CHAPITRE IV. DISCUSSION DES RESULTATS
4.1. Analyse fonctionnelle de la filière
a. La filière café robusta est
abandonnée
Dans la Tshopo, notamment dans les territoires de Bafwasende
et Ubundu, y compris la ville de Kisangani, nos résultats ont
révélé l'absence d'organisation de la filière
café de l'amont en aval et l'inexistence d'appui privé ou public.
Les vestiges des plantations sont encore visibles et la nature y reprend
progressivement ses droits, soit elles sont reconverties en champs des produits
vivriers. Des villages jusqu'à la grande ville de Kisangani, ce sont des
techniques rudimentaires qui sont d'application. Ces techniques
réduisent la qualité du café vendu aux et ramènent
à nulle sa compétitivité à l'échelle
nationale, régionale ou internationale.
Les tentatives d'organisation de la filière par la
création de l'Association des Vendeurs de Café de la Tshopo ont
été entreprises, malheureusement dissoutes sans atteindre le but.
Ainsi, les acteurs vivent dans de petits groupes battus sur les relations
d'appartenance, d'ancienneté et/ou de confiance. Mais dans la
globalité, tout acteur vit dans le chacun pour soi.
Ces éléments confirment notre première
hypothèse qui postulait que la filière café est dans un
état d'abandon. Les productions sont faibles, les techniques
utilisées sont rudimentaires, les acteurs ne sont pas organisés
et ne bénéficient d'aucun soutien public ou
privé.
Ces résultats corroborent avec ceux trouvés dans
la Province du Kongo Centrale (Manfroy, 2021). En effet, cette
étudiante de Gembloux avait abordé la chaine de valeur
café autour de la réserve de Biosphère de la Luki dans les
perspectives de la relance ; elle constata qu'il n'existe quasiment aucune
coordination entre les acteurs, que ce soit de façon verticale ou
horizontale, tout acteur se débrouille comme il peut.
Les résultats du Ministère de l'agriculture
(2011), élucident que la désorganisation de la
filière café est un cas généralisé sur le
territoire national. C'était à la suite des diagnostics
participatifs de la filière café dans toutes les provinces
productrices que cette triste réalité fut dégagée.
Cette désorganisation, est-elle spécifique à la
filière café ou généralisée aux cultures
pérennes ? Les résultats de De Roover (2022) et
Ibadan (2021) donnent des précisions.
De Roover (2022) avait, grâce à
la méthode Value Chain Analysis for development, abordé
la chaine de valeur hévéa, dans la Province de Sankuru, en vue de
la relance. Les conclusions sont les mêmes, la filière est
délaissée, les productions sont faibles et les acteurs vivent
l'autarcie.
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L'étude de Ibandan (2021) conclut le
débat. Ce chercheur a analysé la place des cultures
pérennes dans l'agriculture. Cas spécifique du Kwango,
généralisé pour la RDC. Les mêmes observations
refont surface ; une désorganisation des filières des cultures
pérennes accompagnées d'une perte de bien-être : les
cultures pérennes, qui faisaient la fortune des villageois, des
enseignants et des fonctionnaires, ne représentent plus grand-chose. Les
plantations qui permettaient d'assurer une bonne éducation à la
progéniture et à la relève de l'économie sont
actuellement enherbées.
