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L'insécurité alimentaire dans la région du Nord au Cameroun: représentations sociales, stratégies de lutte et enjeux

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par Alain Christian ESSIMI BILOA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2010
  

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I-2-5 La sous-scolarisation

Historiquement, le Grand-Nord du Cameroun s'est toujours présenté comme en retard par rapport au reste du pays sur le plan scolaire. L'ancien président Ahmadou AHIDJO en faisait déjà mention, à la veille du troisième plan en ces termes :

73 Jean Pierre BIYONG BIYONG, Pistes pour améliorer la sécurité alimemtaire dans le Nord-Cameroun, Université de Liège, 2002, p.19.

74 Samuel NDEMBOU, op.cit., p.52.

75 MOTAZE AKAM, op.cit., p.118.

« Au terme du deuxième plan, la région Nord de notre pays demeure encore en retard sur le plan scolaire, car la scolarisation n'atteint que 21 %. Ce troisième plan doit pouvoir accélérer la scolarisation dans le Cameroun tout entier mais porter celle du Nord à 50 % ».

Les données plus ou moins récentes que nous présentons dans le tableau ci-dessous nous permettrons de vérifier si le vSu d'AHIDJO a été exaucé et dans quelle proportion. C'est pourquoi nous avons choisi de présenter les données de l'ensemble du pays afin que la comparaison et les déductions soient plus aisées.

RÉGION

TAUX NET DE SCOLARISATION (%)76

GARÇONS

FILLES

GARÇONS +
FILLES

INDICE DE
PARITÉ BASÉ
SUR LE SEXE

ADAMAOUA

83,46

68,93

76,47

0,83

CENTRE

87,33

92,15

89,63

1,06

EST

81,74

77,46

79,66

0,95

EXTREME-NORD

91,36

65,11

78,62

0,71

LITTORAL

61,64

67,86

64,56

1,10

NORD

80,53

66,23

73,59

0,82

NORD-OUEST

79,61

74,64

77,13

0,94

OUEST

81,34

79,51

80,41

0,98

SUD

81,17

83,51

81,76

1,04

SUD-OUEST

75,22

81,87

78,36

1,09

TOTAL/MOY.

80,76

75,44

78,18

0,93

Tableau 3 : Taux de scolarisation des élèves du primaire 6-11 ans année scolaire 2006/2007.
Source : Division de la planification des projets et de la coopération du MINEDUB.

76 Le taux net de scolarisation est la population effectivement inscrite dans le primaire, sur la population scolarisable.

Ces statistiques nous permettent de faire les constats suivants :

- le taux de scolarisation est allé au-delà des espérances d'Ahidjo. Il a allègrement dépassé les 50 % dont il rêvait à une époque. Preuve que les directives qui avaient été données on été respectées.

- Cependant, les jeunes filles du primaire de la région du Nord sont les moins scolarisées du Cameroun. Même l'indice de parité sur le sexe est presque le dernier du pays (derrière les voisins de l'Extrême-Nord).

- L'écart entre les filles et les garçons est très perceptible preuve que la jeune fille du Nord n'a pas beaucoup de chances d'accéder à des postes de travail offerts par l'administration et va majoritairement se retrouver dans le secteur primaire (agriculture, pêche) et quelque peu dans le tertiaire (commerce).

La sous-scolarisation apparaît comme un élément favorable pour un certain nombre de raisons. Les personnes qui ont peu ou pas du tout eu accès à une scolarisation poussée ont rarement l'occasion de se frotter à une nouvelle vision que la leur. Or, selon la sociologie dynamique de Georges BALANDIER, il n'y a pas de statique sociale. Toutes les sociétés, comme les faits sociaux, sont dynamiques, évanescentes, mutantes, changeantes ; en perpétuelle construction, déconstruction et reconstruction, pour parler comme Thomas KUHN. Cette évolution est possible avec le contact avec des groupes, des civilisations, des entités étrangères au groupe et chez qui on peut copier des points positifs qui peuvent s'avérer nécessaires pour notre propre évolution. En n'ayant pas accès à la civilisation occidentale, les populations sousscolarisées se ferment l'accès à quelques unes de leurs techniques et savoirs qui leur ont permis de révolutionner leur agriculture et d'être presqu'en surproduction au point de tranférer cet excédent aux zones en sous-production sous forme d'aide alimentaire. La région du Nord en reçoit constamment.

De plus, ces populations peuvent bien avoir la volonté de s'arrimer à la modernisation de leurs activités agricoles. Mais l'acquisition d'engins comme les tracteurs peut s'avérer plus ou moins compliquée dans la mesure où ils manqueront de l'expertise nécessaire qui leur permette de les conduire et de les entretenir.

Les causes de la sous-scolarisation de la région du Nord sont historiques et socioculturelles.

> Les facteurs historiques

La première école a été implantée au Cameroun en 1844, à Bimbia, une région voisine de Limbé, dans le Sud-ouest. C'était sous l'initiative du pasteur Merrich, de la Baptist Missionary Society car, rappelons-le, l'auvre scolaire au Cameroun est liée à celle des missionnaires (protestants et catholiques). Au Nord-Cameroun, l'école fut implantée en 1905, soit 61 ans après la toute première école. « En effet, écrit DONGMO, l'enseignement formel a été introduit au Cameroun du Sud vers le Nord et cette région a été atteinte tardivement »77.

La présence des missionnaires au Cameroun est le fait de la colonisation. En dehors même de cette difficulté pour l'école d'atteindre le Nord, la colonisation du Nord-Cameroun a eu lieu bien après celle des autres régions ; compte tenu des contacts plus faciles que les colons ont pu établir avec les populations de la zone côtière. Une fois le contact établi avec le Nord, le pouvoir colonial s'est appuyé sur les autorités traditionnelles : celles-ci représentaient pour les colons le moyen d'atteindre la population, la « courroie de transmission » entre administration et population, et outil de diffusion de leur politique. Mais ces chefs musulmans étaient pour la plupart hostiles à l'école. Pour BOUTRAIS,

« la lenteur de la pénétration de la scolarisation au Nord, élément majeur de toute évolution sociale, est bien sûr l'effet de distance, mais elle a été fortement aggravée par un fait historique : les administrations coloniales allemandes puis françaises cherchent à appuyer leur autorité sur les structures politiques musulmanes, censées contrôler les masses païennes. Pour ne pas choquer les convictions religieuses de ces précieux auxiliares, la province fut donc pratiquement fermée aux missions chrétiennes jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Or, ce sont celles-ci qui ont, ailleurs diffusé massivement l'instruction »78.

Peu ouvertes aux missionnaires, les autorités traditionnelles musulmanes le furent aussi à l'égard de l'école, ce qui occasionna une forte résistance face à l'entreprise d'intégration du Nord-Cameroun au milieu éducatif (scolaire) en y bâtissant des écoles. Ces résistances prirent plusieurs formes : interdiction aux enfants et surtout aux jeunes filles de se rendre dans les écoles, rejet de ceux et celles qui s'y rendaient, rupture des contacts avec les responsables chargés d'encadrer les enfants. Certains allaient jusqu'à cacher leurs enfants dans les maisons ou

77 DONGMO, Evolution récente de la scolarisation des jeunes dans l'Adamaoua , Ngaoundéré, Anthropos, revue des sciences sociales, 1996.

78 Jean BOUTRAIS, op.cit., p.46.

les villages alentours puisque, faute d'effectif élevé, les colons étaient obligés d'aller eux-mêmes chercher les enfants dans leurs domiciles.

A ces facteurs historiques, viennent se greffer des facteurs relevant du milieu social et culturel.

> Les facteurs socio-culturels

De nombreuses études on eu pour centre d'intérêt la scolarisation au Nord-Cameroun. Et toutes s'accordent sur un fait : les populations du Nord-Cameroun et particulièrement celles qui sont d'obédience musulmane sont réfractaires à la culture occidentale. Elles le sont encore plus en ce qui concerne l'école. Cette position hostile est étroitement liée à l'idée que ces populations se faisaient du milieu scolaire, donc, à leur mentalité, leur façon de vivre, et leur façon de voir les choses.

C'est ainsi que les habitants du Nord développèrent des stéréotypes réfractaires à la (( culture des blancs », la culture occidentale. L'école fut perçue de façon péjorative, voire négative par les chefs et les parents. Pour FOGUI, les autorités traditionnelles (( ont ostensiblement tourné le dos à l'école occidentale »79. L'école était perçue par les peuples musulmans du Nord comme une entreprise de déstructuration des valeurs essentielles d'une société ; le vecteur d'une contre-culture. Envoyer son enfant à l'école revenait donc à tourner le dos à la tradition, aussi bien qu'à la religion.

Compte tenu de cet esprit qui sévissait à cette époque, les milieux musulmans du Nord-Cameroun ont longtemps été réfractaires à l'école française, surtout les foulbés. Des pesanteurs au niveau des mentalités ont considérablement retardé et obstrué le processus de l'implantation de l'école occidentale dans ladite région.

Astadjam YAOUBA affirme dans son mémoire que :

(( Cette hostilité est encore plus grande en ce qui concerne la jeune fille (cf. tableau ci-dessus). Rappelons que la religion musulmane est fondée sur un certain nombre de principes, qui vont du mode de conduite au mode vestimentaire. Les filles en effet, doivent être voilées, ce qui n'est pas toujours pris en compte par les responsables qui fournissent les tenues scolaires. Mais les arguments des chefs et parents du Nord ne se limitent pas à la tenue que doit mettre la jeune fille pour se rendre à l'école. C'est le système scolaire tout entier qui est rejeté, car pour eux, il inculque des façons de faire qui ne sont pas bonnes pour un enfant encore moins pour une fille »80

79 J.P. LOGUI, op. cit., p.159.

80 Astadjam YAOUBA, Enjeux et contraintes du développement local au Nord-Cameroun : le cas des groupes d'initiative commune (GIC) dans la localité de Pitoa , Université de Yaoundé I, 2007, p.43.

Cette vision négative de la culture occidentale développée au Nord-Cameroun ne signifie nullement que l'Islam est contre la science. Elle relevait de jugements hâtifs, de préjugés à l'égard de l'école. C'est pourquoi, après de nombreuses années, qui ont nécessité beaucoup de tolérance, car rappellons-le, les racines des préjugés sont profondes une certaine ouverture d'esprit et de frontière, la situation commença à changer. Un progrès dans les mentalités amena les parents à envoyer leurs enfants s'instruire, sans pour autant que cette recherche de l'instruction n'empiète sur les valeurs que prône leur religion.

Le statut socio-professionnel des parents est aussi un facteur déterminant de la scolarisation des enfants. Les enfants issus de parents analphabètes ont tendance à fréquenter davantage les milieux scolaires. Les parents en contact avec le milieu professionnel sont également plus aptes à envoyer leurs enfants à l'école, et les encourager dans leurs études puisque il existe une corrélation entre d'une part l'analphabétisme ou non des parents et la scolarisation des enfants et d'autre part, entre la profession des parents et la scolarité des enfants.

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo