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Le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d’enseignement, dans l’éducation bilingue au Burkina Faso.


par Bouinemwende Wenceslas ZOUNGRANA
Université sciences humaines et sociales /Lille 3 - Master 2 Recherche 2014
  

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6.3.2 Utilité des connaissances prodiguées par l'utilisation des langues nationales

Toujours dans le registre de l'intérêt disciplinaire des langues nationales, et pour rendre compte de la valeur que les enseignants accordent aux connaissances produites par suite de l'utilisation des langues nationales comme médiums et matières, il leur a été demandé de se positionner entre trois propositions : les langues nationales utilisées comme matières d'enseignement apportent-elles des connaissances « plus utiles », « moins utiles » ou « aussi utiles » que dans l'éducation classique ? Dans leur ensemble, les enseignants ont plutôt une bonne appréciation des langues nationales : 58% de l'échantillon soutient qu'elles apportent des connaissances aussi utiles que dans l'éducation classique, 34% d'entre eux pensent que ces connaissances sont même plus utiles et seulement 5% estiment qu'elles sont moins utiles.

Ce résultat ne doit toutefois pas cacher les fortes variations d'appréciations qui

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existent entre les enseignants du bilingue et ceux du classique ; en effet, rapporté à ces deux groupes d'enseignants, on remarque que les enseignants du classique sont plus nombreux à penser que les connaissances qu'apportent les langues nationales en tant que matières d'enseignement sont aussi utiles que dans le classique, soit 3 enseignants sur 4 contre 2 sur 4 dans le bilingue. Quant à la part de ceux qui pensent que ces connaissances sont moins utiles, elle est plus élevée chez les enseignants du classique que chez leurs collègues du bilingue, soit 9% contre 3% ; en revanche, et comme on aurait pu s'y attendre, les enseignants du bilingue se trouvent être proportionnellement plus nombreux à soutenir que les connaissances qu'ils dispensent sont plus utiles que celles enseignées par leurs confrères des écoles classiques, soit 41% contre 12%.

Graphique n° 6 : Appréciation des connaissances dispensées dans les écoles bilingues par rapport à celles des écoles classiques selon le type d'enseignement

6.3.3 Les effets des langues nationales, utilisées comme

matières d'enseignement, sur les autres matières

Ø Les effets néfastes

Si les enseignants des écoles bilingues sont plutôt minoritaires à soutenir qu'il y a des matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue, ils sont, à l'opposé, beaucoup plus nombreux à reconnaître que les langues nationales utilisées comme matières d'enseignement ont des effets négatifs sur les autres matières, soit près de 7 enseignants sur 10. Là aussi, plusieurs effets sont évoqués selon les matières indexées :

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- L'expression orale française : Les difficultés d'expression en langue française figurent en tête des effets néfastes des langues nationales cités par les enseignants pour ce qui concerne la discipline « expression orale française ». Ces difficultés d'expressions qui sont communes à toutes les langues nationales seraient dues au fort ancrage des élèves dans la langue nationale et à la faiblesse du temps d'études et de pratiques accordé à la langue française durant les premières années de la scolarisation. La conséquence directe en est que les élèves éprouvent de fortes carences en vocabulaire :

C'est ce que nous explicite cet enseignant en langue nationale dagara : « le fait de rester longtemps dans la langue maternelle pour aboutir aussi brusquement en Français en 2° année par le biais de la phonétique appauvrit le vocabulaire des élèves qui manquent à s'exprimer aisément ».

Ou encore Martin, un enseignant en gourmantchema : « manque d'effort de la part des élèves (utilisation de mots gulmancema pour combler les mots inconnus du Français ».

Mais pour Honorine, une enseignante en langue Bissa, cette carence en vocabulaire n'apparait que lorsque le transfert de la langue nationale vers le Français est mal fait : « lorsque le transfert est mal fait, cela peut entraîner une insuffisance de bagages en vocabulaire à l'oral ».

A cette carence en vocabulaire s'ajoutent les interférences avec les langues nationales : certaines lettres de l'alphabet français n'existent pas toujours dans les langues nationales (c, j, q) et inversement comme le [kp], [?], [?m], [ny] en dagara ; ou quand elles existent, elles ne se prononcent pas de la même manière ; c'est le cas des lettres homographes non homophones. Et lorsque l'élève n'a pas été entraîné très tôt et intensément à les prononcer, il éprouve des difficultés par la suite ou les prononce avec l'accent de la langue ; c'est l'avis d'Alioud qui cite l'interférence linguistique comme effet néfaste de l'utilisation des langues nationales dans le bilingue : « interférence linguistique : les élèves ne peuvent pas faire la différence entre e, é, è, ê » ou encore Zacharie, enseignant dans une école bilingue mooré : « les interférences linguistiques : l'accent des langues nationales domine ».

