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Ebanda tono (les peaux tachetées): utilisations et représentations de la faune sauvage (Gabon)

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par Florence Mazzocchetti
Université de Lettres et sciences humaines, Orléans - Master2 2005
  

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II Place à part des animaux tachetés

II.1 Le Symbolisme du Ngoye

Le test du Ngoye n'est pas une initiation à proprement parler, au sens habituel du mot (révélation, au sein d'un groupe, d'un corpus de connaissances ésotériques par l'intermédiaire de rites de passage) car la seule connaissance que le candidat acquiert, est la réalité de sa propre personne. Il s'agit donc d'une initiation personnelle et non plus sociale : il n'y a pas de confrérie organisée d'hommes-panthères, il n'y a que des hommes-panthères isolés les uns des autres, sans aucun lien confessionnel ou sociologique. Les hommes-panthères Bakota sont donc différents de ceux que l'on retrouve dans d'autres ethnies du Gabon où là, les hommes font partis d'une société secrète qui, autrefois, commettaient des crimes rituels sous le couvert d'un déguisement. Chez les Bakota, la seule fonction sociale ou communautaire qu'ont ces individus intervient pendant la cérémonie de circoncision, lors du test du Ngoye. En effet, si le test est positif, les hommes-panthères sont indispensables car se sont les seuls à pouvoir contrôler le candidat (Perrois, 1968).

La Panthère est une force difficilement contrôlable qui est particulièrement pénalisante pour les femmes. En effet, le Ngoye n'est pas l'apanage des seuls hommes, les femmes peuvent également l'avoir en elles. Il n'existe pas de test comme pour les hommes, mais les symptômes sont connus : nombreuses fausses couches ; enfant mort-né ; comportement excentrique ou brutal, gros appétit sexuel, capacité à attraper beaucoup de gros poissons.

Il est formellement interdit à un homme-panthère d'épouser une femme qui possède elle aussi la Panthère car il y a de fort risque que la discorde règne dans le couple et que leurs enfants soient en danger.

Le féticheur Zoaka Pascal a bien essayé de lutter contre le Ngoye mais en pure perte, car nous sommes en présence d'une conception fondamentale de la nature ontologique de l'homme. Pour le Bakota, il ne s'agit pas d'une croyance mystique mais d'une réalité vécue. Le Ngoye fait partit de la nature de l'homme, son essence. Aussi, on ne supprime pas plus le Ngoye que le corps ou la pensée. C'est une donnée que l'on subit et que l'on assume sans rien y pouvoir. L'homme est un composé qui comprend le corps, le coeur et l'esprit, cela pour tous les individus et seuls, quelques privilégiés, se partagent la force vitale du Ngoye mais sans que cela ne les rendent pour autant solidaires.

Autrefois, les hommes-panthères pouvaient se métamorphoser pour chasser en forêt ou tuer personnes et animaux domestiques au village. La transformation se passait pendant la nuit, le corps dans sa forme humaine restait à dormir tandis que la Panthère sortait du coeur et ne revenait qu'à l'aube, sans que personne ne s'en aperçoive. Mais ces métamorphoses pouvaient être dangereuses car le double en forêt a toutes les qualités mais aussi les faiblesses de la vrai Panthère : si elle se blesse, s'en est fini de l'homme qui dort dans sa case.

Le culte de « Mademoiselle » de Zoaka a tout de même réussi à amoindrir la force de la Panthère et par ricochet celle de l'ensemble des Bakota.

Les anciennes croyances, comme le culte des ancêtres, ont depuis disparus et avec elles leurs spécialistes. Quand la Panthère sort du corps, elle ne doit pas rester dehors trop longtemps sinon le « propriétaire » risque de mourir. Mais, pour que la Panthère revienne, il faut la connaissance et les médicaments de guérisseurs particuliers qui sont devenus très rares. Tout ceci, rend le Ngoye encore moins contrôlable qu'avant.

