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Les figures de Joseph Rey (1779-1855): conspirateur libéral, "philosophe" et socialiste "utopique"

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par Nicolas Boisson
Université de Grenoble 2 - IEP 2001
  

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LES FIGURES DE JOSEPH REY

De l'intellectuel libéral au socialiste « utopique »

« Les révolutions sont les seules pages de l'histoire qui méritent qu'on ouvre, qu'on pose le livre »

Cavaignac224(*)

« Conspiration : dessein formé secrètement entre plusieurs contre les pouvoirs publics (...) Concours vers un même effet », dictionnaire Littré, 1990.

II- Joseph Rey de Grenoble : conspirateur du 19 août 1820 au sein de l'Union

Comme le note à juste titre Georges Weill, le récit inédit de Joseph Rey de la grande conspiration libérale du 19 août 1820, de par sa véracité et les détails de son organisation, lui confère un grande valeur historique225(*). Dés lors, comme nous avions porté une grande attention à l'étude du premier volume 226(*) de ses Mémoires relatant cet épisode, nous avons choisi de lui consacrer un chapitre de cette étude, en cédant la parole à son auteur Joseph Rey. Avant d'entrer dans le récit de la conspiration, revenons brièvement sur la formation de la conscience politique du jeune Rey, de son Adresse à l'Empereur à sa révolte face aux événements de juin 1820, afin de mieux comprendre son engagement dans l'entreprise du 19 août.

II-1 Bref parcours biographique de Rey jusqu'en 1819

Le troisième volume 227(*) des Mémoires de Rey est des plus instructifs quant à l'évolution de la conscience politique de notre personnage. De sa jeunesse studieuse à son goût pour les sociétés secrètes qui le mena comme nous venons de le voir à créer l'Union « libérale », Rey n'a cessé de développer son esprit critique en oscillant de manière permanente entre une nécessaire distanciation intellectuelle vis à vis des tumultes politiques de son époque et haussements de voix, voire nous pourrions dire vulgairement aujourd'hui « véritables coups de gueule », face à tout ce qui pouvait lui apparaître de l'ordre de l'injustice ou de la simple déraison.

II-1.1 Les débuts de l'engagement politique de Rey : de son « Adresse à l'Empereur » (mars 1815) à la création de l'Union (février 1816)

Nous nous basons là à nouveau sur son propre récit biographique (T.3940, trois chapitres de 1779 à 1820) qu'il prend soin de qualifier de « moral » et « politique ». En effet, comprendre la question de la maturation de la conscience politique du jeune Rey nous imposera d'insister sur la formation de l'Idéologue Rey, chose que nous ferons en abordant la seconde partie de la vie de Rey (chapitre III). Nous reprenons donc ici le fil biographique à partir des premières réflexions de Rey sur l'Empire228(*).

En 1807, Rey est substitut du procureur impérial à Plaisance (Italie). Ici débute selon Rey sa « première vie officielle »229(*) marquée par une grande ardeur au travail et une certaine reconnaissance vis à vis de l'Empire, il écrit : « Si dans mes jugements, j'étais susceptible d'obéir à des motifs d'intérêts, personne d'autre plus que moi ne serait porté à exalter le temps de l'empire, puisque j'avais fait d'abord une avancée rapide... »230(*). Cependant Rey s'affirmait déjà comme un humaniste critique vis à vis de Napoléon en écrivant : « J'ai le bonheur trop peu compris de trouver une source de jouissance ailleurs que dans un matériel égoïsme et je ne sais accorder la louange qu'aux actes qui me semble avoir eu véritablement pour fin le triomphe de la justice et le bonheur de l'Humanité...Or si il était possible que Napoléon eut jamais connu un pareil dessein, il faudrait concevoir qu'il fut bien malheureux dans les moyens qu'il employa pour l'exécuter... »231(*). « L'Adresse à l'Empereur » trouvait donc déjà sa source d'inspiration de la critique à venir du despote de Napoléon.

A cette époque Rey s'adonne à ses premiers débats politiques, bien qu'assez peu intégré au sein de la communauté italienne en étant français. Il apprend très vite la langue du pays et parvient déjà à l'utiliser avec finesse lorsqu'il doit plaider. Il raconte notamment ses premiers démêlés avec l'administration militaire. Il rapporte qu'il fut un jour en charge de défendre un gamin violemment frappé à la tête dans une auberge de Plaisance par « un gros major de cavalerie »232(*). L'administration militaire tenta de faire pression sur Rey afin qu'il prononce une relaxe de l'officier. Il s'y refusa naturellement et condamna le major à une peine d'emprisonnement. Un ami du major vint alors le menacer en ces termes : « ...vous, monsieur, qui avez osé requérir une peine d'emprisonnement contre mon camarade, et qui avez mis tant de passion dans toute cette affaire... »233(*). Rey répondit de son droit : « N'allez pas plus loin monsieur, et cela dans votre intérêt, car si vous m'injuriez, j'ai le droit de vous faire arrêter. »234(*). Echappant de peu à une provocation en duel, Rey dans sa clairvoyance et sa pacifique bonté finit par comprendre l'acte de faiblesse du major et se résigna à alléger sa peine... Rey affirmait déjà en Italie son goût de la justice mais aussi n'hésitait pas à manifester ses premières critiques vis à vis de l'administration impériale. Au tribunal de Mayence, où il venait de prendre fonction en 1810 toujours en tant que premier substitut, il note : « il n'y avait pas un seul légiste, les autres ne savaient pas un mot de droit »235(*) .

De là datent encore ses premières considérations sur l'impérialisme et sa doctrine du « matérialisme politique ». Il condamne alors son adoption par Napoléon : « Qu'il trouve dans nos coeurs une indulgente absolution, mais qu'on ne vienne pas sans cesse le proposer comme un modèle de l'art de régner, ni comme un ami du progrès social ! »236(*), il ajoute : « ne fut-il pas des hommes qui s'étaient formés à la fausse école du matérialisme politique... »237(*). De même, ces quelques propos éclairent aussi sur la déception suscitée en réalité par Napoléon chez Rey : « Ah ! si l'homme doit être jugé, non seulement par les efforts de ses actions, mais surtout par le principe qui les dirigea, il n'exista jamais de souverain, qui, plus que Napoléon, doive un compte rigoureux, du mal qu'il fit, et du bien imminent qu'il aurait pu faire, avec un génie tel que le sien et le peuple de héros qu'il avait le bonheur de commander !...(...) car ce sont définitivement les idées qui gouvernent les hommes, et il ne peut sortir que de malheureuses conséquences des erreurs qu'ils ont généralement acceptées... »238(*). Dés lors, on entrevoit plus clairement la position de Rey lors de l'épisode des Cents-Jours. Rentré en France et arrivé à Grenoble au début du mois de mars 1815, il vient d'obtenir sa place de Président du Tribunal civil de Rumilly et ce avec l'aide de son maître Destutt de Tracy qui fit pression sur le chancelier Dambray. C'est de cette époque qu'il aurait encore déclaré à un de ses compatriotes : « ...Oh (non) l'exercice des fonctions publiques ne vous place pas essentiellement sur un lit de douleur, comme l'a prétendu fâcheusement un de nos ex-ministres...quant à moi, je n'ai fait que mon devoir ! »239(*). Rey paraît alors un peu aigri, et se précise alors son attitude vis à vis de l'Empereur.

L'épisode des Cents-Jours agace Rey qui critique « la facilité du peuple à vouloir se courber de nouveau sous le despote de Napoléon »240(*), lors du passage de l'empereur à Grenoble le 08 mars 1815. Il décide ainsi une nuit d'élever publiquement la voix : « Tristement, affaibli de ces symptômes d'une retraite dans toutes nos fautes ( ?), je rentre chez moi pour me mettre au lit ; mais cela me fut impossible, et, dans une nuit entière pleine d'insomnies, pleine de plus profondes émotions, je rédigeai mon Adresse à l'Empereur qui fit alors sensation d'autant plus extraordinaire qu'on était moins accoutumés depuis bien longtemps au langage fin ( !) de l'auteur et aux principes qu'il exprimait »241(*). Comme le note Rey, ce qui fut bien le premier acte de sa vie politique « détermina pour tout le reste de (sa) carrière, le genre de part qu(`il) deva(it) prendre aux affaires publiques... »242(*). En effet, cette adresse qui fut reproduite dans les jours suivants dans les colonnes du Constitutionnel semblait pour Rey qui n'en fut pas sanctionné, avoir même influencé la conduite de Napoléon : « Non, seulement il ne fit pas inquiéter l'auteur, mais le lendemain de la publication à Paris (31/03/1815), on vit paraître un décret accordant la liberté de la presse la plus limitée. »243(*). Selon Rey : « C'était une manière de répondre aux appréhensions que je lui manifestais si hautement. C'est là peut-être un des plus beaux actes de ses règnes, et qui n'a pas été assez remarquable... Malheureusement, il n'obéit pas longtemps à de telles inspirations»244(*). Rey prit donc selon lui avec cette adresse son première engagement « libéral » mais observe bien avec la défaite de Waterloo que Napoléon ne sut écouter sa parole amicale.

