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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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D) Explication du fonctionnement des objets sociaux.

INTRODUCTION

Tous les fondements de l'ontologie sociale ont été posés. Nous avons d'abord distingué entre les faits bruts et les faits institutionnels. Les faits bruts appartiennent à la réalité physique et n'ont jamais besoin de l'homme pour exister48(*). L'existence des faits institutionnels, au contraire, en tant qu'ils sont institués par l'homme, dépendent de celui-ci. La réalité sociale se compose de faits institutionnels qui surviennent sur des faits bruts. Pour que l'argent existe, en effet, il faut d'abord que le morceau de papier que l'on nomme un billet de banque existe. Ce que l'ontologie sociale vise à expliquer, par conséquent, est la manière dont les faits institutionnels surviennent à partir de certains faits bruts : comment les entités physiques existent-elles comme entités sociales ? A la page 13 de The Construction of Social Reality, Searle présente les trois éléments qui vont constituer l'appareil théorique [apparatus] de son ontologie sociale. Ces trois éléments (quatre, en réalité) suffisent, selon lui, à expliquer les faits institutionnels en tant qu'ils surviennent sur la base des faits bruts. Il s'agit de « l'assignation de fonctions, de l'intentionnalité collective et des règles constitutives. » Le quatrième élément est introduit beaucoup plus loin et vise à expliquer le fonctionnement causal des structures institutionnelles. Il s'agit du concept de « background », qui dénote le fond de capacités naturelles dont disposent les êtres humains pour faire face à leur environnement.

*

L'ASSIGNATION DE FONCTIONS

Searle part de l'étonnement que peut susciter cette capacité particulière dont disposent les humains d'attribuer des fonctions aux objets naturels ou bien de créer eux-mêmes des objets en vue de réaliser certaines fonctions. Une fonction est associée à un objet lorsque dans un certain contexte, cet objet est perçu comme fonctionnant comme. Dans un langage mathématique, la notion de fonction désigne le rapport de deux variables en correspondance : « Pour Riemann, y est fonction de x, si à chaque valeur de x correspond une valeur de y bien déterminée »49(*) Lorsque deux variables sont fonction l'une de l'autre, cela signifie qu'à chaque valeur de l'une correspond une valeur de l'autre. De la même manière, l'idée présentée ici par Searle est qu'un objet naturel possède une fonction lorsque à un état de cet objet naturel correspond un état d'objet institutionnel. Les objets naturels, dans la réalité sociale, fonctionnent comme d'autres objets : de nouveaux statuts leurs ont été attribués.

Nous parlons habituellement de fonctions, remarque Searle, dans le cadre d'une explication des objets naturels. Nous disons par exemple du coeur qu'il possède une fonction déterminée : pomper le sang. Qui plus est, nous affirmons que cet énoncé constitua un jour une découverte : la découverte que la fonction du coeur est de pomper le sang. Pourtant, il y a une large différence entre le fait de décrire le coeur comme un organe qui pompe le sang et le fait d'assigner au coeur la fonction de pomper du sang. Car, si dans le premier cas nous nous contentons de décrire un processus causal constaté empiriquement, dans le second par contre nous effectuons un raisonnement téléologique : nous réduisons l'existence du coeur au processus causal dont il est l'agent ; Nous faisons comme si le coeur existait uniquement pour pomper le sang, comme s'il s'agissait là de la fonction intrinsèque que lui aurait attribuée la Nature. Or, le fait est que nous aurions très bien pu découvrir le processus causal auquel le coeur se trouve lié sans pour autant décrire celui-ci en terme de fonction. L'assignation d'une téléologie à une causalité n'est jamais nécessaire pour bien comprendre la causalité elle-même. Afin d'appuyer cette idée, Searle présente une hypothèse : imaginons qu'au lieu de valoriser la continuité de la vie, nous valorisions la mort ; Nous dirions alors des cancers que leur fonction est d'accélérer la mort. Mais dire cela, étant donné notre champ actuel de valeurs, paraît absurde : la fonction naturelle des organes et des choses en général est d'aller dans le sens des valeurs que nous associons à la vie. Il ne faut pourtant pas oublier, rappelle Searle, que si la découverte des causes est toujours un fait objectif, l'assignation de fonctions à des entités naturelles dépend toujours, par contre, de l'arbitraire humain. De même, les fonctions institutionnelles attribuées à des entités naturelles ne sont jamais intrinsèques aux entités elles-mêmes, elles sont toujours relatives aux intérêts (et par conséquent aussi aux valeurs) des utilisateurs et des observateurs.

