signification au regard du droit international.

Pour annoncer la mort de la Charte et de ses règles régissant le recours à la force, il faudrait au surplus dégager de cette pratique une opinio juris. En d'autres termes, il faut aussi comptabiliser les comportements non contraires à la règle ainsi que les prises de positions qui condamnent sa violation. Dans l'affaire iraquienne, la multiplication des condamnations et les nombreuses contestations infirment toute modification concernant le droit international en matière de recours à la force. En effet, « [...] in refusing to assent to the US strategy, they [states] were responding exactly as the Charter intended »365. D'ailleurs, dans la pratique étatique, la violation de l'article 2 § 4 est traditionnellement assimilée à une violation du droit international général. Soutenir le contraire revient à dire que la pratique d'une ou de quelques puissances l'emporte sur la pratique de l'ensemble de la communauté internationale. Pour

361Anthony Clark Arend, « International law and the preemptive use of military force », The Washington Quarterly, 2003, à la p.101.

362Arend cite une vingtaine de cas dans lesquels il y a eu recours à la force armée. Ibid., pp. 99-100. 363Ibid., à la page 101.

364Ibid.

365Thomas M. Franck, « What Happens Now? The United Nations after Iraq », AJIL, vol. 97, 2003, à la page 618.

pouvoir dégager une coutume, il faut combiner la pratique effective et l'opinio juris de l'ensemble de la communauté internationale. En outre, dans la pratique, lorsqu'il y a recours à la force, les États ont toujours, ou presque, invoqué la légitime défense : cela constitue une reconnaissance claire du principe énoncé dans l'article 2 § 4 et de la circonstance excluant l'illicéité d'un comportement qui lui est contraire, à savoir la légitime défense366.

Les violations, même répétées, ne suffisent pas pour déclarer la règle morte étant donné que ce qui se fait est une chose et que ce que la règle requiert en est une autre. Sans possibilité de violation, il n'y pas de règle. Ce constat est valable pour toute règle juridique, qu'elle soit internationale ou autre. La règle comportant l'interdiction du recours à la force continue donc de mettre à la charge de ses destinataires une véritable obligation juridique, en dépit de ses violations fréquentes. Conjecturer la mort de la règle suite à un déficit d'efficacité relève du scepticisme.

La théorie de no Law préconise donc un retour vers le droit international du XIXe siècle, dans lequel régnait la notion de l'autopréservation et l'anarchie de la violence. Chaque État devient finalement libre dans son jugement, dans sa décision de recourir aux armes. En d'autres termes, il s'agit d'un changement radical du système, vu que le recours à la force dans les relations internationales devient illimité.

Pour récapituler nous pouvons donc dire que l'affaire iraquienne a mis en avant un éventail d'arguments qui, pour justifier une opération en particulier ou alors une compagne (la guerre contre le terrorisme), va d'arguments très ponctuels visant à faire cadrer l'opération avec le cadre existant, jusqu'à des arguments qui détruisent le système dans son ensemble.

366Nicaragua c. États-Unis, supra note 27.

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