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La reformulation Rawlsienne des principes de la justice

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par Pénéloppe Natacha MAVOUNGOU
Institut catholique de Toulouse - Master 2 de philosophie 2011
  

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Section 3-L'idée de position originelle et son implication dans la compréhension de l'idée de structure de base

Dans La justice comme équité, la position originelle est définie comme un moment où l'individu, renonçant à lui-même et à ses atouts et même à ses limites, se pose, ensemble avec les autres individus, pour décider de l'avenir de la vie sociale et politique au sein de la structure de base. Le rôle des individus est ici de trouver et d'établir des choix objectifs qui prennent en compte les besoins de tous. Pour introduire cette idée de position originelle, Rawls met en exergue les acquis de la tradition « contractualiste » de réflexion sur la justice au service de la délibération sur les principes démocratiques dans les sociétés de son temps. Plaçant le consentement au centre de cette idée, il s'interroge pour cela sur la situation initiale qui serait la meilleure et qui pourrait avoir l'assentiment de tous et requérir l'obéissance aux principes qui seront adoptés. Il forge ainsi un instrument heuristique équivalent à l'état de nature dans les théories du contrat social, à savoir la position originelle. Celle-ci renouvelle, après plusieurs siècles, la pensée de l'état de nature qui imagine une société sans Etat, mais avec pour objectif de penser une forme d'Etat qui prenne en compte les intérêts de tous. Pourtant, ce qui distingue Rawls de ses prédécesseurs132(*), c'est qu'il insiste sur les dimensions imaginaire et hypothétique de sa théorie, dans la mesure où il ne considère pas la position originelle comme un premier stade de développement. Pour sa part, « La position originelle généralise l'idée familière du contrat social [...]. La position originelle est également plus abstraite : l'accord doit être considéré comme hypothétique et non historique »133(*). Il fait appel à la clause de l'ignorance qui va définir les partenaires, afin qu'ils ne sachent pas quelle sera leur place, ou bien quels seront leurs attributs dans la future société, d'où l'insertion de l'hypothèse du voile d'ignorance qui cache à chacun sa situation et derrière lequel sont choisis les principes de la société. Le voile de l'ignorance « répond donc à la nécessité de débarrasser le contrat de toutes les partialités qui l'empêcheraient de produire l'effet que l'on attend de lui, à savoir fonder l'obligation morale des citoyens de se plier aux règles communes »134(*).

La question qui peut être envisagée ici est la suivante : pourquoi John Rawls introduit-il l'idée de position originelle, alors qu'il aurait été plus naturel ou plus simple pour lui de proposer sa théorie de la justice sans avoir recours à cette fiction comme l'ont fait bien d'autres avant lui ? Pour répondre à cette question, il nous semble important de revenir à la conception de la justice comme équité, car là se situe la raison d'être de l'idée de position originelle. Rawls conçoit la société comme un système de coopération équitable entre des personnes libres et égales. Cependant penser ou concevoir la société comme telle semble insuffisant. Il faut, selon Rawls, pouvoir en délimiter les contours, pouvant mener la société à son organisation et aux choix des principes susceptibles de régir la structure de base. Face à cette demande, Rawls s'interroge sur le type de personne habilitée à déterminer les termes équitables de la société :

Doivent-ils être fixés par une autorité distincte des personnes qui coopèrent, par exemple par la loi divine ? Ces termes sont-ils reconnus par tous comme équitables en référence à un ordre moral de valeurs, au moyen de l'intuition rationnelle, ou en rapport avec ce que certains ont qualifié de « droit naturel »? Sont-ils fixés par un accord auquel parviennent les citoyens libres et égaux engagés dans la coopération, qu'ils passent en référence à ce qu'ils considèrent comme leur avantage ou leur bien réciproque135(*) ?

Après s'être interrogé sur la personne habilitée à déterminer les termes équitables de la coopération sociale, Rawls choisit la dernière proposition de sa triple interrogation. Il pense que ces termes doivent être fixés par tous les citoyens en tant qu'ils sont des personnes rationnelles et qui doivent choisir des principes pour le bien et à l'avantage de tous et avec l'accord de tous. Il faut par ailleurs comprendre par personne rationnelle ici, une personne qui place ses intérêts en premier. Pour ne pas virer à l'égoïsme, Rawls se rattrape en imposant, à cette idée de rationnel, une condition : le désintérêt mutuel. Celui-ci est la clause qui fera que chaque personne, dans la position originelle, voulant favoriser ses propres intérêts en bien, cherchera à les maximiser, d'autant plus qu'elle doit se mettre elle-même à l'abri du besoin. Ce choix rationnel conduira à un choix objectif, puisque recouvert du voile d'ignorance, les partenaires choisissent chacun ce qui sert leur intérêt. Mais il est important de noter que, grâce au sens du bien dont ils sont dotés, les partenaires sont à même de prendre une décision valable pour tous. C'est pourquoi l'idée de rationnel explique le fait que ce choix qui découlera de la position originelle ne sera influencé par aucune doctrine morale, ni aucune vision du bien.