Si ce discours permit à Rey de sortir de l'ombre, il lui attira aussi ses premiers ennuis vis à vis de l'administration royale de Louis XVIII. Il rapporte ainsi que ayant perdu son poste à Rumilly suite à la perte de la Savoie française avec la chute de l'empire en juin 1815, il se vit refuser tout poste dans la nouvelle administration royale sous le motif d'avoir tenu des propos injurieux envers la famille des Bourbons. Rey en rapporte l'épisode dans sa biographie morale et politique : « Le procureur général me communiqua une lettre du ministre, disant en substance qu'en ayant dans les Cents-jours publié une Brochure (Mon adresse à l'Empereur), contenant des paroles de blâmes pour le gouvernement antérieur du roi, il fallait que j'en fisse le désaveu, ainsi qu'une protestation de mon attachement personnel aux membres de la dynastie ...ce à quoi je répondis à M le Procureur général, quant aux paroles dont il s'agissait, que la lecture de l'écrit où elles étaient exprimées faisaient voir clairement qu'elle n'avait point eu pour but d'insulter la famille royale alors tombée de son rang, ce qui était d'ailleurs entièrement opposé à mon caractère... »245(*). Rey ne fut point entendu et ne s'abaissa pas devant la menace : « A l'égard de la protestation d'attachement personnel à la famille royale, je dis que je n'en concevais ni la possibilité, ni la convenance »246(*). Souvenons-nous que la France subissait alors la vague de la « Terreur blanche » et Rey fit donc preuve déjà d'un certain courage, motivé par son attachement à la Charte : « Je ne pouvais prendre aucun engagement qui eût eu une autre contre-partie que celle du serment de la fidélité politique, corrigé de tout magistrat, obligation qui était d'ailleurs corrélative de celle d'obéissance à la Charte »247(*).

Il n'en demeure pas moins que son adresse lui permit de se faire un nom au sein de sa ville natale où « le parti libéral était déjà en grande majorité »248(*). Mais l'enfant du pays « dut bientôt l'abandonner pour satisfaire aux devoirs de la reconnaissance »249(*) et partit pour l'Allemagne. Nous avons déjà évoqué ce premier voyage mais notons à nouveau que pendant son absence éclate la conspiration de Didier (février1816). Rey à son retour note à ce sujet : « J'y serais certainement resté étranger, comme tous mes amis politiques de Grenoble, qui ne la trouvaient pas dans leurs principes, et n'avaient pas confiance dans le chef... »250(*) . Rey, en effet, comme nous venons de le voir était alors occupé à structurer l'Union et à étendre son recrutement. Rey redevenait ainsi « homme de l'ombre » mais ne devait pas le rester longtemps au regard de sa stature au sein de l'Union.

* 224 Cité par Georges Weill, Histoire du parti républicain en France..., op.cit, p.53.

* 225 Georges Weill, Les Mémoires de Joseph Rey, op.cit, p.306,307

* 226 Joseph Rey, Mémoires sur la Restauration, op.cit, T.3938. 3 paginations ( 244p+218p+90p).

* 227 J.Rey, Ma biographie morale et politique depuis l'époque de ma naissance en 1779 jusqu'en 1820, op.cit,T3940, 145p.

* 228 Il s'agit là des chapitres 2 : «  Particularités de ma vie publique jusqu'à mon rétablissement dans la magistrature » et 3 : « Particularités de ma vie, depuis la chute de l'empire, jusqu'à mon intervention directe dans le mouvement politique de la Restauration » de sa Biographie morale et politique..., op.cit, T3940.

* 229 Rey, op.cit, T3940, p.56

* 230 Rey, op.cit, T3940, p.57.

* 231 Rey, ibid, T 3940, p.57.

* 232 Rey, ibid, T 3940, p.64

* 233 Rey, T 3940, op.cit, p. 68

* 234 Rey, T3940, op.cit, p.68

* 235 Rey, T3940, op.cit, p.79

* 236 Rey, T3940,op.cit, p.81/82.

* 237 Rey, T 3940, p.84.

* 238 Rey, T 3940, p 85/86

* 239 Rey, T 3940, p.97/98

* 240 Rey, T 3940, p.99

* 241 Rey, T 3940, p.100

* 242 Rey, T. 3940, p.101

* 243 Rey, T. 3940, p.114,115.

* 244 Rey, T 3940, p.114,115.

* 245 Rey, T.3940, p.116/117.

* 246 Rey, T.3940, p.117.

* 247 Rey, T.3940, p.117.

* 248 Rey, T.3940, p.118

* 249 Rey, T.3940, p.118

* 250 Rey, T.3940, p.119.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille