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Le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d’enseignement, dans l’éducation bilingue au Burkina Faso.


par Bouinemwende Wenceslas ZOUNGRANA
Université sciences humaines et sociales /Lille 3 - Master 2 Recherche 2014
  

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7.2.2 Interprétation des résultats selon la seconde hypothèse spécifique

« Les enseignants sont réticents par rapport à la capacité des langues nationales à servir de médium et de matières d'enseignement »

Ø Sur l'utilité disciplinaire des langues nationales

L'analyse du rapport des enseignants aux disciplines scolaires bilingues a montré que si les enseignants sont nombreux à déclarer qu'il n'y a pas de matières inutiles ou inadaptées dans l'éducation bilingue, tous ne partagent cependant pas cet avis ; en effet, près d'un tiers d'entre eux affirment le contraire. Et lorsque nous scrutons de près les exemples évoqués par ces derniers pour justifier leur point de vue, il apparaît que ce qu'ils pointent du doigt ce n'est pas tant l'utilité didactique des disciplines que leur inadaptation aux exigences de l'école, implicitement ou explicitement exprimées. Ces exigences se rapportent notamment à la nécessité de la réussite aux différentes évaluations et examens dont les conditions sont fixées selon les normes des écoles classiques mais aussi aux préoccupations liées à la suite à donner à la scolarité des élèves qui, en l'absence du continuum bilingue, doivent intégrer les collèges classiques. C'est ainsi qu'une matière comme l'APPC12 peut paraître, aux yeux des

12 APPC (Activités Pratiques Productives et culturelles)

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enseignants, utile pour l'équilibre humain de l'élève comme le reconnaît David : « l'école bilingue intègre les activités pratiques productives et culturelles en se basant sur les possibilités du milieu ; de même les langues maternelles suscitent l'intérêt de l'enfant qui favorise sa compréhension des notions enseignées ; l'école bilingue recherche ainsi la formation intégrale de l'enfant » mais en même temps problématique parce qu'elle n'est pas prise en compte dans l'évaluation, comme nous le rappelle Honorine : « l'enfant n'est pas évalué à l'examen dans cette matière ». Il nous semble donc évident que ce n'est pas l'intérêt didactique des contenus d'enseignement en jeu qui sont remis en cause mais plutôt leur concordance aux exigences qui conditionnent la progression de l'élève.

Ø L'expression de la construction d'une conscience disciplinaire bilingue ?

Le regard que portent les enseignants sur l'intérêt des langues nationales utilisées comme matières d'enseignement nous amène par ailleurs à nous interroger sur la manière dont ils conçoivent les disciplines scolaires, la valeur qu'ils leur accordent. Dans les raisons qui sont évoquées pour justifier l'existence des matières inutiles ou inadaptées dans le système éducatif bilingue, les avis exprimés réfèrent entre autres aux lieux de transmission du savoir : « ils n'ont pas besoin d'aller à l'école pour apprendre ces choses », aux enjeux culturels comme dans le cas des élèves peuls qui rechignent à faire des récitations ou des chants au seul motif qu'ils ne sont pas des griots, ou encore au manque de référence aux notions de la grammaire française.

Derrière toutes ces difficultés exprimées par les enseignants sur l'intérêt des langues nationales utilisées comme médiums et matières, il nous semble possible de percevoir un souci de définition de ce que pourrait être une discipline pour eux. Cet effort de cadrage de la discipline qu'on pourrait désigner comme étant une conscience disciplinaire bilingue en construction se tisserait sur la base d'une certaine tension portant sur les finalités mêmes des disciplines. Reuter (2010) a expliqué que toute discipline pouvait s'organiser autour de visées propres à l'école et à l'ensemble des disciplines ou excédant le cadre scolaire ; dans le cas présent, il nous semble que la tension part de la conception de la discipline scolaire ; elle porte, à notre avis, sur une divergence d'approche entre une conception traditionnelle, classique et scolaire de ce que devrait être une discipline scolaire, centrée notamment sur l'évaluation et la validation par les examens d'un côté et la nécessité d'intégrer de nouveaux référents scolaires non évaluables à l'examen (apprentissage des langues nationales) ou extra-scolaires (APPC) induites par le système éducatif bilingue et centré plutôt sur le souci de la

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formation humaine intégrale de l'homme de l'autre. Sur cette question, Reuter (2010 : 41) a aussi montré que la notion de conscience disciplinaire est née entre autres du constat que « les représentations d'élèves du collège ou du lycée pouvaient parfois être éloignées du projet d'enseignement disciplinaire et, par voie de conséquence, source d'obstacles ou de conflits... ». Si l'on considère que l'objectif poursuivi par l'éducation bilingue est d'oeuvrer à l'éducation intégrale de l'homme, on peut estimer que les enseignants qui jugent que les matières du système éducatif bilingue sont utiles et adaptées, donc « enseignables » selon la visée fondamentale de toute discipline définie par Chervel (1998) ont intégré parfaitement le projet et les objectifs de l'éducation bilingue en étant parvenus à une conception plus large et ouverte de la notion de discipline scolaire. En référence à notre cadre théorique, on pourrait aussi considérer ces enseignants comme étant les bons sujets de l'institution « école bilingue ». En revanche, ceux pour qui certaines matières de l'éducation bilingue paraissent problématiques nous semblent restés dans une conception des disciplines scolaires liée à la sphère scolaire avec en toile de fond le souci de préparer les enfants aux évaluations et aux examens ; ce groupe d'enseignants dont le rapport au savoir ne correspond pas à celui de l'institution pourraient être désignés, selon la théorie anthropologique du rapport au savoir, comme de mauvais sujets de l'institution ici en question. Dans tous les cas, il nous semble que ce qui justifie le plus l'inquiétude des enseignants c'est surtout la question du rapport des disciplines et de l'évaluation. Cheron (2008) avait déjà montré que cette hantise des résultats, entretenue par ailleurs par les protagonistes de l'éducation bilingue était au centre des préoccupations des enseignants ; ce discours qu'elle rapporte d'un entretien qu'elle a réalisé avec un directeur d'école en est illustratif : « C'est les résultats qui nous intéressent ! Au-delà des résultats il n'y a rien d'autre qui nous intéresse, maintenant le chemin par lequel on va passer pour atteindre les résultats bon... » (Cheron, 2008 : 22)

Sur cette question du rapport des disciplines à l'évaluation, Delcamdre (2006 : 132) a par ailleurs montré que l'évaluation était un outil de légitimation externe de la discipline scolaire. Traitant de la question de l'évaluation de l'oral, elle déclarait ceci : « Pour les élèves comme pour les parents, l'évaluation justifie l'effort d'apprentissage, donne légitimité aux contenus de savoirs visés (...) Cet aspect de légitimation externe renvoie au rôle des examens et des concours dans la définition des contenus d'une discipline scolaire (savoirs et savoirs faire) ». A la suite de cette réflexion de Delcambre (2006), il est possible de penser que pour les enseignants bilingues, cette question de légitimation de matières qui ne sont pas prises en

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compte à l'examen ou aux concours n'est pas sans effet dans la manière dont ils conçoivent les disciplines de ce système éducatif.

Ø Sur les effets néfastes de l'utilisation des langues nationales comme matières sur les autres disciplines

Dans l'analyse des données de notre enquête, il est ressorti que sur 10 enseignants bilingues, 7 avaient reconnu que les langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement pouvaient avoir des effets néfastes sur les autres matières. Si cette proportion est sans doute considérable, faudrait-il pour autant en conclure que les enseignants reconnaissent d'une certaine manière l'inutilité ou l'inadaptation de ces matières ? En considérant les situations décrites par les enseignants, nous remarquons que ce qui revient dans les discours ce sont les questions relatives aux interférences, qu'elles soient d'ordre grammatical, lexical ou phonologique. Nous osons donc penser raisonnablement que ce que dénoncent les enseignants c'est la répartition des temps d'enseignement entre les langues nationales et le Français. La réponse des enseignants à la question portant sur la réorganisation de la répartition de ces temps d'enseignement semble d'ailleurs confirmer notre opinion ; en effet, comme nous l'avons souligné antérieurement, le système éducatif bilingue consacre 90% des temps d'enseignement aux langues nationales en première année, 80% en deuxième année, 50% en 3° année, 20% en quatrième année et 10% en 5° année. En partant de cette organisation et en considération de leur expérience, nous avons demandé aux enseignants de nous proposer une répartition qui leur semblerait plus adéquate. Les résultats à cette question que nous publions en annexe montrent que la moyenne de temps d'enseignement des langues nationales proposée par les enseignants est de 68,36% en première année contre 90% selon les instructions officielles et de 58,81% en deuxième année contre 80%. En première année, seuls 23% des enseignants s'alignent sur le temps officiel édicté par les curricula ; en deuxième année, c'est encore moins, soit 21%. Tous les autres enseignants proposent de réduire le temps d'enseignement consacré aux langues nationales en première année. Cet enjeu de la répartition des temps d'enseignement nous est amplement expliqué ici par Alioud :

« Moi, en ce qui me concerne, je dirai que ce qui a été fait là...il faudra quand même revoir parce que si nous prenons ce qui est écrit sur papier, on dit : première année 90% en langue nationale et 10% de Français alors que la scolarité dure cinq ans, donc si dès la première année il ne voit pas très bien quelques notions en Français, en deuxième

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année encore 80%, vous voyez que l'enfant en cinquième année il écrit bien, il peut même lire des textes mais il ne comprend pas parce qu'on n'a pas pris du temps pour leur apprendre beaucoup de choses en Français ; donc selon moi je me dis que dès la première année s'ils pouvaient aller à 20% et deuxième année 40 % je crois que là ç'allait permettre aux enfants de voir beaucoup de notions en Français ».

Au regard de ce qui précède, nous pouvons affirmer que notre seconde hypothèse spécifique est seulement partiellement corroborée par les résultats obtenus, en ce sens que nous estimons que les enseignants ne doutent pas de l'efficacité des langues nationales à servir de médiums et de matières d'enseignement mais reconnaissent la nécessité de faire un certain nombre d'aménagements du point de vue didactique et organisationnel pour les rendre plus crédibles et plus efficaces.

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"Il y a des temps ou l'on doit dispenser son mépris qu'avec économie à cause du grand nombre de nécessiteux"   Chateaubriand