Cette idée posée, Rawls passe à la phase du cadre dans lequel les principes doivent être choisis. Il tient à ce que les principes équitables choisis soient libres de toute influence issue des doctrines englobantes, comme la religion, la morale ou quelque autre doctrine qu'il appelle « pluralisme raisonnable »136(*). Néanmoins, Rawls tient à préciser, dans ses écrits ultérieurs que les citoyens sont des êtres rationnels et raisonnables. Il clarifie par là les rapports entre le rationnel et le raisonnable.

Dans un premier temps, estimant qu'un problème de justice se présente toujours lorsqu'il s'agit de faire une répartition, Rawls intègre l'idée de rationnel car, de son avis, ce sont des personnes libres et rationnelles qui doivent participer au choix des principes. Cette dimension rationnelle intègre la connaissance de la psychologie de l'humanité quant à ses besoins et motivations fondamentaux. Dans la logique du choix rationnel, il n'y a pas intervention d'un critère indépendant, c'est pourquoi les principes choisis ne sont pas considérés comme une imposition extérieure, mais bien plutôt comme un choix émanant de la rationalité des partenaires. Aussi, en tant qu'ils sont rationnels, les partenaires cherchent ce qui est le meilleur pour eux d'abord, et c'est ce qu'ils choisissent : « ils sont rationnels , c'est-à-dire qu'ils cherchent les meilleurs moyens pour atteindre les fins posées par les individus qu'ils représentent, sans porter des jugements sur elles, ce qui exclut les passions irrationnelles, et en particulier l'envie »137(*).

Dans un second temps, Rawls estime que les partenaires ne doivent pas ignorer que, toute personne raisonnable souhaiterait être mise en possession des biens premiers sociaux qui intègrent l'exercice de la liberté. Par conséquent, les personnes raisonnables sont celles qui sont « prêtes à proposer, ou à accepter lorsque la proposition émane des autres ». En un certain sens, les personnes raisonnables ont une attitude d'ouverture non seulement aux propositions d'autrui, mais elles ont aussi le sens de ce qu'elles doivent choisir pour elles et pour la postérité. Ces propositions doivent tenir compte du bien d'autrui et elles doivent être choisies en fonction des autres individus qui doivent être eux aussi capables de les honorer.

Dans ces conditions, le seul moyen pour les principes de la justice d'être purs, c'est d'être fondé sur un accord où toutes les parties représentées sont couvertes d'un voile d'ignorance qui les mette à égalité les uns les autres de manière à choisir librement les principes. Aussi en précisant l'idée de position originelle, Rawls affirme que :

Dans la position originelle, les partenaires ne sont pas autorisés à connaître les positions sociales ou les doctrines englobantes particulières des personnes qu'ils représentent. Ils ne connaissent pas non plus la race, le groupe ethnique, le sexe, ou les dons innés variés [...]. On exprime toutes ces limites sur l'information disponible de manière figurée, en disant que les partenaires sont placés derrière un voile d'ignorance138(*).

Rawls ajoute à l'idée de position originelle, la clause de l'« ignorance », dépouillant ainsi tout partenaire de tout ce qui pourrait l'influencer dans le choix des principes. Devenus semblables aux autres, grâce à ce voile d'ignorance dont ils sont recouverts, les partenaires pourront aboutir à un accord unanime. Le voile d'ignorance est une condition prioritaire, parce qu'il a pour objectif de situer équitablement les personnes qui doivent décider du choix des principes.

