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Le concept d'Ontologie Sociale

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par Jules Donzelot
Université de Provence - Master 1 - Maà®trise de philosophie 2004
  

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L'INTENTIONNALITÉ COLLECTIVE

La notion d'intentionnalité collective est centrale dans le champ de l'ontologie sociale. Les travaux produits autour de cette notion visent à résoudre l'opposition de l'individualisme au holisme. Les théoriciens de ce travaux posent la question suivante : L'intentionnalité collective est-elle un phénomène purement collectif (auquel cas on tendra à reconnaître l'existence d'un « individu collectif » porteur de cette intentionnalité) ou bien un phénomène proprement individuel (auquel cas on tendra à concevoir l'intentionnalité collective comme la somme des intentions des individus pris isolément) ? La réponse de John Searle à cette problématique est des plus intéressantes : il sert les intérêts du holisme lorsqu'il considère l'intentionnalité collective comme une forme primitive de la conscience individuelle et il sert les intérêts de l'individualisme en reconnaissant comme siège de l'intentionnalité collective le cerveau des individus. Nous n'allons pas développer ici les implications de la position de Searle par rapport au débat philosophique qui a lieu autour de l'intentionnalité collective. Nous reviendrons plus loin sur ce thème, qui fera l'objet de notre troisième partie. Nous allons nous contenter, pour le moment, de retenir les attributs de l'intentionnalité collective qui concernent directement l'ontologie des objets sociaux. La question qui nous préoccupe est en effet : Dans quelle mesure l'existence des objets sociaux dépend-elle de l'intentionnalité collective humaine ? Et d'abord, qu'entend-on par intentionnalité collective ? Citons à ce propos le texte de Searle :

« Des exemples évidents sont les cas où je fais quelque chose uniquement au sein d'une action collective. Lorsque je joue sur la ligne offensive dans une partie de football, je bloque le point défensif, mais je n'agis ainsi que dans le cadre de notre exécution d'un jeu de passes. Si je suis violoniste dans un orchestre, je joue ma part de notre exécution de la symphonie. Même la plupart des formes de conflits humains requièrent l'intentionnalité collective. Afin que deux hommes puissent engager un combat de boxe, par exemple, il doit y avoir une intentionnalité collective à un niveau supérieur. Ils doivent coopérer au sein d'un combat de sorte que chacun d'eux essaye de l'emporter sur l'autre. Dans cette mesure, faire un combat de boxe diffère d'agresser quelqu'un dans une allée. L'homme qui s'approche petit à petit d'un autre homme dans une allée et subitement l'attaque n'engage pas un comportement de type collectif. Mais deux boxeurs professionnels, tout comme deux individus réunis devant une Cour pour un litige, et comme deux membres de la Faculté qui se lancent des insultes au cours d'un cocktail, sont tous engagés, à un niveau supérieur, dans une forme de comportement collectif à l'intérieur duquel le comportement hostile des antagonistes peut prendre place. » (p. 23-24)

L'intentionnalité collective désigne cet accord de fond entre plusieurs personnes à partir duquel des comportements individuels - de coopération aussi bien que d'affrontement - se manifestent. Un combat de boxe diffère d'une attaque spontanée dans la rue en ce que le premier requiert un accord préalable entre les deux personnes qui s'affrontent. Sans cet accord, nous ne pourrions pas parler de combat de boxe, ni de match de football, ni de concert. Et la plupart des « agir l'un contre l'autre » impliquent bien un « agir ensemble » comme condition préalable. La nature de l'accord nécessaire à ces «agir ensemble» et à ces «agir contre», toutefois, pose problème. S'agit-il simplement de conventions préalablement passées entre des individus ? La vie en société, par exemple, repose-t-elle uniquement sur un certain nombre de conventions ? On peut imaginer que c'est le cas. Mais on devra alors se demander : qu'est-ce qui rend possible ces conventions ? Existe-t-il une disposition naturelle chez l'homme à passer des conventions avec ses congénères ? Et si c'est le cas, comment devons-nous caractériser cette disposition ?

Comme le résume Searle, la plupart des théories qui visent à rendre compte de cet état de fait tentent de réduire les comportements intentionnels collectifs à des comportements intentionnels individuels [to reduce «We intentionality» to «I intentionality»]. Ces théories sont proprement individualistes : elles considèrent que l'homme qui vit en collectivité est d'abord un individu et ensuite seulement un être social. La socialité elle-même résulterait de divers accords passés entre des individus entiers. Les travaux de David Lewis vont en ce sens. Dans son livre Convention51(*), il tente de décrire le langage lui-même - fondement de toute activité collective - comme une activité qui résulte d'un certain nombre de conventions particulières passées entre les hommes. Partant du point de vue selon lequel les conventions entre individus ne suffisent pas, à strictement parler, à rendre compte des comportements collectifs, Lewis ajoute un troisième élément : les croyances mutuelles (ou «savoir commun»). La dimension implicite des conventions résiderait dans un certain nombre de croyances mutuelles. Searle présente ainsi le concept de savoir commun : « L'idée est que si nous avons l'intention de faire quelque chose ensemble, cela implique que j'ai l'intention de le faire car j'ai la croyance que vous avez aussi l'intention de le faire ; et vous avez l'intention de le faire car vous croyez que j'ai l'intention de le faire. Et chacun croit que l'autre a ces croyances, et il croit que l'autre croit qu'il croit, et il croit que l'autre croit qu'il croit... etc., au sein d'une hiérarchie de croyances potentiellement infinie. » (p. 24) La notion de croyance mutuelle réduit l'intentionnalité collective à une somme d'intentions individuelles qui n'existent que sur la base de la croyance que l'autre possède bien la même intention que soi. La majeure partie du débat autour de l'intentionnalité collective consiste à mettre à l'épreuve ce raisonnement individualiste afin de déterminer s'il est nécessaire ou non d'admettre une autre forme d'accord, qui diffèrerait en nature des accords par convention. Ce débat conduit tout droit à interroger les fondements de la socialité humaine, c'est-à-dire à répondre à la question : Comment nous y prenons-nous pour faire des choses ensemble ?

L'opinion de Searle est que toutes les tentatives catégoriquement individualistes échouent à rendre compte de la socialité humaine. Un de ses arguments consiste à rappeler que les animaux ont aussi des comportements collectifs. On peut citer par exemple les abeilles ou encore les fourmis, qui coordonnent leurs comportements individuels de sorte à satisfaire aux besoins du groupe auquel elles appartiennent. Or ces dernières ne disposent d'aucun langage bien défini qui leur permettrait de fonder des conventions. La conséquence est irréfutable : les animaux disposent d'un moyen naturel d'agir ensemble qui diffère catégoriquement de ce que nous nommons « conventions. » La notion d'intentionnalité collective semble alors pouvoir s'étendre à de nombreuses espèces animales. Et si effectivement elle n'est pas un phénomène essentiellement humain, son essence doit être recherchée ailleurs que dans des attributs propres aux hommes tels la conscience de soi, le langage ou autre. L'idée avancée par Searle consiste à définir l'intentionnalité comme « un phénomène biologiquement primitif qui ne peut être réduit ou éliminé en faveur d'autre chose. » Il lui semble impossible de réduire l'intentionnalité collective à une série de « Consciences de Je », même en leur ajoutant des croyances mutuelles. La « Conscience de Nous » doit être autre chose qu'une somme de « Consciences de Je. » Cette opinion, comme nous allons le voir, a pour effet de remettre en question la primauté ontologique de l'intentionnalité individuelle.

Revenons un instant sur les théories individualistes de l'intentionnalité collective. Searle présente ainsi l'argument des philosophes qui soutiennent que l'intentionnalité collective consiste en la somme des intentions individuelles d'agir collectivement : « L'argument est que comme l'intentionnalité existe dans la tête des êtres humains individuels, la forme de cette intentionnalité ne peut faire référence qu'aux individus dans la tête desquels elle existe. »52(*) Selon cet argument, il n'existerait que deux alternatives : Soit reconnaître que l'intentionnalité se situant toujours dans un cerveau individuel, il est impossible que celle-ci se rapporte à autre chose qu'à l'individu au sein duquel elle est logée ; soit reconnaître l'existence d'un être supra-individuel qui serait le support d'une intentionnalité collective distincte des intentionnalités individuelles et qui déterminerait la pensée des individus par un effet quasi-magique qu'il exercerait sur ces derniers. On peut résumer ainsi cette alternative : soit n'existe que l'intentionnalité individuelle, soit existe aussi une intentionnalité collective située ailleurs que dans les individus. Mais Searle ne s'accorde avec aucune de ces deux possibilités. Selon lui, le dilemme dans lequel nous plongent les théoriciens de l'intentionnalité est faux. Son argument est que si toute la vie mentale se situe effectivement dans la tête des individus et non dans « un super-esprit flottant au-dessus des esprits individuels », il ne s'ensuit pas pour autant que toute la vie mentale doive se rapporter à l'individu et uniquement à lui. Il semble tout à fait logique de concevoir, au contraire, que la vie mentale située dans la tête des individus puisse prendre deux formes distinctes : l'une se rapportant à l'individu lui-même et l'autre à la collectivité à laquelle il appartient. Ainsi, dans le cas des actions collectives, l'intentionnalité qui se trouve à la base du comportement de l'individu est pour ainsi dire «dérivée de l'intentionnalité collective qu'ils partagent». Il ne s'agit pas de l'intentionnalité propre de l'individu, mais de la forme individuelle que prend son intentionnalité lorsqu'elle partage une intention, croyance ou action avec d'autres intentionnalités.

Une telle conception de l'intentionnalité collective permet de réviser complètement le problème de l'essence des phénomènes sociaux. Car, si certains courants philosophiques dominants, inspirés de l'individualisme méthodologique de Weber, se refusaient à définir les phénomènes sociaux autrement que comme la rencontre de deux pensées individuelles, ils se refusaient par-là même à considérer les comportements animaux comme des phénomènes sociaux. Au contraire, nous dit Searle, l'expression de «fait social» désigne n'importe quel fait impliquant l'intentionnalité collective. Et cette dernière étant commune aux hommes et aux animaux, il n'y a aucune raison de refuser le statut de phénomènes sociaux aux comportements de ces derniers. Dès lors, la catégorie de «fait social» ne réfèrerait pas exclusivement aux hommes et l'essence de la réalité sociale humaine serait à chercher ailleurs que dans la définition des phénomènes sociaux. On se demande alors : Si les faits sociaux ne sont pas le propre de l'homme, alors quels sont les phénomènes exclusivement humains ? Existe-t-il seulement une classe de phénomènes qui caractérise l'homme en tant que tel ou bien devons-nous situer celui-ci sur une échelle commune à l'ensemble des espèces animales ? L'homme ne serait-il finalement qu'un animal comme les autres ? Searle répond par la négative à cette question. Il existe bien une classe de phénomènes propres à l'homme : les faits institutionnels.

Deux hommes qui marchent ensemble n'expriment pas la spécificité humaine la plus stricte. Deux singes pourraient très bien marcher côte à côte sans rien faire de moins que les deux hommes évoqués. Par contre, un homme qui achète une place de cinéma avec un billet de vingt euros manifeste son appartenance à la réalité humaine en ce qu'elle a de plus spécifique. Car en sus de participer activement d'une relation sociale, il est l'agent d'un fait de niveau supérieur, un fait institutionnel. Par conséquent, afin de rendre compte du mode d'existence de la réalité sociale humaine, il convient maintenant d'expliquer ce qui caractérise en propre les faits institutionnels. Pour ce faire, nous devons les différencier de ce à quoi ils s'opposent : les faits bruts.

* 51 David Lewis, Convention - 1969.

* 52 Page 25.

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"Un démenti, si pauvre qu'il soit, rassure les sots et déroute les incrédules"   Talleyrand