6.4.2 Conviction des enseignants pour l'éducation
bilingue
Pour rendre compte de la conviction qu'ont les enseignants
sur l'efficacité de l'éducation bilingue, il leur a
été demandé de donner leur avis par rapport à
l'opinion qui sous-tend que « la pédagogie bilingue serait le
meilleur système éducatif pour le Burkina Faso ». La
réponse à donner devait être partagée entre
« très convaincu », « convaincu »,
« peu convaincu » et « pas du tout convaincu
». Au regard des résultats, on peut affirmer que la majeure
partie des enseignants a une opinion favorable à l'éducation
bilingue car 64% de l'échantillon se dit « convaincu »
ou « très convaincu » contre 36% se
déclarant « peu convaincu » ou « pas du tout
convaincu ». Les discours tenus par les enseignants que nous avons
interviewés confirment cette tendance. C'est l'avis de Manu, directeur
d'école classique : « Par essence je crois que
l'éducation bilingue c'est quelque chose de bien ; parce que partir de
ce que l'enfant connaît le mieux pour l'aider à apprendre ce qu'il
ne sait pas, partir des réalités propres à lui, sa langue
maternelle pour lui apprendre une langue étrangère, y a rien de
tel » ; ou encore Inno : « moi je suis un partisan du
bilingue en ce sens que l'enfant utilise sa langue ; l'enfant se retrouve dans
son milieu ; en famille il parle le mooré, arrivé à
l'école il parle encore le mooré ; je trouve que y a pas meilleur
moyen d'apprentissage que d'amener les enfants à parler leur propre
langue en les initiant à une autre langue ».
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Toutefois, comme le montre le graphique suivant, les
résultats varient lorsqu'on distingue les enseignants du bilingue de
ceux du classique.
Graphique n° 8 : Niveau de conviction des
enseignants par rapport à l'éducation bilingue selon le type
d'enseignement.
Ce graphique montre clairement que les
enseignants de l'éducation bilingue ont un accueil beaucoup plus
favorable de ce système éducatif que ceux des écoles
classiques. Alors que le pourcentage des enseignants se disant «
convaincus » ou « très convaincus » culmine
à 69% dans le bilingue, il n'est que de 44% au classique. En partant de
l'avis de Babil, on pourrait expliquer cet écart par la
méconnaissance qu'ont certains enseignants de la réalité
de l'éducation bilingue : « Lorsqu'on n'est pas dans le
système on peut de l'extérieur apprécier sans pour autant
connaître le contenu de la chose, il faut être dans une
école bilingue pour comprendre ; tel que conçue par les
concepteurs, je peux dire que c'est le meilleur des systèmes ; mais le
système présente des contraintes ».
Du point de vue des groupes linguistiques, on observe aussi
quelques variations : ainsi, le premier constat que l'on peut faire, c'est que
le dagara et le dioula sont les groupes linguistiques
où le pourcentage de ceux qui se déclarent « convaincus
» ou « très convaincus » est le plus
élevé, soit 100% pour le premier et 91% pour le second. A
l'opposé le bissa et le gourmantchema sont les seules
langues nationales d'enseignement où la part de
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ceux qui affirment n'être « pas du tout
convaincus » ou « peu convaincus » est la plus
élevée, avec notamment 6 enseignants sur 10 de part et
d'autre.
Tableau n°14 : Niveau de conviction des
enseignants par rapport à l'éducation bilingue selon les groupes
linguistiques en %.
Langues nat
|
pas conv
|
peu conv
|
convaincu
|
très conv
|
nr
|
Total %
|
Mooré
|
8
|
21
|
54
|
15
|
3
|
100% (39)
|
Dioula
|
|
9
|
36
|
55
|
|
100% (11)
|
Fulfuldé
|
|
25
|
67
|
8
|
|
100% (12)
|
Bissa
|
|
60
|
40
|
|
|
100% (5)
|
Nûni
|
|
40
|
60
|
|
|
100% (5)
|
Kassena
|
|
20
|
40
|
40
|
|
100% (5)
|
Lyèlé
|
|
25
|
75
|
|
|
100% (4)
|
Gourmanchema
|
10
|
50
|
30
|
10
|
|
100% (10)
|
Dagara
|
|
|
100
|
|
|
100% (8)
|
Total en%
|
4% (4)
|
24% (24)
|
55% (4)
|
16% (16)
|
1% (1)
|
100% (99)
|
|
Mais pour mieux apprécier la part de conviction des
enseignants du bilingue, intéressons-nous à ce qui a
motivé leur entrée dans ce système éducatif :
Tableau n° 15 : Récapitulatif de la
position des enseignants par rapport aux opinions explicatives de leurs
motivations à entrer dans l'éducation bilingue en %.
