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L'insécurité alimentaire dans la région du Nord au Cameroun: représentations sociales, stratégies de lutte et enjeux

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par Alain Christian ESSIMI BILOA
Université de Yaoundé I - Master en sociologie 2010
  

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III- LES ENJEUX SOCIO-POLITIQUES

Au-delà des aspects humanitaire et économique de l'insécurité alimentaire et des stratégies de lutte inhérentes, peuvent transparaître en arrière-plan des enjeux sociaux et/ou politiques majeurs. Ainsi, NDEMBOU pense que les lamibés entretiennent à leur manière l'insécurité alimentaire au sein des populations dans la mesure où « démographiquement minoritaires, les chefferies ont beau jeu de créer l'insécurité alimentaire pour préserver leur hégémonie régionale. »108

Il qualifie le système de prélèvement qu'ils ont instauré, et dont il a été fait mention plus haut ( cf. La régulation sociale, 1ère partie, chapitre 2, 1-2-4), de « pouvoir d'affamer » puisque s'exerçant en priorité sur les moyens de survie des populations ; rendant difficile la cohabitation entre dominants et dominés. En effet, REYNAUD109 a défendu l'idée d'une régulation conjointe où la règle commune peut être un compromis ou une accomodation entre groupes rivaux. Constitutive des rapports sociaux, cette régulation devient alors un enjeu. Elle peut aboutir au contrat, mais aussi au conflit. Ce sont des conflits qui émaillent en effet les rapports entre les autorités traditionnelles et les populations.

NDEMBOU pousse ainsi l'analyse plus loin en affirmant que :

« Très souvent aujourd'hui, les producteurs en viennent à refuser certains aménagements puisque, disent-ils, cela va aiguiser l'âppetit des autorités traditionnelles qui ne tarderont pas à exercer davantage de pression sur eux. Dans certains villages, la SODECOTON a effectué des aménagements pour tous habitants mais qui ont été immédiatement récupérés par les autorités traditionnelles qui ont imposé à tous une redevance sur un aménagement pour

107 Cet article 2 figure sur tous les décrets, arrêtés ou décisions portant nommination de responsables à quelque poste de reponsabilité. Il stipule que « L'intéressé aura droit aux avantages de toute nature prévus par la réglémentation en vigueur .»

108 S. NDEMBOU, op.cit..

109 Jean Daniel REYNAUD, Les règles du jeu. L'action collective et la régulation sociale, Paris, Armand Colin, 1989.

lequel ils n'ont rient déboursé. Dans ce contexte, les rapports sociaux sont loin d'être paisibles. »110

La conclusion que nous pouvons tirer de ces propos est que l'insécurité alimentaire que vivent les populations de la région du Nord permet parfois, pour ne pas dire la plupart du temps, aux autorités traditionnelles de consolider leur pouvoir hégémonique. Cette situation trouve son fondement du fait de l'organisation sociale hiérarchique. Certes ces lamibés n'ont plus le droit de vie et de mort sur leurs sujets comme à une époque plus ou moins lointaine. Il n'en demeure pas moins que leur influence est certaine. D'ailleurs, ils structurent, avec les autorités administratives, la vie socio-politique et économique du groupe. Le plus souvent, ils imposent leur loi et leur volonté à leurs administrés. Possédant eux-mêmes des réserves stratégiques de denrées, ils connaissent difficilement l'insécurité alimentaire.

Considérant le fait qu'ils servent de courroie de transmission entre les populations dont ils sont les porte-parole et les garants, et l'Etat et ses partenaires, c'est parfois chez le lawane ou le djaworo que les denrées sont stockées avant d'être distribuées aux populations bénéficiaires. Celui-ci peut alors user et même abuser de son autorité au moment de la distribution.

Sur un plan plus large, la lutte contre l'insécurité alimentaire peut être sur un plan purement politique. Si la sécurité alimentaire représente pour la FAO « un facteur majeur de stabilité politique au sein des Etats », les acteurs impliqués dans la lutte peuvent orienter leurs actions à des fins politiques. L'alimentation étant un droit inaliénable de l'homme, parce qu'elle fait partie de ses besoins fondamentaux, tout ce qui peut concourir à maintenir so équilibre nutritionnel est susceptible d'être instrumentalisé.

