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La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993

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par Nicolas Le Guillou
Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014
  

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Chapitre 2 : La réaction américaine

A mesure que la situation se détériorait à Pékin et dans les autres grandes villes chinoises aux mois d'Avril et de Mai, la nécessité de réagir aux tourments qui agitaient la RPC se fit de plus en plus sentir au sein de l'administration américaine193.

Section 1 : La mesure du soulèvement chinois par l'administration américaine

La position initiale des Etats-Unis fut de soutenir avec prudence le droit de parole, de manifestation, (à condition que celle-ci soit non violente) et d'inviter le gouvernement chinois à faire preuve de retenue envers les manifestants194. Dès le 31 mai 1989, le Sénat passa une résolution allant en ce sens afin de convaincre le gouvernement chinois que la reconnaissance des Droits de l'Homme n'aurait que des effets positifs pour le développement de la relation sino-américaine. Ce

190 DAVID Charles-Philippe, Au sein de la Maison-Blanche, la formulation de la politique étrangère des Etats-Unis,

op. cit. p. 415.

191 Ibid.

192 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 20.

193 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Draft Whitehouse [sic] Statement on Situation in China - 5th of June

1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

194 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF EAST ASIA AND PACIFIC AFFAIRS, « Student Demonstrations - 10th of May 1989 », Digital National Security Archive, Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

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même texte du Sénat américain avertissait néanmoins qu'en cas de répression armée par les autorités, les Etats-Unis seraient dans l'obligation de réajuster leur politique à l'égard de la RPC195. De manière plus générale, jusqu'au point culminant de la répression le 4 Juin 1989, le département d'Etat, le Pentagone et les fonctionnaires de la Maison-Blanche ne virent pas dans les manifestations chinoises d'Avril et de Mai les racines d'un soulèvement plus grand. James Mann rapporte une conversation pertinente à cet égard entre le Président Bush et son ambassadeur dépêché sur place. Lorsque le Président américain lui demanda si le mouvement devait être pris au sérieux, James Lilley demeura hésitant, affirmant que bien que les manifestations avaient peu de chance de dégénérer, celles-ci pouvaient constituer une sérieuse menace pour le régime. Jusqu'à la répression place Tiananmen dans la nuit du 3 au 4 Juin 1989, la position américaine resta donc calquée sur ce constat frileux196 ce qui n'empêcha pas l'émergence d'un sentiment pessimiste sur l'issue des événements en Chine au sein de l'administration américaine197.

Section 2 : L'élaboration de la prise de décision

Au matin du 4 Juin 1989, les choses s'accélérèrent. En bon réaliste, le Président Bush était parfaitement conscient que sa réaction à la crise politique de Tiananmen aurait des implications complexes sur d'autres domaines de la politique mondiale. S'il répondait avec trop d'indulgence à la répression, il aurait encouragé les pays communistes d'Europe de l'Est de plus en plus faibles à en faire autant contre leurs opposants. Il aurait aussi donné du grain à moudre à ses détracteurs sur la scène intérieure. Par effet miroir, s'il réagissait trop durement à la crise, il aurait renforcé le nationalisme chinois, l'anti-américanisme et brisé les liens qu'il avait tissés lors de son premier voyage à Pékin en Février198. Qui plus est, Washington avait besoin de Pékin notamment pour ramener la paix au Cambodge et maintenir l'équilibre stratégique face à l'URSS. N'oublions pas que dans les premiers mois de son mandat, l'administration Bush continuait de percevoir le monde à partir des postulats de la Guerre froide199. En somme, le Président Bush devait trouver un équilibre subtil pour exprimer à la fois son indignation, sincère, tout en sauvegardant la relation, capitale à ses yeux. L'élaboration de la réponse du Président américain nécessita préalablement quelques tractations au sein de l'administration. Le samedi 5 Juin au matin, le vice-secrétaire d'Etat aux affaires asiatiques et pacifiques William Clark, présida un groupe de travail d'urgence du

195 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Senate Passes Resolution on China - 1st of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

196 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op. cit. p. 186.

197 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.

198 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 21.

199 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 403.

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département d'Etat, regroupant plusieurs membres de la communauté du renseignement ainsi que quelques membres de l'exécutif200. Aux termes du travail, le groupe recommanda de prendre des décisions secondaires telles que la déprogrammation de réunions prévues plus tard dans l'année notamment la Commission commune du commerce, ou la commission commune des sciences et des technologies ainsi que la suspension du « Peace Corps Program » dont l'ouverture prévue en Juillet fut jugée inappropriée dans un pays à la situation interne chaotique201. Du côté du département de la défense, Dick Cheney, son sous-secrétaire Paul Wolfowitz et le vice-secrétaire aux affaires de sécurité internationale, Carl Ford, se mirent d'accord pour que leur département supporte la plus grande partie des sanctions appliquées à la RPC. Leur raisonnement était le suivant : puisque l'APL était la grande coordinatrice de la répression, il fallait logiquement suspendre tous les liens qui auraient pu la renforcer. Concentrer les efforts sur un seul département présentait aussi l'avantage de pouvoir maintenir la relation dans les autres domaines (économiques, commerciales...)202.

Section 3 : Les sanctions appliquées

Sur ces bases, le Président Bush élabora une déclaration prudente. Déplorant l'utilisation de la force par le gouvernement chinois et les victimes qui en résultèrent, le Président américain veilla toutefois à mettre en garde contre une réponse trop émotive qui irait à l'encontre de la raison et de la mesure qu'imposait l'urgence de la situation. La note du Président invitait donc à la fois les Américains à apprécier la relation sino-américaine au travers d'une vision à long terme tout en exhortant les leaders chinois à rétablir l'ordre par la non-violence203. Les premières sanctions annoncées furent les suivantes : la suspension de la vente et du commerce des armes, des échanges militaires, la prolongation des séjours des étudiants chinois sur le sol américain et une offre humanitaire et médicale à travers la Croix-Rouge pour les blessés de Tiananmen204. Dans le même temps, le secrétaire d'Etat James Baker décida que Fang Lizhi, l'astrophysicien dissident chinois, pourrait temporairement prendre refuge à l'ambassade américaine à Pékin. Pour l'administration Bush ces premières décisions visaient à tester la réaction des dirigeants communistes chinois en espérant que la situation politique progresse. Cependant, les jours qui succédèrent au 4 Juin effacèrent définitivement ces espoirs. Le 9 Juin, Deng Xiaoping fit une apparition publique au cours de laquelle il accusa les manifestants de vouloir remplacer le système socialiste par une République

200 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 65.

201 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « List of Bilateral Cooperative Agreements and Our Recommendations », Digital National Security Archive, 5 Juin 1989, 3p.

202 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.

203 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « Statement by the President: June 5, 1989 - 6th of June 1989 »,

Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

204 Ibid.

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bourgeoise occidentale205. Le 15 Juin, trois ouvriers furent condamnés à mort à Shanghai et trois jours plus tard 8 manifestants à Pékin subirent le même sort206 au motif d'avoir participé à ce que le régime se mit à baptiser une « émeute contre-révolutionnaire »207. Après la répression, Pékin renforça effectivement son autorité. Des images de détenus aux crânes rasés, aux corps blessés prises avant leur condamnation ou leurs exécutions, circulèrent aux Etats-Unis208. Ces retransmissions effacèrent les espoirs de l'administration de voir la réaction passionnée des Américains se dissiper. Face à la détérioration continuelle de la situation en Chine, l'administration Bush annonça une seconde vague de sanctions le 20 Juin. Deux recommandations avaient été proposées au Président par son secrétaire d'Etat Baker : geler les prêts américains accordés à la Chine via la Banque mondiale et suspendre tout échange sino-américain au plus haut niveau209. Les deux recommandations furent acceptées ce qui entraîna l'annulation de plusieurs visites diplomatiques prévues : celle du secrétaire du Commerce, Robert Mosbacher, et du secrétaire au Trésor Nicholas Brady, qui avaient été programmées plus tard dans l'année210. La deuxième proposition fut néanmoins remaniée par le Président qui la limita aux échanges cérémoniaux au niveau des secrétaires. A la fin du mois de Juin, les sanctions américaines s'harmonisèrent avec celles de la Communauté européenne, du Japon, de l'Australie et de la Nouvelle Zélande, lesquelles étaient soutenues par les condamnations exprimées par les gouvernements du monde entier211. Le tout contribua non seulement à mettre en péril, au moins temporairement, le développement économique chinois mais surtout à l'isoler sur la scène diplomatique mondiale.

