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La politique chinoise de l'administration Bush après la répression place Tiananmen : l'interdépendance peut-elle apaiser les tensions politiques ? 1989-1993

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par Nicolas Le Guillou
Université Jean Moulin Lyon 3 - Master 1 Science Politique - Relations Internationales spécialité Sécurité & Défense 2014
  

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Chapitre 2 : Interdépendance et pouvoir : la dissymétrie nourrit les antagonismes

Comme nous l'avons expliqué en première partie, la théorie de R. Keohane et J. Nye présente la faculté de pouvoir étudier les rapports de puissance en situation d'interdépendance. L'étude critique expérimentale ayant pour objet l'aller-retour entre la théorie et les faits, intéressons-nous aux effets de l'orientation asymétrique de la relation d'interdépendance sino-américaine.

Section 1 : La prise de conscience de la vulnérabilité chinoise

Effectivement, à l'occasion de ces débats et des compromis forcés qui en découlèrent, Pékin prit conscience de sa vulnérabilité à l'égard de son partenaire commercial principal. Les potentiels changements aux Etats-Unis concernant le renouvellement du statut MFN pouvaient affecter structurellement la Chine. En conséquence de cause, Pékin dut réajuster sa politique étrangère pour éviter ces amendements. Typiquement cela correspond à une relation d'interdépendance où les changements intervenant chez l'acteur A affecte l'acteur B sensiblement vulnérable aux comportements de l'autre. A cet égard, les débats sur le statut MFN sont particulièrement éclairants. Certes, il était dans l'intérêt des Américains de maintenir ce statut sans quoi la relation commerciale aurait été probablement rompue et les deux pays auraient vu leurs exportations mutuelles s'interrompre. Mais la Chine était bien plus vulnérable : les Etats-Unis étaient un de leur principaux partenaires ce qui n'était pas le cas des Américains avec le Japon comme partenaire particulier. Le ministère chinois des relations économiques et commerciales extérieures évaluait le retrait du statut MFN à une perte de revenu en termes d'exportations de près de 10 milliards de dollar343. Le U.S.-China Business Council, lui, prévoyait une réduction des exportations chinoises aux Etats-Unis de près de 50% soit une perte de 6 milliards de dollar. Quoi qu'il en soit la société chinoise aurait souffert à plusieurs niveaux si ce statut lui avait été retiré. Les provinces, municipalités et entreprises qui recherchaient la technologie ou les investissements américains auraient été

342 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 279.

343 Ibid., p. 260.

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profondément affectées d'un tel changement. Le nombre d'étudiants chinois à séjourner aux Etats-Unis, nettement plus important que l'inverse aurait été grandement réduit.

Conscient de ce différentiel de vulnérabilité et des concessions faites sous le poids de celui-ci, l'antagonisme sino-américain pointait dangereusement. Une méfiance s'installa chez les dirigeants chinois.

Section 2 : Le poids des perceptions dans ces déséquilibres de puissance

Nous l'avions évoqué en introduction, l'histoire sino-américaine fut rythmée de perceptions différentes, parfois erronées, entre les deux pays. Tiananmen contribua à cristalliser à nouveau cette dialectique dans un format en revanche nouveau : l'interdépendance complexe. Cette théorie ne prenant pas en compte les facteurs cognitifs de la relation, nous allons ici très brièvement les effleurer car importants selon nous dans un contexte de tension politique et pour la relation contemporaine.

Avec Tiananmen les Chinois eurent très clairement le sentiment que les Américains étaient davantage préoccupés par des problématiques économiques et sécuritaires qu'humanitaires. Les protestations morales des dirigeants américains permettaient selon les Chinois, d'exercer des pressions plus à même de défendre leurs intérêts économiques et sécuritaires. David Lampton recense ainsi les suppositions faites par les observateurs chinois sur l'Amérique après 1989 : les Etats-Unis cherchent à maximiser leur intérêt national et à dominer le monde. Deuxièmement, il apparaissait plus aisé pour les Chinois de traiter avec les Etats-Unis et de coopérer avec eux quand leur pouvoir était en déclin. Enfin, parce que les Américains croient à « la loi de la jungle », sont de parfaits réalistes, ils ne voient pas les autres nations comme des partenaires mais comme puissances dont ils doivent enrayer la montée en puissance pour assurer leur suprématie. Cette analyse rejoint celle de J. Wang et Z. Lin qui relèvent trois perceptions chinoises sur les Etats-Unis après la Guerre froide. La première est idéologique : parce que pendant près d'un demi-siècle les Américains ont lutté contre le socialisme, leur politique à l'égard de la Chine, malgré la fin de l'affrontement Est-Ouest demeure hostile. Au niveau géopolitique, cette période était propice au développement de la stratégie américaine globale visant sa seule suprématie. D'où la stratégie chinoise contradictoire recherchant la multipolarité. Enfin, plus généralement la période post-Guerre froide appelait à changer la vision de l'ordre international davantage du point de vue des relations d'interdépendance que d'un jeu à somme nulle344.