Selon JANIN et SUREMAIN, la crise alimentaire que le monde a traversée en 2008

« a fourni à certains gouvernants une scène politique : promettant aides et secours à 'leurs populations', vantant les mérites de leur "diplomatie alimentaire3, incitant à 'produire plus et manger local', dénonçant les "commerçants spéculateurs3. Certains en ont retiré des gains de popularité qui dépassent sans aucun doute l'efficacité des quelques mesures prises. »111

En parlant justement des mesures prises, certains gouvernants, après avoir laissé la situation de l'insécurité alimentaire pourrir sans prendre les dispositions qui auraient pu anticiper ou réduire ce phénomène, se sont érigés en « sapeurs pompiers » pour apparaître aux yeux des

110 S. NDEMBOU, op.cit.

111 JANIN et SUREMAIN, op. cit.

populations comme leurs « sauveurs ». Ces mesures étaient ou sont sans commune mesure avec la situation de crise. Par exemple dans la région du Nord, on laisse d'abord le prix du mil atteindre des sommets et qui sont supérieurs aux revenus des populations rurales déjà paupérisées ; et par la suite, on baisse le prix de quelques francs. L'impact d'une telle mesure sur les denrées elles-mêmes est presque négligeable. Mais les retombées politiques, elles, sont nettement plus perceptibles.

Parce que la règle qui prévaut dans le contexte actuel est « la politique du ventre » comme parlerait Jean-Francois BAYART112, la distribution de l'aide alimentaire est parfois précédée de grandes mobilisations ou meetings politiques au cours desquels ceux qui apportent cette aide profitent de la situation pour des (re)positionnements politiques.

Antoine SOCPA condense cette reflexion en soutenant que :

« dans certaines situations, l'aide alimentaire est même utilisée comme des dispositifs de mobilisation et d'instrumentalisation politique. Dans plusieurs pays africains, les politiciens donnent à manger aux populations en échange de leurs suffrages. »113

Même si, au moment oil l'aide alimentaire est apportée, il n'y a aucune échéance électorale à court terme, on fera appel à la mémoire collective pour rappeler, opportunément, aux populations qu'elles ont été soutenues, dans tous les sens du terme, pendant les moments difficiles et qu'il serait de bon ton de renvoyer l'ascenseur à celui ou ceux qui ont su se montrer généreux. Par exemple, la sécheresse de 2001 a donné l'occasion à certaines élites politicoadministratives de venir en aide aux populations. La même générosité a été réclamée aux populations lors de l'année électorale qui suivait. L'année 2002 a été en effet marquée par par la tenue des élections législatives et municipales. Les voix des populations ont été sollicitées avec l'argument selon lequel elles n'ont jamais été abandonnées en temps de crise et qu'elles feraient bien de ne pas abandonner ceux qui ne les ont pas abandonnées. En outre, si ces voix étaient accordées à qui de droit, cette « générosité » n'allait pas s'arrêter.

La plus haute autorité de l'Etat, à savoir le Président de la République, à chaque crise alimentaire, n'a pas manqué de prendre des mesures d'urgence pour soulager « ses chers compatriotes ». L'une de ces mesures est l'envoi de l'aide alimentaire d'urgence. A titre d'illustration, il a fait parvenir aux populations sinistrées par la sécheresse de mai 2005, 2.000 tonnes de vivres. Il ne l'apporte pas lui-même, mais il délègue cette tâche à une tierce personne.

112 Jean-François BAYART, L'Etat en Afrique : la politique du ventre, Paris, fayard, 1989.

113 Antoine SOCPA, op.cit .

Même si le Chef de l'Etat ne demande pas explicitement un retour d'ascenseur aux populations, certains parmi ceux qui sont chargés de convoyer ladite aide ont tôt fait de convaincre (même si cela est très difficilement vérifiable) les populations que c'est grâce à leur entregent et à leur relation personnelle avec le Président que cette aide leur est parvenue ; récoltant au passage gratifications, congratulations, respect et reconnaissance des poppulations.

Ensuite, ces (( convoyeurs » croient bon de rappeler aux sinistrés que le Chef de l'Etat sollicite en retour leur soutien inconditionnel et indéfectible dans sa politique des (( grandes ambitions » et ses différentes manSuvres politiques. Ainsi, (( motions de soutien et de déférence » (selon l'expression consacrée) fusent de tous les côtés, même si ce (( peuple profond » n'est parfois pas informé du contenu et des dividendes du document qui est publié et dont il est le signataire.

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