7.3 Interprétation au regard du cadre
théorique
Nous avons déjà vu que dans sa
théorisation du rapport au savoir, Chevallard distingue l'institution,
l'individu et l'objet de savoir. Si l'objet de savoir n'a d'existence que dans
le cadre d'une institution telle que l'école ou la famille, l'individu
qui entre dans une institution se trouve quant à lui assujetti à
cette institution par le rapport qu'il établit avec l'objet de savoir.
Chevallard appelle, dès lors, « apprentissage »
l'évolution du rapport personnel qu'établit le sujet avec l'objet
de savoir, en précisant qu'un bon sujet est celui dont le rapport
personnel à l'objet est conforme au rapport institutionnel dudit
objet.
Avant tout propos et au regard de la construction de son
approche du rapport au savoir par Chevallard, nous nous interrogeons sur le
rôle qu'il assigne à l'institution en rapport à sa
dimension statique ; si la possibilité d'évolution dans le
rapport à la connaissance n'est reconnue qu'à l'individu pendant
que l'institution reste figée dans ses positions, comment le savoir
peut-il progresser dans ces conditions ? Le conflit n'est-il pas
inévitable ? Bien plus, si l'on considère que les savoirs se
forgent dans un système de constructions et de déconstructions,
comment peut-on qualifier de « bon sujet » un sujet dont le rapport
au savoir n'est l'objet d'aucune remise en cause ? Il nous semble, pour notre
part, que dans le cadre de cette approche théorique, il serait plus
judicieux de considérer comme étant un bon sujet d'une
institution le « sujet qui sait agir dans l'intérêt de cette
institution ».
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Les résultats de notre étude nous semblent
très illustratifs à ce sujet ; en effet, les
enquêtes que nous avons menées nous ont
révélé que les enseignants, sans se considérer
comme de mauvais sujets des institutions auxquelles ils sont assujettis, savent
prendre du recul, critiquant au besoin le fonctionnement de ces institutions
pour les rendre meilleurs ; d'abord, au niveau de l'institution sociale, nous
avons pu remarquer que les enseignants se sont démarqués, dans
leur ensemble, de l'influence de la diglossie en faisant preuve d'une
reconnaissance de la capacité des langues nationales à servir de
médiums et de matières d'enseignement ; mais cela ne les a
pourtant pas empêchés de souligner les effets néfastes
induits par l'usage de ces langues nationales au contact des autres
disciplines. De même, en ce qui concerne l'institution «
éducation bilingue » en elle-même, les résultats de
nos enquêtes montrent que les enseignants ne manquent pas de critiquer ou
même de modifier les directives établies par cette institution
comme nous le signifie Bamogo :
« par rapport aux contenus, ce que je trouve un peu
difficile pour les élèves, c'est le langage au CP1 ; parce que en
première année on a 10% de Français et 90% de langue
nationale ; les 10% là c'est le langage là ; les phrases qu'on
utilise dans le langage là sont longues ; elles ne sont pas
adaptées aux enfants ; l'élève doit mémoriser la
phrase là et puis reprendre ; avec les longues phrases comme ça
c'est compliqué ; souvent nous-mêmes on est obligé de
couper les phrases pour pouvoir enseigner ; on fait les critiques mais chaque
fois ça ne change rien » ; mais ce n'est pas pour autant
qu'ils se considèrent comme étant de mauvais sujets ou qu'ils
cèdent au découragement ; quand on leur demande s'ils veulent
poursuivre leur carrière d'enseignant dans le système
éducatif bilingue, la réponse ne souffre pas
d'ambiguïté : « y a pas de problème, tant que je ne
gagne pas un concours professionnel moi je suis là-dedans, je ne vois
pas de mal ; moi je ne trouve pas d'inconvénient dans le fait de quitter
le classique pour le bilingue ; c'est toujours l'enseignement ; quel que soit
là où tu es » ( Sayoré).
En substance, si l'on considère que l'apprentissage a
lieu, comme le spécifie Chevallard, dans l'évolution du rapport
personnel de l'individu au savoir au sein de l'institution, il nous semble que
pour permettre à ce savoir de se développer, il est important que
l'individu ne supporte pas à lui tout seul les tensions qui seraient
nées de ses rapports contradictoires avec l'institution au sujet du
savoir à apprendre ou à enseigner ou qu'il se plie naïvement
aux injonctions de l'institution ; il nous paraît, à l'inverse,
plus judicieux de prendre en compte l'expérience de l'individu et
d'accepter qu'il peut éclairer l'institution dans
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la construction et l'amélioration du savoir ; dans le
cas qui nous préoccupe, celui de l'éducation bilingue, il nous
paraît évident que les enseignants ont beaucoup à apporter
pour l'amélioration du système éducatif bilingue, encore
faudrait-il que l'institution éducation bilingue soit à leur
écoute ; ce qui ne semble pas le cas pour l'instant.
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