Dans le même temps, on le remarque aisément, Tiananmen plaça le Président Bush dans une situation délicate où la nécessité de prendre des sanctions pour répondre à l'indignation du Congrès et des Américains devait être compensée par une diplomatie suffisamment astucieuse pour maintenir le cadre stratégique de la relation.

205 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, « Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech - 20th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 4p.

206 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « China Swift Justice; Deng's New Balancing Act - 21st of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 5p.

207 U.S. FOREIGN BROADCAST INFORMATION SERVICE, « Translation of Deng Xiaoping's 9 June Speech », Digital National Security Archive, 20 Juin 1989, 4p.

208 MANN James, About Face: A History of America's Curious Relationship with China, From Nixon to Clinton, op.cit. p. 205.

209 U.S. OFFICE OF THE WHITE HOUSE, OFFICE OF THE PRESS SECRETARY, « Statement by the Press Secretary - 20th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 2p.

210 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 226.

211 U.S. DEPARTMENT OF STATE, BUREAU OF INTELLIGENCE AND RESEARCH, « China Aftermath of the Crisis - 27th of July 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 13p.

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Chapitre 3 : Le dilemme de George H. Bush : condamner la répression chinoise et préserver la relation

Tel que le décrivent William Gates et David Skidmore dans leur article212, une lutte autour de la politique chinoise à adopter après Tiananmen se propagea entre le Congrès et l'exécutif. Isolé, le Président Bush dût subir d'intenses pressions.

Section 1 : Les pressions du Congrès et de l'opinion : préserver le contrôle sur la conduite de la politique américaine chinoise

Avant Tiananmen, les Américains s'étaient en effet familiarisés avec les questions de politique étrangère relatives au rôle de la diplomatie dans le progrès des Droits de l'Homme et de la démocratie213. S'agissant de la Chine, à une vaste majorité, l'opinion américaine préférait que les valeurs démocratiques l'emportent. La question était de savoir quelle politique opérationnelle déployer pour y parvenir. Chez les républicains comme chez les démocrates il y avait deux écoles : l'une consistait à s'opposer à toutes les attitudes contraires aux valeurs américaines (démocratie, violation des Droits de l'Homme) en refusant les avantages que l'Amérique pouvait dispenser au pays concerné214. A l'inverse, certains pensaient qu'il était du devoir des Etats-Unis de promouvoir des avancées en matière de Droit de l'Homme par une politique d'engagement. Une fois que l'interdépendance (en particulier) économique serait suffisamment grande, la préservation des intérêts communs pourrait alors servir de monnaie d'échange à la recommandation de changements dans le domaine des libertés publiques. Tiananmen eut précisément pour effet de jeter à nouveau ce débat sur la scène publique américaine. En réponse à la déclaration du 5 Juin du Président Bush, le Congrès, qui reflétait l'opinion publique, réagit donc en appelant l'exécutif à prendre des mesures plus drastiques telles que la suspension du commerce et des investissements ou l'interdiction de l'exportation de biens de hautes technologies215. Tel que l'a théorisé Robert Putnam dans sa théorie des jeux à deux niveaux (« two level games »), le Président américain devait donc à la fois satisfaire les exigences des pressions chinoises pour une amélioration de la relation tout en s'acquittant de ses

212 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, pp. 514-539.

213 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.

214 Ibid. p. 403.

215 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.

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obligations devant le Congrès216. Pour anticiper les effets du Sénat américain, Baker soumit donc une seconde vague de sanction le 20 Juin qui ne suffit pas à faire taire l'opposition démocrate. En effet, peu de membres du Congrès soutenait la politique du Président relativement isolé217. Sous l'impulsion du leader démocrate au Sénat, Mitchell, un amendement fut voté pour instauré en loi les sanctions déjà adoptées par le Président Bush. Ce même amendement ajouta à la liste des punitions la suspension des «Overseas Private Investment Corporation» (une assistance pour la promotion des investissements américains en Chine), l'annulation des activités du programme de développement pour le commerce en Chine («Trade Development Program»)218 ainsi que la suspension de la délivrance d'autorisation d'exportation pour des satellites américains qui devaient être lancés à partir de fusées de lancement chinoises et de la mise en place d'une coopération nucléaire programmée par un accord de 1985219.

Finalement, Tiananmen eut également des conséquences directes sur le processus d'élaboration de la politique américaine chinoise. Durant les deux décennies précédent le drame, elle relevait quasi exclusivement de l'exécutif américain. Les Présidents américains successifs et leurs conseillers à la Maison-Blanche, au Pentagone et au département d'Etat ayant en effet bénéficié de la part de l'opinion publique et du Congrès, d'une marge de manoeuvre assez large concernant la politique chinoise. Après la répression du 4 Juin 1989, les dynamiques changèrent. Dorénavant, le Congrès et l'opinion ne laisseraient plus la politique américaine chinoise être dictée par les seules volontés de l'administration en place.

Section 2 : Garder le contact avec les hauts dirigeants chinois

En entretenant des relations personnelles avec les hauts dirigeants chinois, le Président Bush remplissait deux de ses objectifs : tenter de conserver sa prééminence dans la formulation de la politique chinoise tout en essayant de sauvegarder les rapports sino-américains220. George Bush entendait surtout rester en contact avec Deng Xiaoping qui, selon un télégramme du département

216 PUTNAM, Robert D., 1988, « Diplomacy and Domestic Politics: The Logic of Two-Level Games », International Organization, 1988, pp. 427-60.

217 GATES William, SKIDMORE David, « After Tiananmen: the Struggle Over U.S. Policy Toward China in the Bush Administration », Presidential Studies Quaterly, Vol. 27, n°3, Summer 1997, p. 519. D'après les auteurs une large partie des plus influentes personnalités de l'exécutif ont été formée à l'école Kissinger. Fortement imprégnés d'une pratique réaliste de la politique (realpolitik), Scowcroft, Eagleburger, G. Bush s'opposèrent aux leaders du Congrès pour lesquels cette culture politique apparaissait éloignée des valeurs démocratiques américaines. L'article offre de manière générale une excellente synthèse sur la lutte idéologique, institutionnelle, partisane entre le Congrès et l'exécutif.

218 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 66.

219 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 226.

220 LAMPTON M. David, Same Bed, Different Dreams: Managing U.S.-China Relations, 1989-2000, op. cit. p. 22.

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d'Etat, n'aurait pas pris part à la décision d'intervenir dans la nuit du 3 au 4 Juin221, mais surtout demeurait le seul interlocuteur crédible du moment (compte tenu de la lutte de pouvoir au sein du parti) qu'il connaissait personnellement. Comme les dirigeants chinois rejetèrent les tentatives de dialogue du Président Bush notamment après que les Américains eurent accepté d'héberger le dissident Fang Lizhi dans leur ambassade, celui-ci, agissant en parfait homme d'Etat, prit l'initiative de rédiger une lettre à l'intention de Deng Xiaoping222. Cette dernière témoigna d'une amitié sincère et d'un profond respect pour la Chine de Deng. Le Président Bush y évoqua sa vision des choses ainsi que la situation interne dans laquelle il se trouvait. La pudeur des écrits du Président américain révélait avec éclat sa connaissance aigüe de l'exercice du pouvoir en Chine. Son expérience lui permettait de comprendre effectivement que des pressions de l'étranger apparaîtraient insignifiantes aux yeux d'un dirigeant « qui avait participé à la Longue Marche, survécu dans les grottes de Yan'an et affronté simultanément les Etats-Unis et l'Union soviétique dans les années 1960 »223. Cette lettre fut donc transmise à Deng le 20 Juin par le biais de Brent Scowcroft et de l'ambassadeur chinois Han Xu, guidés par les consignes du Président américain souhaitant que le tout se fasse sous le sceau de la plus haute confidentialité. George Bush et ses conseillers savaient pertinemment qu'autrement, de tels agissements auraient été condamnés par le Congrès et l'opinion. Le 24 Juin, l'administration américaine reçut une réponse personnelle de Deng Xiaoping qui acceptait l'idée d'envoyer un émissaire secrètement224.

