2.2.2.4 L'éducation bilingue, une alternative
à l'éducation classique
Si l'objectif poursuivi par les initiateurs de
l'éducation bilingue au Burkina Faso visait à combler les
insuffisances de l'éducation classique tant du point de vue de
l'efficacité interne qu'externe, les protagonistes de cette innovation
se réjouissent aujourd'hui d'avoir réussi leur pari.
D'abord, du point de vue de l'efficacité interne, il
faut reconnaître que les statistiques semblent leur donner raison. En
effet, dans une étude menée par Toé-Sidibé (2002)
portant sur l'évolution comparée des taux de flux de 1998
à 2001 des écoles bilingues et classiques de deux provinces du
Burkina, les résultats obtenus ont donné le contenu suivant :
Tableau n°5 : Evolution comparée des taux
de flux de 1998 à 2001 des écoles bilingues et classiques dans
deux provinces
|
1998/1999
|
1999/2000
|
2000/2001
|
Indicateurs
|
Ecole bilingue
|
Ecole classique
|
Ecole bilingue
|
Ecole classique
|
Ecole Bilingue
|
Ecole classique
|
Taux de
promotion9
|
88,10
|
71,90
|
88,58
|
69,45
|
86,87
|
74,22
|
Taux
redoublement
|
15,95
|
19,40
|
10,31
|
20,14
|
10,50
|
17,19
|
Taux d'abandon
|
1,95
|
8,70
|
1,11
|
10,41
|
2,52
|
8,59
|
Source : Suzanne,Toé/Sidibé,
2002
9 Il s'agit du taux de passage en classe
supérieure.
32
Au regard de ce tableau et en considération des taux de
promotion, de redoublement et d'abandon, on observe que les écoles
bilingues obtiennent des performances largement au-dessus des écoles
classiques.
Cette ascendance des écoles bilingues est confirmée
par ailleurs par les résultats des examens officiels au certificat
d'études primaires des sessions de 2002 à 2008 :
Tableau n°6 : Résultats au Certificat
d'Etudes Primaires des écoles bilingues comparativement à la
moyenne nationale de 2002 à 2008.
|
Ecoles bilingues
|
Moyenne nationale
|
année
|
Nombre écoles
|
Nombre langues nationales
|
Nombre candidats
|
Taux succès
|
Scolarité en général
|
2002
|
4
|
2
|
92
|
85,02
|
61,81
|
2003
|
3
|
1
|
88
|
68,21
|
70,01
|
2004
|
10
|
4
|
259
|
94,59
|
73,73
|
2005
|
21
|
6
|
508
|
91,14
|
69,01
|
2006
|
40
|
7
|
960
|
77,19
|
69,91
|
2007
|
47
|
7
|
1182
|
73,97
|
66,83
|
2008
|
75
|
7
|
1828
|
61,43
|
58,34
|
Source : Direction des examens et concours du
MENA
Comme on peut le constater, les résultats des
écoles bilingues au Certificat d'Etudes Primaires sont presque toujours
supérieurs à la moyenne nationale sur plusieurs années. A
ne prendre en considération que ces résultats, on pourrait tout
de suite conclure que l'éducation bilingue est performante et meilleure.
Mais face à cette tentation, Nikiema et Kaboré/Paré (2010)
invitent à la prudence car on compare ici des éléments
divers, précisent-ils. A l'opposé, on pourrait être
tenté de relativiser ces performances en mettant en avant les conditions
favorables dont bénéficie l'éducation bilingue
(encadrement plus resserré, nombre d'écoles plus réduit
etc.). Mais à ce niveau encore, affirment Nikiema et
Kaboré/Paré (2010 : 62), ce serait ignorer « les
difficultés réelles auxquelles sont confrontées les
écoles expérimentales, dont les maîtres,
généralement plus jeunes et inexpérimentés, se
plaignent souvent de leur niveau de formation, doivent constamment assimiler de
nouvelles approches
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non encore stabilisées ». Quoiqu'il en
soit, ces résultats montrent, d'après eux, que l'éducation
bilingue a un fort potentiel à exploiter dans l'amélioration du
système éducatif burkinabè.