« Aujourd'hui, on n'a plus assez de guérisseurs. On leur donne donc (aux candidats dont le test est positif) beaucoup de médicaments pour pas que leur panthère sorte. Mais on laisse toujours un peu (de force à la panthère) pour qu'ils puissent se sauver en cas de danger. »

Il est également à noter que les hommes-panthères de chaque clan ont un pelage différent et reconnaissable par les initiés. On voit par là que le Ngoye est moins lié à une confrérie initiatique qu'à la famille et au clan. Pour expliquer ceci, il faut remonter aux origines du pacte scellé entre les Bakota et la Panthère, c'est à dire, au temps des guerres tribales. Car, en dehors des conflits intertribaux, il y avait souvent de sérieux palabres entre villages ou entre clans, surtout au sujet des femmes. Le non payement de la dot et l'adultère étaient les causes les plus courantes de vendettas familiales (Perrois, 1968). Nous pouvons donc faire l'hypothèse que les différences de taches pouvaient peut-être servir d' « emblème » à chaque clan.

Le Ngoye se transmet principalement par hérédité, il y a donc des clans reconnus comme ayant la Panthère (les Bongoye par exemple) et d'autres où les membres ne l'ont pas. Pour ces derniers, le Ngoye peut s'obtenir par l'absorption d'un médicament spécial, mais il ne pourra pas être transmis par voies naturelles à la descendance.

Il existe donc des différences visibles entre une « vrai » et une « fausse » Panthère. La Panthère de l'homme est généralement de petite taille avec une queue courte et un pelage sombre. Lorsqu'elle se fait tuer, ses poils se détachent rapidement et très facilement après la mort de l'animal. De plus, il est dit que les panthères des hommes rôdent plus souvent autour des villages alors que la « vrai » reste loin en forêt.

La manifestation extérieure de la Panthère correspond à un dédoublement de la personnalité. La plupart du temps ce phénomène est inconscient et ne conduit qu'à des rêves sans conséquences pathologiques sérieuses. Mais, quand ce rêve est suivi de la découverte d'un cadavre de Panthère avec la désignation du clan auquel il appartient, le dédoublement persiste consciemment et conduit à la mort à plus ou moins brève échéance. Ce qui nous amène à penser que la réalité du Ngoye est psychologique et ses manifestations relèvent du domaine de la psychiatrie. C'est pourquoi le symbolisme du Ngoye ne peut être élucidé du seul point de vu de l'ethnologue. Selon Louis Perrois, « il y a là quelque chose qui nous échappe, mais qui existe réellement et qui, lorsque l'on pourra le définir et l'expliquer, fournira la clef de la culture Bakota. » (Perrois, 1968 : 87).

II.2 Le mysticisme de Hindji

Contrairement à ce que l'on pouvait croire, la Genette servaline Hindji a un rôle magico-religieux beaucoup plus puissant que celui de la Panthère. En effet, cette dernière semble ne plus être utilisée dans les rituels et les cérémonies. Ceci peut s'expliquer en partie à travers les représentations que se fait la population locale Bakota sur cet animal. En effet, comme nous l'avons vu précédemment, la Panthère a des qualités positives (bon chasseur, souplesse, puissance, beauté) mais également des caractéristiques plus négatives (gourmand, féroce, imprévisible).

« Si nos parents avaient choisi Ngoye, le monde devait mourir car Ngoye est trop féroce. Donc ils ont choisi un autre animal qui ressemble à Ngoye. »

Vieux Mahongwé, Bangadi.

D'autres personnes donnent des explications beaucoup plus terre à terre expliquant que la Panthère étant dangereuse et difficile à trouver, les gens ont préféré utiliser la Genette plus commune, inoffensive et donc plus facile à chasser. De plus, lorsque l'on tue une Panthère, il y a toujours le doute de savoir s'il s'agit d'une vrai Panthère ou d'un homme métamorphosé. C'est sans doute toutes ces raisons réunies qui ont poussé les Bakota à utiliser les peaux de genettes plutôt que celles de panthères. Son utilisation peut également être un danger pour tout ceux et celles qui possèdent la Panthère en eux.

La peau de Hindji est utilisée dans de nombreux rites et cérémonies Bakota : Membiri, Bwété, Mungala, la circoncision, pour soigner les vampireux et leurs victimes. Les « voyants » consultent ses taches qui, selon leurs formes, leurs couleurs, leurs grosseurs et leurs nombres vont avoir des significations différentes et permettre l'interprétation finale.

Lors des danses, les peaux de la Genette sont utilisées comme cache sexe. Lors des initiations, on met les médicaments et le bois sacré (Iboga) sur la peau de la Genette, une autre peau est mise sur la tête du candidat afin de le guider et de le protéger dans son voyage dans l'autre monde.

Cette omniprésence de la Genette en fait un animal absolument indispensable pour les Bakota. Elle est également utilisée dans beaucoup d'autres ethnies au Gabon toujours dans les rites et les cérémonies. J'ai assisté à des danses Kwélé dont la danseuse portait la peau de Genette en cache sexe par dessus le raphia et elle tenait à la main une autre peau enroulée autour d'une patte d'aigle.

On retrouve l'utilisation de peaux de genettes dans à peu près tout le bassin du Congo. Au nord Congo, par exemple, Vanwijnsberghe (1996) a également fait la remarque que cette peau était celle qui était la plus utilisée car, selon la tradition, elle aurait des propriétés magiques. Ces utilisations sont tout à fait semblables à celles connues chez les Bakota que nous avons vu dans la partie précédente.

Photos 6 et 7 : danseuses Kwélé

Source : Marion Viano (2005) Source : Florence Mazzocchetti (2005)

En fait, nous pouvons dire que les animaux au pelage tacheté ont une place à part dans la culture Bakota car ils sont encore utilisés lors des rites et des cérémonies, dont leurs présences est absolument indispensable.

« On utilise encore tous les animaux tachetés faisant partie de la famille de la panthère. Se sont des animaux sacrés. » Vieux Ikota, Nstiété.

Il n'en reste pas moins que c'est la Genette servaline qui a le plus de pouvoir et qui est la plus recherchée :

« La force de hindji lors de la circoncision, c'est comme un bouclier pour protéger le circoncis pendant 24h. Toutes les forces des gabonais se retrouve dans le hindji. » Vieux Ikota, Makokou.

Si cette peau vient à manquer, elle peut être remplacée par un autre animal tacheté de la même famille :

« S'il manque hindji, on remplace par mbala, yobo, lobwa ou ilazi, mais il faut transformer ces peaux en hindji et leur donner sa force. Ils sont de la même famille, on peut donc utiliser ces peaux comme hindji, avec la même force. » Vieux Ikota, Makokou.

Malheureusement, je n'ai pas pu déchiffrer le mystère de la Genette, ses pouvoirs, la signification des taches etc. La plupart des gens ordinaires ne connaissent pas non plus les raisons de cette utilisation quasi exclusive des peaux tachetées. Tout ce qu'ils savent c'est qu'elles ont un pourvoir magique particulier et très puissant. C'est pour cela, que je pense qu'il faudrait mener une étude spécifique et approfondie sur les danses et les temples de guérison diverses auprès des guérisseurs Nganga.

III Unité des Bakota dans leurs relations à la faune sauvage

Depuis le début de ce mémoire, nous avons toujours parlé des Bakota sans faire de distinction entre les différents sous-groupes Ikota, Mahongwé et Samaye étudiés. Si j'ai fait ce choix de ne pas constamment les distinguer, c'est que les données recueillies ont montré une relative homogénéité dans les relations que ces groupes entretiennent avec la faune sauvage qui les entoure. En effet, ces trois groupes ethniques partagent les mêmes croyances ainsi que les mêmes rites et cérémonies. Aussi, la grande majorité des animaux cités sont utilisés de la même façon avec les mêmes pouvoirs, quand ceux-ci en ont un. Les contes, proverbes et chants de la tradition orale sont quasiment identiques pour la plupart d'entres eux, et connus par ces trois ethnies. Il en va de même pour les interdits alimentaires où aucune variante significative n'a été remarquée. Enfin, la Panthère est, pour tous, l'animal symbole identitaire, la fierté du peuple Bakota, jusqu'à faire parti de l'identité profonde de certaines personnes. Aussi, on retrouve le test du Ngoye dans les cérémonies de circoncision de ces trois sous-groupes.

Lorsque l'on examine les noms des animaux dans les trois dialectes, on se rend compte qu'ils sont soit identiques soit extrêmement proches63(*). La similitude est particulièrement pertinente entre Samaye et Mahongwé. Ces deux groupes sont en effet plus proches entres eux, qu'ils ne le sont avec les Ikota. Cette solidarité est le résultat des migrations anciennes dues aux guerres tribales car ils ont émigré ensemble pendant un moment avant de connaître les Ikota (Perrois, 1968, 1970).