Tous ces effets auraient pour conséquence, de l'avis des enseignants, de créer un sentiment de honte chez les élèves comme nous l'exprime Babilenwé, directeur d'école bilingue lyèlé : « ils ne peuvent pas bien prononcer les mots en français. Ils ont honte de s'exprimer ». C'est aussi le point de vue de cet enseignant dioula : « à ce niveau, certains élèves restent collés à la langue nationale parce qu'ils ont des difficultés ou honte de s'exprimer ».

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- La lecture et l'expression écrite française : les difficultés de lecture et d'écriture

des élèves des écoles bilingues telles que décrites par les enseignants s'inscrivent toujours dans le registre des interférences linguistiques. Elles sont évoquées par des enseignants issus d'écoles bilingues mooré, fulfuldé, bissa, lyèlé, gourmantchéma et dagara. Deux causes sont invoquées pour justifier ces difficultés ; il y a d'abord le problème des interférences : les élèves auraient tendance à écrire selon le code orthographique des langues nationales plutôt que selon le code orthographique français. Sayoré nous l'explique en ces termes :

« sinon y a quand même des inconvénients aussi ; par exemple y a la confusion des sons

de la langue nationale et du Français ; un exemple : en première année on va peut-être dire à l'enfant que le "U" là se dit" OU"[u]; et quand il va arriver au Français on dit mais écoute, ce n'est pas OU mais U, [y] ; en plus, généralement en mooré, un "S" entre deux voyelles se dit "SE" [s] mais en Français ça devient "ZE" [z]; ça fait que lors de nos dictées, l'enfant peut écrire un mot et pour quelqu'un qui sait lire le mooré le mot est bien écrit avec des sons en mooré ; par exemple on dit "toute la famille" ; l'enfant peut écrire le "TOUTE" là en "TUT" avec "T" à la fin. "TUT en mooré, ça se lit TOUTE ; ça fait que l'enfant a tendance à utiliser ses acquis du mooré là pour mélanger avec le Français ».

La même difficulté apparaît en lyèlé : « quand on prend l'alphabet français et l'alphabet lyèlé, il y a des lettres qui se prononcent de la même manière par contre il y'en a qui diffèrent ; quand on prend le C il se lit "kié" en lyèlé ; quand on prend le G il se lit "gyé", le ZH se lit "g"..., le U se lit "OU"[y]; ça fait que quand on finit la phonétique lyèlé et on entame la phonétique française y a une interférence linguistique qui est là ; mais ça se corrige dans les autres classes ». (Babil)

A tout cela s'ajoute le fait des conventions orthographiques françaises qui n'existent

pas dans les langues nationales, telles que gn, ch , un, oie, in, ph ou des terminaisons muettes du genre « ent ». Ces difficultés orthographiques, les élèves des écoles bilingues auraient tendance à les surmonter en lisant ou écrivant selon le code orthographique appris dans la langue nationale, d'où les confusions.

- Le calcul : sur l'ensemble des 68 enseignants qui soutiennent que les langues nationales ont des effets néfastes sur les autres matières, seulement 7 d'entre eux mentionnent le calcul. Ces enseignants sont issus de quatre groupes linguistiques : le mooré, le dioula, le fulfuldé et le gourmantchema. C'est donc la matière la moins citée en termes d'obstacles. Ici,

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les enseignants évoquent surtout des difficultés de conversion des grands nombres appris dès la première année dans les langues nationales en Français comme nous le signifie Martin : « difficulté de la lecture des nombres connus du gulmancema au Français » ; il est aussi question de problèmes de compréhension des énoncés ; c'est l'avis partagé par Alioud : « les grandes difficultés, c'est au niveau des problèmes car ils ne comprennent pas bien le Français».

- Grammaire française : Cette difficulté est évoquée par les enseignants des écoles bilingues mooré, fulfuldé, kassena, lyèlé, gourmantché et dagara. Sur les 68 enseignants qui ont reconnu l'existence d'effets néfastes des langues nationales, 13 en parlent. Le souci rencontré par les élèves mais aussi par les enseignants au niveau de la grammaire française se rapporte au fait que les structures grammaticales de certaines langues nationales diffèrent du Français ; c'est ce que nous explique Alioud : « certaines formes syntaxiques changent de la langue nationale en Français. Ex .
· Oumarou de Sadou est riche se dit .
· jom (est) jawdi (riche) yo (de) Umaru (Oumarou) Saadu (Sadou ») ;
de ce fait, les élèves qui ont bien assimilé les constructions grammaticales auraient du mal à comprendre ces variations et à s'en détacher comme le souligne Saïdou, enseignant dans une école bilingue mooré : « apprentissage difficile dû au problème de détachement du mécanisme de fonctionnement du mooré pour le français. »

Ø Les effets positifs

Les enseignants des écoles bilingues reconnaissent, à une majorité écrasante, soit 93%, que l'utilisation des langues nationales a des effets positifs sur l'enseignement des autres matières.

Toutefois, à la différence des avis portant sur les effets négatifs où une diversité de raisons était convoquée, les avantages induits par l'usage des langues nationales tels qu'ils sont cités ici mettent en avant la maîtrise des techniques d'apprentissage par les élèves des écoles bilingues. L'usage des langues nationales comme médiums et matières serait un atout dans la mesure où il permet aux élèves de mieux comprendre et de s'approprier les contenus d'enseignement. Ce phénomène est présent dans toutes les disciplines évoquées telles que nous pouvons le percevoir à travers les propos des enseignants contenus dans le tableau ci-dessous :

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Tableau n°11 : Récapitulatif des effets positifs de l'utilisation des langues nationales comme médiums et matières sur les autres matières selon les enseignants

Matières

Déclarations des enseignants

Nombre de citations

Expression orale

française

Martin : « les enfants s'expriment aisément grâce à

l'exploitation des leçons de langage en première année»

Alioud : « En montrant la voie à suivre en langue nationale, l'enfant n'a plus de difficultés, il applique seulement »

17/92

Lecture

Ousseini : « L'enfant lit correctement car il a déjà les rudiments nécessaires dans sa langue »

Eloi, enseignant bilingue mooré : « L'enfant appréhende les sons, les associations dès la première année à l'issue de laquelle il lit toute oeuvre même sans comprendre »

41/92

Expression écrite française

David, enseignant bilingue mooré : « En grammaire de la langue, l'enfant apprend à découper une phrase en sujet, verbe et complément et cela l'aide à bien structurer le Français aussi à l'écrit comme à l'oral »

14/92

Calcul

Martin : « maîtrise des techniques opératoires et avancée significative du programme par rapport au classique »

Irenée, enseignant bilingue lyèlé : « en calcul, c'est encore plus pertinent parce qu'ils découvrent déjà la centaine et les grandes opérations en 1° année, ce qui leur permet de manipuler les chiffres et de comprendre les quatre opérations sauf en problème où le Français intervient pour faire comprendre les énoncés »

73/92

Grammaire française

SAYORÉ : « quelques notions grammaticales vues en langues nationales restent un acquis en Français »

Ali : « les notions sont d'abord étudiées en langue nationale avant d'être transférées en Français, ce qui aide les élèves à mieux comprendre ».

20/92

 

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Au vu des déclarations des enseignants, il ressort clairement qu'un accord unanime se

dégage en faveur de la reconnaissance de l'apport des langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement dans la facilitation des enseignements et apprentissages des autres matières. La matière qui recueille le plus d'unanimité reste néanmoins le calcul. Sur cette matière précise, 73 des 92 enseignants qui ont reconnu l'impact positif des langues nationales ont tenu à marquer leur avis ; Babil nous explique l'intérêt de cette matière :

« Ici, quand nous avons fait nos premiers pas dans le bilingue, avec les résultats que nous avons eu, nous avons compris tout de suite que la maîtrise des connaissances dans la langue maternelle permet facilement à l'enfant d'acquérir des connaissances dans d'autres langues ; par exemple, quand on prend le calcul, lorsque l'enfant acquiert une connaissance en calcul dans sa langue, tout ce qu'on peut faire c'est de lui donner la notion en Français mais la technique est déjà acquise en langue ; si tu montres à un enfant comment il faut faire une conversion des unités de mesure des longueurs, c'est la même technique en langue ; tu ne peux pas lui dire 18 et il va écrire 8 là dans la colonne des décamètres! Quand tu lui donnes la technique en langue c'est la même chose en Français ; c'est l'appellation du terme qui change ».

L'effet positif des langues nationales sur la lecture, pour sa part est moyennement cité, soit 41 enseignants sur 92, tandis que l'expression écrite et orale qui comptent chacune 17 et 14 citations d'exemples restent faiblement marquées.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry