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CHAPITRE 2 :
LA PROBLEMATIQUE DE L'INTRODUCTION DES
LANGUES NATIONALES DANS L'EDUCATION
La problématique de l'introduction des langues
nationales dans l'éducation en Afrique pose la question du rapport
même des acteurs politiques et des populations à ces langues. Pour
un certain nombre de chercheurs et d'intellectuels tels Diop (1979),
Chatry-Komarek (2005), Lezouret et Chatry-Komarek (2007) ou Nikiema (2000,
2011), l'amélioration des performances de l'éducation en Afrique
ne peut se faire sans une prise de conscience de l'utilité des langues
nationales et leur prise en compte dans l'éducation. Déjà,
en 1979, Diop (1979 : 415) écrivait ceci : « un enseignement
qui serait donné dans une langue maternelle permettrait d'éviter
des années de retard dans l'acquisition de la connaissance ; très
souvent, l'expression étrangère est comme un revêtement
étanche qui empêche notre esprit d'accéder au contenu des
mots qui est la réalité ». Pour Cheikh Anta Diop
(1979), s'il est parfois nécessaire d'attendre 4 à 6 ans pour
inculquer au jeune africain certaines connaissances, c'est en raison du fait
que cela lui est enseigné dans une langue étrangère ; si
cela lui était enseigné dans sa langue maternelle, il aurait
été capable de l'assimiler dès le jour même de son
entrée à l'école. Pour sa part, Nikiema (2011 : 17) estime
que « si l'éducation désigne une communication
organisée et suivie, visant à susciter l'apprentissage, on
comprend alors que la langue d'éducation assume les mêmes
fonctions que la langue maternelle et que le système éducatif qui
a le plus de chances d'être efficace est celui où s'observe
l'équation langue d'enseignement = langue maternelle. Il y a donc
forcément des problèmes chaque fois que les deux doivent
être différents dès le premier jour d'école
».
Si ces auteurs s'accordent à reconnaître la
nécessité de placer les langues nationales au coeur des plans
d'amélioration des performances de l'éducation en Afrique, ils
déplorent toutefois le fait que les autorités ne semblent pas
avoir conscience de cette urgence ; c'est le constat que fait Chatry-Komarek
(2005 : 53) : « De nombreux pays africains ne voient ni le besoin ni
la possibilité de former des individus bilingues, qui seraient
compétents à la fois dans leur langue maternelle et dans la
langue officielle européenne. Ceux-ci favorisent la maîtrise
exclusive de la langue européenne, et ceci pour des raisons politiques
et aussi à cause de préférences culturelles et
linguistiques particulières ».
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Comme le suggère cette citation de Chatry-Komarek,
trois arguments sont invoqués pour justifier la méfiance des pays
africains à l'endroit de l'usage de leurs langues nationales dans
l'éducation : les enjeux politiques, les intérêts des
anciennes colonies et les préjugés.
2.1 Les obstacles à l'introduction des langues
nationales dans l'éducation
2.1.1 Les enjeux politiques
Le premier obstacle à l'utilisation des langues
nationales dans l'éducation en Afrique aurait trait aux enjeux
politiques ; en effet, d'après Chatry-Komarek (2005), ceux qui se
montrent méfiants vis-à-vis des langues nationales avanceraient
comme argument la nécessité de défendre l'unité
nationale ou de prémunir leur nation de l'isolement au plan
international en raison de l'impact très limité de ces langues en
dehors du continent.
Répondant à l'argument de l'unité
nationale, Chatry-Komarek (2005 : 66) estime que « choisir de placer
une seule langue et une seule culture au-dessus des autres, au lieu de
promouvoir la diversité linguistique et culturelle, peut facilement
provoquer des sentiments de frustration et d'humiliation, au lieu de mener vers
l'unité nationale ». Quant à Nikiema (2011), citant
l'exemple des deux Corée ou du Rwanda, il fait remarquer que le
problème de l'unité nationale n'est pas le propre des pays
multilingues. Il demeure posé même en contexte monolingue. Pour
lui, « les meilleurs garants de l'unité nationale c'est le
rejet des politiques d'exclusion, la lutte contre les injustices, etc. »
(2011 : 17). Quant à la question de l'isolement dans
lequel pourraient se trouver les pays africains en raison du champ
limité des langues nationales, Chatry-Komarek (2005 : 65) la
récuse en argumentant que « dans la vie quotidienne, de
nombreux africains recourent à des langues véhiculaires telles
que le fulfuldé, le haussa ou le kiswahili, de préférence
à l'anglais ou à toute langue européenne, pour communiquer
au niveau de la région. Ceux qui voyagent en dehors du continent et ont
besoin de parler une langue européenne restent une minorité, tout
comme dans les pays industrialisés où la maîtrise d'une
langue étrangère n'est un besoin vital que pour une
minorité ».
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