De nombreuses causes sont souvent évoquées pour
justifier les mauvaises performances du système éducatif
burkinabè ; au nombre de celles-ci on peut citer les questions d'ordre
culturel, l'offre scolaire et la situation socioprofessionnelle des
enseignants.
- Le souci de la sauvegarde des valeurs
culturelles
Dans l'étude qu'ils ont menée sur les obstacles
à la scolarisation des peuples nomades, Ali, Souley et Tiné (1998
:13) ont montré que l'influence et le souci de sauvegarde des valeurs
traditionnelles pouvaient être un frein à la scolarisation des
enfants. De l'avis de
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ces auteurs, « Il n'est pas rare d'entendre des
parents dire que l'école détourne les enfants de leur propre
culture(...) transforme l'enfant au point de lui faire détester sa
propre langue, ses traditions, sa société (...) L'école
est ainsi perçue comme une innovation étrangère,
"l'affaire des Blancs", dont le but est d'accélérer
l'extraversion des jeunes et la décadence des valeurs liées
à la culture traditionnelle ». Cela se justifierait par le
fait que les parents sont le plus souvent choqués par le comportement de
leurs enfants qui ont fréquenté l'école ; ceux-ci, de leur
point de vue, se détourneraient des pratiques ancestrales comme
« paître les vaches ou cultiver les champs » pour
adopter les manières occidentales. C'est ainsi que «
Les écoliers sont généralement jugés comme
irrespectueux et turbulents, à l'opposé de l'enfant
élevé traditionnellement qui, lui, sait rester sage et
obéissant. Selon les parents, l'écolier méprise la vie des
villageois en refusant de se conformer aux règles de vie traditionnelle.
» (1998 :13).
Le rapport présenté par le député
burkinabè Bayo Célestin Koussoube (2012) sur les systèmes
éducatifs et les transformations socio-économiques au Burkina,
lors de l'assemblée parlementaire de la francophonie en mars 2012
à Québec, est très éclairant à ce sujet.
Dans son rapport, le député montre que deux systèmes
éducatifs coexistent au Burkina après les indépendances :
le système d'éducation traditionnelle et le système
d'éducation postcoloniale. Selon lui, dans le système
éducatif traditionnel, c'est à toute la société
qu'incombe la responsabilité de l'éducation et non pas seulement
à la famille génitrice ; c'est une éducation qui tend
essentiellement vers le maintien d'un équilibre communautaire au
détriment, s'il le faut, de l'initiative personnelle. « Elle
tend à valoriser la cohésion, la solidarité, la
primauté du groupe » (Koussoube, 2012 : 3) ; à
l'inverse, l'éducation postcoloniale tend entre autres «
à favoriser le développement personnel à travers un
épanouissement physique, intellectuel et moral » et «
stimuler l'esprit d'initiative et d'entreprise » (Koussoube, 2012 :
3). On voit bien que d'un côté, dans l'éducation
traditionnelle, c'est l'intérêt communautaire qui est mis en avant
tandis que de l'autre, dans l'éducation post coloniale, c'est
plutôt l'épanouissement personnel de l'individu qui est
visé.
Par ailleurs, certaines recherches ont montré que sur
le plan culturel, cette hostilité aux changements induits par
l'école est souvent due à de douloureuses situations historiques
liées notamment aux effets de la colonisation ; ainsi, pour les Lobis du
sud-ouest du Burkina connus pour n'avoir jamais été soumis
à un autre groupe ethnique et pour s'être farouchement
opposés à l'envahisseur blanc, leur résignation à
la présence française s'est traduite par une sorte de serment
collectif interdisant à tout Lobi de suivre la voie des blancs sous
peine de malédiction et de mort (Kobiane et Pilon, 2008). Cette attitude
de rejet de l'école par les
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Lobis laisse percevoir à priori qu'au-delà des
considérations d'ordre traditionnel, une ethnie peut rejeter
l'école en raison de son histoire.
- La qualité de l'offre scolaire
Dans son mémoire de langue étrangère
appliquée, Julie Rérolle (2007 : 25) montre que dans le domaine
de l'éducation, le Burkina Faso poursuit actuellement deux objectifs
contradictoires : « offrir un enseignement de masse » et
« de qualité ». Malheureusement, cette politique
éducative est inadaptée car elle ne répond ni à la
demande de la population ni au contexte du pays encore majoritairement
analphabète. Se référant aux critères de
définition de l'effectivité de l'éducation des Nations
Unies, elle relève « qu'un système éducatif est
effectif quand l'offre est acceptable (les populations en acceptent les
objectifs) ; adaptable (le système est adapté aux
différents besoins et contextes des élèves) ; avec une
dotation adéquate (en personnes et en équipements,
conformément aux besoins réels) et accessible (ouvert à
tous) » (2007 : 25). Parmi ces critères trois seraient encore
loin d'être atteints par le Burkina, à savoir l'«
adaptabilité, accessibilité et dotation adéquate
» ; elle en arrive donc à la conclusion que « Les
politiques d'éducation doivent donc chercher à définir ce
qui pourrait pousser les enfants à aller à l'école (en
termes de scolarisation et de participation) et les parents à les y
inscrire (offrir des incitations à la demande), et comment
améliorer l'effectivité et l'équité du
système actuel, pour fournir un enseignement de qualité »
(2007 : 25).
Contrairement à Rérolle (2007), Kobiane et
Pilon (2008) invitent à nuancer le rôle de l'offre scolaire dans
l'explication à donner à la sous-scolarisation. A partir de
données statistiques recueillies pendant l'année scolaire
1997-1998, ces chercheurs ont mis en relation le nombre d'enfants
âgés de 7 à 12 ans regroupés dans des classes
multigrades6 et le nombre d'enfants par classe normales dans
plusieurs autres localités du pays. Les résultats de ce recoupage
ont montré que les localités traditionnellement hostiles à
la scolarisation comme la région du nord, habitée par les Peuls,
sont celles où l'on retrouve le plus grand nombre d'enfants de 7
à 12 ans regroupés dans une même classe (ce qui signifie
qu'il n'y a pas suffisamment de classes pour départager les
différents niveaux). Mais en même temps, ces localités sont
celles qui comprennent le plus faible nombre d'élèves par classe,
soit moins de 40 élèves pour plusieurs niveaux d'enseignement
contre plus de 70 élèves pour un même niveau dans d'autres
localités ; il ressort donc de cette analyse que malgré le manque
de
6 L'enseignement multigrade est un programme
d'éducation regroupant des élèves de différents
niveaux
au sein d'une même classe avec des enseignements
différents adaptés à chaque niveau.
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classes, celles existantes ne sont pas surchargées, ce
qui amène les auteurs à conclure que l'offre scolaire ne peut pas
être invoquée comme seul motif d'explication du faible taux de
scolarisation (Kobiane et Pilon, 2008) . En outre, soutenir de nos jours que
l'offre scolaire constitue un handicap à la scolarisation au Burkina
c'est ignorer, affirment ces auteurs, tout le travail de la mise en place des
infrastructures scolaires initié par le PDDEB ces deux dernières
décennies.
- La situation des enseignants
Si certains auteurs invitent à voir les causes des
difficultés du système éducatif burkinabè dans
l'offre scolaire, d'autres insistent plutôt sur les conditions de vie des
enseignants. Ainsi, pour certains chercheurs comme Cheron (2008 :11), une des
principales causes qui explique les difficultés du système
éducatif burkinabè est liée à la condition des
maîtres. Pour elle, l'enseignant burkinabè manque de motivation
dans son travail car il constitue « le maillon faible à
l'intérieur du système étatique hiérarchisé
» et est de ce fait même déconsidéré par
ses homologues fonctionnaires. Mal payés, mal logés et reconnus
comme de simples exécutants, « l'investissement dont ils font
preuve pour remplir leurs devoirs professionnels n'est jamais reconnu ni
récompensé » (2008 : 11). A cela s'ajoute le fait
qu'ils exercent leur métier dans des conditions souvent difficiles, avec
des effectifs pléthoriques et la double injonction de réduire les
taux de redoublements et d'accroître les taux de réussite. Face
à toutes ces difficultés, les enseignants sont plutôt
préoccupés de se former pour sortir du système en passant
les concours professionnels. Pour Cheron (2008), toutes ces épreuves ont
nécessairement des conséquences néfastes sur la
qualité du rendement des enseignants.
C'est donc dans ce contexte de l'affirmation de
l'inadéquation du système éducatif burkinabè aux
réalités du terrain et au regard de ses mauvaises performances
tant du point de vue qualitatif que quantitatif qu'est née, au Burkina,
l'idée de l'introduction des langues nationales dans le système
éducatif en vue de prendre en considération les
réalités et les besoins du terrain ; mais cela n'est pas sans
susciter des débats.