Une remarque en particulier appuie l'idée selon laquelle l'attribution de fonctions est toujours un acte arbitraire. Les humains en société se voient attribués des fonctions : la fonction des policiers est de faire respecter l'ordre, celle des pompiers est de stopper les incendies, etc. Mais les humains en tant qu'humains, par contre, ne possèdent aucune fonction. Et si nous essayons d'imaginer un monde dans lequel les humains recevraient des fonctions, nous devons nécessairement concevoir une réalité dans laquelle les humains penseraient avoir découvert de quel plus grand système que le leur ils font partie. C'est-à-dire que pour s'attribuer eux-mêmes des fonctions, les humains devraient se concevoir comme parties d'un tout supérieur. Une entité ne reçoit de fonction qu'au sein d'un système déterminé. Découvrir les fonctions des entités naturelles comme le coeur revient à concevoir la nature comme un système organisé autour de certaines fins prédéterminées. De même, le fait que nous attribuons des fonctions institutionnelles à des objets naturels ou bien créons des objets sociaux en vue de réaliser certaines fins indique que nous concevons la réalité sociale comme un système. Nous n'utilisons pas les choses au gré de notre imagination ponctuelle, nous les utilisons comme le prescrit le système dans lequel nous évoluons.

Searle, enfin, distingue entre les fonctions agentives et les fonctions non-agentives50(*). Le coeur possède une fonction non-agentive dans la mesure où nous ne l'avons pas fabriqué de sorte qu'il serve un intérêt particulier. Le coeur est tel qu'il est, et il nous semble que sa fonction est de pomper le sang. Un tournevis pas contre possède une fonction agentive, car nous lui avons donné sa forme actuelle de manière à ce qu'il soit en mesure de servir un intérêt particulier, celui de visser ou de dévisser. Les fonctions non-agentives désignent « des processus causaux naturels auxquels nous avons assignés un but particulier. » Certaines fonctions sont par contre agentives « parce que leur utilisation dépend directement du but que les agents lui ont attribué. » (p. 23) Intervient enfin une dernière distinction : « Au sein de la catégorie des fonctions agentives existe une catégorie spéciale d'entités, dont la fonction agentive est de symboliser, de représenter, de tenir lieu de, ou - en général - de signifier une chose ou une autre. » La fonction de certaines entités institutionnelles est de renvoyer à autre chose qu'elles-mêmes : les mots, les symboles religieux, etc. sont des objets dont l'utilité n'est pas directe mais indirecte.

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* 48 Searle écrit sa théorie en partie pour fonder le sens contemporain de l'ontologie sociale comme discipline philosophique, et en partie en réaction à certains philosophes qui soutiennent que les faits sociaux ne sont pas les seuls qui dépendent de l'homme, mais que c'est toute la réalité qui est d'une certaine manière une création humaine. Cette opinion philosophique affirme que « les faits bruts n'existent pas, que tous les faits dépendent de l'esprit humain. » (Searle, p. 2) l'opinion de Searle est que si nous avons besoin du langage pour décrire les faits bruts, ceux-ci existent malgré tout indépendamment de la description qui en est produite. Alors que le langage au contraire institue les faits sociaux en tant que tels : en permettant un accord entre les hommes à propos de la fonction des objets, il crée l'existence des faits sociaux, faits ontologiquement subjectifs et épistémologiquement objectifs.

* 49 Lalande, Vocabulaire technique et critique de la philosophie. Fonction, p. 362.

* 50 Searle, The Construction of Social Reality, p. 20.

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"Piètre disciple, qui ne surpasse pas son maitre !"   Léonard de Vinci