6.3 Intérêt disciplinaire des langues
nationales
6.3.1 Utilité des langues nationales
employées comme matières d'enseignement
Dans l'objectif de recueillir l'opinion des enseignants
bilingues sur la valeur qu'ils accordent aux langues nationales
utilisées comme médiums et matières d'enseignement, il
leur a été demandé de se prononcer par rapport à la
thèse selon laquelle « il y aurait des matières inutiles
ou inadaptées dans l'éducation bilingue ». A l'examen
des résultats, il apparaît que les enseignants sont nombreux, soit
72% contre 28%, à réfuter une telle affirmation.
Cependant, lorsque l'on rapporte ces résultats aux deux
catégories d'enseignants, il nous est donné de constater que la
part des enseignants bilingues qui admettent l'existence de matières
inutiles (31%) est largement plus importante que celle des enseignants des
écoles
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classiques qui est seulement de 6%. Ceux qui soutiennent cette
thèse citent en exemple plusieurs matières :
- Le langage en première année :
il est cité par 58% des enseignants bilingues ; le reproche qui
est fait à cette matière a trait à son caractère
inadapté :
· Daniel, enseignant bilingue gourmantchema :
« les répliques sont longues et difficiles à retenir
pour les élèves »
· Bamogo, enseignant bilingue mooré : « les
structures sont difficiles et confuses pour les élèves
»
Sayoré, enseignant bilingue et directeur d'école
nous explique en quoi consiste cette matière et les difficultés
qui l'affectent :
« depuis qu'on a commencé, on a toujours
demandé à ce qu'on allège le langage de la première
année parce que, comme la première année est
considérée comme trois classes réunies (CP1, CP2, CE1 et
même le CE2), donc dans leur système, ils ont voulu prendre en
compte deux disciplines dans le classique, le langage et les exercices
sensoriels, qu'ils ont mélangés pour faire des dialogues qu'on
appelle le langage en première année au niveau du bilingue ; au
niveau du classique y a ce qu'on appelle les exercices sensoriels : c'est
là-bas où on voit par exemple "c'est gros, c'est long ", c'est un
peu les exercices d'observation des sciences qu'on apprend à l'enfant du
CP1 mais c'est oral. Et au niveau du langage au CP1 classique c'est
peut-être :"je montre un crayon, j'écris au tableau» ; donc
c'est un peu ça ; mais dans le bilingue, comment on a fait, on a
réunit par exemple ces deux-là et on a formé des dialogues
et c'est très long ; les textes là sont très longs
».10
- Les APPC (Activités Pratiques,
Productives et Culturelles) dans les écoles bilingues sont
indexées comme constituant une matière problématique par
13% des enseignants ; si ces derniers la trouvent inutile, c'est parce qu'elle
n'est pas effectivement pratiquée ; le matériel qui devait servir
à faire fonctionner les ateliers des activités pratiques n'est
pas toujours disponible, comme nous le signifie Mouboé, enseignant
bilingue lyèlé : « les ateliers sont
10 Ce que Say dénonce ici, c'est la longueur
des séances de cours de langage ; ces longues séances ne seraient
pas adaptées au niveau des élèves de première
année ; il explique qu'ils ont attiré l'attention des initiateurs
de l'éducation bilingue sur ce problème mais il n'y a eu aucune
réaction. La longueur des séances de cours de langage serait due
au fait qu'on y a regroupé deux matières pratiquées
séparément dans l'éducation classique : il s'agit du
langage et des exercices sensoriels.
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quasi vides, il n'y a pas de matériel , ·
or, l'élève de l'école bilingue ne devrait pas sortir
bredouille même s'il échouait intellectuellement».
Les chants et récitations en langues :
Cette matière est citée spécifiquement comme étant
inadaptée par le groupe bilingue fulfuldé pour des
raisons culturelles que nous explique Alioud, directeur d'école :
« je me dis que y a pas de matières qui puissent en tout cas
fatiguer les enfants , sauf quelque peu aussi des leçons comme
récitation et chant, mais ça c'est dû au milieu culturel de
l'enfant , par exemple nous les Peuls, on n'aime pas chanter , parce que dans
la structure ethnique il y a des personnes qui sont indiquées pour
ça , donc un Peul comme ça en principe ne doit pas chanter
, · et on dit aux enfants de chanter... »
- La grammaire de la langue dans la langue :
4% certains enseignants trouvent que cette matière est inutile
parce qu'elle ne mobilise pas les notions grammaticales françaises ;
c'est l'avis de Aïssa, enseignante bilingue mooré :
« la grammaire de la langue est inutile parce que certaines notions
n'apparaissent pas (COD, COI, CCM, CCT, féminin, masculin)
»
- La dictée en langue nationale :
cette matière est citée par 11% des enseignants ; elle
est déclarée inutile soit parce qu'elle n'est pas
réinvestie dans les classes supérieures, soit parce qu'elle n'est
pas évaluée à l'examen.
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