Opinions
|
Pas du tout
|
Un peu
|
Moye nnemt
|
tout à fait
|
nr
|
Total en %
|
J'ai choisi l'éducation bilingue parce que je suis
convaincu de sa pertinence.
|
23
|
12
|
22
|
28
|
15
|
100%
(98)
|
Je suis venu par hasard.
|
54
|
6
|
5
|
27
|
7
|
100 %
(98)
|
J'ai choisi l'éducation bilingue parce
que cela m'a été imposé.
|
55
|
6
|
9
|
12
|
|
100%
(98)
|
J'ai choisi l'éducation bilingue parce que je
cherchais un métier.
|
73
|
2
|
2
|
5
|
18
|
100%
(98)
|
J'ai choisi l'éducation bilingue à cause de
l'intérêt accordé à la langue nationale.
|
20
|
11
|
13
|
41
|
14
|
100%
(98)
|
|
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La compilation des réponses des enseignants à
l'énoncé des différentes opinions relatives à leur
engagement comme éducateurs bilingues nous donne d'observer l'existence
d'un courant défavorable pour les énoncés de la
deuxième, troisième et quatrième opinion ; le
cinquième énoncé, celui portant sur l'intérêt
de la langue a pour sa part une opinion plus favorable ; quant au premier
énoncé, il a deux courants opposés avec néanmoins
une légère tendance vers l'accord. Nous pouvons donc en
déduire que ce qui motive principalement la conviction des enseignants
c'est leur intérêt pour les langues nationales, suivi de
près par la pertinence du système éducatif bilingue, ce
qui tend, à première vue, à confirmer la conviction qu'ils
ont de l'efficacité du système éducatif bilingue.
Toutefois, les entretiens que nous avons effectués
avec les enseignants nous invitent à la prudence ; en effet, les propos
recueillis montrent que le plus souvent les enseignants sont
intégrés dans l'éducation bilingue, non pas sur initiative
personnelle mais sur incitation des autorités compétentes :
Babil : « je fais partie de ceux qui ont
été de la première promotion à faire le test
d'intégration après leur formation pour pouvoir être
engagé dans la fonction publique ; et on a eu à faire le test et
à l'issue du test on a été reçu ; maintenant,
à la proclamation des résultats on a écrit devant nos
noms enseignants bilingues11 ; ce qui veut dire qu'on devait
n'importe comment se retrouver dans une école bilingue »
Inno : «En 2000 quand l'enseignement catholique
avait des problèmes il s'est trouvé que moi aussi j'étais
en chômage ; alors, lors d'un pèlerinage l'Evêque a
demandé à tous ceux qui pouvaient aider de se manifester ;
moi j'ai déposé mon dossier et on m'a affecté dans une
école bilingue»
Alioud : « Bon, ce qui m'a amené,
premièrement c'était par manque d'enseignants parce que ici, si
un enseignant prend une classe, c'est lui-même qui doit terminer la
classe jusqu'en cinquième année ; maintenant y a eu deux
postes vacants et l'inspecteur nous a sollicités ;
premièrement c'était pour ça mais avant de venir
même on avait entendu parler de l'école bilingue et on
était intéressés ; et comme il nous a appelés on
n'a même pas refusé».
Il nous est donc donné de penser, comme le laisse
entendre Alioud, que même si les enseignants sont
intéressés au départ par le système éducatif
bilingue, leur choix de devenir éducateur bilingue est assez souvent
impulsé par leurs autorités hiérarchiques.
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