b. Les causes intrinsèques et
extrinsèques de l'arriération de la caféiculture
L'état actuel de la filière café est la
résultante de diverses causes. Certaines d'ordre interne et d'autres
d'ordre généralisé. Nombreux auteurs, cas de
Lebailly et al., (2014) corroborent que la
désorganisation du secteur agricole, et par conséquent des
filières des cultures pérennes, a commencé avec la
politique de Zaïrianisation de 1973. En effet, le départ des colons
et d'autres investisseurs poids lourds a réduit les
débouchés de ces cultures. La mise en place du Programme
d'Ajustement Structurel (PAS) vers les années 1983, l'effondrement des
cours mondiaux vers 1996, la guerre de délibération de1996-2001
ont rendu agonisantes les chaines de valeurs agricoles en RDC (O.I.C,
2004 ; Rubabura et al.,2009 ; ITC,2011)
Dans la Tshopo, ces éléments ont
précipité le départ de grandes entreprises du café
de l'époque. Les principales entreprises qui ont fermé les portes
sont : Borremans, NAHV, Doraes J. à Kisangani, Marques M. à
Ubundu, anciennement appelé Ponthierville, Smet & frères
à Bafwasende, Monteiro and Lookens à Malili, (Anon,
1943). Finalement, l'épidémie de la tracheomychose a
forcé les agriculteurs à abandonner ou à reconvertir leurs
champs de café en autres cultures (Ministère de
l'agriculture, 2011).
A Kisangani, La transformation du café est une
activité qui procure des retours financiers significatifs, mais n'attire
les jeunes à cause des conditions qu'elle exige. Passez une
journée manipulant le feu, inhalant des quantités de
fumées et déployant assez d'énergie physique, ça
semble être trop dispendieux que l'argent que procure cette
activité, disait un torréfacteur. Pour rester performant, faut
manger de la nourriture à soupe, mais tôt au tard, nous
sommes victimes des maladies de coeur, ajoutait ledit torréfacteur.
Les commerçants, sont les plus rusés de la
filière. L'application de la chimie comme technique de maximisation des
profits constitue un danger énorme qui rend hypothétique l'avenir
de cette filière. Tromper la vigilance du consommateur, en lui vendant
des impuretés sous prétexte du
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café, c'est gagner à l'immédiat mais
perdre dans le court, moyen et long terme. Précipiter la perte de
confiance des consommateurs, c'est précipiter la chute de la
filière.
Dans les territoires de Ubundu et de Bafwasende, un autre
frein à la production de café est d'ordre anthropologique. De par
leur culture, les populations de ces deux territoires sont habituées
à l'argent facile issu de la pêche et de l'exploitation
minière. A cet aspect, s'ajoute la pro pauvreté, mentale et
matérielle, de ces populations rurales. Il en résulte que
demander à un rural de ces deux territoires d'investir aujourd'hui pour
récolter après 5 ans, c'est comme trop demander. La
préférence pour le présent a atteint son paroxysme de
sorte que l'adage « Manger, buvez car demain nous mourrons »
est devenu célèbre leitmotiv pour toutes les
tranches d'âges.
c. La filière nécessite une relance
urgente et stratégique
Au regard du potentiel agroécologique du pays, la
nécessité d'un développement vivable, viable et
équitable, plusieurs auteurs réclament avec insistance la relance
urgente de la filière café (Dubé, 2012 ; Lebailly
et al.,2014 ; Ibandan, 2021 ; Manfroy,2021). Le gouvernement
a aussi marqué son implication par l'élaboration d'un plan
stratégique de relance depuis 2011. La mise en oeuvre reste
hypothétique comme bien des projets du gouvernement congolais.
Les investisseurs privés devraient s'impliquer et les
acteurs se structurer. Dans les territoires de Bafwasende et Ubundu, des
incitants économiques sont visibles, mais les incitants organisationnels
et institutionnels sont absents. La relance doit relever ces défis sans
oublier d'intégrer les questions culturelles comme
évoquées ci-haut. Les avantages de la culture de café
devraient être clairement démontrés, tout d'abord aux
leaders d'opinion de ces zones.
4.2. Analyse financière de la filière
a. L'impact financier de la filière est positif
sur tous les agents de la filière
L'élaboration des CPE des acteurs de la filière
café a montré la viabilité financière de la
filière sur tous les acteurs. Ces retours financiers contribuent
à l'amélioration des conditions socio-économiques.
