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Le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médiums et matières d’enseignement, dans l’éducation bilingue au Burkina Faso.


par Bouinemwende Wenceslas ZOUNGRANA
Université sciences humaines et sociales /Lille 3 - Master 2 Recherche 2014
  

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7.2.3 Interprétation des résultats selon la troisième hypothèse spécifique

« Les enseignants sont réticents par rapport à l'efficacité et à l'avenir de l'éducation bilingue ».

L'analyse de la variable portant sur le degré de conviction qu'ont les enseignants de l'efficacité de l'éducation bilingue a montré que près des 3/4 des individus de notre échantillon se disent convaincus ou très convaincus de ce système éducatif. Si l'on ne s'en tenait qu'à ces données, on pourrait penser peut-être que ceux qui se disent peu ou pas convaincus sont des enseignants des écoles classiques qui ne comprennent pas grand-chose au système éducatif bilingue et conclure sans tarder que ces résultats réfutent notre hypothèse spécifique.

Toutefois, lorsqu'on met en relation la variable relative au choix du système éducatif préféré pour la scolarisation des enfants avec les deux catégories d'enseignants, on se rend vite compte que ces résultats ne sont pas sans poser question ; en effet, on remarque que si les enseignants classiques sont évidemment plus nombreux proportionnellement, soit 61 %, à préférer inscrire leurs enfants dans les écoles classiques, chez les enseignants bilingues, la part de ceux qui font le même choix s'élève à 34%, ce qui n'est pas négligeable pour des gens qui sont des acteurs de premier plan de ce système éducatif. Bien plus, en croisant la part de ceux qui se disent convaincus ou très convaincus avec la variable portant sur le choix de

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scolarisation préférée des enfants, il nous est donné de constater que 19% des enseignants qui se déclarent convaincus et 11% de ceux qui s'affirment très convaincus préfèrent scolariser leurs enfants dans des écoles classiques ; alors, comment comprendre que des enseignants qui oeuvrent dans l'éducation bilingue d'une part, et d'autres qui disent en être convaincus d'autre part, optent malgré tout de scolariser leurs enfants dans des écoles classiques ?

Dans les entretiens que nous avons pu réaliser avec les enseignants, nous avons pu comprendre que ces réticences étaient la conjonction de plusieurs raisons qui ne sont pas liées en tant que tel à la nature du système éducatif bilingue mais à sa gestion ; cette situation est bien résumée par Babil : « ce n'est pas l'innovation qui n'est pas bonne mais c'est parfois les conditions de mise en oeuvre ; ça peut être au niveau des élèves, ça peut être au niveau des enseignants ; si les conditions d'accompagnement ne sont pas suivis, on ne peut pas aboutir à de bons résultats »

D'abord, les enseignants reprochent aux autorités politiques de n'être pas eux-mêmes convaincus et de manquer de donner le bon exemple aux populations en n'inscrivant pas leurs enfants dans les écoles bilingues ; c'est l'avis de Manu :

« en regardant les autorités de ce pays se comporter vis-à-vis du bilingue, on a l'impression que l'éducation bilingue c'est pour l'enfant du pauvre ; jusqu'à présent nous n'avons vu aucune autorité de ce pays envoyer son enfant dans une école bilingue, ce qui

fait que les uns et les autres aussi se disent que c'est parce que c'est une école au rabais qu'on leur dit d'envoyer leurs enfants dans ces écoles ; je crois que l'exemple devrait venir de là haut ».

Ils craignent aussi que l'éducation bilingue ne disparaisse un jour, comme les innovations pédagogiques qui l'ont précédée, lorsque les bailleurs de fonds cesseront de financer son exécution. Sur cette question, Sayoré est formel, lorsqu'on lui demande son avis sur l'avenir des écoles bilingues :

« Mais là, il faudra peut-être que les autorités elles-mêmes soient convaincues ; dans l'éducation y a trop de réformes, maintenant on ne sait pas ; généralement c'est des projets, ça vient et une fois qu'il n'y a plus de financement ça disparaît ; donc ça fait que quand ça rentre dans les questions politiques, là ça devient compliqué ; sinon y a plusieurs réformes au niveau de l'éducation ; y a les écoles satellites, les CBNEF où on

fait les langues nationales ; mais c'est des projets ; quelqu'un vient avec ça, ça finit et on cherche d'autres trucs encore ».

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Ensuite ils dénoncent une gestion chaotique des écoles bilingues qui contribue à

démobiliser les enseignants ; de l'avis des uns et des autres, les enseignants bilingues seraient amenés à effectuer un travail plus exigeant que leurs collègues du classique mais ne sont pas rémunérés à la hauteur de leurs peines ; en plus, lorsqu'ils veulent passer d'une école bilingue à une école classique ils sont retenus tant qu'ils n'ont pas bouclé le cycle des cinq ans. Manu nous explique la situation en ces termes :

« Premièrement, les enseignants qui sont affectés dans ce système, si tu n'as pas fini un cycle complet tu ne peux pas partir ,
· ça pose problème ,
· si tu vas et tu ne t'y sens pas tu vas vouloir partir, mais on te retient pour boucler le cycle des cinq ans ,
· alors, si tu restes là à contre coeur, le travail aussi va prendre un coup ! Ça c'est d'un, ensuite les moyens ne suivent pas ,
· ceux qui font l'éducation bilingue trouvent, que c'est un travail supplémentaire, un travail beaucoup plus compliqué qu'ils sont en train d'accomplir ,
· par conséquent ils voudraient une juste rémunération des efforts qu'ils sont en train d'effectuer mais leurs attentes ne sont pas comblées et ça aussi ça cause des blocages ».

Pour ce qui concerne plus précisément les aspects financiers, les enseignants nous ont expliqué que cette année, ils ont dû faire des sit-in dans les Directions Régionales de l'Enseignement de Base pour enfin bénéficier des 15000 F CFA d'indemnités qui leur sont allouées :

Babil : « cette année on a attendu nos indemnités d'octobre, c'est à dire juillet, août septembre, ce n'est pas venu ,
· au mois de décembre ce n'est pas venu et il a fallu qu'on fasse un sit-in à la DREBA13 pour qu'ils nous payent le 15 janvier ; ça fait que l'engouement prend un sérieux coup. »

Ou encore Alioud « même cette année on a eu à faire des sit-in à la DREBA avant qu'on nous paye ,
· voilà pourquoi tous ceux qui viennent au bilingue veulent partir ,
· mais si le suivi était régulier et si la prise en charge était conséquente, ça allait mobiliser les gens un peu ,
· mais on a remarqué que quand quelqu'un vient, après ses trois années de formation il veut partir ».

Une autre difficulté qui suscite la crainte chez les enseignants et nourrit leur réticence vis-à-vis de l'éducation bilingue a trait à la raréfaction des visites pédagogiques. Depuis quelques années, l'OSEO s'est déchargée de sa responsabilité dans la gestion des écoles

13 Direction Régionale de l'Enseignement de Base (DREBA)

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bilingues et les a confiées à l'Etat ; depuis lors, les visites pédagogiques et le suivi des écoles ne sont plus réguliers, comme nous l'explique Alioud : « on sent que y a un relâchement même de l'Etat ; avant que je ne vienne ici, les suivis c'était chaque mois mais depuis que l'OSEO s'est retiré c'est parfois une fois par an, parfois tous les deux ans. Mais dans ces trois dernières années c'est une fois l'année scolaire » ; il faut remarquer qu'on est déjà très loin des nombreuses visites pédagogiques effectuées par la DGEB et les IEPD dont faisait état Cheron (2008) en 2007 lorsque l'OSEO était encore aux commandes de l'enseignement bilingue. Mais bien plus que le suivi des écoles, ce sont les structures mêmes qui ont été mises en place pour les APPC et pour l'accueil des élèves qui sont en train de péricliter ; dans une des écoles bilingue en zone sahélienne nomade, l'OSEO avait construit un centre d'accueil pour permettre la sédentarisation des enfants Peuls et favoriser ainsi les apprentissages ; l'école était de ce fait subventionnée par l'OSEO en vivres et les résultats étaient excellents. Mais malheureusement, avec le retrait de l'OSEO et la suppression de la dotation en vivres, les parents ont retiré leurs enfants et les locaux construits à couts de millions de francs CFA sont laissés à l'abandon :

Alioud : « vous voyez le bâtiment qui est là, les enfants logeaient ici ; ils étaient nourris, ils mangeaient ici ; mais depuis que l'OSEO s'est retiré on a fermé les salles, même d'hébergement, alors que nos enfants viennent de loin ; donc ce qui fait que le niveau là a baissé (...) ; comme y a pas de vivres les gens préfèrent garder leurs enfants ; et puis nous les peuls tant qu'on ne voit pas exactement la chose, on ne peut pas croire ; il préfère qu'il reste derrière le troupeau ; on dit l'école et il ne voit rien... C'est ce qui fait qu'ils n'amènent pas les enfants ».

Cette situation que vit l'éducation bilingue de nos jours se trouve être, à nos yeux, la concrétisation d'une conclusion à laquelle était parvenue Hélène Cheron (2008) dans son travail de recherche sur le projet école bilingue de l'OSEO à Koudougou et Réo ; dans notre problématique, nous avions d'ailleurs évoqué cette crainte comme ayant motivé notre intérêt pour cette présente recherche. Dans son étude, Hélène Cheron (2008) était parvenue à la conclusion que l'éducation bilingue telle qu'elle était organisée ressemblait à une bâtisse portée en tout point par l'OSEO et qui risquait de tanguer très fort si celle-ci venait un jour à se retirer. On peut penser, à juste titre que c'est ce qui commence à se produire avec les indemnités qui ont du mal à être payées, les visites qui se raréfient, les activités pratiques et culturelles qui ont de la peine à se tenir, etc.

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La dernière épreuve qui participe à entretenir les réticences chez les enseignants a trait à l'âge de recrutement des écoliers. Le système de l'éducation bilingue a été conçu pour accueillir des enfants d'âge mûr, compris entre 7 et 8 ans, qui parlent bien leur langue maternelle. Or il se trouve qu'avec la création des écoles maternelles, notamment dans les villes, les enfants arrivent très jeunes au primaire, autour de 5 ou 6 ans ; cela constitue une véritable entorse dans la conception du système éducatif bilingue et est malheureusement source d'échecs pour certains enfants comme l'atteste Inno :

« La deuxième difficulté c'est que les enfants que nous recrutons en fonction du cycle ne répondent pas en ville ,
· ça veut dire quoi ? On a des enfants de cinq ans ,
· dans notre Koupela, on a des enfants de cinq ans ,
· or le bilingue demande des enfants de 8 à 9 ans ,
· dans nos villes on ne peut pas avoir des enfants de six ans même qui ne sont pas à l'école ,
· donc on se retrouve avec des enfants qui ont à peine quitté leurs mamans et on veut leur apprendre ,
· donc finalement, comme c'est leur langue, en première année y a pas de problème ,
· ils lisent, ils calculent ,
· la deuxième année on commence à sentir une baisse du rendement et en troisième année où l'enfant n'avait acquis que seulement 20% du Français, on veut que tout se passe maintenant en Français et à un niveau CE2, ça ne peut pas marcher ».

Dans cette ville où l'éducation bilingue avait été fortement soutenue par l'enseignement catholique, l'apparition de cette difficulté qui a servi de justificatif aux nombreux échecs qui s'en sont suivi à l'examen du CEPE a conduit les autorités du diocèse à reconvertir les écoles bilingues en écoles classiques, et ce, conformément aux souhaits des parents.

Cette troisième hypothèse spécifique posait que les enseignants font preuve de réticence à l'égard de l'efficacité et de l'avenir de l'éducation bilingue. Les résultats montrent toutefois une situation plus nuancée. On remarque que si les enseignants sont réticents, ce n'est pas avant tout à cause de l'inefficacité du système éducatif mais en raison des questions qu'ils se posent sur son avenir et ce, en référence à la manière dont il est géré présentement. Nous pouvons donc dire que les résultats ne supportent que partiellement l'hypothèse.

En résumé, notre hypothèse principale stipulait que « le rapport des enseignants aux langues nationales, en tant que médium matières et d'enseignement, révèle des réticences au sujet de la pertinence et de l'efficacité même de l'éducation bilingue au Burkina Faso ».

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En conséquence de l'interprétation qui vient d'être faite de nos résultats, laquelle interprétation révèle que ces résultats ne supportent que partiellement les trois hypothèses spécifiques, nous pouvons en déduire que notre hypothèse principale est aussi partiellement corroborée. En effet, s'il est possible d'affirmer de façon raisonnable, au vu des résultats, que les enseignants sont effectivement réticents, on ne peut manquer de noter que cette réticence est beaucoup plus liée à la question de la pertinence ou de l'efficacité du système éducatif, comme nous le supposions, qu'à sa mise en oeuvre par ceux qui en ont la responsabilité.

Une telle analyse du rapport des enseignants aux langues nationales utilisées comme médiums et matières d'enseignement nous amène par ailleurs à nous interroger sur leur rapport à la diglossie. Comment faut-il analyser l'état d'esprit des enseignants dans la situation de diglossie qui marque le Burkina Faso et dont nous avions fait l'écho précédemment ?

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"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo