7.2 Interprétation des résultats au
regard de notre problématique et de nos hypothèses
Notre démarche problématique nous avait conduit
à formuler la question de recherche suivante : « quel est le
rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et
matières d'enseignement, dans l'éducation bilingue au Burkina
Faso? »
Au regard de cette question nous avions émis comme
hypothèse principale l'opinion selon laquelle : Le rapport des
enseignants aux langues nationales en tant que matières et
médiums d'enseignement révèle des réticences au
sujet de la pertinence et de l'efficacité de l'éducation bilingue
au Burkina Faso.
Pour vérifier cette hypothèse principale, nous
avions formulé trois hypothèses spécifiques dont
l'objectif était de déterminer :
- L'intérêt que manifestent les enseignants pour
les langues nationales et leur implication dans la promotion de ces langues.
- L'appréciation que font les
enseignants du rôle disciplinaire des langues nationales utilisées
comme médiums et de matières d'enseignement.
- Le point de vue des enseignants sur
l'intérêt scolaire et socioculturel ainsi que sur l'avenir de
l'éducation bilingue.
Nous allons maintenant examiner ces hypothèses
à la lumière des résultats que nous a livré
l'analyse des données.
7.2.1 Interprétation des résultats selon la
première hypothèse spécifique
« Les enseignants manifestent peu
d'intérêt pour les langues nationales ainsi que pour le langage
scolaire bilingue ».
La première hypothèse spécifique de
notre étude présumait que les enseignants manifestaient peu
d'intérêt pour les langues nationales dans l'éducation
bilingue au Burkina Faso.
93
En considérant les données recueillies dans nos
enquêtes, il pourrait sembler, à première vue, que les
résultats obtenus réfutent une telle hypothèse ; en effet,
les résultats de l'analyse nous ont montré que les enseignants
maîtrisent bien leurs langues nationales ainsi que le langage scolaire
bilingue, qu'ils prennent des initiatives ou participent à des
activités en vue d'améliorer les connaissances qu'ils ont des
langues nationales ; cependant, cela suffit-il à témoigner de
leur intérêt pour les langues nationales ? Pour rendre compte de
toute la mesure de la question, il nous semble important de prendre ici en
considération le fait que les langues nationales en question sont avant
tout les langues maternelles de presque tous les enseignants ; ce qui laisse
entendre que c'est plutôt la non-maîtrise que la maîtrise de
ces langues qui relèverait de l'extraordinaire ; d'autre part, quand on
scrute en profondeur le mode d'investissement des langues nationales par les
enseignants, on remarque qu'en plus du taux assez élevé
d'individus (35%) de notre échantillon qui affirment n'avoir entrepris
aucune activité pour accroître leur niveau de maîtrise des
langues nationales, les initiatives prises à titre personnel, telles que
les lectures (13%), la communication (5%), la rédaction d'articles (53%)
restent proportionnellement très infimes par rapport aux
activités programmées par l'institution que sont les formations
ou les recyclages (45%). On retrouve ici un des éléments, qui, de
l'avis de Dabène (1994), participe à la détermination de
l'attitude de l'individu par rapport à une langue, à savoir son
utilité réelle ou présumée. En effet, pour
Dabène (1994 : 82), « la maîtrise d'une langue
dotée d'un certain prestige représentera, pour l'individu, un
bien appréciable, dans la mesure où il la considérera
comme un atout pour son image et sa position sociale, et où il en
attendra des bénéfices pour une éventuelle progression
». Dans le cas de notre étude, on peut penser que
l'utilité de l'investissement des langues nationales se résume,
pour les enseignants, à la nécessité de se doter d'outils
adéquats pour accomplir au mieux leur fonction, d'où le fort taux
d'implication des enseignants bilingues dans les formations et le faible
engagement de ceux du classique qui, en raison du fait qu'ils ne tiennent pas
de classes bilingues, n'en éprouvent aucun besoin. Quand bien même
ils ne nient pas l'intérêt didactique des langues, il nous parait
évident que les enseignants ne semblent pas voir dans l'investissement
des langues nationales un moyen de promotion sociale ou professionnelle tel que
l'envisage Dabène (1994).
Bien plus, certaines variables, comme la langue de
communication préférée, nous permettent d'observer que les
enseignants ont une préférence pour le français
plutôt que pour les langues nationales à l'exception de certains
groupes linguistiques tels que le kassena, le
94
lyèlé et le dagara où
la part de ceux qui disent préférer la langue nationale est
visiblement plus élevée.
Mais même là, il nous semble difficile d'en
déduire que les groupes linguistiques kassena,
lyèlé et dagara manifestent plus
d'intérêt pour les langues nationales ? En effet, un croisement de
la variable des langues nationales en usage dans l'éducation bilingue
avec celle de l'intérêt pour les langues nationales comme
motivation des enseignants à entrer dans l'éducation bilingue
nous montre qu'il en va autrement.
Tableau n°18 : Niveau d'appréciation de
la langue nationale comme motivation à entrer dans l'éducation
bilingue selon les groupes linguistiques en %.
Langues nat.
|
pas du tt
|
un peu
|
moynmt
|
tt à fait
|
nr
|
Total en %
|
Mooré
|
21
|
10
|
13
|
44
|
13
|
100 (39)
|
Dioula
|
33
|
|
11
|
11
|
44
|
100 (9)
|
Fulfuldé
|
8
|
|
17
|
58
|
17
|
100 (12)
|
Bissa
|
40
|
20
|
|
40
|
|
100 (5)
|
Nûni
|
|
|
|
100
|
|
100 (5)
|
Kassena
|
40
|
|
40
|
|
20
|
100 (5)
|
Lyèlé
|
25
|
50
|
25
|
|
|
100 (4)
|
Gourmantch
|
10
|
20
|
10
|
40
|
20
|
100 (10)
|
Dagara
|
14
|
14
|
14
|
57
|
|
100 (7)
|
Total %
|
20% (19)
|
10% (10)
|
14% (13)
|
42% (40)
|
15% (14)
|
100 (96)
|
|
Ces résultats nous permettent de réaliser
qu'à l'exception du dagara où 57% des enseignants
estiment que l'intérêt pour les langues nationales correspond tout
à fait à ce qui a motivé leur entrée dans
l'éducation bilingue, aucun des enseignants des deux autres groupes
linguistiques, c'est-à-dire le kassena et le
lyèlé, n'a retenu l'intérêt pour les
langues nationales comme ayant motivé « tout à fait
» son choix de devenir éducateur bilingue. A l'inverse, le
groupe nûni où une majorité des enseignants avait
retenu le Français comme langue de communication
préférée justifie à l'unanimité son
entrée dans l'éducation bilingue par l'intérêt qu'il
éprouve pour les langues nationales. Cette absence de corrélation
entre le choix de la langue de communication préférée et
l'intérêt pour les langues nationales comme motivation à
l'entrée dans l'éducation bilingue rend donc difficile
l'affirmation d'une marque
95
particulière d'intérêt de l'un ou l'autre
groupe linguistique pour les langues nationales. Cet avis nous semble par
ailleurs soutenu par la nature des raisons évoquées par les
enseignants pour justifier le choix de leur langue de communication
préférée. En effet, pour ceux qui ont choisi la langue
nationale comme langue de communication préférée, plus que
le souci de promotion de la langue qui compte pour seulement 12% des motifs
invoqués, c'est surtout, pour 57% d'entre eux, le fait que la
majorité de leurs interlocuteurs ne connaissent que cette langue qui
justifie leur préférence pour les langues nationales.
En considération de ces résultats, nous
estimons que si l'on ne peut nier l'intérêt des enseignants pour
les langues nationales, cet intérêt reste beaucoup plus
guidé par des motivations d'ordre professionnel que personnel ; en
conséquence de quoi nous estimons que les résultats de notre
enquête corroborent partiellement l'hypothèse spécifique
qui soutient que les enseignants manifestent peu d'intérêt pour
les langues nationales.
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