L'élaboration du compte consolidé de la filière a
dégagé une valeur ajoutée annuelle de 271 050 $,
distribuée entre producteurs, torréfacteurs, mouleurs, grossistes
et revendeurs. Les commerçants dégagent 87% (notamment 66% par
les grossistes et 21% par les revendeurs) de cette valeur ajoutée,
suivie des transformateurs, 11 % (5% pour les transformateurs et 6% pour les
mouleurs) et finalement les producteurs, 2%. Ces
éléments confirment notre deuxième hypothèse qui
postulait que l'impact financier de la filière est positif sur les
parties prenantes.
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Manfroy (2021) est arrivé aux
résultats qu'on peut comparer aux nôtres. Elle a aussi
démontré que la filière café est rentable pour tous
les acteurs de la filière. La valeur ajoutée totale
dégagée par la filière de 156 721, 65 $. Cette valeur
ajoutée est repartie entre producteur (30%), commerçants (34%),
les transformateurs (33%) et le 3% restant est à l'Etat.
A Ubundu et Bafwasende, les faibles productivités et
faibles investissements des producteurs expliquent cette faible valeur
ajoutée. L'autre explication est la vente des produits au bord des
champs à des faibles prix. La grande valeur ajoutée des
grossistes s'explique par leurs faibles prix d'achats auprès des
producteurs et d'une marge brute de 1000 FC par Kilo à la vente.
Ensuite, les grossistes de Kisangani ont plusieurs sources d'approvisionnement
et ont monté plusieurs stratégies pour maximiser les
bénéfices (achats groupés, stockage des produits en
attente de la période de crise, la chimie, ...).
A ce niveau, la légère différence avec
les résultats de Manfroy (2021) s'explique. Dans sa
zone d'étude, le Kongo central, la production locale suffit pour
alimenter la consommation intérieure, avec un surplus exporté.
b. Et si nous comparons sa rentabilité à
celle des autres filières ?
Le tableau 15 ci-dessous confronte nos résultats de la
rentabilité financière de la filière café à
ceux de la Fondation Konrad Adenauer (2017) sur les
filières pêche et Riz dans la province de la Tshopo. Nous
présentons les valeurs du RNE suivies en parenthèses de celles
des tests de rentabilité exprimées en pourcentage. La surface
moyenne d'un exploitant de riz est de 1 ha et pour le café 0,5 ha. Le
RNE des producteurs de café ci-dessous est d'une récolte
l'année alors que celui des producteurs de riz est de deux fois. Les RNE
des pêcheurs et pour les autres acteurs de café et riz sont
mensuels. Les valeurs de transformateurs sont les moyennes de mouleurs et
torréfacteurs.
Tableau 15 : Comparaison des RNE des acteurs
filières café, Riz et Pêche
Acteurs
|
Résultat Net d'exploitation en FC
|
|
|
RIZ
|
CAFE
|
Pêche
|
Producteur
|
166 000(124)
|
1007000(354)
|
199291 (132)
|
Transformateur
|
858500 FC (258)
|
1077458,33(164,8)
|
-
|
Grossiste
|
1610000 (126)
|
3721872,67 (120)
|
682000 (174)
|
Détaillant dans le marché de
|
376300 (121)
|
227773,14 (128)
|
603200 (122)
|
Kisangani
|
|
|
|
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Les charges requises pour chaque activité, la vitesse
d'écoulement des produits, le temps nécessaire à la
réalisation de l'activité et les possibilités de
conservation sont des éléments clés pour nuancer les
rentabilités de ces filières.
Comparant les tests de rentabilité à la hauteur
de bénéfice, nous remarquons que le commerce de café est
rentable, mais exige des grands investissements. Une grande vitesse
d'écoulement produit d'effet cumulé sur le bénéfice
mais nécessite des investissements ou réinvestissements
importants. Par contre, une faible vitesse d'écoulement, peut procurer
des retours d'investissements importants si le bénéfice unitaire
est significatif. La pêche est aussi heurtée au défi de la
conservation surtout dans un milieu comme Kisangani où
l'électricité est un réel défi. Cette incertitude
explique la réticence des grossistes de cette filière face
à des forts investissements. Pour les filières
considérées, c'est le maillon de transformation qui est
apparemment le plus rémunérateur. Pour un investissement de 1$,
un rizier gagne 1,58 et un torréfacteur 0,63. Ceci s'explique
principalement par la réduction de temps de l'activité, des
consommations intermédiaires. Et à ce niveau, il y a aussi
beaucoup d'externalités non externalisées (bruit sonore pour le
riz, pollution et bruit sonore pour le café).
4.3. L'analyse par matrice AFOM
Il y a de bonnes perspectives de développement
de la filière café robusta dans la zone
d'étude
L'environnent n'est pas un ensemble de silos fermés,
mais une toile tissée où tout est lié. L'interconnexion
des activités économiques explique la nécessité de
confronter notre matrice AFOM à celles des autres.
Dans le plan stratégique de relance de la
filière café (Ministère de l'agriculture, 2011),
une matrice AFOM y est présentée, mais celle-ci
présente un caractère national. De sa part, Manfroy
(2021) a présenté une matrice dans les conditions de la
Province de Kongo-Central, notamment dans et autour de la réserve de la
Luki.
Pour notre filière, la somme atouts-opportunités
absorbe celle de faiblesses-menaces. En effet les vastes superficies de
Bafwasente et de Ubundu, situées dans la zone intertropicale,
(Omasombo et al., 2017) confèrent à ces
deux territoires des avantages comparatifs pour accroitre la production du
café. Ce sont ces éléments qui donnent l'avantage au
Brésil, le premier producteur mondial du café (Basic,
2018). Les opportunités laissent entrevoir une lumière
au bout du tunnel, et rassurent tous les acteurs de cette filière.
L'accroissement de la demande et éventuellement des prix (Tegera
et al., 2014) l'engagement du secteur public et privé
dans la relance ne cessent de nourrir d'espoir. Les menaces et les faiblesses,
étant d'ores
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et déjà identifiées, deviennent
surmontables si des mesures de capitalisation des atouts et opportunités
sont mises en oeuvre. Ces éléments confirment notre
troisième hypothèse qui postulait qu'il y a de bonnes
perspectives de développement de la filière café dans les
territoires sous examen.
4.4. Formulation des axes
stratégiques
Les actions qui s'exigent sont d'ordres
technico-organisationnels et institutionnels en concert avec les ODD
Les actions stratégiques formulées à
l'issu du couplage de la matrice AFOM restent valides pour nombreuses
filières agricoles. Lebailly et al., (2014) ; Ibandan
(2021) adhèrent au couplage de notre matrice AFOM qui
définit trois principaux défis à relever pour une relance
durable). Relever ces défis c'est mener des actions sur le plan
technique par investissement dans les outils récents et dans le capital
humain, c'est structurer les acteurs de la filière et appuyer les
institutions publiques dans l'exercice de leurs fonctions. De toutes les
actions à mener, la dimension anthropologique reste un facteur
prégnant pour la réussite de la relance. Il faudrait semer et
entretenir dans l'homme de Bafwasende et Ubundu le goût de l'agriculture.
Ces éléments confirment partiellement notre
quatrième hypothèse qui postulait que les actions
stratégiques pour relancer et assurer la durabilité de la
filière café sont d'ordres technico-financiers, organisationnels
et institutionnels en concert avec les ODD. En effet, l'aspect
anthropologique n'était pas postulé.
La mise en application devrait être intelligente pour ne
pas aboutir aux résultats décevants. Les responsabilités
sont partagées entre parties prenantes
Les éléments évoqués dans ce
chapitre prouvent que dans les territoires de Bafwasende et Ubundu il y a des
incitants économiques mais non organisationnels. L'hypothèse
générale de l'étude est confirmée.
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