Dans La justice comme équité, en réponse à certaines critiques, John Rawls insiste sur le fait que la position originelle est un procédé de représentation. Il affirme à cet effet que « l'importance de la position originelle tient en ce qu'elle est un procédé de représentation ou encore une expérience de pensée menée dans un but de clarification personnelle et publique »139(*). Cette représentation, il la conçoit selon deux aspects. Premièrement, la position originelle représente les conditions du choix des principes susceptibles de régir la structure de base de la société. Deuxièmement, elle représente ce qu'il est possible de choisir ou de ne pas choisir pour le bien de la société. Ainsi, c'est grâce à la position originelle que l'on peut trouver des bases sociales pour la direction d'une société. On pourrait ainsi dire que l'idée de position originelle ouvre la voie à la justice comme équité, comme étant une conception non pas métaphysique, mais politique, parce qu'elle transcende tout ce qui est de la sphère du religieux ou du moral pour aboutir à des termes équitables n'ayant connu aucune influence extérieure. Car, souligne Rawls, « comme le contenu de l'accord porte sur les principes de justice de la structure de base, l'accord dans la position originelle spécifie les termes équitables de la coopération sociale entre les citoyens. D'où l'expression : la justice comme équité »140(*).

Dans l'ensemble, il apparaît clairement que c'est la position originelle qui donne à la justice comme équité son nom, puisque le mot anglais fairness qui signifie « impartialité » en français, a un sens beaucoup plus développé en anglais en ce qu'elle comporte des notions centrales comme honnêteté, impartialité, justice et équité141(*). Autant de nuances que le français « équité » ne comprend pas. Or c'est précisément l'impartialité et l'unanimité qui caractérisent la position originelle, à travers le voile d'ignorance où les personnes sont toutes semblables et ont une idée des besoins que peuvent avoir les autres, du fait même de leur similitude. Dans la première partie de Théorie de la justice (section 3), John Rawls, parlant de l'idée conductrice de la théorie de la justice, au sujet des principes de la justice affirme :

Ces principes doivent servir de règle pour tous les accords ultérieurs ; ils spécifient les formes de la coopération sociale dans lesquelles on peut s'engager et les formes de gouvernement qui peuvent être établies. C'est cette façon de considérer les principes que j'appellerai la théorie de la justice comme équité142(*).

Cette idée, à laquelle l'auteur restera fidèle jusque dans sa reformulation, voudrait simplement souligner que l'affaire de la justice sociale est l'affaire de tous, des favorisés comme des défavorisés, non pas dans un sens où l'égalité doit être formelle, mais dans un sens où il est possible dans la distribution, et selon les principes de la justice, de tenir compte des inégalités, pour le bien des défavorisés. L'idée de position originelle que nous venons d'étudier concerne directement le processus du choix des principes rawlsiens de la justice. En suivant l'ordre annoncé dès le début, nous passons directement à l'analyse des principes de la justice.

* 132 Nous précision ici que contrairement à Hobbes ou Locke, Rawls et Rousseau considèrent l'état de nature comme un état social sans loi.

* 133 Ce caractère hypothétique de la position originelle peut s'expliquer par cette affirmation de Rawls : « il nous faut imaginer que ceux qui s'engagent dans la coopération sociale choisissent ensemble dans un acte commun les principes destinés à assigner les droits et les devoirs de base et à déterminer la répartition des bénéfices sociaux », John Rawls, La justice comme équité, op. cit., pp. 36-37. Le mot « imaginer » signifie que la position originelle n'existe pas réellement et n'a jamais existé dans l'histoire. Elle peut être assimilée à l'état de nature des philosophies du contrat (Rousseau), puisqu'elle signifie égalité et donne le sens direct de l'équité des principes de la justice, à travers sa dimension hypothétique.

* 134 Jean Fabien Spitz, « John Rawls et la question de la justice sociale », dans Études, tome 414 n° 4141, janvier 2011, p. 57.

* 135 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 34.

* 136 « Le fait du pluralisme raisonnable implique qu'il n'existe pas de doctrine, qu'elle soit complètement ou partiellement englobante, sur laquelle tous les citoyens s'accordent ou peuvent s'accorder pour organiser les questions fondamentales de la justice politique », La justice comme équité, op. cit., p. 56.

* 137Catherine Audard, «  Principes de justice et principes du libéralisme : la neutralité de la théorie de Rawls », « Individu et Justice sociale » Catherine Audard (dir), op. cit., p. 170.

* 138 John Rawls, La justice comme équité, op. cit., p. 35.

* 139 Ibid., p. 37.

* 140 Ibid., p. 36.

* 141 Collectif, Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Barbara Cassin (dir.), Paris, Le Seuil, 2004, P. 439.

* 142 John Rawls., Théorie de la Justice, op. cit., p. 37.

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