Cette unité fait que tous se réclament comme faisant parti du grand groupe Bakota. Mais, bien qu'il y ait homogénéité, cela ne veut pas dire que tous mes interlocuteurs m'ont répondu la même chose. En effet, selon le lieu de résidence (ville ou village), l'âge, le sexe, la présence ou non de certaines espèces animales dans la zone et les connaissances de chacun, les données changent, sans qu'il n'y ait de véritables liens avec l'appartenance ethnique. Il existe donc une hétérogénéité individuelle dans les savoirs et les connaissances de la tradition. Cette hétérogénéité est interne à chaque groupe et provoquée, sans doute pour une grande part, par les multiples changements apparus depuis la colonisation occidentale.

Chapitre 2 : Les Bakota et la conservation

Pour les Bakota, comme pour tous les peuples forestiers, les ressources naturelles de la forêt ainsi que celles tirées de l'agriculture sur brûlis sont à la base de leur survie. Tous les Bakota que j'ai rencontré, qu'ils soient Ikota, Mahongwé ou Samaye, m'ont dit la même chose, que la forêt était très importante pour eux car c'était grâce à elle qu'ils se nourrissaient et qu'ils se soignaient ; ils utilisent également ses ressources dans la construction mais aussi, dans leurs rites et leurs cérémonies.

Hélas, de nombreux dangers pèsent sur cette forêt et ses ressources et, par ricochet, sur les populations forestières qui en dépendent. En effet, la situation depuis l'époque des guerres tribales a fortement évolué. Avec la colonisation française, puis l'instauration de l'Etat gabonais, toute l'organisation sociale des Bakota a été bouleversée du fait de l'instauration d'une hiérarchie bureaucratique et de la sédentarisation des villages tout au long des routes. La population a augmenté et le Gabon est rentré dans l'économie de marché internationale, créant de nouveaux besoins.

De plus, comme nous l'avons expliqué dans l'introduction de ce mémoire, depuis la crise économique des années 80-90, la chasse commerciale ne cesse d'augmenter. Elle est stimulée par le taux de chômage des jeunes hommes très élevé et la forte demande urbaine en viande de brousse. Cette surexploitation provoque une diminution de la faune autour des centres urbains, ce qui pousse les chasseurs (professionnels ou traditionnels) à s'enfoncer de plus en plus loin en forêt pour trouver du gibier. Ce phénomène, qui fut concentré pendant un moment autour des grandes villes, se déplace désormais dans les régions plus reculées du pays et touche donc les zones de chasse villageoises. Par ailleurs, les zones isolées qui sont aussi celles où l'on a instauré les aires protégées, exercent un attrait puissant sur ces chasseurs.

Tous ces changements ont fortement perturbé les rapports que les Bakota entretenaient avec leur milieu, et menace l'équilibre fragile et précaire qui s'était installé.

Les stratagèmes actuels pour résoudre les problèmes d'environnement passent par l'intégration des populations locales aux divers projets de conservation et de développement durable. La «gestion participative» ou «cogestion des aires protégées» est une forme de partenariat permettant aux différents acteurs impliqués dans la sauvegarde de la nature de se partager les fonctions, les droits et les responsabilités à la gestion d'un territoire ou d'une gamme de ressources jouissant d'un statut de protection. Ce concept est né des échecs du passé sur la politique de conservation de la faune et de la flore des pays en voie de développement, basée sur la protection intégrale. Selon cette conception, la gestion des écosystèmes du bassin du Congo ne peut être durable que si elle se fait dans le cadre d'un partenariat impliquant toutes les parties prenantes, en particulier les populations locales afin qu'elles contribuent à la sauvegarde d'un environnement qui constitue aussi leur capital.

Aussi, dans les lignes qui suivent, nous allons essayer de lister et d'analyser ce qui, dans ce mémoire, peut servir positivement à la conservation et d'identifier qu'elles peuvent en être les limites et les obstacles.

I Gestion coutumière de la faune sauvage et ses limites

La prise en compte des populations locales dans les projets doit passer par la connaissance et la mise en valeur des systèmes de gestion traditionnelle. Essayons donc de voir, ce qui, chez celle des Bakota peut être directement utilisable dans le cadre des aires protégées.

* 63 Ce n'est pas tout à fait le cas des plantes.

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"La première panacée d'une nation mal gouvernée est l'inflation monétaire, la seconde, c'est la guerre. Tous deux apportent une prospérité temporaire, tous deux apportent une ruine permanente. Mais tous deux sont le refuge des opportunistes politiques et économiques"   Hemingway