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L'identité cosmopolitique. Etude de cas: citoyens du monde

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par Sebastian Peà±a Marin
Université de Poitiers - Master I Conception de projets en coopération pour le développement 2010
  

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2. Le nationalisme méthodologique

« Il est difficile de comprendre combien est grande la ressemblance et la différence qu'il y a entre nous tous les hommes 60».

58 Jean-Marc Ferry, conférence donnée à Charleroi le 18 juin 1997. Source www.larevuetoudi.org mai 2010

59 Jean-Marc Ferry, Europe la voie kantienne. Essai sur l'identité postnationale, Paris, Ed. Cerf, 2005.

60 Duc de La Rochefoucauld. Maximes

a) Les erreurs d'une catégorie rationnelle (alternative exclusive ou inclusion additive)

L'optique nationale fonctionne comme une grille interprétative très ancrée et installée profondément dans nos systèmes de perception et de pensée, au point d'en faire sensiblement partie. En effet, l'optique nationale, ou plus correctement appelée le « nationalisme méthodologique », conditionne fortement notre façon d'évaluer, de percevoir et de ressentir les phénomènes sociaux : notre attitude et notre posture face à la différence ainsi que notre rapport à l'Autre y sont directement liées. L'optique nationale s'octroie la légitimité et la cohérence d'un système interprétatif erroné qui façonne nos expériences quotidiennes dans les domaines les plus variés.

A propos de l'expression de l'appartenance, par exemple, je voudrais citer une expérience personnelle qui, malgré le manque de rigueur scientifique, a au moins le mérite d'illustrer les formes que peut prendre le nationalisme méthodologique dans l'expérience quotidienne. Comme je l'ai signalé en avant propos de ce travail, je viens du Chili, un pays reconnu dans le monde pour la qualité de ses vins. Or, lorsque je suis invité à partager un moment convivial en France, un diner par exemple, et que j'apporte une bouteille de vin rouge, au moment d'offrir la bouteille le réflexe est de me dire « ah ! Merci, j'adore le vin chilien ». Il s'agit en fait d'un vin d'Afrique du sud (pays dans lequel j'ai par ailleurs étudié pendant quelques mois), le petit coup d'enthousiasme laisse la place à une déception passagère « ah, mais, tu n'as pas ramené du vin chilien ? ». La question est de savoir : Pourquoi aurais-je dû le faire ? Dans cette circonstance, je ne me sens aucunement représentant officiel de la production vinicole chilienne, mais c'est juste que je trouve le vin d'Afrique du sud très bon et que le vin chilien me rappelle mes mauvaises cuites d'adolescence. Pour le nationalisme méthodologique, en effet, j'aurais dû apporter un vin chilien car si quelqu'un est ressortissant d'un pays quelconque, il est censé exprimer son appartenance qui y est forcément liée : l'optique nationale présume un devoir de loyauté et de fidélité envers la nationalité et celle-ci doit s'extérioriser par le biais d'éléments qui représentent la fierté nationale. Pour l'optique nationale la bouteille de vin d'Afrique du sud dénonce donc une anomalie cognitive, une concordance qui interpelle les sens et l'esprit. Il s'agit donc d'un exemple qui montre bien comment fonctionne le nationalisme méthodologique dans l'expérience quotidienne.

Ulrich Beck nous cite un autre exemple de manifestation du nationalisme méthodologique dans les interactions quotidiennes « Si l'on rencontre par exemple une personne d'apparence exotique, mais s'exprimant en gaélique, ou en anglais avec l'accent d'Oxford, l'ontologie sociale territoriale en est toute perturbée... » « ...jusqu'à ce que la concordance présupposée entre passeport, couleur de peau, langue, domicile et origine semble rétablie : »... «... ceux qui ont un passeport allemand, mais avec un nom à la consonance étrangère, une peau plus sombre ou des traits un peu différents, ... (étant donné) qu'ils s'écartent du format allemand standard, ils ont régulièrement à répondre à la question : d'où êtes-vous ? » « Le déroulement (du dialogue) obéit à un même rituel qui suit toujours le même schéma :

- «D'où est-ce que tu viens ?

-D'Essen

-Non je veux dire à l'origine ?

-Je suis né à Essen

-Mais tes parents ?

-Ma mère vient aussi d'Essen

-Mais ton père ?

-Mon père est Italien

-Ah, c'est un nom italien ?

-Oui

-Tu viens d'où en Italie ?

- Je ne viens pas d'Italie

-Mais tes parents ?61 » ».

Même lorsqu'on parle avec bienveillance de « dialogue des cultures », cette conception territoriale des cultures continue à hanter les esprits.

Dans cette vision du monde où l'appartenance nationale et l'identité sont indissociables, les questions « qui suis-je ? » et « d'où suis-je ? » ne peuvent pas avoir deux réponses, et cela restera ainsi pour toute la vie62. Cette intransigeance propre de la logique interne du nationalisme méthodologique empêche de penser, et même parfois

61 Santina Battaglia, 2004. Citation dans l'ouvrage de Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006. Page 52

62 Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006.

tout simplement de voir, la recomposition des distinctions qui se profilent dans les nouvelles formes d'appartenances, d'interactions sociales et d'expériences multiculturelles. Il s'agit en fait d'un handicap interprétatif important : le nationalisme méthodologique pense le social, le culturel et le politique dans ce que l'on appelle le principe d'alternative exclusive (ou bien ou bien), c'est-à-dire que les rapports doivent se placer dans un choix bipolaire et en s'excluant, cela débouche inévitablement dans une impasse en raison des fausses alternatives qu'elle présente. La catégorie exclusive reconnait soit un fait, soit l'autre, soit citoyen, soit étranger, soit ami, soit ennemi, soit compatible, soit incompatible, etc. Sous le prisme de la catégorie exclusive la raison se voit empêchée d'envisager les univers culturels étant à la fois différents et égaux, ainsi, si l'on veut préserver sa propre culture par exemple il faut mettre les autres à écart, et cela implique de ranger les différences culturelles dans un rapport de hiérarchie.

L'alternative exclusive s'oppose au principe de l'inclusion additive (et-et) qui est le distinctif par excellence de la vision cosmopolitique et de l'Identité cosmopolitique. Selon le principe de l'inclusion additive, les univers culturels, par exemple, ne s'inscrivent pas dans un rapport de conflit, de concurrence ou de rivalité, ils reposent sur les diverses stratégies du rapport social à l'altérité, ils se superposent, se corrigent, se limitent et se préservent mutuellement.

Le nationalisme méthodologique et le principe de l'alternative exclusive qui lui est intrinsèque, favorise les regards équivoques non seulement envers les rapports interethniques, interculturels, interpersonnels ou envers notre rapport à la nation, à la nationalité et à l'appartenance, mais elle a aussi des répercussions sur notre rapport à l'Histoire et sur les idées que l'on se fait de l'Europe ainsi que de nos propre réalités culturelles. Par conséquent l'Europe, par exemple, organisée en états-nations, « ne s'est pas contentée de tracer les frontières politiques au Proche-Orient. Elle projette aussi ses frontières sur l'histoire, l'art et la culture d'orient. Dans sa politique culturelle et scientifique, l'Europe sépare la tradition juive de la tradition islamique, et cimente par là même des lignes de démarcation idéologique qui aujourd'hui encore font obstacle à la résolution pacifique du conflit au Proche-Orient »... « Historiquement, les littératures et les arts, la cuisine et la tradition religieuse de l'aire culturelle arabe sont si étroitement liés qu'ils ne peuvent être étudiés et présentés qu'ensemble. Ainsi la théologie islamique se compose en grande partie de réponses à des questions que le judaïsme et le

christianisme ont portées jusqu'à elle et vice-versa »... « la situation est tout-à-fait identique pour le judaïsme : l'Europe chrétienne, mais également la pensée rabbinique ont accueilli l'héritage antique par l'intermédiaire de la civilisation islamique63».

Un éventail de présupposés résulte donc de la fausse idée de l'existence de totalités culturelles bien délimitées les unes par rapport aux autres et qui correspondraient strictement aux délimitations territoriales des état-nations. Dans le nationalisme méthodologique le rapport à la différence culturelle est fondé sur une représentation naturalisant les frontières nationales : elles seraient le fruit d'une réalité préexistante et indiscutable. L'optique nationale dessine ainsi un système interprétatif erroné qui construit une représentation mononationale et monoculturelle de la réalité. Elle conforte l'idée territoriale de la culture ainsi que l'idée d'une supposée imperméabilité culturelle ontologique des sociétés.

« Dans l'univers rien ne se perd, rien ne crée, tous se transforme » a dit un jour Lavoisier, mais il faisait référence à la chimie. C'est dommage car il aurait pu le dire pour la culture aussi.

Le nationalisme méthodologique contient également une ferme prétention essentialiste, qui renforce l'existence de toute sorte de clichés nationaux : les idées préconçues s'aménagent sous la forme de faux repères tenus pour des vrais. Cette vision fondamentaliste de la culture se traduit dans l'expérience quotidienne par l'idée, par exemple, que tous les espagnols aiment la fête, que tous les italiens sont bruyants et que tous les japonais sont patients, mais cet essentialisme se reflète aussi sur des aspects plus regrettables comme par exemple l'idée très répandue sur les colombiens : ils sont tous des trafiquants, ou sur les argentins qui sont arrogants (dans le monde hispanophone), les congolais méchants (Afrique du sud). On dit aussi que tous les algériens veulent émigrer, que tous les français sentent mauvais (Amérique latine). Et ainsi de suite pour chaque référence nationale. Nous avons tous entendu d'une façon ou d'une autre les images préconçues les plus bêtes qui puissent exister : les grecs ont des gros sourcils et les portugaises sont poilues. Ce modèle d'interprétation à vocation totalisante se répète sur beaucoup de domaines, par exemple, au niveau de la prétendue unicité des traits

63 Citation de : Kermani/Lepenies 2003 « Verkannte Brüder », Sü-deutsche Zeitung du 11 juin 2003. Dans l'ouvrage de Ulrich Beck, Qu'est-ce le cosmopolitisme ?, Ed Flammarion, Paris 2006, page 63

ethniques : les suisses et les allemands sont blonds, les mexicains sont petits et bruns, les péruviens ont des traits indiens, et ainsi de suite. Il existe également d'autres représentations très inappropriées et déplacées comme par exemple la prédisposition culturelle au développement économique, à la modernité et à la démocratie64.

Pour revenir aux figures collectives de la représentation des totalités nationales, il ne s'agit pas non plus de nier l'existence des caractères nationaux qui se sont créés au fil des expériences nationales et historiques, et qui font partie aussi de la diversité du monde, car après tout, il est vrai que certains argentins ont un talent particulier pour chercher les limites de la patience, que la culture Ibérique entretient considérablement les rapports sociaux autour des comptoirs, que le Pérou peut paraitre assez folklorique, et qu'il peut s'avérer très agréable d'aller en vacance au Brésil. Cependant, des problèmes graves se posent lorsque ce fondamentalisme culturel prend le dessus dans les relations interethniques ou interpersonnelles, lorsque ces préjugés sont négatifs et se généralisent dans l'ensemble de l'imaginaires collectif et conditionnent notre rapport à la différence : la xénophobie par exemple trouve ici sont terrain préféré et ce n'est pas la moindre des choses.

En ce qui concerne la mondialisation, le nationalisme méthodologique et le principe d'alternative exclusive peuvent préfigurer un néonationalisme qui, contrairement au nationalisme fasciste du XXème siècle, est une forme de nationalisme qui ne cherche pas la conquête ou à s'imposer aux autres. Ce nationalisme est plutôt « introverti » : le monde global est perçu comme une menace, la mondialisation et les mondialistes représentent un risque pour la vie locale et pour l'exclusivité de la culture nationaleterritoriale.

En conclusion, le nationalisme méthodologique fonctionne comme une véritable prison de notre système cognitif qui s'interpose et qui nuit à l'entente entre les peuples. Il s'impose comme grille de lecture, pour finalement conditionner la perception, cela amène à une perte de sens chronique de la réalité: l'ethnocentrisme est ainsi tributaire de l'imaginaire national. Par ailleurs, ces dernières années nous avons été témoins des effets néfastes du nationalisme méthodologique sur la politique internationale : les guerres

64 Samuel Huntington, Le choc des civilisations, Paris, Ed. Odile Jacob, 1997

d'Irak ou d'Afghanistan ont été construites comme des guerres nationales, alors qu'elles visent un terrorisme international qui ne correspond pas à une nation. En conséquence, des milliers de gens innocents endurent encore toutes les horreurs d'une guerre, au nom de quelque chose qui n'a pas de nationalité. Le nationalisme méthodologique ne s'aperçoit aucunement de l'air narquois avec lequel le concept de nationalité contemple les Droits de l'Homme. Il ne voit pas non plus le déterminisme social que signifie la nationalité presque à perpétuité fondée sur le lieu de naissance. A l'heure où les anciennes appartenances ne font plus de sens, la mesquinerie des raisonnements de l'optique nationale prend le dessus et refuse obstinément l'avènement d'une communauté de destin civilisationelle qui est pourtant déjà là.

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