Pour ce qui concerne l'efficacité externe du
système d'éducation bilingue, de nombreuses études tendent
à affirmer l'existence d'un consensus autour de la question ; la plupart
de ces recherches sont des thèses ou des mémoires
d'étudiants ou d'élèves inspecteurs en fin de formation ;
ainsi, Yaro (2004 : 299), dans sa thèse portant sur l'échec
scolaire est parvenu à cette conclusion : « Que ce soit en
milieu urbain, semi-urbain ou rural, la plupart des maîtres estiment
qu'il serait bénéfique d'utiliser les langues nationales comme
médium de communication pour expliquer certaines notions ... »
; quant à Yameogo (2004 : 80), dans son mémoire de fin de
formation des élèves-inspecteurs, il affirme que « 96%
des encadreurs pédagogiques se sont dits prêts à susciter
l'adhésion des enseignants et des parents d'élèves au
processus de l'éducation bilingue s'ils sont outillés pour
s'engager en toute responsabilité et en connaissance de cause,
grâce à une formation conséquente ». Le
même auteur laisse entendre que la tendance au niveau des parents
d'élèves est à l'acceptation de l'école bilingue
car bien que ne comprenant pas tout le fonctionnement du système, ils y
voient un moyen qui permet « d'apprendre vite ».
Des auteurs tels que Jacques Sibalo, Désirée
Tapsoba, Constance Lavoie (2007) et Cyr Payim Ouedraogo (2003) soutiennent
particulièrement l'idée que l'école bilingue tire sa
suprématie du fait qu'elle formerait des hommes et des femmes utiles
à eux-mêmes et à leurs communautés. A
l'opposé de l'école classique qui, selon eux, conduit au
déracinement des élèves en raison des programmes qui sont
inadaptés aux réalités et aux possibilités du
terrain, l'école bilingue possèderait une plus grande
efficacité externe en ce sens qu'elle est ancrée dans le contexte
du développement local. D'autre part, et contrairement à
l'école classique, elle ne préparerait pas l'élève
seulement à un travail de bureaucrate mais plutôt à gagner
sa vie et cela, dès son jeune âge. C'est dans ce sens qu'elle
enseigne les contes et proverbes, les chants et danses, la musique du milieu et
les instruments traditionnels de musique ainsi que des activités
manuelles comme l'élevage ou l'agriculture.
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Le tableau ci-dessous présenté compare
l'école classique et bilingue, laissant percevoir qu'en tout point de
vue, l'éducation bilingue est préférable à
l'éducation classique :
Tableau n°7 : Ressemblances et divergences des
écoles bilingues et des écoles classiques
Ecoles bilingues
|
Ecoles classiques
|
Plus de motivation de la part des élèves
|
Plus d'incompréhension
|
Les élèves sont plus actifs en classe
|
Meilleure prononciation du Français surtout au CE1
(3e année)
|
Niveau beaucoup plus élevé en 1e
année
|
Les enfants ont plus confiance en eux pour s'exprimer en
Français
|
En 5 ans, les élèves du bilingue ont le
même niveau que ceux du classique en 6 ans
|
Scolarité primaire de 6 ans
|
Apprentissage de métiers : menuiserie,
agriculture, élevage, teinture, couture, etc.
|
Peu ou pas d'activités culturelles ou de production
|
Participation des parents d'élèves aux
activités de production
|
Moins de participation des parents, moins de suivi
|
Meilleure compréhension des concepts
enseignés
|
Incompréhension et peur chez les enfants durant les
premières années
|
L'école est en lien avec la culture et le milieu de
l'enfant
|
Reconnaissance des écoles classiques par les
intellectuels et des fonctionnaires burkinabés
|
Source : Constance Lavoie (2008)
En considération de tous ces atouts, les protagonistes
de l'éducation bilingue de même que certains chercheurs,
didacticiens et linguistes, affirment que ce modèle d'éducation
serait le plus recommandable pour le Burkina en tant qu'il répond le
plus adéquatement aux besoins et aux réalités du contexte.
A ne s'en tenir toutefois qu'à ses observations, on en vient à se
demander pourquoi cette éducation bilingue, si recommandable,
peine-t-elle à s'imposer à tout le pays ? Existe-t-il des
obstacles qui entravent l'expansion de ce système éducatif ?
Comment les enseignants qui sont les premiers protagonistes de
l'éducation bilingue et les acteurs principaux de son
développement se positionnent-t-il dans cette innovation ?
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