344 LIN Zhimin, WANG Jianwei, « Chinese Perceptions in the Post-Cold War Era: Three Images of the United States », Asian Survey, Vol. 32, n°10 (Oct., 1992), pp. 904-915, URL: http://www.jstor.org/stable/2645048, consulté le 12/04/2015.

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Du côté américain, historiquement deux représentations de la Chine subsistent : l'une, chaleureuse et constructive, l'autre malveillante et menaçante. Aux Etats-Unis se mêlent donc l'espoir qu'en tant qu'ami, les efforts fournis avec la Chine contribueront à renforcer les bénéfices commerciaux et économiques mutuels et à libéraliser son régime et l'idée qu'en tant qu'ennemi, Pékin représente un facteur d'insécurité dont il ne faut rien attendre345. Ces conceptions durablement antagonistes caractérisèrent une large partie de la période post-Tiananmen, post-guerre froide jusqu'à aujourd'hui. Les masses médias dans le même temps ont favorisé la large diffusion de ces perceptions aux opinions publiques américaine et chinoise.

Section 3 : Les limites de la coopération sino-américaine

La prise de conscience du déséquilibre sino-américain post-Tiananmen associé au poids de ces perceptions pondéra largement la coopération avec les Etats-Unis. La collaboration nous l'avons évoqué, n'empêcha pas l'absence d'antagonisme. Au final la vulnérabilité face aux Etats-Unis eut pour effet de forcer Pékin à diversifier ses positionnements et muscler son économie. Les dirigeants chinois souhaitant désormais bénéficier d'une marge de manoeuvre plus large pour négocier avec les Etats-Unis entreprirent une politique qualifiée de « différentes nations, différentes relations »346. Entre Juin 1989 et Août 1992 la Chine restaura, normalisa ou établit des relations avec l'Arabie Saoudite, l'Inde, l'Indonésie, Singapour, le Vietnam, Israël, la Corée du Sud et la Russie347. De même, son implication dans les grands forums mondiaux s'accentua (détaillé plus haut) et plus particulièrement au niveau régional en intégrant l'APEC. Plus signifiant encore, Pékin parvint avec succès à détacher les nations du G7 de l'étau américain en restaurant ses relations avec les pays occidentaux et le Japon348. Logiquement, cette politique étrangère chinoise active dans la région ranima les vieilles craintes et méfiances américaines qui s'étaient endormies. Sur le plan intérieur, la croissance économique chinoise redoubla après Tiananmen de 7,1% en 1991 à 12,8% en 1992 jusqu'à 13,4% en 1993349. L'amélioration du bien-être général, la meilleure gestion de l'inflation, la hausse des salaires apaisa les tensions au point que Pékin parvint à supplanter les revendications politiques par un relèvement économique.

Dans cette relation d'interdépendance asymétrique la Chine chercha donc des garanties supplémentaires pour sa sécurité économique et politique ce qui raviva logiquement les craintes et

345 HARDING Harry, A Fragile Relationship: The United States and China since 1972, op. cit. p. 260.

346 « Different nations, different relations », XIAOXIONG Yi, « Chinas U.S. Policy Conundrum in the 1990s: Balancing Autonomy and Interdependence », Asian Survey, Vol. 34, n°8 (Aug., 1994), page 681. URL: http://www.jstor.org/stable/2645257, Consulté le 12/04/2015.

347 Ibid. pp. 681-682.

348 Ibid. p. 682.

349 DITTMER Lowell, « Chinese Human Rights and American Foreign Policy: A Realist Approach », The Review of Politics, Vol. 63, n°3 (Summer, 2001), p. 439. URL : http://www.jstor.org/stable/1408878, Consulté le 12/04/2015

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méfiances américaines apaisées depuis la normalisation. Tel un cercle vicieux renforcé par le poids d'une complexe interdépendance, chaque action de l'un affecta négativement le comportement et les perceptions de l'autre. Ce modèle d'interdépendance pervers contribua à poser les premiers éléments de la rivalité sino-américaine contemporaine.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci