CHAPITRE 3 :
DES RAISONS DE S'INTERROGER
Notre travail de recherche porte sur le rapport des
enseignants aux langues nationales dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso. Si nous avons été amené à nous
intéresser à un tel sujet, c'est parce qu'en dépit de tout
le bien qu'on peut dire de cette innovation pédagogique, il subsiste des
craintes, des réserves et même des problèmes qui nous
amènent à nous interroger sur la posture des enseignants dans ce
projet d'éducation. En effet, interroger la posture réelle des
enseignants dans l'éducation bilingue au travers de leur rapport aux
langues nationales nous semble un passage obligé pour donner des assises
solides et pérennes à ce projet d'éducation. Au nombre de
ces questions problématiques qui nous poussent à nous interroger
sur la posture des enseignants dans l'éducation bilingue, deux nous
semblent d'une importance capitale ; il s'agit d'une part de la remise en cause
de la solidité des fondements du système éducatif bilingue
et d'autre part de la situation de la diglossie que connaît le Burkina
Faso.
3.1 L'école bilingue, la fabrication d'un
succès
Dans une étude qu'il a effectuée dans deux
provinces du Burkina sur l'état des écoles bilingues
initiées par l'OSEO, Cheron (2008) a montré que les discours
élogieux tenus à l'endroit de l'éducation bilingue
relevaient plus de l'effet de la fabrication d'un succès par l'OSEO et
ses partenaires que de la description d'une réalité. Parmi les
domaines sur lesquels a porté l'action de l'OSEO, Cheron (2008) cite
entre autres, l'enrôlement des cadres du Ministère de
l'Enseignement de Base, l'implication des parents et l'amélioration des
conditions de vie des enseignants.
Selon Cheron (2008), l'enrôlement des cadres du
Ministère de l'Enseignement de Base par l'OSEO a pris force avec la
création en 2003 au sein de ce ministère de la Direction
Générale de l'Enseignement Bilingue (DGEB). Cheron (2008 : 26)
fait remarquer que « ce service public entièrement voué
au suivi-évaluation de la pédagogie bilingue a été
pensé, conçu et instauré par l'OSEO elle-même et est
dirigé et animé par des inspecteurs proches de l'OSEO ».
Entièrement financée par l'OSEO, elle organise plusieurs
visites dans les écoles bilingues en collaboration avec les
différentes inspections ; pour se rendre compte de l'importance de
l'action de la DGEB, Cheron (2008) cite en exemple le constat selon lequel
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les écoles bilingues peuvent recevoir entre trois
à quatre visites dans l'année pendant que les écoles
publiques voisines n'en bénéficient même pas d'une seule.
Cette immixtion dans la sphère décisionnelle aurait par ailleurs
permis à l'OSEO de court-circuiter certaines réticences
émanant du milieu des intellectuels.
Le second axe d'influence dans la fabrication du succès
de l'école bilingue que révèle l'étude de Cheron
(2008) porte sur l'implication des parents. Si l'OSEO a su organiser son projet
et lui donner l'ancrage qu'il connaît actuellement, c'est parce qu'il a
tenu à s'assurer « une meilleure intégration de
l'école à la communauté villageoise et une participation
effective des parents au processus éducatif » (Cheron, 2008 :
37) en associant les parents au processus d'implantation et à
l'animation des écoles ; critiquant par ailleurs l'insistance des
initiateurs du projet sur la forte demande d'ouverture d'écoles
bilingues (d'environ 500 comme nous l'avions souligné
antérieurement) l'étude menée par Cheron (2008 : 37)
montre que « même si les parents adhèrent à
l'école - notamment parce qu'ils cherchent à réaliser
à travers elle une certaine justice intergénérationnelle
-, ils ne semblent pas adhérer au bilinguisme en tant que tel et ne
réclament des écoles bilingues que lorsqu'ils se rendent compte
que c'est le seul moyen d'obtenir une école pour leur village
».
Enfin, les travaux de Cheron (2008) ont surtout mis à
jour le constat selon lequel si l'éducation bilingue est aujourd'hui
exaltée, décrit comme étant un succès
pédagogique c'est avant tout parce que l'OSEO et les différents
partenaires ont pris le soin d'améliorer les conditions de vie et de
travail des enseignants qui sont les acteurs clés dans ce système
éducatif. Une étude de terrain entreprise par Nanema (2009), sur
les profils et les conditions de travail des enseignants des écoles
bilingues et classiques a permis de confirmer les propos de Cheron (2008) ; de
ces deux études, il ressort que les enseignants des écoles
bilingues, contrairement à leurs collègues des écoles
classiques bénéficient de nombreux avantages : tout d'abord, les
enseignants des écoles bilingues disposent d'infrastructures neuves
(écoles et logements neufs et bien équipés,
matériels didactiques et pédagogiques neufs et en nombre
suffisant, effectifs des élèves contrôlés) ; en
outre, ils bénéficient de nombreuses séances de formations
qui sont le plus souvent rémunérées et sont
régulièrement suivis par les encadreurs pédagogiques. Sur
le plan financier, ils jouissent d'une indemnité spécifique
mensuelle de 15000F CFA qui vient grossir leur salaire de fin du mois. A en
croire donc ces auteurs, la motivation des enseignants dans l'éducation
bilingue serait entretenue par ces nombreux avantages dont ils
bénéficient et par les soins dont ils sont l'objet. Cela pose
à notre niveau de grandes questions : si la motivation des enseignants
est nourrie non pas par la conviction
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qu'ils ont de l'efficacité du système
éducatif bilingue mais par les avantages qu'il procure, quel savoir
vont-ils transmettre ? Cette éducation bilingue a-t-elle un avenir ?
Mais si la remise en cause des fondements de
l'éducation bilingue peut être une source d'inquiétude pour
l'avenir de ce système éducatif, elle n'est cependant pas la
seule ; la situation socio-linguistique du Burkina nous amène aussi
à nous interroger sur l'engagement des enseignants.
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