Section 3 : Le voyage secret de l'administration Bush

Après cette réponse, la rencontre s'organisa. Scowcroft fut choisi par le Président pour le représenter, pour des raisons évidentes : sa proximité avec George Bush et sa familiarité avec les enjeux chinois225. James Baker insista pour que son secrétaire-adjoint Lawrence Eagleburger soit du voyage et que le département d'Etat bénéficie d'une place d'importance dans cette rencontre. Afin que le voyage se fasse dans la plus grande confidentialité, le cercle restreint de l'administration Bush prit des dispositions d'exception. L'ambassadeur James Lilley reçut l'ordre de ne pas envoyer de télégramme via le département d'Etat. Robert Kimmit, sous secrétaire d'Etat aux affaires politiques fut écarté de la confidence. La programmation ultime du voyage eut lieu dans le bureau

221 U.S. DEPARTMENT OF STATE, « TFCH01 Scenario for a Way Out - 6th of June 1989 », Digital National Security Archive, China and the U.S., 12p.

222 Une grande partie de la lettre traduite en français est à lire page 114 à 116 dans l'ouvrage BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, Paris, Odile Jacob, 1999, 618 p.

223 KISSINGER Henry, De la Chine, op. cit. p. 402.

224 BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. p. 117.

225 Ibid., p. 118 : Brent Scowcroft avait rencontré Deng à plusieurs reprises au cours de sa carrière : en 1975 lors de la visite en Chine du Président Ford, de nouveau en 1981 et enfin en Février 1989.

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ovale de la Maison-Blanche réunissant Baker, Eagleburger, Robert Gates (adjoint de Scowcroft) et Lilley. Tous se mirent d'accord sur le message à transmettre aux dirigeants chinois : l'Amérique souhaitait à tout prix s'engager à maintenir la relation sino-américaine tout en invitant la RPC à comprendre la situation interne américaine et les décisions qui suivirent. La finalité étant d'amener la RPC à comprendre qu'elle devait de son côté travailler à restaurer la relation226. Le 30 Juin 1989, dans le plus grand secret, à bord d'un avion cargo de l'US Air Force, Eagleburger et Scowcroft partirent à destination de Pékin. Arrivés le 1er juillet, ils furent reçus par Deng Xiaoping en personne227. Après la première entrevue, Scowcroft conclut que Tiananmen avait creusé un fossé entre les deux cultures américaine et chinoise. Les Chinois éprouvaient de la rancoeur contre ce qu'ils percevaient comme une ingérence dans leurs affaires intérieures. La sécurité et la stabilité leur importaient plus qu'autre chose tandis que les Américains s'attachaient à la défense de la liberté et aux Droits de l'Homme228. Toutefois, le message principal avait été entendu et accepté des deux côtés : les Etats-Unis et la Chine s'engageraient à sauvegarder leur relation. Un autre objectif de cette rencontre confidentielle était de vérifier l'état du pouvoir communiste chinois. Une des inquiétudes de George Bush était de savoir qui dirigeait précisément la RPC et en conséquence, avec qui communiquer. A cet égard, le voyage de Scowcroft et d'Eagleburger rassura le chef d'Etat américain : Deng apparaissait comme un interlocuteur crédible mais ce dernier précisa toutefois à Scowcroft que les Américains à l'avenir, devraient traiter avec Li Peng pour résoudre les problèmes de leur relation229. Ceux-ci n'étaient pas des moindres et toute la suite du mandat de Bush fut de s'efforcer à redéfinir le cadre de la relation sino-américaine.

Titre 3 : Redéfinir la relation sino-américaine : à la recherche d'un nouveau cadre stratégique

La crise déclenchée par Tiananmen eut pour conséquence première, comme toute crise d'ailleurs, de rompre l'ordre antérieur et ses facteurs d'équilibres caractéristiques, au profit d'un climat d'incertitude et d'instabilité. Toute la difficulté de l'administration américaine était donc de travailler à instaurer une nouvelle balance dans les rapports. Ce défi lancé à l'administration américaine était d'autant plus épineux qu'au même moment le système international subissait ses plus profondes modifications depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale.

226 Tout le paragraphe précédent p. 66.

227 Tous les détails et anecdotes du voyage et de la rencontre sont finement décrits et racontés dans BUSH George, SCOWCROFT Brent, A la Maison-Blanche : 4 ans pour changer le monde, op. cit. pp. 119-124.

228 Ibid., p. 124.

229 SUETTINGER Robert L., Beyond Tiananmen: the politics of US-China relations 1989-2000, op. cit. p. 83.

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